Une haute conjoncture sur les marchés boursiers, des profits sans fin, une croissance débridée, la possibilité de rapidement devenir riche, la spéculation boursière, une explosion du nombre de compagnies financières… Tout ceci mêlé à un optimisme téméraire du côté de la classe capitaliste a constitué les caractéristiques des années ‘20 du siècle précédent. Au cours de cette période remplie d’optimisme, il semblait que la victoire définitive sur la pauvreté était à portée de main. C’est à ce moment que le président Hoover est arrivé au pouvoir.
Les économistes et les journalistes qui prévoyaient la fin du cycle de croissance économique étaient traités de pessimistes. Leurs avertissements étaient réfutés ou dénigrés. Durant l’été 1929, les actions avaient encore augmenté de 25%. En juin, l’American Magazine écrivait ainsi que « la situation économique mondiale semble être à la veille d’un grand mouvement de progrès ». A l’automne, quelques jours seulement avant le krach, le professeur Irving Fisher de l’Université de Yale avait déclaré que «les prix des actions sont maintenant montés jusqu’à un point tel qu’on peut le considérer comme un haut niveau permanent».
Le conte de fée capitaliste a brutalement prit fin le vendredi 25 octobre 1929, le vendredi noir. La reprise de contact avec la réalité a été bien douloureuse. Après le grand krach de la bourse est arrivée ensuite la grande dépression qui, avec des hauts et des bas, a duré dix années. Le rétablissement a lui aussi été de très courte durée. A la fin des années ‘30, la recherche de nouveaux débouchés et la concurrence entre les grandes puissances capitalistes s’est conclue par la Seconde Guerre Mondiale.
L’entrée en scène des Etats-Unis comme puissance économique mondiale – une période de contradictions
Les Etats-Unis étaient le pays capitaliste par excellence. Tandis que les USA étaient sortis de la Première Guerre Mondiale avec une position économique renforcée au niveau international, bon nombre de pays européens économiquement forts souffraient encore des graves conséquences financières de cette guerre. Cette situation jouait en faveur des Etats-Unis, car une des conditions pour le développement gigantesque de l’économie et de l’industrie était la présence de capitaux pour être investis dans la production ainsi, naturellement, que sur les marchés boursiers.
Cette période était faite de bons considérables dans la productivité industrielle. Entre 1919 et 1929, aux Etats-Unis, la productivité par travailleur avait bondi de 43%. Par conséquent, les coûts de production par unité chutaient tandis que les profits de la classe capitaliste décollaient, sur base du taux d’exploitation accru de la classe ouvrière (le rapport entre la valeur produite par travailleur et le salaire).
Cependant, toutes les entreprises ne pouvaient pas réaliser les investissements nécessaires pour faire face à une concurrence toujours plus intense, en conséquence de quoi s’est opérée une concentration énorme de capital. Les 200 plus grandes entreprises américaines étaient ainsi aussi grandes que les 299.800 autres, possédaient 69% des richesses du pays et encaissaient 56% des profits. La grande concentration du profit et du capital dans les mains d’une couche relativement restreinte de personnes dans le monde des affaires encourageait les fusions et les rachats d’entreprises mais aussi la spéculation accrue sur les marchés boursiers. En 1929, par exemple, une nouvelle société financière était créée chaque jour.
Les immenses progrès accomplis dans la productivité ainsi que le degré élevé d’investissement de capital étaient surtout phénoménaux dans le secteur industriel. La production de biens de consommations durables en masse (voitures, frigidaires et radios) en a été une conséquence. On ne peut nier qu’au cours de cette période, une part considérable de la classe ouvrière a connu une véritable hausse de son niveau de vie, ou espérait voir son « rêve américain » se concrétiser dans un avenir proche.
Le chômage avait diminué de 4.270.000 personnes en 1921 à un peu plus de 2 millions en 1927. Ces données démontrent cependant bien à quel point le slogan du président Hoover, «une voiture dans chaque garage» était tout de même fortement éloigné de la réalité.
