Il y a un peu moins de 20 ans que le Mur de Berlin est tombé et que l’URSS s’est écroulée. Si quelqu’un avait alors décrit la situation dans laquelle se trouve le monde aujourd’hui, cela aurait été pris au mieux pour un mauvais scénario de roman d’anticipation, au pire pour le fantasme de vieux partisans aigris du stalinisme. Et pourtant, bien loin de l’euphorie et des illusions qui ont suivi la période 1989-1991, le monde actuel est un cauchemar pour la majorité de ses habitants.
Près de 1 milliard de personnes souffrent de faim de par le monde. 2,6 milliards de personnes vivent avec moins de 2 dollars par jour. Aux Etats-Unis, dans l’antre du capitalisme, des centaines de milliers de gens se retrouvent expulsés de leur logement et jetés à la rue par la crise immobilière. Un peu partout, des millions d’autres se retrouvent, la peur au ventre, à craindre pour leur emploi. Au vu des changements climatiques qui s’annoncent pour les prochaines décennies, des centaines de millions de gens risquent de se retrouver chassés de chez eux par la progression de la sécheresse ou la montée des eaux.
Pourtant, les forces productives et les richesses créées ont atteint, à l’échelle internationale, un tel degré de développement qu’elles permettraient, si elles étaient utilisées rationnellement, de régler l’ensemble de ces problèmes. Il n’est donc pas étonnant qu’en ces temps de crise et d’inquiétude, de plus en plus de gens se remettent à chercher une alternative à ce système en folie.
Karl Marx, le retour
Au cours de ces vingt dernières années, Marx était tombé en désuétude, et avec lui les idéaux du socialisme.
Il n’est plus resté beaucoup de courageux à résister aux sirènes du marché « libre » et aux sarcasmes de tous les avocats – partisans de longue date ou convertis récents – du capitalisme « démocratique ». Et pourtant, maintenant, ce bon vieux Karl opère un come back particulièrement remarqué. La concentration du capital en un nombre toujours plus réduit de mains ? Marx l’avait annoncée. L’inévitabilité des crises dans le système capitaliste ? Les capitalistes arrogants du monde entier en riaient hier encore… mais beaucoup moins aujourd’hui. Et quand Marx affirmait à propos des élections: « On autorise les opprimés à décider périodiquement, pour un certain nombre d’années, quel sera, parmi les représentants de la classe des oppresseurs, celui qui les représentera et les foulera aux pieds au Parlement », nombreux sont ceux qui pensent que Marx leur a pris les mots de la bouche.
Mais, pour la grande majorité, le projet d’une société socialiste reste discrédité par les monstruosités commises sous Staline ou Mao. Or, ce qui s’est effondré à l’Est n’était en rien le socialisme, ce n’en était qu’une caricature bureaucratique, totalitaire et sanglante. Le nouveau régime qui a vu le jour après la Révolution d’Octobre ’17 a souffert de l’arriération du pays, des destructions terribles apportées par la guerre de 14-18 puis par la guerre civile, de l’isolement de la révolution en Europe. C’est sur ces bases matérielles dramatiquement difficiles que s’est effondrée la toute jeune démocratie des Conseils de travailleurs (soviets) et que c’est élevée une bureaucratie toute-puissante qui a fini par confisquer tout le pouvoir.
Dans le monde d’aujourd’hui, les travailleurs sont beaucoup plus nombreux et plus instruits que dans l’URSS des années ‘20. L’informatique, internet et les mass media permettent de faire circuler les informations, de nourrir les débats et de prendre des décisions collectives de manière mille fois plus rapide et plus démocratique qu’il y a un siècle, limitant ainsi énormément le risque de bureaucratisation.
Mais à quoi alors pourrait ressembler cette future société socialiste ? Marx a en fait passé beaucoup plus de temps à décrire le capitalisme que la future société. Comme l’expliquait Lénine dans l’Etat et la révolution : “On ne trouve pas chez Marx l’ombre d’une tentative d’inventer des utopies, d’échafauder de vaines conjectures sur ce que l’on ne peut pas savoir.”
