Les médias parlent d’un « virage à gauche » en Allemagne. Si des élections nationales avaient lieu aujourd’hui, Die Linke, le nouveau parti de gauche dirigé par Oskar Lafontaine (qui fut président du SPD, le PS allemand), récolterait entre 11 et 14 % des voix. Lors des élections régionales en Hesse et en Basse-Saxe, Die Linke a franchi le seuil électoral de 5% pour la première fois dans des régions de l’Allemagne de l’Ouest.
Mécontentement social
Le terreau fertile pour cette montée électorale de la gauche est le mécontentement social qui grandit dans de larges couches de la population. Seuls 15% de la population jugent que les chiffres de croissance économique se reflètent dans leur portefeuille. De nombreux scandales provoqués par la corruption et la fraude fiscale perpétrées par les topmanagers et les super-riches ont éclaté ces derniers mois. Les dernières enquêtes de la brigade financière ont révélé que 700 « citoyens éminemment fortunés » ont placé 3,4 milliards d’euros sur des comptes en noir au Liechtenstein. En revanche, les chômeurs qui ont été durement attaqués ces dernières années, ne disposent plus aujourd’hui en moyenne que d’un budget moyen de 4,35 euros par jour pour leur alimentation, une somme qui ne permet pas d’assurer les 2.300 calories nécessaires.
Atmosphère combative
Le fossé entre les profits record et le démantèlement du pouvoir d’achat et des acquis sociaux n’est plus considéré comme inévitable. Les conducteurs de train et leur syndicat indépendant GDL ont réussi récemment à obtenir une victoire après des actions de grève : 11% d’augmentation salariale, une réduction de travail d’une heure par semaine et une prime unique. Les salaires des cheminots allemands sont relativement bas par rapport au niveau européen, mais cette victoire a une grande valeur symbolique. Elle démontre qu’une lutte menée de manière sérieuse peut donner des résultats.
Les luttes de ces dernières années étaient surtout défensives et les directions syndicales y mettaient fin en concluant souvent des « compromis » vides de contenu pour les salariés. Aujourd’hui, les machinistes ont mis fin à cela. Les autres vont suivre. Dans les services publics et le secteur métallurgique, les travailleurs revendiquent une augmentation salariale de 8%. Dans certaines régions, cette revendication était même symboliquement de 9,4%, le même pourcentage que celui de l’augmentation que se sont accordées les parlementaires… Des actions ont déjà été lancées dans divers secteurs, comme à Stuttgart où les vendeuses de H&M ont mené une grève pendant dix semaines.
Virage à gauche
Les travailleurs allemands ont gagné une plus grande confiance en eux mais cela ne suffit pas pour mettre fin au démantèlement social. Le fabricant de GSM Nokia a annoncé la fin de la production à Bochum pour la transférer en Roumanie où les salaires sont seulement de 300 euros par mois. Les 2.300 salariés et les 1.000 temporaires sont menacés d’être jetés à la rue. Avant, Nokia avait reçu 80 millions d’euros de soutien gouvernemental. Les politiciens des partis traditionnels ont appelé au boycott de Nokia. Mais même les commentateurs bourgeois ont posé la question : en quoi Motorola ou Siemens valent-ils mieux, eux qui récemment ont supprimé des postes en masse?
Dans un contexte de profits record pour les entreprises, les travailleurs revendiquent un morceau du gâteau et les actions offensives jouissent d’un soutien large de la part de la population. Le « virage à gauche » dans la société allemande est bien réel, tant au niveau de la combativité qu’au niveau électoral. Die Linke bénéficie de ce climat mais sa direction semble plus intéressée à participer au pouvoir avec le SPD et les Verts qu’à préparer l’extension des luttes. Pourtant ce n’est pas en participant à des coalitions néolibérales qu’on obtiendra de vraies victoires mais plutôt en liant les combats quotidiens à une perspective de transformation socialiste de la société.
Article par TANJA NIEMEIER