Jeux Olympiques en crise : Dans la tourmente de protestations mondiales

Les Jeux Olympiques de Pékin plongent dans la crise. Les protestations qui ont suivi la Flamme Olympique lors de son trajet mondial ont ravivé la critique internationale quant à la politique suivie par le régime chinois à Tibet, et sur les “attaques contre les droits de l’homme” (un terme délibérément vague, signifiant répression étatique).

La réaction en Chine a été une vague de nationalisme menée par les média contrôlés par l’Etat, afin de “défendre les Jeux Olympiques chinois”, comme si ces Jeux n’étaient pas avant tout une occasion de se faire plein d’argent pour les gros sponsors tels qu’Adidas, Samsung, Coca Cola et McDonald’s, une masse d’argent dont les travailleurs de ces entreprises – en Chine et dans le reste du monde – ne toucheront rien.

Les critiques qui ont fusé de toutes parts après les manifestations à Londres, Paris et San Francisco ont mené à un accroissement des tensions internationales qui pourrait déborder en un conflit économique et politique bien plus large.

A cause d’une mésestimation désastreuse de la part de tous les organisateurs, les JO 2008 sont devenus les Jeux les plus politisés depuis ceux de Moscou en 1980. Mais alors que le boycott cette année-là était mené par les gouvernements occidentaux, avec au premier rang Jimmy Carter ainsi que Margaret Thatcher et était joyeusement soutenu par leur “ami” Deng Xiaoping (annonçant ainsi le début de la « longue marche » chinoise vers l’économie de marché), les manifestations d’aujourd’hui proviennent d’en bas.

Elles ont été menées par des organisations de la base, et n’ont reçu que très peu de soutien et d’encouragements de la part des différents Etats (c’est plutôt le contraire qui est vrai d’ailleurs). Le fait que ces manifestations aient été relativement petites est la preuve que leurs organisateurs ont surtout opéré à “contre-courant” du discours dominant dans les médias et parmi l’establishment – jusqu’à maintenant.

Les dirigeants capitalistes occidentaux ont évité toute critique du soi-disant Parti “Communiste” Chinois (PCC), parce que leurs économies sont tellement dépendantes de ses politiques anti-ouvrières et anti-démocratiques, mais aussi parce que, comme le dit un vieux dicton : “Celui qui vit dans une serre s’abstient de jeter des pierres”! Etant donné ce que sait le reste du monde au sujet du demi-million de gens tués lors de l’occupation de l’Irak, l’administration Bush n’est pas vraiment en position de pouvoir juger les actions d’autres régimes.

Le Président Bush a brillé par son absence de toute critique vis-à-vis de la répression au Tibet (où apparemment 150 tibétains et 20 Chinois Han ont été tués depuis le 14 mars) ou face à la Chine en général. A la place, il a pressé Pékin de “négocier” avec le Dalaï Lama et de montrer un certain “détachement”. Se référant au Tibet, on a pu entendre un dirigeant du PCC déclarer “Nous avons Bush derrière nous, il n’y aura donc aucun problème”, selon Xu Youyu de l’Académie Chinoise des Sciences Sociales (tiré de Dagens Nyheter, Suède, le 25 mars 2008). C’est exactement la même chose qui s’est produite avec Taïwan au cours des dernières années : Pékin et Washington ont collaboré très étroitement afin de mettre des bâtons dans les roues du gouvernement du président indépendantiste Chen Shui-bian.

 

Manifestations de la base

Les gouvernements du monde entier ont été encore plus muets au sujet du Tibet qu’au sujet des liens entretenus par le régime chinois avec la Birmanie ou le Soudan. Là, il y a eu de la répression militaire, et derrière il y a l’influence politique et économique grandissante de la Chine en Afrique et en Asie du Sud-Est.