Entre 1922 et 1929, les salaires ont augmenté en moyenne de 1,4% par an. Les actionnaires en revanche ont pu compter sur un accroissement de leur fortune de 16,4% par an. Six millions de familles, soit 42% du total des familles, recevaient moins de 1.000$ par an alors que 5% de la population possédait un tiers de l’ensemble des revenus individuels. Chaque année au cours des années ‘20, environ 25.000 travailleurs décédaient d’un accident de travail tandis que quatre fois plus devenaient handicapés à vie.
La population noire, les immigrés, les chômeurs et les ouvriers agricoles étaient en particulier exclus de cette période de développement économique. L’économiste américain Galbraith (dans son livre « Le krach de 1929 ») a considéré cette « mauvaise répartition du revenu » comme l’un des facteurs de la crise.
Le vendredi noir
Le 25 octobre 1929, le Vendredi Noir, est un point tournant dans le développement de l’économie américaine : en l’espace d’une journée uniquement, 25 milliards de dollars sont partis en fumée.
A la clôture de la bourse le 19 octobre, l’indice du New York Times était descendu de douze points. Les fonds de première classe avaient été gravement touchés et les fonds classiques de spéculation ont plongé à pic. Le dimanche 20, l’actualité boursière s’étalait à la une des journaux. Le New York Times titrait: «Les actions poussées à la baisse par une vague de vente qui inonde le marché».
Le lundi 21 octobre, la quantité d’actions échangée avait atteint un total de 6.091.870, le deuxième plus grand chiffre de toute l’histoire. Le mercredi 23 octobre, 2.600.000 actions ont été échangées dans la dernière heure d’ouverture de la journée seulement, à prix qui diminuaient à grande vitesse. Ce jour-là, l’indice du New York Times a chuté de 415 points à 384, ce qui signifiait que l’entièreté des profits réalisés depuis le mois de juin de la même année avait été perdue. Le jeudi 24 octobre, 12.894.650 actions ont changé de mains, souvent à des prix qui brisaient tous les rêves et les espoirs de leur propriétaire précédent. Selon Galbraith, «à onze heures, la bourse dégénéra en une ruée démente : c’était à qui vendrait en premier. A onze heures et demi, la bourse était livrée à une panique aveugle et impitoyable».
A la fin de l’année 1935, United Founders, une des plus grandes sociétés d’investissement, avait subi au total une perte de 301.385.504 dollars. Les actions de la société étaient passées de leur plus haut point en 1929 – quand elles valaient plus de 75 dollars – à une valeur d’un peu moins de 75 cents. Rien qu’en 1929, 346 banques (d’une valeur totale de 115 millions de dollars) ont fait faillite, ce qui a engendré une réaction de panique en chaîne. Entre 1930 et 1933, cinq mille banques américaines ont fait faillite.
Pour de nombreux actionnaires, l’effondrement de la bourse du 25 octobre était une véritable surprise. Pour la classe dirigeante, les conséquences à long terme s’assimilaient à une bonne grosse gueule de bois après une orgie décadente et extravagante. S’il faut en chercher la cause quelque part, c’est du côté de la vision à court terme du système capitaliste et de ses dirigeants économiques. Les répercussions du krach boursier se sont révélées particulièrement brutales pour les petits actionnaires, mais l’idée selon laquelle tout le monde possédait des actions relève cependant du mythe. Des cent vingt millions d’habitants des Etats-Unis à l’époque, seul un million-et-demi était porteurs d’actions. Six cent mille personnes étaient impliquées dans la spéculation. Par contre, c’est l’immense majorité de la population qui a été le plus gravement touchée.
A la recherche de réponses face à la crise et considérant cette dernière après coup, même les économistes bourgeois ont été forcés de décrire l’activité économique de 1929 comme « malsaine » en affirmant que les bourses avaient perdu tout sens des réalités en 1928 et 1929.
De la stimulation à la spéculation
La spéculation est considérée comme un élément crucial des causes de la crise. On ne peut certainement pas nier que la spéculation et la manipulation des cours ont été des composantes importantes de la hausse des bourses. Au début de l’année 1928, les placements de capitaux sans risques offraient un rendement de 5%, pour 12% dans les dernières semaines de cette même année. Un grand fleuve d’or – selon les termes de Galbraith pour le flux de capitaux en direction des Etats-Unis – a commencé à s’écouler sur Wall Street. Cela a fait en sorte qu’encore plus d’argent a été placé en bourse, notamment via des prolongations (des contrats par lesquels quelqu’un prête de l’argent à un autre pendant un mois, avec des actions en gage).
