Dans notre série d’articles « Le Débat Chinois », entamée dans le numéro d’avril 2007 de Socialism Today (magazine du Socialist Party of England and Wales, section britannique et galloise de notre Internationale), nous publions ici un article de Vincent Kolo, qui offre son point de vue sur la nature de l’Etat chinois, sujet actuellement en débat dans notre internationale.
La contre-révolution capitaliste chinoise
Les marxistes, comme tout le monde d’ailleurs, débattent beaucoup au sujet de la Chine, un pays qui est devenu crucial dans les développements économiques et politiques au niveau mondial. Un aspect important de cette discussion est la manière dont nous considérons l’Etat chinois. Tout Etat (la police, l’armée, la justice et, dans le cas de la Chine, le Parti « Communiste » au pouvoir) est, comme l’a expliqué Lénine, « une machine destinée à maintenir la domination d’une classe sur une autre » (1). Mais dans le cas de la Chine, quelle est la classe dominée, et quelle est la classe dominante ?
Cette discussion peut être énormément bénéfique dans l’approfondissement de notre compréhension des processus en Chine et des perspectives pour la période à venir. Notre point de départ est la contre-révolution sociale brutale des dernières deux décennies, qui a vu l’ancienne bureaucratie maoïste-stalinienne, à l’instar de ses alter-egos de l’Union Soviétique et d’Europe de l’Est, abandonner la planification centrale et passer à une position capitaliste. Si on nous demandait quelle classe en Chine a bénéficié de ce processus, nous répondrions sans hésiter que c’est la bourgeoisie, à la fois la bourgeoisie chinoise et la bourgeoisie mondiale. En 1949, la révolution chinoise a signifié un bouleversement dans le rapport de forces des différentes classes à l’échelle internationale. Aujourd’hui, la contre-révolution a complètement renversé ce rapport de force. Il n’y a absolument rien de progressiste dans l’Etat chinois actuel.
La Chine d’aujourd’hui est synonyme d’ateliers de misère géants, et de la plus brutale exploitation du travail par le capitalisme domestique et mondial. La majorité de la « nouvelle » classe ouvrière industrielle, pour la plupart composée d’immigrés ruraux qui sont chez nous l’équivalent des immigrés « sans-papiers » d’Europe et d’Amérique, travaillent douze heures ou plus chaque jour, pour un salaire de misère, dans des usines non-sécurisées, sous un régime quasi-militaire, plein de règles et d’amendes. Cet édifice de super-exploitation est bâti autour de l’Etat répressif unipartiste du PCC (Parti « Communiste » Chinois), qui réprime violemment toute grève et toute tentative de construire des syndicats indépendants.
Les propriétaires des usines et des mines, lesquels sont impliqués dans des « accidents » de travail effarants et en dépit de toute réglementation (136 000 morts au travail en 2004), sont protégés par les dirigeants du PCC et par la police. Après la mort de 123 mineurs l’an passé dans une mine de charbon de la province de Guangdong (Canton), il a été découvert que la moitié des actionnaires étaient des dirigeants du parti. Un officier de police avait des actions dans cette mine pour une valeur d’environ 30 millions de yuan (€2,8 millions).
C’est là le portrait d’un capitalisme mafieux, aussi brutal et irresponsable que celui de Russie et d’autres régions de l’ancienne Union Soviétique. Les hauts échelons de l’Etat chinois, y compris le gouvernement central de Beijing (Pékin), sont maintenant complètement intégrés dans le système capitaliste mondial – grâce à la politique d’ouverture que le président Hu Jintao décrit comme étant « la pierre angulaire » du développement économique de la Chine. La conséquence est que la Chine a été retournée sens dessus-dessous, d’une des sociétés les plus égalitaires du monde à une des plus inégales – dont le gouffre entre riches et pauvres est plus grand que ceux des Etats-Unis, de l’Inde ou encore de la Russie. Ce programme « complètement capitaliste » est crucial dans toute discussion portant sur la nature de classe de l’Etat et du régime du PCC.