Marx insistait sur le fait que la nouvelle société socialiste ne pourrait émerger que des contradictions propres au capitalisme et qu’elle dépendrait des conditions économiques, sociales et politiques du moment. Nous ne pouvons donc pas exactement prédire de quelle façon une nouvelle société socialiste se développera dans la mesure où elle sera le résultat d’un mouvement de masse de la grande majorité de la population. On peut néanmoins en donner quelques grandes lignes.
Quel socialisme aujourd’hui ?
Le développement de l’humanité est un processus en évolution constante. Même si beaucoup de gens acceptent aujourd’hui l’idée que le capitalisme constitue l’aboutissement du développement de l’humanité, cette idée n’a rien de scientifique. L’Homme a connu les sociétés primitives de chasseurs-cueilleurs, l’esclavagisme, le féodalisme et le capitalisme. Passer d’un mode de production et d’un type de société à un autre ne s’est pas fait par hasard. Ce sont les contradictions internes à ces systèmes qui ont été à l’œuvre pour donner naissance à quelque chose de neuf.
Ainsi, le féodalisme était basé sur la contradiction entre les paysans réduits au servage et les seigneurs féodaux. Mais une nouvelle classe sociale a progressivement émergé, la bourgeoisie, qui un moment a pris le pouvoir avec l’aide de la masse des opprimés pour établir son propre système. Mais celui-ci n’a pas plus éliminé la misère que l’exploitation. Bien que le capitalisme soit une forme plus subtile et moderne d’exploitation que l’esclavage ou le féodalisme, au fur et à mesure que les contradictions de la société capitaliste s’aiguisent, la situation empire, s’aggrave et s’emballe comme une machine meurtrière hors de contrôle.
Le capitalisme a donné naissance à une nouvelle classe de travailleurs salariés – qui a vu le jour dans les fabriques du 19e siècle et qui aujourd’hui fait tourner les usines, les bureaux, les administrations partout dans le monde. Cette classe a une place dans le processus de production que jamais les autres exploités n’ont eu avant elle : elle n’est plus isolée sur une multitude de lopins de terre mais concentrée dans de grandes entreprises, elle a acquis une organisation et une conscience collectives dans la production et dans la lutte, elle n’a plus besoin de propriétaires extérieurs parce qu’elle peut faire tourner la production par elle-même.
La classe des travailleurs salariés est donc capable d’exproprier un patronat parasitaire et de bâtir une société mille fois plus démocratique que le capitalisme parlementaire. Une société où toutes les décisions (économiques et politiques) pourront être prises, de bas en haut, par des assemblées et des délégués démocratiquement élus et contrôlés. Une société où l’économie pourra être démocratiquement planifiée – à l’opposé du chaos du marché « libre » – et basée sur la satisfaction des besoins de tous – et pas sur ceux d’une minorité de parasites qui transforme le travail du plus grand nombre en capital et en profit pour une infime minorité.
La marche en avant de l’humanité, internationalement, passe par la prise du pouvoir par les travailleurs. Il n’existe pas d’autre classe sociale ni d’autre moyen capable de briser la résistance des capitalistes. Penser que les riches accepteront de gaieté de cœur et sans résister de céder leurs richesses et leurs privilèges est une illusion dangereuse : personne ne peut arracher les dents d’un tigre éveillé. Cela ne signifie pas qu’une révolution socialiste soit possible dans l’immédiat, mais qu’elle est indispensable et qu’elle constitue la seule voie pour sortir de l’impasse actuelle sans sombrer dans la barbarie.
Ce qui est certain par contre, c’est que les chocs brutaux qui se produisent actuellement dans l’économie, qui est la base fondamentale de la société, vont avoir un impact important sur la conscience des travailleurs. « L’évolution des masses (…) est déterminée par l’évolution des rapports dans lesquels vivent ces masses. », comme le disait Engels. Aux révolutionnaires socialistes de faire en sorte que le niveau de conscience des travailleurs se développe dans une perspective socialiste.
Article par JEAN PELTIER et NICOLAS CROES