Mais, à cause de la dépendance de plus en plus grande de l’Occident par rapport à la Chine, ces considérations n’ont pu être formulées très ouvertement. Cette réalité a été très clairement mise en avant par le Ministre français des Affaires Etrangères, Bernard Kouchner, auquel Le Monde (29 mars 2008) demandait si les critiques de son gouvernement étaient “limitées” par la puissance économique de la Chine. “Effectivement, cela rend les choses plus compliquées”, a répondu Kouchner. “Si le Tibet avait le désir et les moyens d’acheter des réacteurs nucléaires EPR (made in France), les droits de l’homme seraient alors bien plus en vue du CAC 40”, la principale bourse française. Le Président Sarkozy a déclaré vouloir organiser un “boycott” de la cérémonie d’ouverture olympique, mais ceci n’est rien de plus qu’une manoeuvre pour tenter de regagner quelques points dans les sondages d’opinion. Lorsque le même Sarkozy s’était rendu à Pékin lors d’une visite d’Etat en novembre passé avec une délégation de 30 personnes comprenant la moitié de son cabinet, le Ministre des Droits de l’Homme avait été laissé à Paris ! Sarkozy est cependant revenu avec des contrats gouvernementaux d’une valeur de 20 milliards d’euro.

Cependant, tout cet arrangement hautement profitable entre les différents gouvernements capitalistes pourrait être chamboulé par une remontée du sentiment nationaliste déclenchée par les Jeux Olympiques. Un sondage récent mené par le Financial Times du 15 avril 2008 a révélé un changement d’attitude majeur en Europe, avec les populations de Grande-Bretagne, de France, d’Allemagne et d’Italie percevant maintenant la Chine comme un plus grand danger pour la stabilité mondiale que les Etats-Unis.

Aux Etats-Unis, la Chine est maintenant perçue comme étant une plus grande menace que la Corée du Nord ou l’Iran. Ceci se reflète également dans la course à la présidence aux Etats-Unis – laquelle a toujours été une grande occasion de “taper du Jaune”, bien que le ton diminue toujours un peu dès que le gagnant s’est fait élire. Hillary Clinton en particulier, déterminée à tout pour rester en lice, a attaqué la décision de Bush de se rendre à la cérémonie d’ouverture des JO. Une rencontre entre l’envoyée de la Maison Blanche au Tibet, Paula Dobriansky, et le Dalaï Lama, programmée pour la semaine prochaine, pourrait encore approfondir la crise actuelle.

En Inde, la base des dirigeants tibétains en exil, les opposants tibétains auront peut-être le plaisir douteux de se voir “soutenus” par le BJP, parti hindou fondamentaliste, violemment opposé à l’autodétermination des peuples du Kashmir, d’Assame et d’autres parties de l’Inde, mais qui accuse, de la manière la plus hypocrite qui soit, le gouvernement de Manmohan Singh de chercher une “conciliation scandaleuse avec la Chine”.

Partout dans le monde, on a pu voir les images d’un immense cordon de sécurité chargé de protéger la flamme olympique (ou “flamme sacrée”, comme les médias chinois l’appellent) ; ces images sont un désastre de propagande pour les organisateurs. Un porte-parole de la police parisienne a déclaré à The Gardian (8 avril 2008) que l’opération de sécurité qu’il a fallu mettre en place “était un peu comme celle qu’on avait pour Georges Bush”.

Une telle image dans les médias, surtout avec le rôle provocateur et parfois agressif d’une escouade des “Dragons Volants”, unité d’élite de la Police Armée Populaire de Chine (PAP) qui était chargée de protéger la torche, a eu bien plus d’impact sur l’opinion, liant le problème de la répression et du manque de droits démocratique au Tibet et en Chine avec les Jeux Olympiques, que n’en auraient jamais été capables l’ensemble des groupes de pression d’exilés tibétains ou de groupes de défense des droits de l’homme en Chine. Le camouflet ultime pour les organisateurs chinois et du Comité olympique a été le départ du footballeur Diego Maradona en plein milieu de la cérémonie, à Buenos Aires, mouvement inattendu, étant donné les liens très étroits qu’entretient Maradona avec les gouvernements de Castro à Cuba et de Chávez au Vénézuela – deux régimes qui se sont publiquement déclarés en faveur de la répression au Tibet.

