La Commune est née le 18 mars 1871. Ce jour-là les Parisiens chassèrent les troupes gouvernementales qui tentaient de mettre la main sur les armes de la Garde nationale, la milice populaire qui avait défendu Paris pendant des mois contre l’armée prussienne. Pour Karl Marx, il s’agit là de la première insurrection prolétarienne autonome.
« La colonne de prisonniers s’arrêta dans l’Avenue Ulhrich et dut se placer sur le trottoir en quatre à cinq rangs, visages tournés vers la rue. Le général Galliffet et ses subordonnés descendirent de leurs chevaux et commencèrent à inspecter les prisonniers, tapotant l’épaule de l’un ou l’autre prisonnier pour le faire sortir de la colonne. Dans la plupart des cas celui qui était désigné de cette manière était dirigé vers le milieu de la rue, où un petit groupe de prisonniers fut rassemblé(…). Ce jour-là, il valait mieux ne pas être de grande taille, ou plus sale, ou plus propre, ou plus vieux ou encore plus laid que son voisin(…) Un peloton d’exécution se forma pour la centaine de pauvres bougres ainsi sélectionnés. Le restant de la colonne s’ébranla. Quelques minutes plus tard une fusillade éclata pendant un quart d’heure: c’était l’exécution des pauvres diables condamnés par une justice militaire sommaire. »
(Correspondant à Paris du Daily News, 8 juin 1871)
La furie et la cruauté impitoyables avec lesquelles la IIIe République se rua sur les masses populaires parisiennes en mai 1871 fut à la mesure de la frayeur qui avait étreint la bourgeoisie. Il fallait mater la classe ouvrière, lui donner une leçon qui lui ferait passer l’envie — pour des générations — de vouloir se mesurer à la classe dominante.
Au cours de la «Semaine sanglante», du 21 au 28 mai 1871, pas moins de 30.000 Parisiens – hommes, femmes et enfants – tombèrent sous les balles des Versaillais. La terreur d’État contre les combattants de La Commune fut la réponse de la bourgeoisie française et des grands propriétaires terriens à la première prise du pouvoir par la classe ouvrière. La Commune de Paris est un des épisodes les plus méconnus de l’histoire moderne. Malgré les efforts de l’histoire officielle pour amoindrir son importance, il est impossible de comprendre l’histoire du socialisme et du mouvement ouvrier organisé sans admettre que la Commune ait été le point culminant de la lutte de classe au XIXe siècle. L’expérience de la Commune a été pour Marx et Engels des instruments indispensables pour compléter leurs analyses sur l’État. Lénine et Trotsky s’en sont inspirés lors de la Révolution russe de 1917. Aujourd’hui encore, pour les marxistes, la Commune de Paris reste le premier exemple historique de démocratie ouvrière et de dictature du prolétariat. 125 ans après les faits, l’étude de la Commune reste un élément nécessaire à l’éducation politique d’un révolutionnaire contemporain.
La chute du Second Empire
La Commune est née le 18 mars 1871. Ce jour-là les Parisiens chassèrent les troupes gouvernementales qui tentaient de mettre la main sur les armes de la Garde nationale, la milice populaire qui avait défendu Paris pendant des mois contre l’armée prussienne.
Louis Napoléon Bonaparte s’était emparé du pouvoir par un coup d’État, le 2 décembre 1851. La bourgeoisie internationale, la bourgeoisie libérale républicaine et la grande bourgeoisie réactionnaire avaient alors salué Louis Napoléon comme l’homme fort qui – après la révolution de 1848 – avait rétabli l’ordre d’une main de fer afin de permettre à la bourgeoisie de vaquer à ses affaires. Comme son prédécesseur, Napoléon III régna au nom de la bourgeoisie. Par un savant jeu d’équilibre entre le prolétariat et la bourgeoisie, il s’empara du pouvoir, persécuta les libéraux bourgeois ainsi que les dirigeants du mouvement ouvrier. Il tira profit de l’adoration naïve de Napoléon Ier par la paysannerie — la majorité de la population à l’époque — coupée de toute influence civilisatrice et confinée dans un conservatisme borné.
