Lors de sa campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy avait annoncé vouloir en finir avec l’héritage de mai ‘68. Il comptait ainsi attaquer le symbole de la lutte contre le capitalisme et « rétablir l’autorité ». Sarkozy aurait-il si peur des révoltes étudiantes? En réalité, le président français a bien raison de craindre un nouveau mai ’68, car lui comme nous savons que le mouvement n’était pas cantonné à une révolte étudiante : mai ’68, c’était dix millions de travailleurs en grève et une remise en cause généralisée du capitalisme! Et si l’ancien gouvernement Chirac-Villepin-Sarkozy a été forcé de faire des concessions sur le CPE, c’est par peur d’une généralisation de la lutte, commencée dans les universités, à l’ensemble des entreprises…
Le contexte
Mai ‘68 arrive au sommet des « trente glorieuses », ces années de vache grasse pour l’économie mondiale, lorsque les universités avaient ouvert leurs portes à une partie des enfants de la classe ouvrière, y amenant un poids nouveau en terme de contestation. Les années ‘60 en France, c’est aussi les années du Général De Gaulle – qui était arrivé au pouvoir en 1958 avec l’aide de l’armée et de la bourgeoisie suite à la débâcle française en Algérie et qui avait instauré la Vème République aux institutions ultra-centralisées- et les années des révoltes anti-coloniales (Algérie, Cuba, Vietnam…).
C’est dans ce contexte qu’une réelle polarisation de la société s’est opérée, entre partisans des luttes anti-coloniales et défenseurs de l’impérialisme. On voit même se créer des groupes d’ “autodéfense” d’extrême-droite pour protéger l’ordre établi. C’est par un de ces évènements que mai ‘68 débute: des étudiants de gauche occupent une partie de leur université afin de se protéger d’une éventuelle attaque du groupe Occident, groupe violent d’extrême-droite (dont Patrick Devedjian, bras droit de Sarkozy, était membre). La police évacue les étudiants sans ménagements.
Les étudiants se révoltent,
les travailleurs les rejoignent
Comme une traînée de poudre, les évènements s’enchaînent: manifestations devant la Sorbonne et dans le Quartier Latin, barricades, combats face aux CRS, etc. Les étudiants sont animés d’une réelle volonté de révolte, d’en découdre avec l’Etat bourgeois. Ils sont rassemblés dans le Mouvement du 22 mars, réunissant de nombreux étudiants et l’ensemble de la gauche radicale universitaire (anarchistes, trotskistes, maoïstes, etc.). De nombreux groupes de gauche tombent dans le piège d’une logique de guérilla urbaine, et se coupent du mouvement ouvrier par leurs attitudes sectaires ou gauchistes. Les étudiants s’orientent vers les entreprises, mais leurs organisations adoptent souvent une approche trop arrogante envers les travailleurs à la porte des usines.
Mais ce qui aurait pu être cantonnée à une révolte étudiante n’en reste pas là. Ouvriers et ouvrières décident de rallier le mouvement!
Un peu partout en France, des grèves spontanées se répandent, le plus souvent avec occupation d’usine. Les mots d’ordre sont sociaux: pas de salaires en-dessous de 1000FF, pension à 60 ans, etc. Mais les travailleurs remettent également en cause l’organisation de l’économie : ils réclament la gestion et le contrôle des entreprises. Le 13 mai, une manifestation prend place, rassemblant un million de travailleurs et d’étudiants dans les rues de Paris. Le 20 mai, la grève est généralisée: 10 millions de travailleurs en grève! Même les footballeurs occupent la Fédération française de football…
Le rôle réactionnaire du PCF
Le parti communiste français (PCF), qui dispose de la mainmise sur l’ensemble de la classe ouvrière française, fustige les étudiants, les qualifiant de « gauchistes », d’enfants gâtés qui une fois passée leur crise d’adolescence, reprendraient l’entreprise de papa. La direction du PCF utilise ainsi des faiblesses présentes parmi la gauche dans les universités pour assurer son monopole sur la classe ouvrière et empêcher la jonction entre celle-ci et les étudiants.
Les étudiants commencent en effet à comprendre le rôle réel du PCF: celui-ci n’est plus depuis longtemps un facteur de changement de la société en faveur de la classe ouvrière ; il est tout bonnement l’agence de publicité de la bureaucratie stalinienne en France et le garant du statu quo et de la coexistence pacifique entre l’Est et l’Ouest. De plus, les évènements de Prague de 1968 et de Budapest en 1956, lorsque les chars soviétiques ont écrasé dans le sang les soulèvements populaires, ont grandement diminué la confiance envers ce parti.
Cependant, voyant que les travailleurs suivent le mouvement, le PCF et son syndicat la CGT sont obligés de le suivre à leur tour, afin de ne pas se couper totalement de la classe ouvrière.
La droite réagit
Alors que le général De Gaule avait disparu de la circulation (il était en Allemagne s’assurer du soutien des forces armées françaises, afin d’organiser la contre-révolution en cas de prise de pouvoir par les travailleurs); celui-ci réapparaît, annonçant des élections et appelant ses partisans à réagir. 600.000 gaullistes manifestent pour l’ordre et la sécurité.
Effrayés par la révolution, le PCF et la CGT prônent l’apaisement, et appellent à retourner au travail. Le PCF dévie la lutte vers les urnes afin de préserver le système. Les étudiants tentent de continuer le mouvement; de nombreux travailleurs continuent la grève et l’occupation de leur usine également. Cependant, les groupes révolutionnaires, bien implantés dans le mouvement étudiant, n’ont pas réussi à s’implanter dans le mouvement ouvrier. Celui-ci, privé de perspectives et de direction révolutionnaire, s’essouffle rapidement. Les élections donnent une victoire fracassante à la droite gaulliste; le PCF ne récolte que 7% des votes contre 15% un an avant!
Achever mai ‘68
Si la lutte de mai ‘68 n’a pas porté les travailleurs au pouvoir, elle aura eu le mérite d’apporter un référent collectif sur ce que peut être une révolution; elle aura été une sorte de « répétition générale » dont nous devons tirer les leçons. La première leçon de mai ‘68 est que les étudiants, s’ils sont une force dynamique qui peut s’avérer importante dans la lutte contre le capitalisme, ne sont rien sans la force immense des travailleurs: ceux-ci détiennent en effet le levier puissant qui menace le plus le capital: la grève générale!
L’autre grande leçon est qu’alors que dix millions de travailleurs étaient en grève, prêts à renverser l’Etat bourgeois, mais que d’un côté le PCF jouait un rôle réactionnaire, et que de l’autre les étudiants et travailleurs les plus radicaux étaient inorganisés, les uns comme les autres se sont retrouvés sans perspectives. Ils n’avaient pas confiance dans le PCF et aucune alternative dans laquelle ils auraient pu porter leurs espoirs n’était présente. Lorsque les travailleurs entrent en lutte, un parti ouvrier de masse avec de réelles perspectives socialistes et révolutionnaires est nécessaire pour les mener jusqu’à la victoire!
Ceux, comme Sarkozy, qui veulent liquider mai ‘68 veulent rendre les travailleurs dépourvus de référent ; ils veulent faire oublier que la lutte de classes et le socialisme restent d’actualité dans un pays occidental avancé…à nous de faire connaître mai ‘68 et d’achever ce qui y a été commencé en en tirant les leçons et en construisant un parti socialiste et révolutionnaire.
Article par STEPHANE R