Le capitalisme se dirige-t-il vers une crise économique profonde?

L’économie mondiale est sans doute à un tournant. Une récession économique ou une crise aux USA aurait des conséquences bien plus profondes que la baisse des Bourses à laquelle nous avons assisté ces derniers mois. Elle se traduirait très certainement en Europe par de nouvelles vagues de licenciements massifs, de délocalisations et d’attaques contre les salaires et contre la sécurité sociale.

Au cours des années ‘90, le capitalisme a connu une forte croissance économique grâce, entre autres, aux nouvelles technologies (en particulier en informatique) ainsi qu’aux privatisations et aux délocalisations. L’ouverture de l’Europe de l’Est, de la Russie et de la Chine au capitalisme a aussi permis de réaliser des profits massifs parce que les sociétés multinationales ont trouvé sur place une gigantesque réserve de main-d’œuvre qualifiée et à bon marché. Tout cela a provoqué en retour une forte pression à la baisse sur les salaires dans les pays capitalistes les plus développés, encore une fois au bénéfice des patrons.

Mais les années ‘90 ont aussi déjà connu différentes « bulles spéculatives » (des hausses de prix excessives sur différents marchés) à cause de l’afflux d’argent provenant des énormes profits réalisés par les entreprises. Ainsi, en 1997, la crise asiatique a entraîné une chute des monnaies et de valeurs boursières surestimées ainsi que l’éclatement d’une première bulle immobilière.

 

Spéculation: le capitalisme de casino

La part des sociétés financières dans le chiffre des profits globaux de toutes les entreprises après impôt a considérablement augmenté aux USA : elle est passée de 5% en 1982 à 41% en 2007 ! Ce poids des profits spéculatifs illustre le caractère malsain et pourri du capitalisme actuel. Les grands actionnaires se servent de la richesse qu’ils se sont appropriées sur le dos des travailleurs pour investir non pas dans la production réelle, mais bien dans toutes sortes de constructions financières en espérant réaliser ainsi de plus grands profits basés sur la spéculation.

Après la crise de 2001, ce développement malsain et parasitaire du capitalisme n’a pu être maintenu que par la consommation des salariés. Mais comme leurs salaires réels avaient chuté, ceux-ci ont été incités à dépenser de l’argent qu’ils n’avaient pas encore gagné – en l’empruntant. En 2005, aux USA, les dettes pour le remboursement d’une maison s’élevaient en moyenne à 98% du revenu disponible alors que ce chiffre n’était encore “que” de 60% dans les années ’90.

Afin de contrôler cette montagne de dettes, la Banque Centrale des Etats-Unis, la Federal Reserve (Fed), a commencé très progressivement à augmenter le prix de l’emprunt. Mais cette hausse – même limitée – des taux d’intérêts a eu immédiatement un effet ravageur sur les subprimes (les crédits à haut risque) et les prêts « NINJA » (pour « No Income, No Job, No Assets » : sans revenu, sans travail et sans patrimoine). Grâce à de tels emprunts, des gens qui n’étaient pas du tout solvables avaient tout de même pu acheter une maison puisqu’ils étaient sensés s’enrichir grâce à la hausse de la valeur de celle-ci et pouvoir décrocher ensuite de nouveaux prêts plus avantageux. Mais la saturation du marché et la hausse des taux d’intérêt par la Fed a fait s’écrouler cette illusion.

 

L’économie américaine au-dessus de ses moyens

Tant que les prix de l’immobilier augmentaient, beaucoup d’Américains ont eu l’impression de s’enrichir et ont ainsi contracté massivement d’autres types d’emprunts (voitures, MasterCard, etc.). C’est cette bulle de crédit qui a poussé la croissance américaine dès 2001 et qui a aussi gonflé artificiellement le dollar. Comme le gouvernement américain recevait aussi beaucoup d’argent, il pouvait se permettre de maintenir pour une certaine période des prix bas pour les bons d’Etats, c’est-à-dire les emprunts qu’il accorde lui-même. Pour soutenir une économie américaine basée sur la consommation, des pays asiatiques comme la Chine, dont l’économie repose sur l’exportation, ont acheté des bons d’Etats US afin de consolider leur propre position et de maintenir des prix élevés pour les produits américains.

