Le Comité pour une Internationale Ouvrière — qui a des sections et des collaborateurs dans une trentaine de pays sur tous les continents — salue la lutte de tous les travailleurs contre l’exploitation, la pauvreté, contre la guerre et la terreur d’État, contre la domination nationale et internationale des spéculateurs et du grand capital. Au jour choisi par la Deuxième internationale pour manifester en faveur de la journée des 8 heures et pour affirmer la fraternité de tous les peuples, nous commémorons également les héros du mouvement ouvrier qui ont enduré les persécutions, les prisons, la torture et la mort. Mais nous pensons aussi aux millions d’êtres humains qui subissent quotidiennement les conséquences du retard de la transformation socialiste de la société.
Le 1er mai. Jour de solidarité internationale.
Le Premier Mai, nous proclamons notre fidélité aux idées de la solidarité ouvrière internationale, non par archaïsme ni par sentimentalisme, mais par conviction. Conviction, chaque jour plus profonde, que la seule issue au cauchemar quotidien des masses populaires, c’est la lutte internationale contre le capitalisme.
Après plus de 100 ans de Premier Mai, seule une petite minorité de travailleurs dans le monde travaille moins de 40 heures par semaine. Une grande partie de la population mondiale travaille dans des champs ou dans des entreprises où il n’y a aucune réglementation du travail.
200 millions d’enfants — sacrifiés au profit — travaillent et sont ainsi privés de leur enfance. Ils représentent 8% de la main-d’œuvre mondiale. En même temps 820 millions d’adultes, soit 30% des travailleurs du monde, sont sans travail ou travaillent à temps partiel. 125 millions de personnes sont complètement sans emploi alors que d’énormes besoins sociaux ne sont pas satisfaits. Il y a 35 millions de chômeurs hautement qualifiés dans les économies dites développées de l’OCDE. En Espagne et en Italie un tiers des jeunes est réduit au chômage.
A l’aube du XXIe siècle, la moitié de la population de l’Asie du Sud et de la région du Sahara vit dans une situation de pauvreté absolue. Aux Indes, 8,4% des nourrissons meurent avant d’avoir atteint l’âge d’un an. La Russie, ravagée par la crise, a vu la mortalité infantile progresser de 50% au cours des deux dernières années. Et pourtant, dans beaucoup de ces pays, on consacre deux à trois fois plus d’argent au remboursement de la dette et à l’achat d’armes qu’aux soins de santé. Le coût d’un avion de combat permettrait à 1,5 millions de personnes d’être raccordées à l’eau potable.
C’est une société de classes insensée dans laquelle les banques et le grand capital dictent aux ouvriers agricoles affamés que les denrées alimentaires doivent être produites pour être exportées. Ils travaillent uniquement pour payer les intérêts de la dette aux banques étrangères et pour permettre à leurs gouvernements et même à leurs patrons d’acheter les armes qui les maintiendront sous le joug.
Chaque année des milliers d’enfants naissent avec des malformations physiques ou mentales parce que leurs mères ont un déficit en minéraux et en vitamines. En même temps des fermiers aux États-Unis et en Europe sont subsidiés avec l’argent des contribuables pour ne pas produire de la nourriture, car cela ferait baisser les prix, ou encore pour détruire des produits alimentaires qui ont déjà été récoltés.
Il est cependant possible de nourrir toute la population mondiale. Mais ces besoins ne seront jamais satisfaits tant que les profits, sans planification de la production et de la distribution d’aliments, continueront à contrôler le monde.
Au cours des 50 dernières années, le revenu par tête d’habitant a triplé à l’échelle mondiale, mais en même temps l’inégalité des revenus a doublé. Les 40 à 50 pays les plus pauvres ont vu se détériorer leur part dans le commerce mondial à tel point que, selon un rapport récent de l’UNICEF, un cinquième de la population mondiale ne dispose plus que d’1,5% du revenu mondial. Les riches deviennent donc encore plus riches et les pauvres encore plus pauvres.
Les “lois” du capitalisme découvertes par Marx il y a 150 ans ne peuvent être ignorées. Dans les périodes de prospérité économique, on peut tout au plus essayer de les dissimuler.
