Religion, magie et matérialisme

On assiste de nos jours à un regain d’intérêt pour les idées religieuses, souvent de façon fondamentaliste, un peu comme si cela pouvait répondre à l’impasse du capitalisme dans les ex-pays coloniaux d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine. Par exemple au Nigéria où on procède à la lapidation de femmes en invoquant la loi musulmane de la sharia. En Inde le fondamentalisme hindou provoque des ravages dans la classe ouvrière car il divise les travailleurs. En Amérique latine, beaucoup d’opprimés se révoltent contre les inégalités sociales, mais en même temps la croyance religieuse reste forte et freine la lutte pour un changement de société.

Dans les pays occidentaux la croyance religieuse a regagné du terrain. La religiosité revêt parfois de nouvelles formes: New Age, la croyance en l’existence d’un « ange gardien personnel », l’idée qu’un « sort » puisse déterminer la vie de quelqu’un,… Pour les marxistes, il est important de prendre à la racine le phénomène des croyances sous toutes leurs formes et de fonder la lutte pour une société socialiste sur des principes philosophiques clairs.

Idéalisme et matérialisme

La façon dont les gens regardent le monde, et l’expliquent, est dominée depuis des millénaires par la tension entre deux courants d’idées antagonistes: l’idéalisme et le matérialisme. Il ne s’agit pas de quelques principes philosophiques, mais de deux pôles opposés auxquels est confronté quiconque tente de comprendre les propriétés fondamentales du réel.

« Idéalisme » ne veut pas dire ici « avoir un idéal ». De même que « Matérialisme » ne doit pas être compris ici dans le sens populaire de « s’intéresser à la richesse », ou « être égoïste ». L’idéalisme signifie la croyance en l’existence, derrière la réalité matérielle, d’une force invisible surnaturelle: Dieu, ou plusieurs dieux, ou encore une force mystérieuse capable de déterminer la vie sur terre, ou tout au moins de l’influencer. C’est la croyance en des causes et des forces immatérielles et imperceptibles.

L’idéalisme s’appuie aussi sur la conviction que dans la société les idées peuvent subir des changements fondamentaux sans changement préalable dans la pratique, et en particulier dans le processus de production.

Le matérialisme considère qu’il n’existe que la réalité matérielle. Toutes les idées, y compris les nôtres, sont issues de cette réalité matérielle. Le matérialisme considère que la vie animale vient de la vie végétale, que l’homme descend du singe. Les besoins matériels et les moyens de les satisfaire, déterminent – à chaque stade du développement de l’humanité – la forme de la société et les idées qui y sont dominantes.

L’idéalisme a parcouru à ses débuts deux grands stades: la magie et la religion. La magie a dominé les premières sociétés primitives: les premiers chasseurs et pêcheurs croyaient que le soleil, le tonnerre, la pluie ainsi que les autres phénomènes naturels étaient des forces qu’il était important d’apaiser. Les rituels magiques devaient assurer une pêche abondante. Ils attribuaient aux phénomènes naturels des propriétés, souvent humaines, que ceux-ci n’avaient pas.

Dans leur vie quotidienne, ils devaient affronter la réalité matérielle: fabrication d’outils, recherche de nourriture, confection de vêtements, construction de huttes. Mais en même temps la nature leur paraissait étrange, mystérieuse et surtout capable de contre-carrer leurs efforts quotidiens d’autant plus que les moyens de production étaient rudimentaires. D’où l’importance à leurs yeux d’apprivoiser les forces surnaturelles au moyen de cérémonies rituelles.

Avec l’apparition de la religion, les dieux de la nature furent peu à peu remplacés par des dieux à l’aspect humain. Mais c’était encore impensable au stade du « communisme primitif » où la production n’était pas encore suffisamment développée pour dispenser des tâches productives certains membres de la communauté pour en faire des chefs et susciter ainsi l’apparition des classes sociales. La transition de la religion a reflété une croissance des forces productives et l’apparition des classes sociales.

Ce n’est donc pas la croyance qui fait la société, mais l’inverse: la société détermine la forme de croyance et de la représentation divine. Le philosophe grec Xénophon ironisait sur le fait que les dieux africains étaient noirs et avaient le nez plat. Les dieux des Thraces avaient les cheveux roux et les yeux verts. Dieu fut idéalisé à l’image de l’homme.

Socialisme et religion

Les marxistes ont une approche nuancée de la religion. Nous reconnaissons les racines sociales des croyances religieuses. Lénine expliquait: « La situation sociale défavorisée des masses travailleuses, leur apparente impuissance totale devant les forces aveugles du capitalisme, qui causent, chaque jour, et à toute heure, mille fois plus de souffrances horribles, de plus sauvages tourments aux humbles travailleurs, que les événements exceptionnels tels les guerres, tremblements de terre, etc., c’est là qu’il faut chercher les racines plus profondes de la religion. »

En même temps nous pensons qu’il faut faire une analyse objective et matérialiste des contradictions de notre société. Par exemple la Ligue arabe européenne (AEL) d’Abou Jah Jah se présente comme « dialectique » (elle reconnaît qu’il y a des contradictions dans la société dans laquelle elle se développe, que des changements peuvent se produire non seulement de façon progressive mais aussi rapidement de façon révolutionnaire,…) mais en même temps elle rejette le « matérialisme ». C’est selon nous remplacer une analyse réelle du capitalisme et de la lutte de classes par des chimères. C’est aussi perdre de vue que la seule force réelle capable de changer le monde est l’unité des travailleurs et des paysans pauvres sur le plan mondial, au-delà des cultures et des différences.