« Néolibéralisme radical »
« La Chine a mis en œuvre une politique néolibérale parmi les plus radicales au monde », explique Dale Wen, un auteur chinois, dont le rapport, « China copes with Globalisation » (2), fournit un des meilleurs résumés du soi-disant « processus de réformes ». Wen compare la politique des 20 dernières années aux programmes du FMI et de la Banque Mondiale dans le monde néocolonial, faisant remarquer que « la principale différence est que le gouvernement chinois applique ces mesures de plein gré ».
Sous la pression des masses qui avaient été enthousiasmées par la révolution de 1949, l’Etat maoïste a fourni d’immenses améliorations sociales sur les plans de l’éducation, de la santé, du logement et de la réduction de la pauvreté. Cette politique était rendue possible par le fait que les bases économiques de cet Etat reposaient sur la propriété nationalisée et la planification centralisée, malgré leur confinement aux limites étroites d’un bureaucratisme national. La plupart de ces acquis sociaux ont été démantelés par la contre-révolution capitaliste. Tout ce qui reste pour les masses chinoises, sont les résidus du stalinisme – terreur policière et absence des plus élémentaires des droits démocratiques – combinés aux pires aspects du capitalisme – exploitation extrême et absence de tout réseau de sécurité sociale.
Les faits suivants illustrent les effets dévastateurs de la politique du PCC :
- Education: les fonds privés comptent maintenant pour 44% des coûts éducationnels totaux en Chine, la plus grande proportion au niveau mondial, excepté pour le Chili. Il n’existe plus aucune éducation gratuite. Les droits d’entrée normaux pour les écoles secondaires dans la plupart des villes s’élèvent à 200€ par an – l’équivalent de deux mois de salaire pour un salarié moyen. A Shanghai, le ménage moyen dépense 25% de son revenu en frais d’école (comparé à 10% aux Etats-Unis). Il y a plus d’un demi-million de professeurs sous-qualifiés, et des milliers d’écoles bas-de-gamme, non reconnues, qui rassemblent les 20 millions d’enfants d’immigrés privés d’accès aux écoles d’Etat. Le taux d’analphabétisation monte de plus en plus, dû à la décroche scolaire, en particulier dans les zones rurales et chez les filles.
- Santé: le système des soins de santé chinois faisait à une époque rêver toute l’Asie. Aujourd’hui, le pourcentage de fonds privés dans les soins de santé est plus grand en Chine qu’aux Etats-Unis. A la campagne, un tiers des cliniques et des hôpitaux sont au bord de la faillite, et un autre tiers sont déjà fermés. Quatre cent millions de Chinois, un chiffre équivalent à la population totale de l’Union Européenne, ne peut plus se payer de docteur.
- Un processus similaire s’est déroulé dans les logements et les transports.
Le rôle de la Chine dans le monde
Alors que l’économie mondiale est plus interconnectée que jamais, on ne peut se contenter d’approcher la question du caractère de classe de l’Etat et du régime chinois sur le seul plan national. La Chine est plus intégrée dans l’ordre capitaliste mondial que la Russie et les autres Etats staliniens. Les capitalistes étrangers contrôlent aujourd’hui un quart de la production industrielle chinoise (3). Le modèle économique du PCC est basé sur « un niveau d’ouverture inhabituellement élevé à l’économie mondiale – le commerce international compte pour 75% du PIB », selon Susan L Shirk (dans son livre « Fragile Superpower » (4)). Ce taux est équivalent au double de celui de l’Inde, et au triple de ceux du Japon, de la Russie ou des Etats-Unis.
Le régime du PCC actuel est un instrument de la mondialisation du néolibéralisme. En aucun cas on ne peut dire que ce processus est ambigu : au contraire, il crève les yeux. Les entreprises chinoises, dont la plupart appartiennent à l’Etat, sont détestées à travers de larges couches en Afrique, en raison de leurs pratiques anti-syndicales, corrompues, illégales et polluantes. Les banques chinoises se sont révélées être aussi parasitaires que n’importe quelle autre banque dans le monde capitaliste – déversant par exemple des milliards de dollars dans les « dérivés » des subprimes américains. En Iraq et dans les autres pays débiteurs, les représentants chinois présentent des contrats avec exactement les mêmes conditions que celles exigées par les autres puissances capitalistes : privatisations, dérégulations et autres politiques néolibérales. Cette politique étrangère n’est bien entendu qu’une extension de la politique intérieure – il n’y a pas ici de grande muraille.