Les entreprises n’étaient pas en reste en termes de rendement attractif. Mais pour le capital d’une entreprise, avec une rentabilité de 12%, Wall Street se révélait être un placement bien plus lucratif qu’une augmentation de la production. Au lieu d’améliorer la production, les capitalistes se sont limités au financement de la spéculation. D’autres entreprises ont commencé à prêter leurs réserves à Wall Street. Les banques de New York empruntaient aussi énormément à la Réserve Fédérale afin de pouvoir soutenir la superstructure spéculative.
Au cours de l’année 1929, une centaine de fonds du marché financier de New York ont habilement été utilisés afin de manipuler des cours, avec la participation de membres de la bourse ou de collaborateurs de firmes associées. La meilleure assurance pour les prolongations résidait dans les perspectives boursières: puisque les valeurs des actions restaient élevées et le devenaient de plus en plus et puisque si elles continuaient à grimper, c’était que leurs perspectives justifiaient leur valeur, il n’y avait alors pas lieu de perdre son temps à s’inquiéter pour les emprunts qui s’empilaient les uns sur les autres. C’était donc du maintien du taux des cours qu’une grande partie de ces emprunts tiraient leur raison de vivre.
Les perspectives des développements à venir étaient donc primordiales. En septembre 1929, le New York Times a publié une réclame qui annonçait l’arrivée fort attendue de la télévision. Cette réclame indiquait que les possibilités commerciales de ce nouvel art allaient augmenter le potentiel des représentations. Mais le New York Times se trompait cependant dans ses perspectives en affirmant que les postes de télévision allaient apparaître dans les foyers en automne de cette année-là.
Les développements sous-jacents
Pendant une certaine période, mais qui n’est pas illimitée, le développement des bourses peut être découplé des développements fondamentaux dans l’économie réelle (la production industrielle). C’était le cas aux Etats-Unis dans les années ’28 et ’29. Mais, avec retardement, les développements de l’économie réelle vont toujours avoir leur écho dans les bourses.
Il est important de bien comprendre que la cause et la conséquence de la vie économique vont vers la bourse des valeurs et non pas l’inverse. Un cycle conjoncturel s’est terminé en 1929. Les chiffres de croissance ralentissaient et l’économie se dirigeait vers une période de stagnation ou de récession.
Les premiers signaux d’un ralentissement de l’économie se sont fait sentir dans la sidérurgie, en baisse déjà en juin 1929. La construction, toujours un baromètre très sensible pour la conjoncture, était en déclin déjà quelques années et le secteur continuait sa courbe descendante en 1929.
Il n’y a pas de capitalisme sans crises
La crise économique est propre au système capitaliste. Dans le cadre de la production capitaliste, il est impossible d’harmoniser l’augmentation de la productivité avec une croissance de la consommation en une croissance permanente. Le capitalisme est basé sur la concurrence et la maximalisation du profit. Pour pouvoir survivre dans le jungle capitaliste, le capitaliste est obligé de produire le meilleur marché possible. Il est en compétition permanente avec d’autres capitalistes pour pouvoir maintenir sa part de marché.
Dans le maintien de la position concurrentielle, la productivité et la hauteur des salaires sont deux éléments cruciaux. Dans la logique du capitalisme, il faut produire toujours davantage dans le moins de temps possible. De cette façon, les coûts salariaux par unité de production baissent et, de ce fait, la marge de profit par unité de production augmente. Le maintien du profit est compromis de façon permanente, entre autres par la nécessité d’acheter de nouvelles machines puisque la technologie est nécessaire afin d’augmenter la productivité. La mesure dans laquelle on peut augmenter la productivité est déterminante pour pouvoir exister sur le « marché libre ». Mais les investissements dans la technologie pour faire baisser le coût par unité de production diminuent la part de profit du capitaliste. Donc, la seule manière de maintenir ou d’élever le taux de profit est d’augmenter l’exploitation de la classe ouvrière, notamment en diminuant les salaires.