Les marxistes argumenteront contre les croyances religieuses et l’idéalisme, mais cela ne doit en aucune manière constituer un obstacle à une lutte en commun avec les travailleurs croyants. Au contraire. Comme Lénine l’écrivait dans De l’attitude du parti ouvrier à l’égard de la religion (mai 1909): « On ne doit pas confiner la lutte contre la religion dans une prédication idéologique abstraite; on ne doit pas l’y réduire; il faut lier cette lutte à la pratique concrète du mouvement de classe visant à faire disparaître les racines sociales de la religion ». (…) « C’est pourquoi la propagande athée de la social-démocratie doit être subordonnée à sa tâche fondamentale, à savoir: au développement de la lutte de classe des masses exploitées contre les exploiteurs. »

Il faut éviter tout élément de contrainte dans la lutte contre les idées religieuses. C’est pourquoi le MAS n’est pas partisan de l’interdiction du foulard dans les écoles. Ce n’est que par une lutte commune contre le capitalisme, des travailleurs et de leur famille, sans discrimination (de sexe, de nationalité, d’âge,…), que l’on peut remporter la victoire et mettre fin aux causes de la discrimination.

Nous ne sommes pas partisans d’écoles musulmanes séparées, ce que propose l’AEL, car cela va renforcer la division. Nous sommes partisans de la liberté de religion dans des écoles publiques ouvertes à tous. Pour le reste, la religion est une affaire privée par rapport à l’état (aussi dans un état ouvrier). Nous pensons fondamentalement que le matérialisme dialectique, comme méthode d’analyse du monde, est la seule méthode qui permette un progrès dans les domaines scientifique et technique et dans la société elle-même.

Léon Trotsky écrivait à ce sujet: « La religion cessera d’exister avec le développement d’un système socialiste, c’est-à-dire quand la technologie libérera l’humanité des formes accablantes de dépendance à l’égard de la nature, et que les relations sociales ne seront plus mystérieuses, mais complètement transparentes et qu’elles n’opprimeront plus les êtres humains. »

La religion comme instrument de la classe dominante

Karl Marx expliquait que: « La détresse religieuse est, pour une part, l’expression de la détresse réelle et, pour une autre, la protestation contre la détresse réelle. La religion est le soupir de la créature opprimée, l’âme d’un monde sans coeur, comme elle est l’esprit de conditions sociales d’où l’esprit est exclu. »

Le soupir « réel » fut dans la société de classe détourné par les classes dominantes pour anesthésier les masses. Des premiers prédicateurs de Mésopotamie, en passant par les pharaons d’Egypte, les propriétaires d’esclaves de la Grèce antique jusqu’aux empereurs de Chine: tous ont utilisé la religion comme justification idéologique de la société de classes.

Le christianisme a d’abord été la religion des opprimés dans l’Empire romain, il devient ensuite religion d’état au Moyen-Age. L’Eglise était elle-même un propriétaire foncier et exigeait que les paysans lui livrent un dixième de leur production. En même temps on pouvait racheter, au sens propre du terme, ses péchés de façon hypocrite.

La bourgeoisie a d’abord combattu sous la bannière libérale la classe dominante de la vieille société féodale, ensuite elle a eu recours à la religion pour diviser la classe ouvrière naissante afin de la maintenir sous le joug. L’église est entrée dans le jeu en créant des syndicats catholiques séparés du mouvement ouvrier.

« Notre père qui êtes aux cieux… »

L’auteur marxiste George Novack donne une analyse frappante de la prière Notre Père. Celui qui est dans le besoin avance une humble supplique et utilise d’abord le terme « Notre Père », une expression céleste pour désigner le patriarche ou le souverain de la société de classe. Ce despote est ensuite élevé au-dessus du commun des mortels jusqu’à des dimensions divines: « Qui êtes aux cieux ». Il est ensuite doté d’une autorité supérieure: « Que votre nom soit sanctifié ». Le suppliant demande alors que ses souhaits soient réalisés: « Que votre règne arrive, que votre volonté soit faite ». Et en plus: « Sur la terre comme au ciel ». De la même manière que le sauvage qui invoque les forces de la nature pour que sa pêche soit abondante: « Donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien ». Il demande ensuite d’être purifié de ne pas avoir respecté les tabous: « Et pardonnez-nous toutes nos offenses ». A ce stade l’influence moralisatrice du christianisme se fait sentir « Comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés ». Le tout est couronné par une conces-sion de faiblesse, d’humilité, de crainte et de soumission au souverain: « Et ne nous laissez pas tomber en tentation, mais délivrez-nous du mal ». On termine par « Amen » pour signifier: c’est ainsi, ne nous en tenez pas rigueur.

 

 

Dossier par PETER DELSING

Auteur

Laisser un commentaire