La contre-révolution agraire
On estime à 70 millions le nombre de paysans qui ont perdu leur terrain lors des vingt dernières années, expropriés pour faire de la place à la construction d’usines, de routes, et de projets de prestige tels que hôtels et terrains de golf. La plupart de ces expropriations étaient illégales, se jouant des tentatives du gouvernement central de contrôler ce processus.
On retrouve plus d’une douzaine de magnats de l’immobilier sur la dernière liste du magazine Forbes des 40 plus grands milliardaires chinois. En tête de liste, se trouve Yáng Huíyàn, une dame âgée de 26 ans, à la tête d’un empire immobilier de Guăngdong, et dont la fortune personnelle en 2007 s’élevait à $16,2 milliards, cadeau de son père. En comparaison, une proportion stupéfiante de 42% de la population rurale a subi un déclin absolu de son revenu sur la période 2000-2002.
Dans les années 1950’s, le régime de Mao avait nationalisé la terre, et cette mesure n’a pas été officiellement annulée, bien qu’une série de « réformes » partielles aient privatisé l’utilisation de la terre, tout en laissant à l’Etat la propriété du sol. Mais, comme l’a expliqué Lénine, la nationalisation de la terre ne constitue pas en elle-même un rempart contre le capitalisme : « Une telle réforme est-elle possible dans le cadre du capitalisme ? Elle n’est pas seulement possible, mais représente la forme la plus pure, la plus cohérente, la plus idéalement parfaite du capitalisme… selon la théorie de Marx, la nationalisation du sol signifie une élimination maximale des monopoles moyen-âgeux et des relations médiévales dans l’agriculture, une liberté maximale dans le rachat et la vente de terres, et une aisance maximale pour l’agriculture à s’adapter au marché » (Démocratie et narodnikisme en Chine, 15 juillet 1912).
Un Etat en perte de vitesse
En conséquence des « réformes » néolibérales et de la croissance capitaliste anarchique, le pouvoir économique de l’Etat s’est sérieusement dégradé. Elle est longue, la liste des sphères de l’économie sur lesquels le régime de Bĕijing a perdu tout contrôle : secteurs de la construction et de l’immobilier urbain, crédit et investissement, sécurité médicale et alimentaire, protection environnementale, marché du travail, la plupart de l’industrie manufacturière et, comme nous l’avons vu plus haut, l’attribution des terres agricoles.
Chaque année, la Heritage Foundation, un cercle de réflexion capitaliste, produit un Index de la Liberté Economique, dans lequel la Chine dépasse régulièrement, et de loin, la Russie et les autres ex-Etats staliniens. Sous la catégorie « Liberté provenant du gouvernement », par exemple, basé sur un aperçu des dépenses gouvernementales et des privatisations, la Chine était jugée à 88,6% « libre » tandis que la Russie avait un score de 71,6%, et l’Ukraine seulement 61,9%. En Chine, la totalité des dépenses gouvernementales en 2006 équivalait 20,8% du PIB, un taux bien inférieur à celuide la Russie (33,6%), de l’Ukraine (39,4%), et à peine un tiers de celui de la Suède (56,7%).
En Russie comme en Ukraine, les entreprises appartenant à l’Etat et la propriété gouvernementale de la propriété contribuent pour une part significativement plus élevée des revenus gouvernementaux, respectivement 6,1% et 5,6%, que par rapport à leur contribution au budget de l’Etat chinois, 3,1% (chiffres de 2006). Dans le contexte de l’Asie Orientale, avec sa tradition de « capitalisme d’Etat », la faiblesse de ce chiffre est encore plus flagrante. Les gouvernements malaisien et taiwanais tirent pour leur part 11,5% et 14,4% de leur revenu du secteur d’Etat respectivement.