Au début des années 1860 le régime commença à s’essouffler. Napoléon III fut forcé de faire des concessions à l’opposition libérale. La classe ouvrière se remis de la stupeur politique qui l’avait frappée lors de l’échec de 1848. A la victoire des libéraux aux élections législatives succédèrent des vagues de grèves. De plus en plus de travailleurs commencèrent à prêter une oreille attentive à la propagande de L’Association internationale des Travailleurs, fondée le 18 septembre 1864.
Pour tenter de réparer les bévues de sa politique extérieure (échec de l’expédition au Mexique en 1863-1867, tergiversations dans la guerre austro-prussienne en 1866) et d’unifier la nation, Louis Napoléon se jeta dans une guerre contre une coalition allemande sous direction prussienne en juillet 1870. L’aventure militaire tourna au désastre. A la nouvelle de la capitulation de Sedan (1/9/1870) et de la capture de l’Empereur le peuple parisien mit fin au Second Empire (4/9/1870).
La révolution du 18 mars 1871 renverse le gouvernement de trahison nationale. Le gouvernement républicain, plus préoccupé par le désarmement des ouvriers parisiens qui l’avaient littéralement porté au pouvoir que par la défense du pays contre les Prussiens, accumula les faux pas (absence de travaux de défense autour de Paris, famine due à la spéculation). Le 28 janvier 1871 le gouvernement Thiers perdit toute crédibilité quand il accepta des conditions de paix scandaleuses (amende de guerre de plusieurs centaines de millions de francs à supporter avant tout par les ouvriers et les classes moyennes). Les représentants des grands propriétaires fonciers qui revendiquaient publiquement la restauration de la monarchie des années 1816-1830 gagnèrent les élections du 6 février 1871.
Convaincu que les travailleurs étaient démoralisés par ces derniers événements, Thiers crut pouvoir impunément mettre la main sur l’artillerie de Garde nationale. Le 18 mars, ses troupes se heurtèrent aux ouvriers parisiens dont la conscience avait lentement mais sûrement mûri. Une partie des troupes de Thiers passa dans le camp des travailleurs, le reste battit en retraite. Réclamée depuis des mois par la presse révolutionnaire, la Commune fut proclamée.
En quoi la Commune était-elle différente de l’État bourgeois?
Dans La Guerre civile en France, Marx explique que la Commune n’était rien d’autre que le prolétariat parisien organisé en pouvoir d’État. Les élections organisées une semaine après la révolte du 18 mars donnèrent une forme d’État basée sur les principes de démocratie ouvrière, en totale contradiction avec les notions de démocratie bourgeoise.
- Toutes les fonctions publiques, y compris les fonctions dirigeantes dans l’armée, devinrent des fonctions électives et révocables à tout moment. Alors qu’en démocratie bourgeoise les représentants ont quatre ou cinq ans pour faire oublier à l’opinion publique leurs turpitudes .
- L’armée professionnelle — repaire d’officiers réactionnaires — fut abolie et remplacée par une milice populaire où les officiers étaient des fonctionnaires choisis et révocables à tout moment.
- Les représentants de la Commune reçurent le salaire moyen d’un ouvrier, alors que l’État bourgeois distribue émoluments élevés et privilèges divers à son personnel politique.
- En démocratie bourgeoise, la politique est un hobby pour intellectuels bourgeois. Sous la Commune de Paris chaque poste était accessible à tout ouvrier jouissant de la confiance de ses compagnons: celui qui connaît les besoins du peuple fera un responsable politique plus avisé qu’un érudit en chambre.