Un tiers de la production mondiale est contrôlée par un petit groupe concentré de très grandes entreprises qui éliminent des concurrents, envahissent des marchés entiers et franchissent les frontières à la recherche de profits accumulés en peu de temps. Bon nombre des 350 multinationales qui dominent le commerce mondial ont un chiffre d’affaire qui est plus important que celui de certains états européens. Les entreprises transnationales avaient en 1960, 3.500 filiales à l’étranger, elles en ont aujourd’hui 206.000. La globalisation de l’économie mondiale sous le régime capitaliste, n’élimine cependant pas le protectionnisme et la menace de guerres commerciales ouvertes. Avec les marchés insuffisamment grands pour tous les concurrents, les intérêts des capitalistes et des différents états nationaux en jeu, le commerce libre et l’intégration sont une utopie. L’unité monétaire en Europe semble d’ailleurs être remise à des jours meilleurs !
Il faut une lutte globale contre la pauvreté, contre les maladies, pour des salaires décents et pour la diminution de la journée de travail.
Lorsque les salaires de 1.200 millions ouvriers dans le monde sont en moyenne de 60 FB l’heure, la tentation chez les multinationales de déménager la production vers des endroits où des profits plus importants peuvent être engrangés est une menace sérieuse pour le niveau de vie de 350 millions d’ouvriers dans les pays occidentaux. Cette seule constatation exige une action syndicale internationale sur les salaires, les horaires et les conditions de travail. Si les organisations patronales des nations industrielles les plus “développées” commencent à avancer des revendications concernant les pays pauvres (salaire minimum, travail des enfants, l’esclavage, le travail forcé, les droits de l’Homme,…) elles ne le font pas pour des raisons humanitaires, mais parce qu’elles redoutent la compétition “déloyale” qui pourrait nuire à l’industrie dans “leur propre” pays.
De telles considérations sont à l’origine du “Chapitre Social” dans le Traité de Maastricht. L’autre face de ce traité, qui a provoqué à juste titre la colère des travailleurs en Europe, c’est la perspective d’opérer, dans chaque pays, des coupes sombres dans les dépenses publiques afin de maintenir le budget en équilibre…
Partout dans le monde, c’est maintenant devenu une habitude d’engager des travailleurs à durée déterminée, avec des journées de travail flexibles, tout exigeant d’eux une intensité de travail élevée dans un environnement de travail dangereux ou insalubre.
Toutes ces injustices, dans un contexte généralisé de corruption et de combines politiques qui éclatent dans les sommets de la société, ne peuvent déboucher que sur de grands conflits de classes.
En France, en Belgique, en Allemagne et en Espagne, il y a eu de grandes grèves et des manifestations. En Italie, le mouvement ouvrier, renouant avec ses fières traditions, a montré que le tournant électoral vers la droite est balayé par une marée de mécontentement qui pousse les travailleurs dans la direction du renversement de l’ordre établi.
En Grande-Bretagne, les Conservateurs au gouvernement, n’ont jamais été aussi impopulaires. Ils ont terminé les élections municipales en Écosse, en avril dernier, en quatrième position avec 2% des votes. Militant Labour a obtenu en moyenne 23%, là où il avait déposé des listes. En dépit du scrutin majoritaire à un tour, notre camarade Tommy Sheridan a pu conserver son siège.
En Europe, les partis ouvriers traditionnels sont discrédités et en plein désarroi. Ils sont impliqués dans des affaires douteuses qui sont les conséquences de leurs tentatives de gérer un système pourri. Au gouvernement, ils prennent l’initiative d’attaquer le niveau de vie des couches les plus faibles de la société.
Les mesures d’austérité, comme les programmes d’adaptation structurelle, imposés par le Fonds Monétaire International (FMI) et par la Banque mondiale, représentent une catastrophe pour la majorité de la population.
”L’aide” mondiale est une hypocrisie. Ce qui est “donné” n’est en effet seulement qu’une partie infime, toujours moindre du Produit national brut des pays industrialisés et souvent des conditions draconiennes y sont couplées.
Les investissements dans le développement de la capacité de production sont principalement faits dans les pays déjà industrialisés. Trois quarts de ce qui est investi dans le restant du monde va seulement vers 10 pays!
L’aide promise à la Russie (6,5 milliards de $US) est une goutte d’eau dans l’océan d’une économie en chute libre. La production a diminué de plus de 50% dans la transition, amplement glorifiée, de la planification bureaucratique vers les lois soi-disant supérieures du marché.