Cet équilibre artificiel entre les USA et les banques asiatiques devait immanquablement conduire un jour à un retour de flamme économique et à l’éclatement de la bulle du dollar. Les USA vivent depuis longtemps au-dessus de leurs moyens. Le capital américain espérait qu’à travers une baisse progressive du dollar, il pourrait faire endosser la crise au reste du monde. Ainsi, il a joué à la roulette russe avec les banques asiatiques et les investisseurs de l’OPEP en leur disant : « Si nous baissons le dollar, oseriez-vous changer en une autre monnaie vos dollars achetés avec vos surplus commerciaux et provoquer ainsi une crise économique et financière mondiale? »

 

La récession touche les salariés et les pauvres

L’économie américaine ne peut pas se sauver elle-même en se rattrapant sur ses exportations. Le développement de la consommation intérieure demeure crucial. Aujourd’hui, nous ne nous trouvons encore que dans la première phase de la chute des prix de l’immobilier et pourtant les USA sont déjà menacés d’une récession. Alors que les prix de l’immobilier n’ont chuté « que » de 8%, deux mil-lions d’Américains ont déjà perdu leur maison. Or on estime aujourd’hui que cette baisse pourrait atteindre au final 20 ou 30%. Dans un pays où le système de retraites est privé et côté en bourse, la chute de la valeur des maisons couplée à celle des Bourses constitue une catastrophe pour beaucoup de familles.

A partir du secteur limité des crédits à haut risque, la crise s’est étendue, par l’intermédiaire des banques, au reste du système financier. C’est que les banques avaient « titrisé » ces mauvais emprunts, c’est-à-dire les avaient inclus dans des paquets comprenant aussi des emprunts plus sûrs, des actions et des obligations. L’idée était de répartir le risque et même de l’éliminer mais il s’est en réalité étendu comme un virus en infectant au passage de larges parts du système financier.

Prises de panique, les banques ont limité fortement leurs opérations de prêts entre elles et aux entreprises, provoquant ainsi un ralentissement de l’activité économique. Au quatrième trimestre de 2007, la croissance américaine a chuté de 0,6% sur base annuelle alors qu’une croissance de plus de 3% serait nécessaire pour garantir le maintien de l’emploi. Deux Américains sur trois estiment déjà que leur pays se trouve en crise économique et la confiance des consommateurs a connu la baisse la plus prononcée depuis seize ans.

 

Les bons de consommation ne suffiront pas

La décision de la Fed de diminuer à nouveau à deux reprises le taux d’intérêt indique qu’une certaine panique s’est installée. En janvier, l’inflation a gonflé de 4,3% sur base annuelle. Si ce phénomène de stagflation – stagnation ou récession économique liée à une inflation – se maintient, le taux d’intérêt devra à nouveau être augmenté pour diminuer la quantité d’argent disponible et une récession profonde s’ensuivra.

 

Le reste du monde n’est pas immunisé

Il est illusoire de penser que le reste du monde est immunisé contre une récession survenant aux USA. Si, jusqu’ici, les répercussions se remarquent surtout sur les Bourses, les prévisions de croissance ont tout de même été revues à la baisse tant en Asie que dans la zone euro.

D’après une déclaration récente de la Banque Mondiale, le PIB par habitant de la Chine est équivalent à 9,8% de celui des USA. Les classes moyennes limitées de la Chine ou de l’Inde ne pourront pas reprendre le rôle moteur joué jusqu’ici par le consommateur américain.

L’économie mondiale se trouve à un tournant de la période post-stalinienne. Et au moment même où s’effectue ce tournant, dans des pays comme la Belgique et l’Allemagne, les salariés se mettent en mouvement contre la baisse du pouvoir d’achat. L’intensification du taux d’exploitation qui a permis la croissance économique dans les années 90 commence à se retourner contre le système : il n’existe plus de marge pour que les travailleurs puissent faire face à l’augmentation des prix.

La plupart des travailleurs n’ont connu la croissance de l’après 2001 que sous la forme d’une baisse du pouvoir d’achat. Dans ces conditions, une nouvelle crise économique entraînera une ouverture plus large pour les idées socialistes et offrira plus d’occasions pour le développement d’une alternative révolutionnaire.

 

 

Article par PETER DELSING

Auteur

Laisser un commentaire