La taille du secteur d’Etat en lui-même n’est pas décisif pour la détermination de la nature de classe d’une société – quelle classe possède le pouvoir économique ? Dans son analyse du stalinisme, « La Révolution trahie », Léon Trotsky avait prédit qu’une contre-révolution bourgeoise en Union Soviétique serait forcée de conserver un important secteur d’Etat. En Chine, ceci est encore plus le cas, étant donné la tradition confucianiste d’intervention économique de la part du gouvernement, une influence répandue à travers toute l’Asie Orientale. Il existe aujourd’hui des pays qui ont un bien plus grand degré d’étatisation de l’économie que la Chine – l’Iran, par exemple, où l’Etat contrôle 80% de l’économie.
Privatisation et restructuration
Selon le Bureau National des Statistiques de septembre 2007, les entreprises étrangères et privées comptent maintenant pour 53% de la production industrielle de la Chine, une hausse de 41% depuis 2002. Les entreprises d’Etat y jouent toujours un rôle important, et prédominent dans la liste des plus grandes entreprises. Mais les seuls secteurs de l’industrie dans lesquels les entreprises d’Etat occupent une position dominante sont les mines, l’énergie et les services. Un rapport de l’OCDE de décembre 2005 révélait que les dans les 23 plus importants secteurs industriels, des textiles aux télécommunications via l’acier et les automobiles, le privé emploie les deux-tiers de la main d’œuvre et produit les deux-tiers de laa valeur ajoutée.
Aujourd’hui, « les trois-quarts des employés urbains sont en-dehors du secteur d’Etat » (Shirk, « Fragile Superpower »). Ceci est le résultat du rythme frénétique des privatisations et restructurations du secteur d’Etat au cours de la dernière décennie, accélérée par les préceptes de l’OMC. Comme l’a dit Zhou Tianyong, professeur de l’Ecole du Parti du Comité Central du PCC, « le nombre d’employés des entreprises d’Etat et des coopératives est tombé de 130 millions de personnes dans les années 90’s, à 30 millions aujourd’hui » (« China Daily », 8 octobre 2007).
En termes du nombre d’employés affectés, il ne fait aucun doute que ceci est le plus grand programme de privatisation jamais mis en vigueur dans aucun pays de tous les temps. Etant donné que l’agriculture avait déjà été privatisée dans les années ‘80, la vaste majorité des Chinois – plus de 90% – sont maintenant engagés dans le secteur privé.
Aujourd’hui, le secteur d’Etat est un levier pour le développement de l’économie capitaliste, fournissant un cadre d’industries essentielles, telles que l’énergie et les communications, auxquelles on doit ajouter les investissements ciblés dans certains secteurs de haute technologie suivant les modèles japonais et coréens. Il serait incorrect de parler de secteurs « capitalistes » et « non-capitalistes », comme si le secteur d’Etat opérait sur une base alternative, non capitaliste.
Les entreprises d’Etat chinoises ont été transformées, vague après vague de « réformes » corporatistes, de fusions et de licenciements, de rachats d’actions par les cadres, de recrutement de managers éduqués à l’Occident, de listings publics, de joint venture avec du capital étranger, et de différents niveaux de privatisation. Même lorsqu’un entreprise appartient totalement à l’Etat (ce qui est aujourd’hui devenu une rareté), elle père pour faire du profit, de la même manière qu’une entreprise privée. Parlant des attaques du gouvernement Thatcher sur les industries nationalisées en Grande-Bretagne, un journaliste du Financial Times a écrit que « la transformation de British Airways et de British Steel dans les années 80’s n’était pas le résultat d’une privatisation – c’est au contraire la transformation qui a précédé la privatisation et qui l’a rendue possible » (John Kay, 26 septembre 2007).
C’est exactement cela qu’il s’est passé en Chine – mais sur une toute autre échelle. Les secteurs industriels et commerciaux consistent en unités complètement autonomes et, dans la plupart des cas, semi-privatisés. Ceci représente une forme de « capitalisme étatique » semblable à Gazprom, le conglomérat de l’énergie étatique qui produit à lui seul 8% du PIB russe.