L’opération de sauvetage de 50 milliards de $US d’emprunts pour le Mexique, collectés par Clinton, n’a pas été organisée pour sauver la population des conséquences de l’inflation, ni pour sauver le peso, mais pour protéger les emplois aux États-Unis et éviter qu’un flot d’immigrés économiques ne fassent irruption dans les états du sud des États-Unis. Ceux qui dirigent la planète redoutent qu’un crash financier, dans un pays déterminé, n’emporte le monde des affaires dans le chaos et ne mène à un effondrement économique mondial. La réaction en chaîne des Bourses internationales après la chute de la monnaie mexicaine est éloquente à ce sujet.
Évoquer la possibilité d’un contrôle, voire d’un impôt sur le flux de capitaux internationaux, a été décrit par un conseiller financier de la bourgeoisie internationale comme quelque chose d’aussi insensé qu’une discussion sur l’apparition du monstre de Loch Ness.
Les marchés financiers sont submergés de sommes colossales destinées à la spéculation. Ce phénomène est illustré par la panique qui a suivi la faillite de la Banque de Barings.
Le capital financier est plus intéressé à courir la “fortune facile” qu’à développer la production de richesses. Chaque jour, 1.000 milliards de $US sont mis en jeu sur les marchés financiers. En 5 jours cela fait l’équivalent mondial annuel de l’exportation des marchandises et des services. Cela montre le caractère absolument parasitaire du capitalisme pourrissant qui doit être remplacé par une autre forme d’organisation de la société. Si le rôle historique du capitalisme est l’accumulation du capital destiné aux investissements afin de développer la production, il n’y a que peu de régions dans le monde où il joue cet rôle aujourd’hui.
La résistance contre la politique du capitalisme mondial — entre autres la privatisation des entreprises et des services publics — s’est amplifiée. Grève des ouvriers du pétrole contre la dictature d’Abacha au Nigeria, manifestations de masse contre les privatisations au Pakistan, grève générale de 16 millions de travailleurs en Inde en septembre 1994, grève générale récemment au Bangladesh.
Cependant, partout où le lion commence à rugir, la classe au pouvoir essaie de le réduire au silence. Dans un certain nombre de pays, les conflits nationaux et la lutte de classe sont réprimés brutalement. Dans d’autres pays, ceux qui prétendent représenter les intérêts de classe ouvrière s’emploient à dévoyer le mouvement. Au Mexique, la fédération syndicale CMT, liée de très près au parti gouvernemental, a annulé la manifestation du 1er mai, par peur de “difficultés”. Une manifestation de quelques centaines de milliers de travailleurs qui déclarent tous se nommer “Marcos” et qui luttent pour s’emparer du pouvoir, peut en effet occasionner quelques “difficultés” au gouvernement.
Nous soutenons les luttes des peuples qui veulent obtenir leur autodétermination, et celles des travailleurs pour leurs droits et leurs libertés fondamentales. Mais nous insistons sur la nécessité, pour la classe ouvrière, de garder un programme indépendant et ses propres organisations de lutte. Nous sommes partisans de l’unité la plus large des travailleurs et de leurs organisations contre leur ennemi mutuel. Nous sommes opposés à des alliances avec des représentants de la classe dominante.
Les journées en juillet 1936 en Espagne et celles de Mai 1937 à Barcelone sont, ensemble avec l’héroïque Commune de Paris et les révolutions russes de 1905 et 1917, les exemples qui montrent comment les travailleurs peuvent partir à l’assaut de la société et la diriger à leur compte. Ces exemples illustrent aussi, mais de façon tragique, la trahison de ceux qui veulent d’abord gagner la lutte pour la démocratie avant d’entamer la lutte pour le socialisme. La classe ouvrière infatigable d’Afrique du Sud devra retenir cette leçon, car les promesses n’ont pas été tenues. Dans l’entre-deux-guerres, les tragédies des révolutions chinoise et allemande, qui n’ont pas réussi à conduire au pouvoir la classe ouvrière, ont ouvert la voie aux solutions capitalistes de la crise: le militarisme et la guerre! Le cinquantième anniversaire de la fin de la Deuxième guerre mondiale a été célébré de manière bruyante. Le capitalisme n’a cependant pas éliminé, ni la menace du fascisme, ni celle d’une nouvelle guerre. Depuis 1945, 20 millions de personnes, dont à peine 10% de soldats, ont été assassinées dans des conflits armés.
Actuellement une trentaine de “conflits armés” sont toujours en cours et continuent de semer la mort. Chaque mois, des mines enfouies dans les champs ou dissimulées au détour d’un sentier tuent 800 civils, la plupart du temps des femmes et des enfants.
