L’Islande, qui passait jusqu’il y a peu pour un « tigre polaire », a nationalisé ses banques. Le Royaume-Uni, qui faisait figure de pointe avancée du néolibéralisme en Europe, l’avait précédée en nationalisant la banque Northern Rock. Les USA ont « mis sous tutelle » (le mot nationalisation y est encore un gros mot) Fannie Mae et Freddie Mac en y injectant 200 milliards de dollars d’argent public. Et on pourrait multiplier les exemples. La crise financière aurait-elle dessillé les yeux de nos dirigeants ? Se sont-ils soudain convertis au socialisme ?
Le Rédacteur en Chef de La Libre Belgique, Michel Konen, y répond de façon limpide dans son édito du 13 octobre intitulé « Collectif, pas collectiviste ». Il tente d’illustrer son propos par une métaphore qui se veut édifiante :
« L’économie est comme un réseau routier sur lequel circulent les voitures. Le capitalisme laisse les véhicules se débrouiller seuls : que les camions écrasent les autos puisqu’ils sont les plus gros. Le libéralisme consiste à réguler le réseau en inventant le code de la route, par exemple. Ce qui n’empêche pas les accidents (les crises) mais n’empêche pas non plus chacun d’aller où il l’entend au volant de son véhicule. Le socialisme veut mettre un chauffeur dans chaque automobile quand il ne veut pas obliger les citoyens à n’utiliser que le car collectif. Le communisme, lui, vous impose l’heure et le lieu de départ tout comme le lieu d’arrivée.
La crise actuelle doit créer un code de la route collectif, pas une appropriation collective des moyens financiers. L’intervention des Etats ne doit être que provisoire et circonstancielle. Sous peine de voir régresser les libertés ! »
Nationalisation n’équivaut pas à socialisme
Michel Konen trouve inacceptable l’appropriation collective des moyens financiers mais ne trouve rien à redire à leur appropriation privée à l’aide de moyens publics. Faut-il rappeler que, même à l’époque désormais révolue du néolibéralisme triomphant, l’Etat a financé les innombrables plans de restructuration des entreprises avec l’argent des contribuables et des cotisants à la Sécu ?
L’argent des contribuables et des cotisants a donc servi à restaurer la rentabilité des entreprises au détriment de l’emploi et des salaires. La baisse de pouvoir d’achat qui en a résulté a provoqué une crise de surproduction qui a incité les capitalistes à investir leurs profits dans la spéculation, à l’origine de la crise actuelle. Maintenant que les capitalistes sont victimes de leur propre voracité, l’Etat s’endette lourdement pour leur venir en aide. Le surcroît de charge de la dette sera payé par le contribuable, mais les profits futurs des capitalistes ne seront pas redistribués à la collectivité.
Cela s’appelle collectiviser les pertes pour mieux privatiser les profits. Cette méthode a toujours été pratiquée par les capitalistes et leurs valets politiques. En 1920, le gouvernement belge a nationalisé les compagnies de chemin de fer privées qui étaient en faillite. La nouvelle SNCB qui en est issue a alors repris leurs dettes à son compte. Aujourd’hui, on essaye de fourguer au privé les parties rentables de la SNCB, tandis que le coût des infrastructures resterait à charge de l’Etat.
Pour reprendre la métaphore routière chère à Michel Konen, on peut comparer la crise actuelle au ralentissement durable du trafic automobile suite à l’effondrement d’une bretelle d’autoroute à l’heure de pointe. Un accident majeur et meurtrier qui révèle la vulnérabilité des infrastructures routières aux vibrations des poids lourds. Le capitalisme consisterait à les restaurer à la va-vite avec les impôts des automobilistes et des usagers faibles tout en continuant à encourager le transport de marchandises par la route.
Nationaliser au bénéfice de la collectivité
Le MAS défend la nationalisation des secteurs clés de l’économie tels que les banques, les assurances, les grands magasins, les transports, les producteurs et distributeurs d’énergie, les opérateurs de télécommunication et les grandes entreprises en général. Non seulement les entreprises qui sont au bord de la faillite, mais aussi (et surtout) celles qui sont prospères. Il ne s’agit pas pour nous de racheter ces entreprises avec de l’argent public, mais bien de les nationaliser sans rachat ni indemnité. En effet, les travailleurs et leurs familles n’ont pas à racheter le capital de ces sociétés puisqu’il n’est rien d’autre que l’accumulation d’innombrables heures de travail non payées par les capitalistes. Il n’y a pas lieu non plus d’indemniser les grands actionnaires qui se sont déjà largement servis grâce aux dividendes du passé. Bien sûr, il en va tout autrement des travailleurs ou des petits indépendants qui ont acheté quelques actions avec leur salaire, et dont les dividendes constituent un revenu de complément. Ceux-ci doivent être indemnisés à hauteur de leur investissement. Il ne s’agit donc pas de spolier qui que ce soit des fruits de son travail. Les socialistes révolutionnaires ont le plus grand respect pour la propriété qui a été acquise par le travail. En revanche, la propriété qui a été acquise par l’exploitation du travail des autres doit revenir à la collectivité.
La collectivisation des moyens de production n’est pas seulement une question de justice sociale. C’est aussi une nécessité pour mettre fin à l’anarchie capitaliste que la crise actuelle met cruellement en relief. La planification démocratique de l’économie par et pour ceux qui la font fonctionner en tant que producteurs et/ou consommateurs de biens et de services est la seule façon de sortir de cette crise par le haut. Pour qu’il en soit ainsi, il faut que les entreprises nationalisées soient placées sous le contrôle des travailleurs et de leurs familles. Certains objecteront qu’ils n’ont pas les compétences techniques pour diriger une entreprise. Mais les capitalistes n’en ont pas davantage ! C’est pourquoi ils engagent des ingénieurs pour régler les questions techniques. Sous le socialisme, les ingénieurs changeront simplement de maître : ils agiront désormais sous le contrôle des travailleurs qui prendront démocratiquement les orientations fondamentales en matière de production sur base de leurs besoins réels. Grâce à la planification démocratique, il sera possible d’en finir avec les absurdes crises de surproduction du capitalisme. Elle fera en sorte qu’on produise en fonction des besoins vitaux de la population. Pour qu’un tel système soit viable à long terme, il faut qu’il s’étende à l’échelle mondiale. Mais si un premier pays s’engageait sur cette voie, ça donnerait une impulsion énorme au mouvement ouvrier des autres pays pour imposer les mêmes mesures. Il sera alors possible de jeter les bases d’une mondialisation socialiste de l’économie qui verra l’humanité passer à un stade supérieur de son développement.
Article par THIERRY PIERRET