Investissements dirigés par l’Etat
Il est vrai que l’essentiel des investissements en Chine proviennent du secteur d’Etat. Mais ceci est également le cas en Russie. En Chine, cependant, la plupart des décisions d’investissement sont prises sur le plan local, et très souvent en contradiction avec la politique du gouvernement central. Une grande proportion des dépenses d’infrastructure des gouvernements locaux va à des projets de prestige, destinés à attirer des « investisseurs » privés – hôtels de luxe, centres de conférences, nouveaux aéroports « internationaux », parcours de golf et centre commerciaux à moitié déserts.
Ceci représente un gaspillage dément de fonds publics – commandé par un capitalisme débridé – et est le prélude à un crash économique similaire à celui qui a frappé l’Asie du Sud-Est il y a dix ans. Aucun gouvernement socialiste, ni même réformiste à l’ancienne, ne considérerait la question de l’investissement public d’une manière aussi criminelle. Mais aujourd’hui, chaque municipalité et région chinoise veut son lien direct avec le marché mondial, à une époque où la dépendance du pays vis-à-vis de l’étranger est proche de « l’extermination ». Le besoin le plus pressant est de développer le marché interne chinois, mais cela ne peut être réalisé que par la rehausse du niveau de vie de la population, et la reconstruction des services publics de base tels que la santé, l’éducation et des logements décents – des secteurs dans lesquels les dirigeants locaux du PCC refusent catégoriquement d’investir.
Le secteur bancaire chinois appartient en majorité à l’Etat. Mais cela également n’est pas un cas isolé, surtout en Asie. Les quatre plus grosses banques d’Etat chinoises (les « Big Four » ») comptent pour 71% de tous les prêts bancaires, et 62% des dépôts. En comparaison, la plus grande banque d’Etat russe accapare 60% des dépôts des ménages et 40% des prêts. En Inde, les banques d’Etat reprennent 75% de toutes les opérations bancaires commerciales (Bank of International Settlements).
Ce serait une erreur de juger les « réformes » néolibérales (privatisations partielles, fusions avec des entreprises étrangères) dans le secteur bancaire et les autres secteurs comme étant superficielles – les changements sont bien trop réels et extrêmement préjudiciables aux intérêts des salariés ordinaires, en Chine comme à l’étranger. Une part de plus en plus grande de la gigantesque réserve d’épargne chinoise – à peu près 1800 milliards de dollars – est en train d’être rognée par la spéculation partout dans le monde, enrichissant les hedge funds et les autres parasites financiers, plutôt que d’être utilisée à la reconstruction des services public agonisants.
Réforme ou révolution ?
L’Etat chinois – comme les gouvernements d’Allemagne et de Grande-Bretagne récemment – peut et va intervenir à la rescousse de ses banques en faillite ou d’autres entreprises stratégiques, et ceci pourrait inclure des renationalisations. La renationalisation sur une base capitaliste, toutefois, ne représente pas un retour à la planification. Seul un mouvement révolutionnaire massif des travailleurs surexploités et des paysans peut démolir ce qui sont maintenant des fondations économiques capitalistes puissantes en Chine, étroitement liées au capitalisme mondial. Un tel mouvement ne voudra pas revenir au maoïsme-stalinisme, mais s’efforcera d’atteindre une authentique planification socialiste démocratique, basée sur le potentiel colossal du prolétariat chinois, qui compte maintenant 250 millions de personnes.
