Kabila: après l’ascension, …la chute?

Le régime du président congolais Kabila est menacé dans ses fondements. Les rebelles ont pris le pays en tenailles. A l’Est ils approchent de Kisangani (anciennement Stanleyville) et livrent combat devant Kalemie, à l’Ouest ils sont aux portes de Kinshasa. Le parallèle avec les événements d’il y a deux ans, quand Kabila chassa Mobutu, est frappant. Mais il y a cependant de grandes différences, notamment dans la mesure où Kabila est soutenu par une partie de la population.

 

 

 

La marche de Kabila a été soutenue par le peuple

 

Lorsque fin 1996, la rébellion de Kabila a éclaté au Kivu, on pensait avoir à faire avec des confrontations ethniques. L’une et l’autre hypothèse ne tombait cependant pas du ciel. De même aujourd’hui, les Banyamulenge – des Tutsis du Congo – sont les premiers à passer à l’action.

Le régime de Mobutu avait la spécialité de transformer en conflits ethniques le mécontentement du peuple. En octobre 1992, cela avait conduit à l’expulsion de 200.000 personnes qui s’étaient fixées au Congo avant l’indépendance de 1960 pour y travailler dans les mines. En 1993, les incidents entre divers groupes ethniques firent 7.000 morts au Nord-Kivu. Le 7 octobre 1996, le vice-gouverneur mobutiste du Kivu a annoncé aux 300.000 Banyamulenge qu’ils devaient déguerpir endéans la semaine. Les assauts des extrémistes Hutus contre les Banyamulenge ont mis le feu aux poudres. Une semaine plus tard, les rebelles Banyamulenge menaient l’offensive au Kivu.

Il était très vite clair qu’il s’agissait de plus qu’un conflit ethnique. Entre-temps, les Banyamulenge avaient rejoint l’Alliance des Forces démocratiques de Libération du Congo-Zaïre (AFDL) fondée le 18 octobre 1996. Cette alliance placée sous la direction de Laurent Kabila, jusqu’alors dirigeant du Parti Révolutionnaire du Peuple (PRP), se composait – en plus du PRP – du CNRD (Conseil national de la Résistance pour la démocratie) de Kissasse, du MRLZ (Mouvement révolutionnaire pour la Libération du Zaïre) de Masusu Nindaga et de l’ADP (Alliance démocratique du Peuple). Le secrétaire général de l’AFDL était le Banyamulenge Déogratias Bugera qui est aujourd’hui accusé de haute trahison par la Cour suprême de Kinshasa pour son soutien à la rébellion actuelle. L’Alliance avait au départ peu de crédit. Les observateurs internationaux et les médias partaient du principe que l’Alliance n’était rien d’autre que le cache-sexe d’une invasion extérieur menée par le Rwanda et l’Ouganda.

Ces deux régimes voisins avaient de bonnes raisons de franchir la frontière zaïroise. En 1994, lorsque le FPR (Front patriotique rwandais) prit le pouvoir à Kigali (Rwanda) beaucoup de Hutus fuirent vers le Zaïre. Parmi eux quelque 30.000 membres des milices hutues Interahamwe et 40.000 soldats de l’armée rwandaise (FAR). A partir des positions de retrait au Zaïre, des attaques furent menées presque quotidiennement contre le Rwanda. Kigali accusait Kinshasa et la communauté internationale de rester passifs et menaçait d’intervenir de façon directe. En outre, d’autres groupes armés, et notamment l’Alliance des Forces Démocratiques (AFD), opéraient des incursions en Ouganda au départ du territoire zaïrois. Il n’est donc pas étonnant que pour les deux pays la rébellion de l’AFDL et des Banyamulenge était un cadeau du ciel et qu’ils aient apporté leur soutien dès le départ.

Les heurts inter-ethniques et le soutien de l’Ouganda et du Rwanda étaient des conditions nécessaires pour que l’offensive de Kabila démarre et acquière une certaine force de frappe. Idem pour le moins spectaculaire mais néanmoins important soutien que Kabila a reçu du Burundi, des rebelles du Sud-Soudan, d’Angola et surtout des ex-gendarmes katangais. Mais ce soutien est insuffisant pour expliquer la victoire rapide de Kabila. Au contraire, malgré ce soutien l’équipement des troupes de Kabila laissait à désirer. Qui ne se rappelle pas des railleries à propos des bottes en caoutchouc qui équipaient les troupes de Kabila? L’équipement et l’aptitude au combat des rebelles permettait de douter de leur capacité de vaincre. Heureusement, une fois le Kivu occupé, il n’y avait plus de grande bataille à mener.