C’est pourquoi il existe entre la classe capitaliste et la classe ouvrière une lutte permanente pour la répartition de la richesse produite. Cette lutte est parfois masquée, parfois très visible. Ces contradictions ne peuvent pas être résolues à l’intérieur du système capitaliste et sont la cause de la surproduction, de la sous-exploitation de la capacité de production, des crises et même des guerres. Ces contractions ont conduit Marx à la constatation que les capitalistes creusent leur propre tombe.
Quand la productivité augmente, toujours plus de marchandises arrivent sur le marché. La classe ouvrière n’est jamais en état d’acheter toutes les marchandises qu’elle produit, puisque son pouvoir d’achat est limité. Le « marché » des capitalistes se restreint, les marchandises ne sont plus vendues avec en conséquence surproduction, sous-exploitation de la capacité de production et croissance du chômage.
Selon les marxistes, c’est en essence la cause de toutes les crises capitalistes. Galbraith confirme également que c’est une cause importante de la crise de 1929. Il explique ainsi que si les statistiques économiques ont commencé à descendre en 1929, c’est que: «la cause la plus probable pour cela est que les firmes se sont trompées dans leurs perspectives sur l’augmentation de la demande et sont restés avec des stocks plus grands sur les bras.»
En plus “[…] l’étalement des revenus très inégale” signifiait que “la conjoncture dépendait d’un haut taux d’investissement ou d’un haut niveau de dépenses de consommation pour le luxe, ou encore une combinaison des deux.»
La crise aux Etats-Unis devient une crise économique mondiale
La situation spécifique qui a suivi la Première Guerre Mondiale a conduit à une situation où la balance commerciale des Etats-Unis était constamment positive sur une période de 10 ans. Dans la période comprise entre 1918 et 1928, il y avait constamment plus d’exportation que d’importation. Les Etats-Unis de cette façon devenus le plus grand créancier du monde.
En 1929, le surplus sur la balance commerciale était de 1 milliard de dollars. Ce n’est pas une somme gigantesque, mais c’était déjà tout de même quasiment trois fois autant qu’en 1923. Pour maintenir cette balance positive, les Etats-Unis devaient assurer que la croissance de l’exportation ne s’arrête pas. Ils avaient ainsi un intérêt économique propre dans le maintien d’une économie performante chez eux et d’une atmosphère favorable à l’achat dans les autres pays.
Les autres pays – qui achetaient plus que ce qu’ils vendaient et qui devaient payer des intérêts sur leurs dettes – devaient trouver quelque part les moyens de faire l’appoint de la différence dans leurs transactions avec les Etats-Unis. Pendant la grande partie de la période d’après-guerre, la différence était couverte avec des payements en or aux Etats-Unis. De leur côté, les Etats-Unis accordaient des emprunts aux autres pays que payaient leurs factures en devises américaines. Ils achetaient ainsi une influence politique et économique dans d’autres régions tout en maintenant leur propre exportation. La plupart des emprunts étaient passés avec l’Allemagne et l’Amérique Centrale et du Sud. L’Etat allemand empruntait de l’argent aux Etats-Unis pour pouvoir payer les coûts de reconstruction à la France, qui utilisait cet argent alors pour rembourser leur dette envers les USA et la Grande-Bretagne contractée durant la guerre.
Cette situation ne pouvait pas continuer indéfiniment. A un certain moment, les pays qui avaient une balance commerciale négative avec les Etats-Unis n’étaient plus capables de couvrir leurs dettes avec des payements toujours plus grands en or. Cela signifiait qu’ils devaient augmenter leur exportation vers les Etats-Unis ou bien limiter leur importation des Etats-Unis, ou encore faire défaut vis-à-vis des emprunts contractés précédemment.
Pour éviter cette première option, le président Hoover a alors décidé d’augmenter les droits d’importation pour les produits étrangers, mais cela a mis en route un cercle vicieux. Pour les autre pays, il devenait encore plus dur d’exporter vers les Etats-Unis pour ainsi balancer leur balance commerciale avec les Etats-Unis et donc pour pouvoir payer leurs dettes. Des réactions en retour ont évidemment eu lieu, et l’exportation des Etats-Unis a même commencé à baisser, ce qui était un coup dur surtout pour les paysans américains.
