L’avenir à gauche appartient-il encore aux PS ?

Le Journal du Mardi est revenu à plusieurs reprises ces derniers mois sur le thème “Les PS en crise peuvent-ils être sauvés?”. L’actualité de ces dernières semaines amène à poser aussi la question à l’envers “La crise sauvera-t-elle les PS? “. Car l’explosion – sans précédent depuis 1929 – d’une crise boursière et financière qui aura des répercussions énormes sur l’économie mondiale mais aussi sur la vie de tout un chacun pourrait aussi avoir des effets politiques tout aussi détonants.

Le premier de ces effets, le plus visible déjà aujourd’hui, c’est la remise en cause du discours néo-libéral martelé depuis 30 ans. Plus un politicien qui ne réclame aujourd’hui un retour à la régulation du secteur bancaire, plus un journaliste qui n’ironise de manière grinçante sur les méfaits du capitalisme sauvage, de la finance en folie et des privatisations débridées. S’il n’y avait des milliers d’emplois en jeu, on se délecterait du spectacle de ces banquiers qui, pris à la gorge, ravalent leurs grands principes du « tout au marché » et du « moins d’Etat » pour faire la file dans les cabinets ministériels et y quémander une quasi-nationalisation assimilée à une délivrance miraculeuse.

A qui peut profiter un tel effondrement du dogme libéral ? La logique élémentaire voudrait que ce soit à ceux qui, depuis plus d’un siècle se présentent – et ont été très largement vus – comme les défenseurs des travailleurs et des petites gens, c’est-à-dire les Partis Socialistes (1). Mais cette logique vient directement buter sur un obstacle de poids. A savoir que depuis le milieu des années ’80, tous les PS européens se sont adaptés, avec plus ou moins d’enthousiasme ou de résignation selon les cas, à cette politique néo-libérale, voire s’en sont fait les porte-parole enthousiastes, bien au-delà du seul New Labour britannique. Sûrs de la fidélité historique de leur électorat, ils n’ont pas hésité à le « matraquer » au nom de la compétitivité, de la concurrence et e la modernité.

Il n’est jamais inutile de rappeler que le gouvernement « de gauche » (PS mais aussi PC et Verts) de Jospin a privatisé plus que le gouvernement « de droite » de Balladur qui l’avait précédé. Que c’est la coalition du Parti Social-démocrate et des Verts qui, en Allemagne, a instauré les « emplois à 1 euro » (c’est-à-dire l’obligation pour les chômeurs d’accepter des emplois payés seulement 1 euro de plus à l’heure que leur allocation de chômage), une mesure que ces partis ont été les premiers à mettre en œuvre dans les administrations locales et régionales qu’ils contrôlaient. Que les socialistes « de chez nous » ont approuvé, année après année, des cadeaux fiscaux au patronat (dont les fameux « intérêts notionnels » ne sont que le dernier avatar) qui ont vidé les caisses de la sécurité sociale de dizaines de milliards d’euros. Un Belge francophone de moins de 38 ans n’a jamais connu dans sa vie électorale un gouvernement sans le PS… et serait bien en peine de citer une grande réforme sociale positive à mettre à l’actif de celui-ci. Rien d’étonnant donc qu’une partie grandissante de l’électorat populaire des PS se détourne de ces partis pour se réfugier dans l’abstention ou clamer sa colère au travers d’un vote pour des populistes de droite.

 

PS européens : vers un virage à gauche?

Ces dernières semaines, plusieurs dirigeants socialistes européens de premier plan ont saisi l’occasion que leur offre la crise actuelle pour durcir le ton contre le libéralisme « irresponsable » afin de se redonner une certaine virginité politique et de jeter un voile sur leur lourd passif. Mais un « virage à gauche » peut-il offrir aujourd’hui aux PS un moyen de regonfler leur électorat ? Certes, cela s’est vu plusieurs fois par le passé. Ce fut le cas par exemple en France dans les années ’70. Usé par des participations gouvernementales catastrophiques dans la décennie d’après-guerre, déconsidéré à gauche par son opposition à l’indépendance de l’Algérie et son soutien à la calamiteuse guerre contre celle-ci, incapable de s’opposer au rouleau compresseur gaulliste, inexistant pendant Mai’68, ce qui tenait encore lieu de parti socialiste n’avait pu recueillir que 5% pour son candidat aux élections présidentielles de 1969. Deux ans plus tard, Mitterrand réunissait son OPA sur divers courants de la gauche non communiste, reconstruisait un PS à la rhétorique anticapitaliste affirmée et obtenait 49,5% aux présidentielles de 1974 ! Ce fut aussi le cas en Belgique après la guerre lorsque le Parti Ouvrier Belge, dissous en 1940 par son président De Man passé à la collaboration avec le nazisme, se reconstitua en 1945 sous le nom de PSB et récupéra tout son poids social et son crédit électoral en s’appuyant sur un programme de réforme sociale.

