Pakistan. Après l’assassinat de Benazir Bhutto : Opposition de masse face aux militaires et au régime de Musharraf

Le comité exécutif central du Pakistan People’s Party et la réunion du Conseil fédéral tenue dans la maison de la défunte Benazir Bhutto, dans la province de Sindh le 30 décembre, n’ont livré aucune surprise à ceux qui connaissent un tant soit peu le PPP et la politique pakistanaise. Le fils de Benazir Bhutto âgé de 19 ans, Bilawal Bhutto, a été nommé Président du parti, la coprésidence revenant au mari de Benazir, Asif Zardari. La direction du PPP a aussi décidé de contester l’élection générale prévue le 8 janvier et de poursuivre les politiques adoptées par Benazir Bhutto.

Beaucoup de commentateurs politiques considèrent cette réunion comme une deuxième fondation du PPP, avec une nouvelle direction. Toutefois, en réalité, cette nouvelle direction ne fait que confirmer le règne de la famille Bhutto au-dessus du PPP, selon les volontés laissées par Benazir pour sa famille et le parti. Elle avait ainsi demandé à son mari de prendre la direction du PPP. Si ce dernier a laissé la présidence à son fils, c’est pourtant bien lui, Asif Zardari, qui continuera dans les faits à dominer le parti au nom des Bhutto.

Cette tradition de transmission familiale du pouvoir avait déjà été utilisée par Zulifqar Ali Bhutto en 1979 quand il a remis la direction du parti à sa fille, Benazir, sans aucune consultation. La tradition féodale dynastique est ainsi toujours d’application au 21ème siècle…

 

L’avenir de la politique du PPP

La disparition soudaine de Benazir Bhutto a créé un vide énorme non seulement au sein du PPP, mais également dans la politique nationale, où elle était une personnalité incontournable avec derrière elle une histoire de lutte et de sacrifice contre l’establishment et la dictature militaire. Son image anti-établissement s’était cependant considérablement fanée, particulièrement ces derniers mois, en raison des accords qu’elle essayait de conclure avec le général Musharraf, avec le soutien de l’impérialisme occidental.

Malgré tout, la mort violente du chef du PPP a fait d’elle un symbole de la lutte ou encore du courage contre le fondamentalisme et la dictature. Cette situation va la laver de plusieurs trahisons et erreurs politiques qu’elle a commises durant sa carrière politique.

La direction du PPP va utiliser la vague de sympathie et de peine pour poursuivre les politiques qui servent leurs propres intérêts. Le PPP est maintenant plus susceptible de maintenir intacte son unité et d’éviter de grandes scissions à court terme tout en étant plus capable de remporter une majorité lors des prochaines élections pour la formation d’un gouvernement. La direction féodale du PPP emploiera l’atmosphère actuelle et la colère contre le régime pour rassembler à son avantage le soutien des masses pour se tailler un nouvel accord avec l’establishment militaire afin de partager le pouvoir.

Une fois au gouvernement, le PPP devra traiter des véritables problèmes. Les masses laborieuses ne vont pas donner énormément de temps à un gouvernement du PPP pour résoudre leurs problèmes. S’il est une chose qui est très claire, c’est que le parti de Bhutto ne saura pas résoudre les problèmes rencontrés par la classe ouvrière et les pauvres : il ne possède aucun programme alternatif ni aucune stratégie pour cela. Ce parti ne fera que poursuivre les politiques économiques soumises au marché « libre » que les précédents gouvernements du PPP avaient appliquées, avec en conséquence une baisse de son soutien. Le plus probable est que le PPP poursuive sa politique pro-américaine et soutienne la prétendue « guerre contre la terreur ».

Le PPP comporte beaucoup de factions et de groupes résultant du culte des personnalités au sein du parti. Les dirigeants les plus connus du PPP ont chacun leurs propres groupes de supporters basés non pas sur des idées, des principes ou des programmes différents, mais bien sur le simple soutien à des figures connues pour en retirer le maximum de gains politiques. Ces groupes et factions peuvent s’engager dans une bataille ouverte pour obtenir le contrôle de l’appareil du parti. Asif Zardari ne pourra pas maintenir le PPP intacte pendant une longue période. De grandes ou plus modestes scissions peuvent apparaître autour de différentes questions.

Alors que le PPP souffre de l’absence d’un programme clair capable de l’unifier, il n’y a maintenant plus de chef charismatique pour rassembler le parti sur le long terme, à la manière de Benazir Bhutto. À l’avenir, la PPP peut se diviser en différents groupes qui peuvent mener à de nouvelles formations.

Si un mouvement de la classe ouvrière commence à se développer dans les prochains temps, alors une formation plus radicale pourrait se développer, autour de dirigeants comme Aitzaz Ahsan (le chef du récent mouvement des avocats). La taille et la nature de n’importe quelle scission du PPP dépendra des conditions concrètes du moment mais une chose est claire : la route politique sur laquelle le PPP s’engage le conduira dans le désordre et la crise la plus profonde.

 

Sentiments de la classe ouvrière

La probable victoire électorale du PPP sera décrite par de nombreux commentateurs comme la renaissance d’une tradition politique. Le PPP va assurément gagner un certain appui électoral sur base de la vague de sympathie et de peine. L’assassinat de Benazir Bhutto a certainement enclenché une colère contre l’establishment auprès des masses. Cette sympathie et cette colère peuvent s’exprimer en assez de voix pour que le PPP puisse défaire les partis pro-Musharraf. Mais ce phénomène a des limites et ne sera que de courte durée. Il ne changera pas fondamentalement la conscience et l’attitude de la classe ouvrière envers le PPP.