Avec l’interdépendance de l’économie, la crise ne pouvait pas se limiter aux seuls Etats-Unis. Comme une maladie infectieuse, la crise ne connaissait pas de frontière et a touché les économies des autres pays, qui ont à leur entraîné d’autres pays dans la crise.
Le commerce mondial s’est effondré jusqu’à seulement un tiers de ce qu’il représentait avant. En Allemagne, la production industrielle a reculé de 40% entre 1929 et 1933 ; seuls 35% de la capacité de production étaient encore exploités. La perte de profit pour la classe dirigeante a atteint des proportions jamais vue jusque là. En 1932, les profits n’étaient plus qu’à 7% du niveau de 1928. En Allemagne, les profits ont rétréci de 315 millions de marks en 1929 à 73 millions de marks en 1933 (23%).
Trop peu pour vivre, trop pour mourir
Evidemment, les conséquences en termes d’emploi et de niveau de vie de la classe ouvrière ont été lourdes. Au milieu des années ’30, le niveau de salaire aux Etats-Unis n’était plus qu’à 40% du niveau de 1925. Uniquement dans ce pays, le chômage a grimpé à un rythme frénétique jusqu’à 14 millions de personnes en 1933 (pour 1 million en 1929 et 4 millions en 1930), soit approximativement un quart du nombre total de travailleurs. La confiance dans le « marché libre » et l’optimisme pour l’avenir suivaient la même pente que la valeur des actions en bourse, à la même vitesse. Pour parler de la bourse, on utilisait régulièrement le terme de « maison de jeu ».
En Allemagne, 33,6% de la population active travaillait encore à temps plein. La moitié des chômeurs n’avaient pas d’allocation de chômage. La perte moyenne de salaire était de 26%. En 1929, les salaires des ouvriers, des employés et des fonctionnaires représentaient 44,5 milliards de marks, il n’en restait plus que 12,4 milliards au premier semestre 1933.
Les absurdités du capitalisme
L’installation des “cuisines populaires” pour la population pauvre est devenue un phénomène quotidien aux Etats-Unis. En même temps, au Brésil, 10 millions de sacs de café étaient jetés en mer, une quantité qui représentait rien de moins que le besoin annuel de café au niveau mondial. Il était plus rentable de détruire le café que de le transporter et de l’offrir à une population trop pauvre pour se le payer. De la même manière, aux Etats-Unis, un tiers de la récolte annuelle de coton a été détruite en 1933.
Dans le roman Les Raisins de la Colère, John Steinbeck décrit cette situation:
« Et dans le sud il voyait [l’homme pauvre et affamé] les oranges d’or dans les arbres, les petits oranges d’or dans les arbres vert foncé ; et les gardiens avec des armes qui assurent que cet homme n’a certainement pas une chance de, peut-être, cueillir une orange pour son maigre enfant. Des oranges qui sont détruites si le prix est trop bas… ». Ces gens devenaient « dangereux », écrivait Steinbeck. L’esprit de rébellion commençait à croître.
Le crash de 1929 et le rythme rapide de baisse du niveau de vie a au début eu un effet paralysant sur la classe ouvrière. Elle a eu besoin de presqu’un an pour digérer le choc des changements soudains et pour se réorienter. La réaction qui a suivi a été d’autant plus dure et est entrée dans l’histoire comme la période de lutte de classe la plus intense de l’histoire industrielle des Etats-Unis.
La classe ouvrière fait entendre sa voix
En juin 1934, à San Francisco, une grève générale a été déclenchée, couronnée de victoire après quatre jours. 130.000 travailleurs ont paralysé la ville et des dizaines de milliers ont participé à un cortège funèbre en l’honneur de deux travailleurs tués par la police au cours de cette grève générale.
En 1934, 1,5 million de travailleurs ont en tout participé à des grèves dans l’industrie automobile, dans les ports, etc. Le Los Angeles Times parlait d’une « révolte communiste » qui devait être stoppée par n’importe quel moyen. 4.500 soldats de la Garde Nationale ont été appelés pour venir écraser une grève portuaire avec infanterie, mitrailleuses, artillerie et blindés.