 

Durcissement des positions

Au moment où nous écrivons, les positions se durcissent. La dictature chinoise refuse d’annuler le parcours de la flamme olympique, le plus long jamais organisé puisqu’il devra parcourir les six continents pendant 130 jours, craignant que cela soit interprété comme un signe de faiblesse face à la pression internationale, une retraite qui saperait sérieusement la position de l’Etat monopartite. Les divers groupes de protestations perçoivent un soutien public international croissant, mais bien entendu les politiciens capitalistes ne font que sauter dans le wagon pour des raisons électoralistes, utilisant des arguments hypocrites et nationalistes. Ce revirement d’opinion est dû au fait que la classe dirigeante – en particulier dans les Etats impérialistes dominants – craint que la Chine, au vu de l’intransigeance du régime chinois au sujet des JO, n’adopte une position encore plus bornée lors de futurs débats économiques et géopolitiques bien plus importants.

Le Comité International Olympique (CIO) se trouve d’un coup dans le camp des G8, OMC et autres symboles de la soif de profit des corporations et des jeux de domination politique qui sont la cible des protestations.

Avec de puissants partis ouvriers dans les bons pays, il serait possible d’envoyer un appel à l’unité des travailleurs contre la répression politique et religieuse ainsi que contre l’exploitation capitaliste dans le monde entier. Malheureusement, étant donné qu’aucun des groupes impliqués ne représente une position ouvrière ou internationaliste, le débat autour des protestations a pris un cours nationaliste de tous les côtés.

Les manifestations sont universellement décrites dans les médias occidentaux comme étant “anti-chinoises” ou “pro-chinoises”, mettant dans le même sac le régime dictatorial et les masses qu’il opprime (souvent sur demande de compagnies étrangères américaines ou autres). Aux yeux de nombreux Chinois, tout ceci n’est qu’une vaste campagne contre eux en tant que peuple, traditionnellement dénigré par les dirigeants occidentaux racistes. Pour cette raison, nombre d’entre eux s’alignent en ce moment sur une ligne nationaliste derrière le régime du PCC.

Le fait que de nombreux porte-paroles du mouvement “Free Tibet” soient des occidentaux et non pas des Tibétains renforce également la propagande du PCC, qui prétend que les protestations sont organisées par les gouvernements occidentaux et la CIA qui tentent d’exploiter l’enjeu tibétain afin d’attaquer la Chine. Mais comme nous l’avons vu, c’est en fait tout le contraire. Même le Dalaï Lama et son gouvernement-bourgeois-en-exil, tous désespérés qu’ils sont d’arriver à des négociations avec le régime chinois, refusent de soutenir ces manifestations ou les appels à un boycott olympique.

Le Dalaï Lama a récemment confirmé que des envoyés de son gouvernement sont entrés en discussion “privée” avec le régime de Pékin, tandis que la répression au Tibet continue. Le Président Hu Jintao exige du Dalaï Lama une “action concrète” afin de pouvoir sérieusement entamer les négociations. Pékin veut que le dirigeant tibétain se distancie de manière encore plus radicale des mouvements de protestation, et appelle ses disciples à coopérer avec les autorités. Une telle distanciation n’est pas exclue dans la période à venir, mais provoquerait alors un véritable schisme au sein du mouvement tibétain en exil, et saperait encore plus la position d’une direction déjà fortement critiquée pour sa politique conciliatrice.

 

Les Jeux Olympiques, “apolitiques” ?

L’establishment capitaliste partout dans le monde affirme qu’on ne devrait pas mélanger politique et sport. Mais c’est de la pure hypocrisie ! Le premier acte d’ouverture de la Chine à l’Ouest sous Mao Zedong en 1971 a précisément été sa décision d’autoriser la venue en Chine de l’équipe nationale américaine de ping-pong.

Aujourd’hui, coincé au sujet du Tibet, le régime chinois utilise la question des Jeux Olympiques en tant qu’enjeu politique crucial. Il a donné une publicité énorme à l’idée que les protestations contre le JO relevaient d’un complot contre la Chine, inventant l’idée que la Chine est sous attaque et qu’elle doit se défendre. Le nationalisme chinois a des racines très profondes, dues aux crimes commis par les impérialismes occidentaux et japonais dans le passé. Mais une analyse plus attentive de la politique du régime révèle l’hypocrisie de leur position actuelle.