- Les communards donnèrent une réponse immédiate aux manœuvres entre pouvoir législatif et exécutif. Ils décidaient de mesures qu’ils devaient exécuter eux-mêmes. La séparation des pouvoirs n’est pas, comme l’école veut nous le faire croire, «un moyen de protection de la démocratie» mais un moyen pour la bourgeoisie de retarder l’application des mesures qui ne lui conviennent pas.
Les marxistes considèrent ces principes comme les conditions essentielles de la démocratie ouvrière. Dans aucun des régimes prétendument «communistes» de l’Est aucune de ces conditions ne fut remplie dès la moitié des années 20. La Révolution russe, isolée après par l’échec des révolutions en Hongrie et en Allemagne dégénéra en dictature d’une minorité de fonctionnaires parasites.
L’écrasement de La Commune
Le gouvernement Thiers, replié sur Versailles après le 18 mars, attendait l’heure de la revanche. La Commune de Paris restait isolée car les Communes de Lyon, de St-Étienne et de Narbonne avaient été réduites, en l’absence d’une direction révolutionnaire déterminée. De plus, la grande masse des paysans fut facilement trompée par les prêtres et les maires qui répandaient les pires calomnies sur les communards. Paris était évidemment toute autre chose. Les deux millions de Parisiens ne pouvaient pas être vaincus en un nuit, d’autant plus que le gouvernement de Versailles ne pouvait compter que sur 20.000 soldats sûrs. Thiers se résolut alors à pactiser avec les Prussiens pour pouvoir concentrer plus de troupes françaises contre La Commune.
Les communards commirent une faute capitale en ne menant pas en avril une expédition à Versailles pour donner le coup de grâce au gouvernement Thiers. Ils voulaient ainsi montrer qu’ils n’étaient pas les instigateurs de la guerre civile. Mais celle-ci était un fait incontournable depuis le 18 mars. Comme l’écrit Trotsky: «Dans une situation révolutionnaire, l’excès de prudence est l’imprudence la plus funeste.»
Fin avril il y eut suffisamment de troupes sûres rentrées de captivité pour commencer l’offensive contre Paris. Un par un les forts tombèrent, le 21 mai les Versaillais pénétrèrent dans la capitale et la guerre civile se transforma en une lutte de barricades. Les communards durent refluer vers le nord-est de la ville. Le 28 mai quelques centaines d’entre eux qui résistaient encore furent fusillés contre le mur du cimetière du Père Lachaise — sans distinction d’age ou de sexe — immédiatement après leur reddition. Les communards tombés aux mains des Versaillais furent lynchés lors des expéditions punitives de Galliffet, internés dans des camps ou déportés en Nouvelle-Calédonie. La IIIe République fut baptisée dans le sang de dizaines de milliers d’ouvriers.
Les leçons de la Commune
Dans l’histoire du mouvement ouvrier, même les échecs les plus accablants ne sont jamais vains. En septembre 1870, Marx redoutait que la classe ouvrière ne fût pas numériquement assez développée pour la victoire de la révolution, mais une fois la révolution en marche, il comprit son caractère historique à l’échelle mondiale («Le plus grand acquis de la Commune fut son existence même»).
La Commune a montré que l’idée méprisante, selon laquelle les travailleurs sont incapables de forger un pouvoir d’État, n’est qu’un préjugé bourgeois. Les travailleurs ne peuvent pas prendre l’appareil d’État bourgeois tel quel pour l’utiliser pour leur propre compte, mais qu’ils doivent le détruire et le remplacer par une nouvelle forme de démocratie ouvrière.
Aujourd’hui le discrédit des institutions politiques bourgeoises, les innombrables scandales de corruption, la profonde méfiance à l’égard des institutions judiciaires traduisent de manière confuse la recherche d’une autre forme de démocratie. L’exemple de La Commune, une démocratie où les travailleurs sont à la fois décideurs et exécutants, reste notre source d’inspiration.
Dossier par PETER VAN DER BIEST (1996)