Malgré l’intimidation et la forte répression, le mouvement de grève s’est répandu comme une trainée de poudre. A l’été 1934, les Teamsters, des routiers, ont fait grève à Minneapolis. L’historien américain Howard Zinn donne une image vivante de la force de ces Teamsters.
“[…] la grève était soutenue par d’autres travailleurs. Rapidement, les seules choses qui bougeaient encore en ville étaient les camions qui, avec le permis des grévistes, amenaient du lait et du charbon chez les gens. Les paysans pouvaient entrer en ville et vendre leurs marchandises directement aux citadins.”
Après un mois, les patrons ont dû accepter les revendications des Teamsters. Une caractéristique remarquable de cette période a été l’émergence de rudiments de contrôle ouvrier dans les mouvements de grève. Une autre caractéristique a été la solidarité incroyable et le haut degré d’auto-organisation de la classe ouvrière. Fin 1932 existaient 330 organisations d’entre-aide avec plus de 300.000 membres. Partout, des comités ont été mis sur pied pour arrêter les expulsions forcés. Howard Zinn donne peut-être l’exemple le plus extrême de solidarité et d’entre-aide dans son livre “Histoire populaire des Etats-Unis”. En Pennsylvanie, des équipes de mineurs au chômage creusaient des petites mines sur le territoire de l’entreprise de charbon. Ils transportaient le charbon ainsi récupéré vers les villes et ils le vendaient au dessous du prix du marché. Cinq millions de tonnes de charbon « noir » ont ainsi été produites vers 1934. 20.000 travailleurs et 4.000 camions ont été nécessaires pour le faire et lorsqu’une demande était faite pour poursuivre ces personnes en justice, les juges locaux refusaient tout simplement de le faire, tout comme les gardiens de prison refusaient de les emprisonner.
A l’automne 1934, le plus grand mouvement de grève a pris place quand 345.000 travailleurs du textile ont paralysé l’industrie dans le sud. Là encore, l’état a brutalement réagit: sept travailleurs ont été tués aux piquets et 20 autres ont gravement été blessés. En réaction, partout ont explosé la rage et la haine. En septembre, le nombre de grévistes dans le textile avait grimpé jusqu’à 421.000.
Le New York Times dressait le portrait suivant : “ […] La grande instigation venait de la base. Le grand danger dans cette situation est qu’elle peut dégénérer à un point où les dirigeants n’ont plus les choses en main. »
Une radicalisation vers la gauche s’opérait dans le mouvement syndical. En 1935, le Congress of Industrial Unions (CIO) a été fondé et organisait les travailleurs sur base de secteurs aux côtés de l’American Federatation of Labour (AFL). Le CIO organisait aussi des travailleurs noirs, à basse ou sans qualification. Cela contrecarrait la tendance à recourir aux travailleurs noirs comme briseurs de grève. Les membres du Parti Communiste ont joué un rôle important dans la fondation du syndicat industriel CIO. Cette phase de lutte de classe accrue a continué jusqu’à 1937-1938.
Radicalisation politique
La radicalisation a même trouvé un reflet dans le Parti Démocrate. En 1928, Huey Long, membre du Parti Démocrate, a remporté les élections en Louisiane et a introduis notamment la gratuité des livres scolaires et l’augmentait des impôts pour les entreprises locales. Il parlait la langue de l’homme de la rue, ce qui le rendait très populaire. Selon lui, il n’était pas normal que quand dix personnes participent à un barbecue, une seule mange ce qui était prévu pour les neuf autres. Sa conclusion : obliger cette personne à rendre ce qui ne lui était pas destiné. Avec son campagne « Chaque homme est un roi, mais personne ne porte une couronne », il a même été élu au sénat.
Huey Long n’était pas un révolutionnaire, ni un socialiste. Il n’avait pas en tête d’abolir le système capitaliste mais était partisan de l’introduction d’un seuil pour la propriété privée. Selon lui, ce plafond devait être à peu près égal à 4 ou 5 millions de dollars. En plus, il voulait faire confisquer par l’Etat tous les héritages au dessus de 1 million de dollars. Avec ces mesures, il promettait de garantir un salaire annuel minimum de 2.000 dollars et un système de pension publique et accessible.