La haine de la population à l’encontre du régime mobutiste corrompu était telle que personne ne voulait mourir pour le dictateur. Ses troupes ne recevaient pas leur solde et étaient complètement démoralisées. Elles fuyaient en pillant tout sur leur passage ou rejoignaient les rangs de Kabila. Ça et là on a pu lire que les troupes de Kabila n’ont pas dû vraiment combattre et qu’elles auraient été stoppées par les troupes d’élite bien rémunérées de la Division spéciale présidentielle (DSP). Certains ont même prétendu que Kinshasa, une ville de 6 millions d’habitants, ne pouvait pas être prise par les troupes de Kabila mal équipées. Ils prétendaient que les troupes françaises et américaines étaient prêtes à écraser les rebelles. Raisonner ainsi, c’était faire l’erreur de voir uniquement l’aspect militaire des choses et ne pas voir l’enthousiasme de la population accueillant Kabila en “libérateur”. Kabila n’a pas pris le pouvoir, il a été porté par la population dès que le Kivu a été “libéré.

 

 

Les espoirs ne sont pas réalisés

 

Le 16 mai 1997, 32 ans après avoir été choisi par les puissances occidentales pour défendre leurs intérêts dans la région, Mobutu prit la fuite. Le lendemain les troupes de l’AFDL faisaient leur entrée dans Kinshasa et Kabila se proclamait président de la République démocratique du Congo. Kabila devait relever un défit gigantesque car la clique de Mobutu avait ruiné le pays.

Depuis 1988, la situation économique avait reculé de 40%. La dette extérieure représentait 141% du Produit national brut (PNB). Le remboursement de la dette accaparait 2/3 des dépenses publiques alors que 2% étaient consacrés à l’enseignement et à la santé. Les services ne fonctionnaient plus. Toute l’économie était au service de l’impérialisme occidental et du marché mondial. L’agriculture et l’infrastructure sont à l’abandon, ce qui provoque des contradictions aiguës. Ainsi, dans la ville de Mbuji-Mayi l’extraction des diamants représente chaque semaine une valeur de 450 millions de FB. Mais la ville ne dispose pas de distribution d’eau potable, d’égouts, d’électricité, de téléphone, d’hôpital, pratiquement pas de routes asphaltées et seulement d’une école qui fonctionne à grand peine! Par dessus le marché, les prix du cuivre et de l’or se sont effondrés à la suite d’une offre excédentaire. Ces revenus auraient été nécessaires pour insuffler une relance de l’agriculture et de l’infrastructure.

Kabila aurait pu fait appel à la population pour crever l’abcès économique. Il aurait pu impliquer les travailleurs et les paysans pauvres dans l’élaboration et l’application d’un plan de reconstruction. Il aurait pu faire saisir les biens et la fortune de la clique mobutiste, non pas pour rembourser les dettes contractées par l’ancien régime, mais pour lancer un vaste programme de travaux publics. Il aurait pu nationaliser les secteurs clés de l’économie et les développer dans l’intérêt des masses. Il aurait pu s’appuyer sur de larges secteurs de la population organisée dans des syndicats indépendants, des comités populaires et en lançant de vastes projets sociaux (hôpitaux, écoles,…). Il aurait pu instaurer le monopole du commerce extérieur de manière à contrôler l’exportation des richesses produites par les travailleurs et les paysans pauvres. De cette manière le Congo aurait pu se rendre indépendant de l’impérialisme, donner la priorité aux besoins de la population et faire du pays un exemple pour toute l’Afrique noire ainsi qu’un pôle pour la solidarité internationale.