Le PCC a démantelé l’ancien Etat-providence du pays (soins de santé gratuits, logements sociaux bon marché, éducation gratuite) et l’économie bureaucratiquement planifiée qui finançait ces réformes afin de pouvoir mieux embrasser l’économie capitaliste et attirer une quantité massive de capital étranger. 50.000 entreprises américaines opèrent à l’intérieur de la Chine et reçoivent de superbes cadeaux de la part du régime du PCC sous la forme de réductions d’impôts, de subsides pour l’achat de terres, et de main d’oeuvre bon marché. Mais pourquoi donc les travailleurs et paysans de Chine devraient-ils “défendre” cette situation ou toutes les autres politiques capitalistes du régime actuel ?

L’alliance stratégique du régime du PCC avec le capital étranger est représentée par les JO de Pékin. Les Jeux ne sont qu’un grand festival à la gloire des grandes corporations, leur rôle principal étant d’être une source d’immenses profits pour les sponsors, les médias et le secteur de la construction. Ils n’offrent que très peu aux travailleurs, à part une distraction temporaire, en-dehors de la lutte quotidienne pour la survie. Le parcours de la flamme olympique, qui a été transformé par le régime chinois en un symbole de “l’honneur” chinois, a en fait été institué par les JO de Berlin en 1936 en tant que symbole du triomphalisme nazi. Cela n’a absolument rien à voir avec l’internationalisme ou la célébration de relations harmonieuses.

La décision du régime chinois de faire passer la route de la flamme à travers le Tibet (avec l’escalade du Mont Everest), le Xinjiang et Taïwan ne peut pas être décrite comme étant un acte “apolitique”. Un tel étalage est l’apanage de chaque élite au pouvoir, où que ce soit, désireuse de faire voir sa puissance et de dévier l’attention du peuple des véritables enjeux : l’emploi, les bas salaires, la pollution mortelle et l’envolée des prix de la nourriture.

Cette année encore, la moitié de la population mondiale va boycotter les Jeux Olympiques, étant donné que tous ces gens sont trop pauvres que pour s’acheter une télévision ou s’arrêter de travailler. Le Stade National de Pékin, spécialement construit pour l’occasion (le “Nid d’Oiseau”, comme ils l’appellent) a une capacité maximale de 91.000 spectateurs, c’est-à-dire 0,00007% de la population chinoise. Malgré le fait que leur cité soit une des plus riches du pays, la plupart des citoyens de Pékin ne peuvent se permettre un ticket pour le stade, où les meilleurs sièges seront occupés par de riches étrangers et par l’élite chinoise.

Le stade a déjà coûté 3,5 milliards de yuan (350 millions d’euros) pour sa construction. Pendant ce temps, en Chine, 260 millions de personnes, y compris de nombreux Tibétains et autres membres de minorités nationales, n’ont pas accès à l’eau potable. Pékin elle-même doit faire face à de graves coupures d’eau, résultat de la désertification en Chine septentrionale et de l’épuisement de la nappe phréatique. Afin de “résoudre” ce problème pour les trois semaines durant lesquelles la ville sera pleine de journalistes, d’athlètes et de touristes étrangers, la cité de Pékin a été autorisée à drainer les réserves des nappes phréatiques de la province voisine de Hebei, y suscitant des manifestations de la part des industriels et des paysans.

Les JO 2008 ont l’ambition de célébrer cette “Nouvelle Chine”, un acteur-clé dans le processus de mondialisation capitaliste, où le gouffre entre riches et pauvres est maintenant plus extrême qu’en Russie ou en Inde. La Chine compte maintenant 106 milliardaires en dollars, le seul pays à en compter plus étant les Etats-Unis. Cependant, 300 millions de gens vivent encore avec moins d’un dollar par jour (7 yuan), ce qui correspond au seuil de pauvreté absolu défini par la Banque Mondiale. Pour la vaste majorité de la population pauvre de Chine, ce qui est nécessaire, c’est la lutte et l’organisation – pas les discours extravagants glorifiant le nationalisme et les multinationales !

 

L’affrontement des nationalismes

En décrivant toute critique de ses politiques comme étant une “attaque à l’encontre de” et une “tentative de scinder” la Chine, le PCC est temporairement parvenu à mobiliser un soutien public, surtout en provenance de couches des classes moyennes urbaines et de la communauté chinoise vivant à l’étranger.