Le processus de contre-révolution en Chine a été complexe et parfois extrêmement contradictoire, mais néanmoins, la victoire de la contre-révolution bourgeoise, bien que sous une forme particulière « confucéenne », est aujourd’hui extrêmement claire. Une révolution politique – « anti-bureaucratique » – n’est plus suffisante pour amener la classe salariée au pouvoir. De la même manière, il n’est pas non plus correct de dire qu’une nouvelle révolution combinera les tâches d’une révolution politique et d’une révolution sociale – ceci est vrai pour chaque révolution sociale, lesquelles induisent une modification des bases économiques et donc, par nécessité, de la superstructure politique, l’Etat. Un changement qualitatif a eu lieu, par lequel un renversement de la contre-révolution capitaliste chinoise n’est plus possible autrement que par une nouvelle révolution sociale prolétarienne, qui devra renverser l’Etat actuel et exproprier ses principaux bénéficiaires, les capitalistes chinois et étrangers. Ce point est extrêmement important lorsque nous parvenons à la question des perspectives et d’un programme pour la Chine.
Qu’est-ce que la bureaucratie ?
En tant que marxistes, nous ne basons pas notre caractérisation du régime chinois sur la simple utilisation occasionnelle de symboles et de phraséologie « communistes » (ou plutôt, staliniens). Ce vernis extérieur est un facteur entièrement secondaire, de la même manière qu’il existe des partis « socialistes » ou « communistes » en Europe et ailleurs, qui organisent une manifestation le jour du Premier Mai et chantent « l’Internationale, tout en menant une politique entièrement capitaliste. Le caractère de classe de n’importe quel organisme, parti ou régime est déterminé par la classe dont il sert les intérêts – sa base sociale.
Le régime maoïste, par la ruse, les manœuvres et la répression, a été un obstacle à toute tentative de la classe salariée de s’organiser en mouvement indépendant. Mais en même temps, afin de maintenir ses propres privilèges et son pouvoir, il a défendu la propriété d’Etat et les acquis sociaux de la révolution. C’est cela qui a donné au régime son caractère contradictoire – une combinaison d’éléments réactionnaires et progressistes. Cela n’est aujourd’hui plus le cas. S’étant vendu corps et âme au capitalisme, l’Etat chinois a perdu son caractère ambivalent et contradictoire.
Trotsky a décrit la bureaucratie stalinienne comme étant une tumeur, un cancer sur le corps de l’Etat ouvrier. Il a expliqué que « une tumeur peut grandir jusqu’à une taille prodigieuse, et même étouffer l’organisme duquel elle vit, mais elle ne peut jamais vivre indépendamment de cet organisme » (« La nature de classe de l’Etat soviétique », 1933).
La « tumeur » de la bureaucratie chinoise ne peut acquérir une vie indépendante, étant donné sa relation aux moyens de production, et n’est certainement pas en elle-même le reposoir des mesures socialement progressistes issues de la révolution de 1949. C’est même plutôt l’inverse qui est vrai. Sous le stalinisme et le maoïsme, ces acquis existaient dans la conscience et dans la pression de masse des travailleurs et des paysans, malgré le rôle de désorganisateur et de confusion joué par la bureaucratie. Trotsky a aussi expliqué que « la présence de la bureaucratie, avec toutes les différences de ses formes et de son poids spécifique, caractérise TOUT régime de classe. Sa force est un reflet. La bureaucratie, indissolublement liée à la classe économiquement dominante, est nourrie par les racines sociales de celle-ci, se maintient et tombe avec elle » (ibid., italiques par Vincent Kolo).
Mais aujourd’hui, quelle est en Chine la classe économiquement dominante ? Avec le démantèlement de l’économie planifiée, ce ne peut plus être la classe salariée. Une partie de l’ancienne bureaucratie maoïste s’est reconvertie par le « processus de réformes » en une nouvelle classe de propriétaires.
La connexion entre capital privé et étatique n’est pas rigide, mais fluide, reflétant une large gamme d’arrangements intermédiaires, en partie privés, en partie publics. La classe capitaliste est dépendante de l’Etat actuel pour ses contrats, ses emprunts, ses faveurs et, surtout, pour être protégée de la classe salariée. Parmi les 20 000 plus riches hommes d’affaires chinois, 90% sont membres du PCC ou comptent des membres du parti dans leur famille.
Pas de ‘big bang’ ?