Les institutions internationales, crées soi-disant pour préserver la paix – OTAN, ONU, etc. – se sont particulièrement discréditées ces derniers temps. Elles ne peuvent jouer ce rôle car elles sont dominées par les mêmes forces qui contrôlent le monde sur le plan économique.
Ce n’est qu’en arrachant les richesses aux possédants et en les mettant à la disposition de tous, que ce monde peut être changé: le sol, les matières primaires, les usines, la technique, la science et la communication. Ainsi, les potentialités des “autoroutes de l’information”, mises dans les mains de la classe ouvrière pour établir ce dont les peuples ont besoin, seraient inestimables, : instrument des conseils ouvriers, instrument de communication internationale et locale, instrument de collecte d’informations afin de garantir une planification démocratique et le contrôle de la production.
Nulle part, le système n’arrive pas à satisfaire les besoins essentiels. Il représente des privilèges pour une petite minorité et la misère pour la grande majorité. C’est un système cruel et anarchique qui gaspille d’une manière criminelle le patrimoine de l’humanité et l’environnement. Ce système ne peut survivre!
L’euphorie et le triomphalisme de la bourgeoisie en 1989 ont été remplacés par le pessimisme noir. L’expérience des états ex-staliniens nous montre que la pauvreté, l’oppression, la dégringolade économique, l’inflation latino-américaine et un gouvernement antidémocratique sont les seuls choses que le capitalisme peut léguer.
Ce Premier Mai, lorsque nous saluons ceux qui croupissent en prison en raison de leur opposition contre ce système de patrons, nous rendons particulièrement hommage à notre camarade Mahmoud Masarwa qui, après 7 ans dans les geôles Israéliens, vient d’être libéré le 4 avril dernier. Son seul crime a été de défendre de manière inlassable l’unité des travailleurs arabes et juifs.
Nous condamnons le terrorisme d’État contre les mouvements d’opposition. Nous exigeons la libération de tous les prisonniers politiques, un rapport complet sur le sort des personnes disparues. Nous ne tolérerons aucune exception aux droits des réfugiés.
Nous saluons chaque occasion d’entrer en contact avec des combattants de classe, comme nous venons de le faire au Zaïre, en Tanzanie, aux Philippines, au Portugal et en Bolivie. Nous saluons le travail de chacun contre le racisme, l’intolérance religieuse, le chauvinisme et le fascisme. La totale incapacité du capitalisme de vaincre la pauvreté et l’absence de perspectives des directions traditionnelles du mouvement ouvrier qui rejettent les idées du socialisme, aura vraisemblablement pour effet l’émergence de courants réactionnaire qui tenteront de diviser les jeunes et les travailleurs. Ainsi, le gouvernement pseudo socialiste de Grèce a encouragé le chauvinisme à propos de la Macédoine, afin de détourner l’attention de sa propre politique intérieure. Il faut répondre à chaque attaque physique ou idéologique.
Les tentatives de transformer la journée du Premier Mai, elle-même conquise de haute lutte, en “fête du muguet” font parties des tentatives d’éliminer les traditions de la lutte de classe. Le Premier mai 1924, Léon Trotsky — un des plus prestigieux dirigeant, avec Lénine, de la grande révolution d’Octobre — expliquait que seul le jeune État ouvrier avait instauré une loi sur la journée des 8 heures.
Après des années d’exil et de persécution, il écrivait, à la fin des années trente:
“Les procès de Moscou ont été perpétrés sous le drapeau du socialisme. Nous n’allons pas abandonner ce drapeau à ceux qui sont passés maîtres dans la falsification! Si notre génération semble trop faible pour installer le socialisme à l’échelle mondiale, nous transmettrons ce drapeau sans taches à nos enfants. La lutte sera ardue et de longue haleine. Que celui qui cherche le confort physique ou le calme spirituel se mette de côté. Dans une époque de réaction il est plus facile de supporter la bureaucratie que la vérité. Mais pour tous ceux qui ne considèrent pas le socialisme comme une phrase creuse, mais comme le sens de leur vie, en avant! Aucune menace, aucune persécution, aucune prison ne peut nous arrêter. Même au prix de notre vie, la vérité vaincra. Même après les coups durs que le sort m’a réservés, je serais heureux comme aux premiers jours de ma jeunesse de contribuer ensemble à la victoire! Parce que, mes amis, le bonheur humain suprême n’est pas l’exploitation actuelle mais la préparation du futur.”
Cet article a été repris de l’édition de mai 1995 du Militant.