Cela fait trente ans qu’une telle rhétorique anti-occidentale n’avait plus été utilisée dans les médias chinois, qui depuis des décennies ont tenté de suivre l’exemple voire de copier tout ce qui pouvait “faire occidental”. Même les critiques du régime et certaines parties de la gauche chinoise ont été emportées, dans une certaine mesure, par cette vague nationaliste. Le PCC copie la propagande de Bush et des Républicains américains, qui décrivaient toute opposition aux guerres d’Irak et d’Afghanistan comme étant “anti-américaine” et “pro-terreur”. Les résultats – une fois que les événements se seront développés – peuvent être similaires dans le sens d’une énorme désillusion et d’une colère envers un gouvernement qui ment à son peuple.

Mais cette politique implique aussi d’immenses risques d’escalade du nationalisme chinois et une réaction mondiale sous la forme d’un nationalisme anti-chinois repris en choeur par des politiciens opportunistes. Les médias bourgeois du monde entier claironnent à nouveau la supériorité des “valeurs occidentales” par rapport au “capitalisme autoritaire” asiatique; comme si l’Occident n’exploitait pas et n’était pas basé sur ce capitalisme asiatique. Lors des dernières semaines, les forces de police en-dehors de la Chine ont arrêté presque autant de manifestants pro-Tibet que les forces de sécurité chinoises (bien qu’évidemment, le traitement infligé n’était pas le même). A Londres, la police a arrêté des jeunes juste parce qu’ils portaient un T-shirt “Free Tibet”. Merci la liberté d’expression !

Les commentateurs de droite expliquent que le droits démocratiques sont intrinsèques à la société capitaliste judéo-chrétienne. Mais cela n’a rien à voir ! Historiquement, les Etats capitalistes européens ont assis leur règne dans une grande partie de l’Asie en utilisant exactement les mêmes méthodes que celles employées aujourd’hui par le régime chinois: il n’y a par exemple jamais eu d’élections libres à Hong Kong sous le règne britannique, ni au Tibet qui a été envahi et occupé par les troupes britanniques de 1904 jusqu’à la Seconde Guerre Mondiale. La plupart des pays européens n’ont pas connus le suffrage universel avant la révolution bolchevique de 1917 en Russie (qui a forcé les capitalistes partout dans le monde à instaurer des réformes en profondeur, de peur d’une révolution).

L’Histoire a montré que la seule force capable de garantir des droits démocratiques de base est un mouvement ouvrier organisé. Ces droits sont de plus en plus attaqués par les pays occidentaux, surtout depuis le début de la “guerre contre la terreur”, et ne peuvent être maintenus que par une lutte ouvrière soutenue aboutissant au renversement du capitalisme et à son remplacement par une société socialiste démocratique.

A moins que des mesures ne soient prises pour étouffer la crise olympique, ceci pourrait bien marquer le début d’une nouvelle “Guerre Froide” entre camps capitalistes rivaux. Au sein du camp sanctionné “prochinois” par le régime, comme on l’a vu lors de la grande manifestation à San Francisco le 9 avril, on retrouve tout un assortiment de nationalistes de droite, de fascistes, de partisans du Guomindang et de membres des mafias – qui sont loin d’être des amis de la classe salariée chinoise – et qui tentent d’utiliser cette occasion afin d’étendre leur influence. A cette même manifestation à San Francisco, un vétéran des événements de 1989 à Pékin a été physiquement attaqué et traité de “traître” par des Chinois pro-régimes, parce qu’il portait un T-shirt “n’oubliez pas Tienanmen”. En Australie, des organisations chinoises ont mobilisé pour “défendre” la flamme olympique le 24 avril et ont dû commander des stocks supplémentaires de drapeaux nationaux chinois, l’approvisionnement local étant épuisé.

Le slogan officiel des Jeux Olympiques 2008, “Un monde, un rêve”, n’est plus qu’une vaste blague ! Pendant ce temps, les partisans de l’indépendance au sein du mouvement national tibétain, opposés à la “grande autonomie” mise en avant par le Dalaï Lama, gagnent du terrain au fur et à mesure que la répression s’intensifie.