Fin 1932, le Parti Démocrate a gagné les élections nationales contre le président Hoover, associé à la crise. Theodore Roosevelt est alors devenu président. Quand Roosevelt a refusé de fixer de tels plafonds de façon légale dans sa politique du New Deal, Huey Longe a mis sur pied en 1934 le « Share our Wealth Society », organisation qui a pu compter sur 8 millions de partisans. Long voulait se présenter comme candidat contre Roosevelt aux élections présidentielles.
Le New Deal
Quand Roosevelt est arrivé au pouvoir, la classe ouvrière avait déjà commencé de prendre son sort dans ses propres mains. Roosevelt est connu pour ses réformes, pour le New Deal. Ces réformes allaient plus loin que celles des gouvernements précédents. Du point de vue de la classe dirigeante, Roosevelt était devant deux tâches importantes. Il devait réorganiser le système capitaliste de façon à sortir de la crise tout en arrêtant la croissance « alarmante » de révoltes spontanées. Le principe du New Deal peut être résumé de façon très brève et correcte comme : « Il est préférable de leur (la classe ouvrière) donner un peu de lait avant qu’ils ne reprennent toute la ferme ».
Fin des années ’30, le révolutionnaire russe Léon Trotski décrivait la fonction de la politique du New Deal comme suivante: “aujourd’hui, il y mondialement deux méthodes pour essayer de sauver le capitalisme qui se gît sur son lit de mort et qui est condamné par l’histoire : le fascisme et le New Deal ».
La crise profonde du système économique a rendu nécessaire une intervention de l’Etat afin d’éviter un effondrement total. Les prix pour les produits agricoles ont été fixés par l’Etat, le système de crédit a été sauvé par des garanties de l’Etat, des salaires minimum ont été instaurés, la longueur de la semaine de travail a été diminuée. Dans les régions et les entreprises où les syndicats étaient puissants, des compromis ont été tentés avec les dirigeants syndicaux.
Entre 1933 et 1939, le gouvernement national a payé la petite somme de 15 milliards de dollars pour les allocations de chômage. D’autres mesures ont permis de faire retomber le chômage de son record de 15 millions à 9 millions. Roosevelt a surtout limiter les dégâts en prescrivant pour son patient très gravement atteint, le capitalisme, des médicaments qui ont prolonger sa vie.
En 1938, la dette de l’Etat était de 38 milliards de dollars, pour 40 milliards en 1939, soit 12 milliards de plus qu’après la Première Guerre Mondiale. Ces données, avec le chômage élevé, illustrent qu’il n’y avait pas de solution durable pour la crise, mais plutôt un report du problème. Les dettes de l’Etat se sont entassées et ont dû être payées à un moment donné – le plus souvent par des augmentations d’impôts et/ou par le démantèlement social sur le dos de la classe ouvrière.
Les Etats-Unis se trouvaient en fait dans une sorte de position de luxe qui a rendu la recette du New Deal possible. Avec la précédente période de croissance, les Etats-Unis disposaient – au contraire de beaucoup d’autres pays – d’énormes réserves financières. Ces réserves ont été utilisées pour affaiblir les conséquences de la crise dans l’espoir qu’une nouvelle période de croissance économique suivrait.
En 1937, Roosevelt a mis en avant l’objectif d’un PNB (produit national brut) de 90 milliard de dollars. C’était en fait un objectif relativement humble. Si tous les moyens de production disponibles, c’est-à-dire l’ensemble des machines, des forces de travail, des matières premières,… avaient été utilisées pour satisfaire les besoins de la population, il aurait été facile de ne pas seulement obtenir cet objectif, mais de le dépasser largement.
Ce sont les contradictions propres au capitalisme qui doivent être vaincues. Pour cela, une cassure consciente avec ce système est nécessaire, pour aller vers une économie socialiste et planifiée de manière démocratique, une économie qui tient compte des besoins de l’humanité et pas de la maximalisation des profits.