Kabila a choisi une autre voie. Il a péché à la ligne le soutien de l’impérialisme occidental. Il a conclu des contrats avec des sociétés minières telles que American Mineral Fields et Anglo American. Il n’a pas mis des bâtons dans les roues des grands investisseurs tels que Texaf – une filiale de la Cobepa – Georges Forest International, Petrofina et l’Union minière. Certains avançaient le point de vue suivant *Kabila n’a pas d’autre choix. Les conditions pour une planification socialiste de la production ne sont pas réunies. Il faut d’abord une période d’accumulation capitaliste au cours de laquelle la classe ouvrière pourra se constituer. Nous n’en sommes qu’au stade de la révolution nationale démocratique, un stade où les travailleurs, les paysans pauvres et des parties de la bourgeoisie nationale lutte ensemble contre l’impérialisme.+ Cette théorie (stalinienne) des deux stades fait partie des conceptions de Kabila: il veut “utiliser” le grand capital pour la reconstruction du pays. Il veut, selon sa propre expression, une “économie sociale de marché”.

C’est une faute capitale de croire qu’il est possible de développer la production à la fois au service du profit et des besoins sociaux de la population. Nous savons que le capitalisme signifie aujourd’hui pour les travailleurs et les paysans pauvres du Tiers monde des zones franches où la norme est la journée de travail de 16 heures pour un salaire de famine. Celui qui ne se plis pas à cette norme n’a aucune chance sur le marché mondial. Le capitalisme “social” n’existe même pas dans les pays industrialisés occidentaux, à plus forte raison dans un pays ruiné et pillé comme le Congo.

Kabila essaie de marier l’eau et le feu. D’où son attitude versatile quant à l’application des accords avec les sociétés minières. D’où son attitude équivoque à l’égard des ouvriers et paysans pauvres. D’une part, Kabila est (temporairement?) capable de faire reculer la corruption, de faire baisser les prix et de payer les salaires. Ceci explique la popularité dont il jouit provisoirement auprès de la population de Kinshasa. D’autre part, il se lance dans une campagne de moralisation en bannissant les “tenues indécentes” telles que les mini-jupes et en censurant les musiques “impudiques”. Il n’est donc pas étonnant qu’on le surnomme “Papa Kabila” dans les rues de Kinshasa. C’est un peu l’image que Kabila se fait de lui-même: un dirigeant de la nation au-dessus des classes. Cela s’appelle un dictateur.

L’instauration d’une dictature était le scénario le plus vraisemblable lors de l’arrivée de Kabila au pouvoir. Il ne s’est pas appuyé sur la prise de conscience et sur la mobilisation de la population, et en particulier de la population des villes mais sur la discipline militaire d’une armée de paysans. Et lorsque Kabila a fait appel aux masses urbaines, c’était pour soutenir les opérations militaires. Les marxistes n’excluent pas la tactique de guérilla, mais comme Lénine l’affirmait: la guérilla peut être un instrument de soutien à la lutte des masses qui restent le facteur décisif dans la révolution.

Dans le cadre du capitalisme, il n’existe pas de voie pour sortir les masses congolaises de la misère. Le refus de Kabila de choisir entre le capitalisme et le socialisme est en même temps la raison pour laquelle il ne parvient pas à sortir de l’impasse. Son impuissance à réduire les milices hutues dans l’est du pays a déjà en partie entamé la confiance de ses alliés. Cela explique l’exaspération des Banyamulenge, de Museveni (Ouganda) et de Kagame (Rwanda) qui se sentent floués par Kabila. La rébellion crée à son tour des opportunités dont profitent les anciens dirigeants pour rétablir l’influence qu’ils ont perdue. Principalement dans le camp rebelle, mais aussi dans celui de Kabila d’anciens mobutistes refont surface. La France, qui depuis l’opération Turquoise et la chute de Mobutu, était de facto hors-jeu soutient les rebelles afin de tisser un nouveau réseau d’influence. Les États-Unis restent prudents mais ne verraient pas d’un mauvais oeil un affaiblissement de Kabila. La Chine est alléchée par les richesses minières et sur d’éventuelles zones franches;

Kabila a fait appel à L’organisation de l’Unité africaine (OUA). L’Angola et le Zimbabwe ont promis leur soutien. Celui-ci vient tard, mais a déjà modifié les rapports de force à l’Ouest du Congo.

Si les rebelles n’ont pas encore pénétré dans Kinshasa, Kabila le doit surtout au soutien dont il jouit encore auprès de le population. Au lieu de mobiliser cette population sur un projet socialiste, Kabila a repris les méthodes de son prédécesseur: l’incitation à la haine inter-ethnique. Au lieu de la révolution national démocratique, de tels appels risquent de conduire à une désagrégation du pays et une balkanisation de la région.

 

Article par ERIC BYL (1998)

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