 

Leçons des manifestations anti-japonaises

Comme l’ont toutefois démontré les manifestations anti-japonaises de 2005, le régime chinois pourrait intervenir afin de disperser les protestations et mettre un terme aux refrains nationalistes sur internet dès que cela commence à poser un problème à son marché d’exportation et aux investissements étrangers.

Dans l’environnement précaire qu’est le monde actuel, les menaces pesant sur l’économie chinoise sont encore plus sérieuses. Aucune grande puissance économique n’est plus dépendante des marchés mondiaux que ne l’est la Chine. Une autre – plus grande encore – menace à laquelle doit faire face le régime chinois est la classe salariée surexploitée qui pourrait saisir cette opportunité pour se mettre en grève afin d’obtenir une hausse salariale et d’autres améliorations de leur niveau de vie aux dépens des capitalistes étrangers qui possèdent un quart de l’industrie chinoise (bien que ces entreprises soient intimement liées avec des capitaux chinois “nationaux”). En avril-mai 2005, 40.000 travailleurs à Dalian et 12.000 à Shenzen ont cessé le travail contre leurs patrons japonais. Parmi leurs revendications se trouvaient le droit d’avoir un syndicat indépendant et, bien qu’ils n’ont pas obtenu satisfaction sur ce point crucial, leur grève leur a assuré d’importantes concessions économiques.

Une campagne est maintenant en cours en Chine pour boycotter les marchandises françaises, à la suite de « l’insulte” commise par les politiciens français (y compris, de manière assez ironique, par le Parti « Communiste » Français qui dirige Paris avec les « Socialistes » et les « Verts »). Cela a été tourné en une attaque contre l’athlète paralympique chinoise, Jin Jing, surnommée “l’ange en chaise roulante” par les médias chinois. Elle est maintenant devenue une star dans le pays après avoir dû repousser un manifestant parisien qui tentait de lui arracher la flamme olympique des mains.

Mais cette campagne de boycott est réactionnaire et en dit long sur la nature des classes sociales qui se font le plus entendre au sein du débat qui fait actuellement rage en Chine. Les neuf-dixièmes de la population chinoise ne peuvent pas se payer de vin français ni des sacs Louis Vuitton ; dans un certain sens, ils sont déjà en train de “boycotter” les produits français. Des activistes sur internet ont également appelé à un boycott national de Carrefour, le plus gros détaillant étranger en Chine. Mais cette campagne – si elle réussit – fera surtout du tort aux 40.000 employés chinois de l’entreprise plutôt qu’à ses patrons français.

Comparons cette prise de position par rapport à l’absence de réaction lorsque 3.000 travailleurs du Sichuan, en juillet de l’an passé, ont entamé une grève particulièrement âpre contre la multinationale du ciment française Lafarge, qui avait décidé une vague massive de licenciements à l’ex-usine nationale de ciment Shuangma, près de Jiangyou. Il n’y eut alors aucun appel de la part des nationalistes à boycotter les produits français. A ce moment-là, un contingent de 2.000 agents de la même police paramilitaire (PAP) qui est aujourd’hui chargée de protéger la flamme olympique et de réprimer les manifestants tibétains a été utilisée pour écraser la grève de deux semaines. Une ouvrière de 25 ans s’est suicidée en guise de protestation contre l’entreprise française et ses nervis de l’Etat chinois. Mais, au contraire des manifestations olympiques actuelles ou des émeutes du Tibet, les protestations au Sichuan n’ont jamais été relayées par les médias étatiques…

 

Tibet – quelle solution ?

Comme les véritables socialistes l’ont toujours averti, le régime chinois utilise les événements au Tibet et maintenant le débat olympique afin de rassembler un soutien populaire en faveur d’une extension des forces de répression pour faire taire toute critique vis-à-vis de sa politique anti-pauvres.

Du point de vue de la propagande, les attaques exercées par les Tibétains sur les civils d’ethnie chinoise Han ou Hui lors des émeutes du 14 mars ont rendu un énorme service au régime. Il y a malheureusement un risque élevé d’explosion de violences interethniques sous un régime qui interdit l’organisation autonome des masses, et surtout de la classe ouvrière. Un proverbe chinois dit : “Tue le poulet pour faire peur au macaque !” Aujourd’hui, on fait un exemple des Tibétains, mais le message “Obéis ou meurs !” vise en particulier l’immense classe ouvrière chinoise.