Un tel scénario serait-il encore possible aujourd’hui ? Rien n’est jamais impossible mais ce projet risque de buter sur plusieurs obstacles de taille.

Le premier est le changement de la composition sociale et du régime interne des PS. Ouvriers, employés, chômeurs, jeunes,… y sont de plus en plus rares. Un peu partout, ce sont les cadres, du public comme du privé, et les élus – qui sont souvent eux-mêmes issus des classes moyennes supérieures et des sommets de l’administration – qui y jouent le rôle dirigeant. Pour la majorité d’entre eux, l’adaptation au néo-libéralisme n’a pas été un déchirement mais une évidence de classe – en plus d’un choix de carrière fructueux. Certes, ils ne reculeront pas devant un brin de démagogie « de gauche » mais ils ne seront certainement pas pressés de remettre en cause le cœur d’une politique qu’ils mènent sans état d’âme depuis si longtemps.

Ils seront d’autant moins mis sous pression que le changement de composition sociale des PS s’est accompagné d’une réduction drastique de la vie démocratique dans ces partis. Assemblées, congrès et élections des dirigeants nationaux au suffrage universel sont devenus des shows qui plébiscitent à l’américaine les orientations et les personnalités présélectionnées au sein de l’appareil. Les membres qui jadis donnaient le ton dans les débats ont peu à peu cédé le pas aux fidèles que les élus ne mobilisaient plus que pour que les collages d’affiches… avant que ce ne soit les boîtes de pub qui se chargent de campagnes électorales totalement dépolitisées. Contrairement au passé, aucun PS européen n’a connu, au cours des vingt dernières années, d’afflux de nouveaux membres au terme de luttes sociales importantes. Les militants de base de ces luttes ont préféré s’investir dans leur syndicat, dans des associations… ou dans la création de nouvelles formations de gauche.

 

Alternative à gauche

Car c’est là un fait nouveau : l’émergence de nouvelles formations de gauche – aux origines et au développement très divers mais qui toutes sont nées sur ce terreau de la transformation de la social-démocratie en social-libéralisme et de l’écologie contestataire en écolo-libéralisme – bloque en grande partie la possibilité pour les PS de récupérer des secteurs populaires perdus au cours des dernières années sur leur gauche.

Dans de nombreux pays, ces nouvelles formations – partis ou coalitions – ne sont plus des phénomènes marginaux. Elles ont acquis une force militante, une implantation sociale et même un poids électoral qui compte. Le SP hollandais a dépassé les 10% aux dernières élections, Die Linke en Allemagne et Syriza en Grèce sont pointées à 12% dans les sondages, l’Alliance Rouge-Verte au Danemark et le Bloc de Gauche au Portugal présents au parlement depuis une dizaine d’années. La mue de la LCR française en un Nouveau parti Anticapitaliste s’accompagne d’une reconnaissance publique d’Olivier Besancenot comme l’un des opposants politiques les plus populaires à Sarkozy.

Le fait que se développent de telles formations un peu partout en Europe ne signifie pas que celles-ci ont une même orientation – celle-ci va, selon les partis, d’un anti-néolibéralisme modéré à un anticapitalisme proclamé – ni une même stratégie. Ces partis sont traversés de débats politiques réels et leur succès est encore fort instable. Ce succès peut d’ailleurs être le facteur déclenchant d’une véritable crise d’orientation. C’est ce qui s’est produit pour le Parti de la Refondation Communiste. Le PRC est né en 1991 du refus de l’aile gauche de l’ancien Parti Communiste Italien de la social-démocratisation de ce dernier. Le PRC s’est ouvert et renforcé durant les années ’90 jusqu’à apparaître comme le prolongement politique privilégié du mouvement altermondialiste et du mouvement contre la guerre en Irak et devenir « la » référence en matière de nouveau parti de gauche en Europe. Mais, fort du poids politique ainsi acquis, le PRC est entré en 2006 dans le gouvernement de centre-gauche de Prodi. Il a du y avaler, au nom de l’anti-berlusconisme, une longue suite de privatisations, de dégraissage de la fonction publique, de courbettes devant l’OTAN et de concessions en tous genres qui lui ont fait perdre l’essentiel de son soutien populaire et ont provoqué l’an dernier une déroute électorale – le PRC a perdu tous ses parlementaires – dont il aura le plus grand mal à se relever.