Le plus probable est que le PPP sera incapable de rétablir sa base et son appui dans la classe ouvrière. Toute sympathie disparaîtra dès que ce parti arrivera au pouvoir pour appliquer les mêmes mesures contre les travailleurs et les pauvres. Quelques sections de la classe ouvrière sortiront pour diriger leurs votes contre le régime et, en l’absence d’une alternative viable pour la classe ouvrière, ces voix iront en faveur du PPP.

Il n’est pas possible pour le PPP de redevenir le parti des masses comme il a pu l’être dans le passé. Il sera vu différemment. Les couches les plus avancées des travailleurs ne sont pas prêtes à accorder leur confiance à la direction du parti. Même dans les couches plus larges, la sympathie ne se manifeste pas en appui pratique. La majorité écrasante de la classe ouvrière n’est pas prête à s’exprimer politiquement pour la plateforme du PPP.

La province de Sindh pourrait toutefois être une exception dans cette situation. Le PPP bénéficie de l’appui des masses à l’intérieur de cette province (les régions les plus rurales et féodales) en raison d’une montée du nationalisme sindhi. Faute d’alternative pour les travailleurs, le PPP peut maintenir un important appui électoral parmi des sections des masses laborieuses. Néanmoins, il n’est pas possible pour la direction du PPP de transformer le parti en force politique capable de rencontrer les espoirs répandus parmi les masses.

Dans la période qui a précédé sa mort, Benazir Bhutto n’a pas réussi à mobiliser les masses derrière son parti. Ses meetings électoraux et publics comprenaient moins de monde en comparaison des campagnes électorales précédentes.

Les seules personnes au Pakistan à croire encore que le Pakistan People’s Party peut être remanié ou transformée en une organisation radicale de gauche, une organisation de combat pour la classe ouvrière sont les prétendus marxistes révolutionnaires qui travaillent en son sein. Néanmoins, il est possible que quelques dirigeants ou sections du PPP, sous la pression des masses, adoptent – au moins verbalement – des positions plus à gauche, radicales, anti-impérialistes ou sociale-démocrates.

 

Des leçons qui n’ont pas été tirées

Zulifqar Ali Bhutto – père de Benazir et président-fondateur du PPP – avait tiré les conclusions de ses échecs politiques avant de se retirer en 1979. Dans son dernier livre écrit en prison, « Si j’étais assassiné », il concluait ainsi : « Je passe mon temps dans cette cellule de mort parce que j’ai essayé de faire des compromis entre deux classes en lutte – la classe ouvrière et la classe dirigeante. Aucun compromis ne peut être fait entre ces classes aux intérêts contradictoires. Cette guerre de classe finira seulement avec la défaite décisive d’une des classes. C’est la leçon de ma condition présente ».

Bhutto n’a pas eu l’opportunité d’une seconde chance après avoir tiré cette conclusion mais sa fille a refusé d’apprendre les leçons de son expérience. Z.A. Bhutto a eu la chance de pouvoir transformer la structure d’Etat et le système politique, mais il n’a finalement fait que le renforcer : il a appliqué des réformes qui ont blessé la classe régnante et l’ont décidé à prendre sa revanche. Bhutto a essayé de reformer l’Etat et le système, mais a échoué.

Benazir Bhutto avait essayé la même chose et a misérablement échoué. Elle n’a pas défendu et ni favorisé les intérêts de la classe ouvrière et des masses pauvres, mais a par contre fait tout ce qui était possible pour passer des compromis avec l’establishment, sans toutefois jamais réussir à obtenir leur confiance. Ses efforts se limitaient à apaiser la classe dirigeante pakistanaise et à sembler acceptable pour l’impérialisme.

La lutte pour la liberté, la démocratie, les droits fondamentaux, pour une transformation politique et sociale, pour résoudre tous les problèmes rencontrés par la classe ouvrière et les masses pauvres du Pakistan est une lutte pour changer le système et la structure d’Etat. Cela signifie une lutte contre le capitalisme, le féodalisme, l’impérialisme et l’Islamisme politique de droite – tout cela en même temps. Chaque aspect est lié avec les autres ; n’importe quel effort contre un seul d’entre eux échouera parce que les autres viendront à son secours.

Benazir Bhutto a voulu en finir avec le fondamentalisme religieux réactionnaire sans en finir avec le capitalisme, l’impérialisme et le féodalisme. C’est irréalisable. La lutte contre la pauvreté, le chômage, l’inflation des prix et la faim est liée à la lutte pour le renversement du capitalisme et pour l’instauration du socialisme.

La direction actuelle du PPP n’est pas prête à engager cette lutte contre le capitalisme et le féodalisme. Au lieu de cela, ce parti veut renforcer le « statut-quo » : le système actuel tel qu’il est putréfié. La direction du PPP n’est pas prête à apprendre les leçons du passé et semble prêt à en reproduire les erreurs. Les travailleurs et les pauvres, cependant, seront disposés à tirer des conclusions sur base de leur expérience et des déceptions amères qu’ils auront eues. Au regard de la manière dont la « succession » de Benazir Bhutto a été réglée et de l’absence de volonté de la part des chefs du PPP pour une véritable rupture avec le féodalisme, le capitalisme et l’impérialisme, il ressort clairement que la nécessité d’un mouvement et d’un parti indépendant pour les travailleurs et les pauvres est un besoin urgent. Ce serait là une force avec laquelle pourrait être engagé le combat pour un réel changement des conditions de vie des masses de la population du Pakistan et pour mener la lutte pour le socialisme.

 

 

Article par KHALID BHATTI

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