Il faut se souvenir qu’en mars 1989, Hu Jintao, alors responsable du PCC au Tibet, a organisé un assaut militaire sur le Tibet avec des centaines de morts en conséquence. Trois mois plus tard, les mêmes méthodes étaient utilisées – mais de manière encore plus brutale – contre les travailleurs et les jeunes de Pékin.

La répression au Tibet fait suite à toute une série d’autres protestations de masse qui représentent un défi au pouvoir et à l’autorité du gouvernement chinois. Le massacre de Shanwei, le 6 décembre 2005, dans la province de Guangdong (Canton), est un de ces cas.

Officiellement, trois villageois ont été tués lors d’une manifestation contre la construction d’une centrale électrique hautement polluante. Selon les résidents, ce sont en fait 13 personnes qui ont été tuées, et ils accusent les autorités de cacher les cadavres et de terroriser les villageois afin de couvrir l’affaire. Toutes les victimes de Shanwei étaient des Chinois Han. Ces images n’ont jamais été diffusées à la télévision d’Etat, au contraire des séquences montrant les Tibétains insurgés qui ont été passées et repassées tous les jours pendant plusieurs semaines.

En fait, les événements au Tibet sont le seul cas de trouble politique qui soit montré à la télévision, dans un pays ou, selon les chiffres officiels (!), des émeutes, l’incendie de voitures de flics, et autres actes de violence, se produisent sur une base quasi-hebdomadaire. Par exemple, sept manifestants et un policier auraient apparemment perdu la vie lors des manifestations anti-pollution de mars dans le Fujiuan. Bien entendu, toute information sur ces événements (au cours desquels aucun Tibétain ne prit part) a été totalement censurée.

Les mouvements de protestation réclamant plus de droits religieux et politiques au Tibet, sont à l’image de ceux qui se sont produits au cours des dernières semaines dans d’autres régions de l’Ouest de la Chine, et de la province du Xinjiang, à majorité turcophone, qui ont reçu toute la sympathie de nombreux travailleurs et jeunes partout dans le monde. Ceci n’a rien à voir avec la position des classes capitalistes de ces pays, qui ne se soucient pas une seconde du sort des peuples chinois et tibétains, du moment que leurs profits sont en sécurité.

Le gouvernement chinois et les autres nationalistes se défendent en disant que la majorité des gens à l’étranger ne se sont jamais rendu au Tibet, et ne connaissent donc pas la situation sur place. Mais la plupart des 30 millions de gens qui ont manifesté contre la guerre d’Irak en 2003 ne se sont jamais rendus ni aux Etats-Unis ni en Irak, mais sont capables de reconnaître une agression militaire lorsqu’ils en voient une !

Le conflit tibétain est devenu une des premières préoccupations dans la conscience des gens partout dans le monde, aidé en cela par une série de mauvais calculs de la part du régime chinois. Mais ce conflit ne peut être résolu sur une base capitaliste. Quelle que soit la répression exercée par le régime du PCC, ce n’est pas cela qui réconciliera les Tibétains avec les conditions de vie qu’ils connaissent aujourd’hui.

Mais aucune solution n’est à attendre non plus de la part de la direction bourgeoise du mouvement tibétain en exil, ni de la clique de tous les divers groupements des “amis du Tibet”, aux objectifs surtout religieux. Poussés par les mesures de plus en plus brutales exercées par le régime de Pékin, il y a maintenant des signes indiquant que toute une section de la jeunesse tibétaine pourrait se diriger sur la voie du terrorisme individuel. Les marxistes sont contre cette méthode d’action, puisque le seul résultat qu’elle pourrait obtenir serait de donner au régime chinois une nouvelle excuse pour aggraver la répression, tout en rendant plus difficile une lutte commune aux côtés des ouvriers et paysans d’ethnie chinoise Han.

La libération de la dictature et de l’oppression nationale ne peut se faire que par une lutte de masse organisée et contrôlée démocratiquement, basée avant tout sur les forces de la classe ouvrière.

