Vietnam. 20 ans après la débâcle de l’impérialisme US

La célébration du cinquantième anniversaire de la “libération” a fait les gros titres des quotidiens. Fin avril 1995 il y avait aussi une autre commémoration à fêter: celle de la libération du peuple vietnamien de la domination de l’impérialisme américain. En effet, il y a 20 ans, les derniers soldats américains fuyaient le Vietnam grâce à un hélicoptère décollant du toit de l’ambassade US à Saigon.

 

Colonie française depuis 1848, l’Indochine (Vietnam, Laos, Cambodge) a connu l’occupation des armées japonaises pendant la Deuxième guerre mondiale. Celles-ci allaient être délogées par le Viet Minh, une guérilla de paysans dirigée par le Parti communiste vietnamien (PCV). Fidèle àla ligne politique du Kremlin, qui avait décidé que le Vietnam resterait sous l’influence des Occidentaux, le PCV décida de maintenir un gouvernement bourgeois même avec les communistes au pouvoir. Ce flottement politique permis à la France coloniale de reprendre pied. Les cadres politiques trotskistes, qui avaient eu une influence de masse dans les villes, furent assassinés sur ordre du PCV en 1946. L’échec des négociations avec les colonialistes français amena le Viet Minh à reprendre la lutte armée. En 1954, la débâcle des troupes d’élites françaises à Dien Bien Phu permit les accords de paix de Genève: retrait de la France, indépendance du Vietnam, division du pays selon le 17e parallèle, référendum prévu en 1956 sur la réunification.

Le Nord

Les entreprises capitalistes et les grandes propriétés foncières furent nationalisées au Nord-Vietnam et un État sur le modèle de l’URSS et de la Chine fut mis sur pied: la République populaire du Vietnam. A aucun moment, le pouvoir ne reposa dans les mains des organes démocratiquement élus du mouvement ouvrier. A l’époque, notre courant politique expliquait que d’une part l’abolition du capitalisme et de la grande propriété foncière était un grand pas en avant, mais que d’autre part l’absence de démocratie socialiste et la politique nationaliste du Viet Minh conduirait à d’autres crises.

Le Sud Le Sud a connu une succession de dictatures soutenues par les États-Unis. En 1954, les USA promettaient un soutien de 100 millions de $ au régime du président Ngo Dinh Diem qui refusait d’organiser des élections pourtant prévues par les accords de Genève. Les adversaires du régime s’organisèrent au Sud en Front National de Libération (FNL) soutenu par le Nord.

 

La guerre et la défaite de l’impérialisme US

Les USA se sont engagés dans la guerre en prétextant un incident du golfe du Tonkin: des vedettes nord-viêtnamiennes auraient attaqué des navires américains. Il s’est avéré par la suite que ce prétexte avait été monté de toute pièce.

Deux millions de soldats vietnamiens et 57.000 américains allaient périr au cours de cette guerre qui coûtera 172 milliards de $ aux USA. Plus de 8 millions de tonnes de bombes allaient être jetées sur le Nord: quatre fois plus que pendant toute la Deuxième guerre mondiale!

A partir de 1969, les dirigeants américains allaient entamer des négociations en vue de sortir du bourbier dans lequel ils s’étaient imprudemment engagés. Le régime dictatorial du Sud s’effondrait en 1975 et le pays était réunifié.

Le Cambodge

Pendant la guerre, les luttes de guérilla s’étaient étendues au Laos et au Cambodge. En 1978, les armées vietnamiennes entraient au Cambodge pour y renverser la dictature de Pol Pot et des Khmers rouges. L’impérialisme allait alors soutenir les Khmers rouges!

De son côté, le Vietnam restait isolé: l’URSS n’accordait une aide qu’au compte-gouttes. En 1978, les armées chinoises tentèrent d’envahir le Vietnam¼

Un puissant mouvement anti-guerre Cette guerre sans perspectives et les massacres de civils vietnamiens par les troupes américaines allaient provoquer un puissant mouvement anti-guerre dans le monde, et en particulier aux USA, la citadelle de l’impérialisme. En 1971, 300.000 manifestants entraînés par 500 vétérans défilaient à Washington. Un million de jeunes américains refusèrent de répondre à leur ordre de mobilisation. 15 millions de jeunes, le plus souvent issus de la petite bourgeoisie, invoquèrent l’un ou l’autre motif (études, carrière,¼) pour refuser d’aller se battre au Vietnam. Le gros du contingent était composé de jeunes issus de la classe ouvrière et de la population noire.

 

Solidarité de classe

Le FNL n’appela jamais les troupes américaines ni les troupes du Sud à la solidarité de classe et inscrivit exclusivement son combat dans le cadre d’une lutte de libération nationale. Des centaines de milliers de vie auraient pu être sauvées si le PCV avait suivi l’exemple des bolcheviks à l’égard des troupes d’intervention impérialistes durant la guerre civile qui a suivi la Révolution russe.

Destruction de l’économie de marché La ligne politique du FNL et du PCV s’est inspirée de la théorie stalinienne de la révolution par étapes. La politique de coalition entre les travailleurs, les paysans et les capitalistes “patriotes” fit cependant long feu. Sous la pression des masses, le boycott économique de l’impérialisme et la faiblesse de la bourgeoisie vietnamienne le PCV dut nationaliser et mettre un terme àl’économie de marché.

 

Les contradictions de la bureaucratie

Léon Trotsky explique, dans La Révolution trahie, que la bureaucratie gardera l’économie planifiée aussi longtemps que cela servira ses intérêts. Les méthodes de commandement bureaucratiques désorganisent l’économie et mettent en péril les intérêts de la bureaucratie. C’est la raison pour laquelle la bureaucratie préfère s’orienter vers l’économie de marché plutôt que d’instaurer la démocratie ouvrière.

C’est le processus en cours aujourd’hui au Vietnam. Gorbatchev a introduit la glasnost et la perestroïka pour échapper à la révolution de par en bas. C’est la voie suivie par la bureaucratie vietnamienne: le Doï Moï. Les portes sont ouvertes sur l’économie de marché contrôlée, comme en Chine: afflux massif des produits occidentaux, 8% de croissance économique annuelle, un quart de la population sans emploi. Les joint ventures (investissement d’une entreprise capitaliste étrangère combinée à une entreprise vietnamienne) paient de bas salaires. Entre mars 1992 et fin 1993, 20% des joint ventures de Ho Chi Minh ville (ex-Saïgon) avaient introduit le salaire minimum. Pour la même période de référence, 20 grèves ont éclaté et seulement 39 entreprises ont permis à leurs ouvriers de devenir membres d’un syndicat.

Les tensions sont aujourd’hui très vives. La population vietnamienne perdra plus vite qu’en Europe de l’Est ses illusions par rapport à l’économie de marché. Des mouvements de masse contre la bureaucratie stalinienne et contre les capitalistes se développeront inévitablement. Cette fois, les travailleurs garderont la révolution en mains.

 


Cet article par ERIC BYL a été repris de l’édition de juin 1995 du Militant.

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