Le régime du PCC et la bureaucratie dans son ensemble n’ont jamais constitué, en elles-mêmes, un rempart à la contre-révolution capitaliste – c’est là la clé de la compréhension de tout ce qui s’est passé. Comme en Russie et dans les autres ex-Etats staliniens, c’est la résistance de la classe salariée qui était le seul vrai obstacle à la contre-révolution capitaliste. Cette résistance – qui, à certains moments, a acquis des proportions de masse – fut néanmoins vaincue en Chine par toute une combinaison de facteurs. La violence excessive et terrifiante qui fut utilisée pour écraser le mouvement révolutionnaire naissant de 1989 fut un facteur critique. La rapidité de la croissance économique (d’à peu près 10% par an tout au long de la dernière décennie) a aussi fourni au régime une certaine « soupape de sécurité ».
Pour Trotsky, la menace de la restauration capitaliste ne reposait pas sur le fait que le parti stalinien soit ou non renversé. Cela n’était pour lui qu’une des perspectives : « mais la restauration bourgeoise, en parlant de manière générale, n’est concevable que sous la forme d’un revirement brutal et décisif (avec ou sans intervention), ou sous la forme de plusieurs réajustements successifs… »
« Donc, aussi longtemps que la révolution européenne n’a pas triomphé, les possibilités d’une restauration bourgeoise dans notre pays ne peut pas être reniée. Laquelle de ces deux voies est la plus probable dans nos circonstances : celle d’un revirement contre-révolutionnaire abrupt, ou celle d’une série de glissements, avec un peu de chamboulement à chaque étape, et une dérive thermidorienne pour étape la plus imminente ? Cette question ne peut être tranchée, je pense, que d’une manière extrêmement conditionnelle » (« Le Défi de l’Opposition de gauche », 1926-27, italiques par Vincent Kolo).
Cette « voie de réajustement successifs » est une excellente description de ce qui s’est passé en Chine. Le capitalisme a été restauré, bien que selon un mode chinois particulier. Cette restauration est le fruit de ce qui fut d’abord un réflexe empirique de la part du régime stalinien à la fin des années 70’s, cherchant à trouver une issue à la crise politique et économique, avec des éléments de guerre civile, qu’il avait hérité de Mao. Dans ses premiers stades, ceci était une tentative d’exploiter certains mécanismes de marché au sein d’une économie étatique stalinienne. Mais de tels processus possèdent une logique qui leur est propre, d’autant plus que la révolution socialiste mondiale se faisait attendre, et étant donné la crise et l’effondrement du stalinisme partout dans le monde, et l’accélération féroce de la mondialisation néolibérale.
Au contraire de l’Union Soviétique, il n’y a pas eu en Chine de « big-bang », d’implosion de l’Etat unipartite, et le PCC est resté au pouvoir. Mais les classe capitaliste émergente, surtout dans la Fédération du Russie, considérait le démantèlement de l’Etat stalinien comme un pré requis au succès de sa contre-révolution. Dans le cas de la Chine, par contre, avec toute son histoire de guerres féodales et de fragmentation, et la menace immédiate de manifestations de masse, exorcisée par le massacre de 1989, la position de la classe capitaliste émergente était différente. Ici, ce fut la continuation du règne du PCC qui était la base la plus avantageuse pour développer le capitalisme – afin de maintenir « l’ordre » et le pays entier.
Qui donc aujourd’hui demande un changement de régime en Chine ? Certainement pas les capitalistes, qui comprennent que, par la répression de la gigantesque classe salariée chinoise, le régime actuel est le meilleur qu’ils pourraient sérieusement espérer. Même la bourgeoisie « démocratique » – et elle est en minorité – ne recherche pas la chute du régime du PCC, mais plutôt sa « réforme ». Ceci donne la plus claire des réponses qui puisse être données à la question de quels intérêts de classe sert l’Etat chinois aujourd’hui.
- Lénine, « De l’Etat », 1919, NDT.
- Qu’on peut traduire par « La Chine s’en sort bien avec la mondialisation », NDT.
- OCDE, 2005.
- Ce qu’on pourrait traduire par « Une frêle superpuissance », NDT.