 

L’ennemi, c’est le capitalisme

Les communautés tibétaine et chinoise Han ont vécu en interaction très étroite pendant des siècles. De nombreux foyers tibétains vénèrent Mao Zedong pour le rôle qu’il a joué dans l’abolition du féodalisme et l’amélioration des conditions de vie, même si les méthodes utilisées, qui étaient celles d’une bureaucratie à la main lourde (les seules méthodes disponibles pour une dictature stalinienne) en aliénèrent également plus d’un.

Le conflit actuel, toutefois, n’est pas une simple rediffusion des conflits de 1959 et 1989 (pour plus d’informations, voir notre article sur le Tibet et la Question Nationale ). Le développement du capitalisme au Tibet a aggravé les tensions sociales à l’extrême, la majorité des Tibétains (dont 75% vivent en région rurale) ayant manqué le boom économique de la dernière décennie.

Plutôt que des libertés nationales, linguistiques ou religieuses, bien que ces enjeux aient également leur importance, la raison de la récente insurrection était la colère contre la domination croissante de l’économie tibétaine par des riches Chinois Han ou même Hui, tandis que la plupart des Tibétains sont marginalisés économiquement. “C’est le capitalisme qui est identifié comme étant l’ennemi”, s’est exclamé Pankaj Mishra dans le Guardian Weekly (28 mars 2008), l’un des rares rapports occidentaux qui ne soit pas complètement à côté de la plaque.

Les marxistes défendent le droit des Tibétains à décider de leur propre futur, jusqu’à et y compris le droit à l’indépendance. Mais il y a une polarisation croissante au Tibet, entre les diverses communautés ethniques et parmi les Tibétains eux-mêmes.

Le régime de Pékin a développé une couche importante de cadres et intellectuels tibétains qui craignent que leur privilèges et positions ne leur soient retirés si le gouvernement du Dalai Lama devait être rétabli à la suite de négociations, et craignent encore plus les masses populaires. Tandis que pour le gouvernement en exil, le “compromis” d’une plus grande autonomie au sein de la Chine, n’est plus considéré comme une “tactique”, mais exprime le désir des anciens maîtres féodaux de se muer en actionnaires capitalistes à la tête d’un nouveau paradis touristique que l’on nommerait “Shangri La”, financé par de grosses injections de capital en provenance de Pékin. Fait peu connu de la plupart des commentateurs capitalistes étrangers, il y a en fait deux élites bourgeoises tibétaines rivales, une interne et une externe, celle basée à Lhassa étant encore plus hostile à un accord avec le Dalai Lama que les dirigeants du PCC à Beijing.

La classe ouvrière en Chine, au Tibet et dans le reste du monde doit dans cette dispute adopter une position indépendante de tous les camps nationaux bourgeois – s’opposant clairement au racisme et au chauvinisme national, maintenant une position en faveur de l’unité de la classe ouvrière et de l’internationalisme. Concrètement, les masses au Tibet ont besoin de lier leur lutte pour des droits démocratiques de base, pour la fin de la répression étatique et pour un contrôle démocratique sur l’économie à la lutte de la classe ouvrière et de la paysannerie qui se développe à travers toute la Chine. Ce mouvement doit se battre pour :

 

  • La fin du régime du parti unique et de la répression étatique.
  • La liberté d’association, d’expression et de religion.
  • Le droit d’organisation en syndicats et associations paysannes indépendants, et en partis politiques, répondant également à la nécessité d’un parti ouvrier combatif.
  • La fin des privatisations et des attaques néolibérales. Nationalisation de toutes les principales entreprises – qu’elles appartiennent à des étrangers ou à des Chinois – sous le contrôle et la gestion démocratique des travailleurs. Pour un véritable plan de production socialiste basé sur les comités d’usine, les associations rurales et autres organes populaires à direction élue. La fin du privilège des cadres de l’Etat.
  • Le droit à l’autodétermination du peuple tibétain et de toutes les autres minorités, tout en reconnaissant que le capitalisme et l’oppression nationale (l’impérialisme) ne peuvent être vaincues que par une lutte socialiste internationale, ayant pour but l’établissement d’une fédération socialiste démocratique et sur une base volontaire regroupant les peuples chinois et des autres nations asiatiques, en tant que membre d’une fédération socialiste mondiale.

 

Article par VINCENT KOLO

Auteur

Laisser un commentaire