Une nouvelle crise économique mondiale
Dans son analyse sur la crise, Galbraith est arrivé à la constatation que les capitalistes avaient tirés plusieurs leçons de la crise. Avec certaines mesures et législations, la bourse serait mieux protégée contre la manipulation des cours ainsi que contre la spéculation. Fondamentalement, la classe capitaliste avait évidemment tout intérêt à laisser exister le principe du marché boursier. Plein de nouvelles règles et de structures de contrôle ont effectivement été installées pour assurer qu’un désastre de l’ampleur de 1929 ne se reproduise plus à l’avenir.
La crise du crédit actuelle démontre de façon lipide que la bête sauvage appelée capitalisme ne peut pas être domptée de cette façon. Le système capitaliste est aujourd’hui seulement au début d’une crise économique profonde à l’échelle mondiale. Depuis la faillite de la banque britannique Northern Rock, le système bancaire international vu sa valeur baisser de plus de 500 milliards de dollars. Quelques économistes renommés parlent d’estimations prudentes selon lesquelles cette somme peut monter jusqu’à 1.000 milliards de dollars. Entretemps, aux Etats-Unis, 10 banques ont déjà sombré en faillite et il y a une liste noire de 170 banques qui se trouvent au bord du gouffre. La faillite des institutions de crédit renommées aux Etats-Unis Fanny Mae et Freddy Mac a aussi conduits les économistes capitalistes les plus optimistes à la constatation que ce n’est que le début de la crise.
Le crédit était le secteur qui a le plus fortement progressé dans l’économie mondial depuis les années ’80. Au début des années ’80 toutes les possessions financières (actions, obligations, emprunts, hypothèques, etc.) et toutes les créances sur les propriétés (terres, entreprises, etc.) égalaient à peu près le produit intérieur brut. A la fin de 2005, cela avait monté jusqu’à 3,5 fois le PIB. En d’autres mots, cela réclament à peu près toute la richesse produite pour les quatre années qui viennent car ces trois dernières années, le secteur financier n’a certainement pas diminué d’importance.
Une partie importante de la croissance économique a été dépendante de l’énorme bulle de savon financière qui a été gonflée par le crédit bon marché. En 1982, les profits du secteur financier aux Etats-Unis constituaient 5% du total pour 41% en 2007. La correction des excès qui vont aller de pair avec ce chiffre vont avoir de lourdes conséquences dans l’économie réelle.
En Belgique aussi, avec les grosses pertes de Fortis et d’autres banques, on voit que la crise ne va pas se limiter à un nombre restreint de pays. En un rien de temps, les gouvernements capitalistes ont libéré des sommes énormes pour « sauver » ou nationaliser ces banques. De cette façon, ils essayent de limiter les effets de ces faillites et d’éviter la panique.
Cela peut changer à court terme. Aux Etats-Unis, deux millions de personnes au moins ont été mises à la porte de chez eux parce qu’ils ne pouvaient plus payer les emprunts toujours plus chers. Aux Etats-Unis et dans la zone euro, les chiffres de croissance pour l’économie réelle sont en recul ou mêmes négatifs. Des spéculations se déroulent sur la possible faillite de General Motors tandis que d’autres grandes entreprises ont annoncé des licenciements de masse. La confiance des consommateurs est minime.
Les Etats-Unis ne se trouvent aujourd’hui plus dans la situation d’une puissance impérialiste montante et incontestée. Les Etats-Unis sont aujourd’hui sans aucun doute les plus puissants sur le plan militaire et économique, mais une des caractéristiques du capitalisme en crise est de renforcer les tensions entre pays capitalistes. En conséquence, la politique économique sera plus agressive, mais nous assisterons encore à une montée des conflits armés.
Les conséquences politiques et sociales seront énormes : plus de misère, de pauvreté et de violence pour les travailleurs et les jeunes partout à travers le monde. Au contraire de la période du New Deal, les réserves ne sont pas là pour adoucir la crise. Au contraire, la dette colossale de la population, de l’Etat et des entreprises vont nous obliger à attendre la fin de cette crise jusqu’au bout. La classe ouvrière va répondre, cette fois ci aussi, en luttant.
Des mouvements révolutionnaires peuvent en découler. Les couches les plus conscientes de la classe ouvrière doivent commencer dès maintenant à construire un instrument politique et organisationnel qui ne lutte pas seulement contre les conséquences de la crise, mais aussi contre sa cause : le capitalisme lui-même.
Article par TANJA NIEMEIER