Défendue au nom de l’ « efficacité » politique, l’entrée dans des coalitions politiques avec les PS et les Verts fait ainsi peser un lourd danger sur les nouvelles formations larges de gauche. Le SP en Hollande et Die Linke en Allemagne pourraient d’ailleurs en être les prochaines victimes. Mais, contrairement à ce que disent les partisans du « coalitionnisme », un « splendide isolement » menant à la stérilité politique n’est pas l’unique alternative à un « réalisme » qui a déjà coûté cher à divers partis écolos. Un réel ancrage dans les luttes et le mouvement syndical, la capacité de devenir le porte-parole des exploités et des laissés-pour-compte du néolibéralisme et de la crise est au contraire la meilleure garantie d’une efficacité politique durable, qui ne se confond pas à une course permanente au jackpot électoral.

 

Et en Belgique ?

En comparaison avec nos voisins, la Belgique apparaît comme une des exceptions frappantes en Europe. Diverses tentatives ont bien eu lieu ces quinze dernières années mais aucune n’a pu déboucher sur un quelconque résultat significatif et durable. Quelles peuvent être les raisons de cette « exception belge » ?

La plus significative est la force importante qu’a conservé le mouvement syndical dans notre pays. Cette force, même peu employée, a contribué à freiner les ardeurs ultra-libérales (Verhofstadt, quand il était encore « Baby Thatcher », en sait quelque chose). Elle a aussi permis aux syndicats de conserver une certaine force de pression sur les partis qui leur étaient traditionnellement liés (le PS pour la FGTB wallonne, le CD&V pour la CSC flamande) qui, même sérieusement entamée ces dernières années, reste bien plus forte que ce qui existe dans d’autres pays.

D’autre part, l’existence d’Ecolo et du Vlaams Belang comme partis « installés » qui restent vus par des couches importantes comme des forces « contestataires » (chacun dans leur genre !) complique la possible émergence d’un nouveau parti de gauche. Enfin, la faiblesse historique de la gauche radicale en Belgique empêche tant le PC que les petits partis révolutionnaires de jouer le rôle que leurs correspondants ont pu jouer en Italie, en Grèce ou en Allemagne d’une part (pour les partis issus de la mouvance communiste), en Ecosse ou en France d’autre part (pour des partis de filiation trotskiste).

Une leçon importante peut néanmoins être tirée de ces quinze dernières années. Les trois tentatives les plus significatives sont nées à la suite de mouvements sociaux importants (Gauches Unies en ’93 après le Plan Global, la liste Debout de Roberto D’Orazio en 1999 dans la foulée de la lutte des Forges de Clabecq et le Comité pour une Autre Politique en 2006 après le Pacte des Générations). A chaque fois, c’est l’intérêt et la participation de secteurs du mouvement syndical qui a donné une impulsion au lancement de ces projets. C’est aussi l’attentisme et le retrait progressif de ces mêmes secteurs syndicaux qui a scellé l’échec de ces projets, tant sur le plan électoral que sur celui, plus important, d’une véritable implantation locale et sociale.

La Belgique, tout comme le reste de l’Europe, est au bord d’une récession économique qui risque d’être à la fois longue et profonde. Il ne fait aucun doute que celle-ci va pousser le patronat à « restructurer » brutalement nombre de secteurs et à réclamer à nos divers gouvernement de nouveaux cadeaux fiscaux et de nouvelles « réformes » comme la neutralisation de l’indes ou la limitation dans le temps des allocations de chômage. Il est vraisemblable que ces attaques provoqueront des réactions syndicales d’ampleur dont la journée du 6 octobre pourrait n’être qu’un avant-goût. Et il est probable aussi que PS et SP.a auront des difficultés croissantes à rejeter toute la responsabilité de ces mesures sur les libéraux et à faire l’impasse sur leurs propres responsabilités.

Tout cela pourrait pousser des secteurs plus larges de la gauche syndicale à sauter le pas et à poser la question d’un nouveau parti de gauche. La Belgique pourrait ne plus rester longtemps l’ « exception » européenne.

 

 

Article par JEAN PELTIER


(1) Je range sous l’appellation commode « les PS » l’ensemble des partis socialistes, social-démocrates et travaillistes d’Europe parce que, au-delà de particularités nationales réelles, ils ont suivi globalement la même évolution au cours du dernier demi-siècle.

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