Suède : La nationalisation de l’industrie automobile est maintenant un vif sujet de débat

Tandis qu’un tsunami de fermetures et de licenciements de masse ébranle la Suède, la décision des deux constructeurs automobiles Ford et General Motors de vendre leurs entreprises suédoises (Volvo et Saab) au plus offrant a choqué les travailleurs, et provoqué un débat soudain sur le besoin de nationaliser l’industrie automobile.

Les acquisitions de Volvo Cars par Ford en 1999 et de Saab en GM en 2000 sont maintenant généralement perçues comme deux catastrophes majeures pour la plus importante des industries manufacturières suédoise. Maintenant, la décision de se débarrasser de leurs compagnies suédoises à l’agonie va être une précondition pour Ford et GM s’ils veulent recevoir l’argent du Congrès ou du gouvernement américain afin de les sortir de leurs propres faillites imminentes.

Les effets combinés de la crise du capitalisme mondial financier, de la surcapacité de l’industrie automobile mondiale et de la crise énergétique et écologique ont produit une crise dramatique de la propriété capitaliste. Puisqu’il ne se trouve pas d’acheteurs intéressés avec la capacité et la volonté d’accomplir les investissements massifs requis pour les producteurs suédois, leur propre survie est maintenant en jeu – y compris celle de la pyramide de sous-traitants qui sont les principaux fournisseurs des gros producteurs de camions que sont AB Volvo et Scania.

Il y a encore quelques semaines, le Rättvisepartiet Socialisterna (RS, Parti de la Résistance Socialiste, CIO-Suède) était la seule organisation demandant la nationalisation de Volvo et Saab de manière explicite. Mais cette revendication a tout d’un coup explosé pour émerger sous la forme d’un débat politique crucial.

Sans une intervention majeure de l’Etat, il est maintenant possible que l’entièreté de l’industrie automobile suédoise disparaisse complètement dans le futur proche. Cela implique 140.000 travailleurs (2% de la population suédoise en âge de travailler), qui ont produit l’an dernier un sixième de la valeur des exportations suédoises. Ceci aurait des conséquences catastrophiques : cela déclencherait une vague de chômage de masse qui provoquerait à son tour une dépression profonde et de longue durée, achevant ainsi ce qui reste de l’ « Etat providence » déjà à l’agonie.

Selon un nouveau sondage ordonné par Sveriges Ingenjörer (Ingénieurs de Suède, le syndicat des ingénieurs), 68% des Suédois seraient en faveur d’un plan d’urgence de nationalisation (« étatisation » en suédois) de Volvo, même si ce doit être une mesure temporaire. Ceci représente néanmoins une hausse soudaine de la conscience quant à la profondeur de la crise capitaliste, aussi bien qu’un virage extrême quant à la manière de considérer la propriété publique.

Rolf Wolff, qui est le chef du Handelshögskolan à Götenborg (une importante université de commerce), a, dans un article paru le 27 novembre dans le journal économique Dagens Industri (Industrie au Quotidien), parlé du fait que les périodes de crise sont aussi des «périodes d’opportunités, des moments pour repenser et penser différemment». Il a poursuivi en disant que «Tandis que les USA, le pays qui a été la machine idéologique qui a lancé le néolibéralisme, avec en tête l’échelle et les valeurs boursières, vont vers la nationalisation des compagnies de prêts hypothécaires, des banques et des compagnies d’assurance pour les sauver, nous autres, en Suède, continuons à refuser de discuter la survie future des plus importantes de nos industries».

Mais le débat a maintenant explosé au cours des dernières semaines. Parmi ceux qui ont aussi défendu la nécessité d’une solution étatique, se trouvent Hans-Olov Olsson, ex-PDG de Volvo Cars, ainsi que Bo Elkman, un autre ancien patron de Volvo, qui suggèrent que le gouvernement devrait racheter Volvo, de même que Saab, pour «une couronne ou deux». Le syndicat des Ingénieurs suédois, l’Unionen (le syndicat des employés) et IF Metall (le syndicat des métallos) clament tous fortement que la fin de l’industrie automobile signifierait la perte définitive d’un savoir-faire industriel crucial pour la Suède. Ils militent également en faveur d’une intervention majeure de la part de l’Etat, y compris d’une phase de propriété étatique au moins temporaire – partielle si des investisseurs capitalistes sont prêts à participer aux côtés du gouvernement – avec une proposition d’organiser un rachat coordonnés par les fonds de pension de l’Etat et des capitalistes suédois.

Selon le Financiel Times, GM et Ford ont demandé des prêts pour leurs entreprises suédoises, afin de rehausser leurs valeurs avant de les vendre. Mais les emprunts d’Etat, de même que le soutien de l’Etat à la recherche et au développement sans propriété ne font qu’améliorer le prix que recevront Ford et GM s’ils parviennent à vendre – sans aucune garantie pour la survie future de l’entreprise et pour les salariés.

Confronté à cette situation, le gouvernement de droite et son Ministre de l’Industrie, Maud Olofsson, ne font pour l’instant que répéter, tels des perroquets, que «Nous (c-à-d, l’Etat) devrions posséder moins d’entreprises», que «L’Etat n’est pas un meilleur propriétaire que l’industrie automobile internationale», et que l’argent des contribuables et des pensionnés ne doit pas être risqué. A la question de savoir ce qu’il arriverait aux contributions et aux pensions si l’industrie automobile devait couler, ils n’ont, bien entendu, aucune réponse.

Rolf Wolff, dans une interview accordé à un journal de Götenborg, a critiqué ce genre d’arguments, ajoutant qu’un prix d’un dollar pourrait bien être assez pour Volvo Cars (le coût serait de devoir accomplir les investissements requis). Dans une polémique contre des professionnels de la finance et des consultants en gestion qui «ont fait des profits énormes en dupant des gouvernements», il affirme que «Si l’Etat peut posséder des banques et des compagnies énergétiques, il peut posséder des entreprises automobiles… Aucune recherche économique n’a jamais obtenu des résultats permettant de prouver que l’Etat serait en soi un mauvais gérant».

 

La campagne du Rättvisepartiet Socialisterna

Les membres de RS ont milité en faveur d’une campagne syndicale massive pour la fin des fermetures et des licenciements, pour des programmes de recherche et d’éducation, pour une semaine de travail plus courte, et pour la nationalisation de l’industrie automobile. Quelques semaines plus tôt, des travailleurs de l’automobile à Götenborg qui venaient de se faire licencier ont obtenu une couverture médiatique nationale au journal télévisé, pour une première petite manifestation de 130 personnes, qui reprenait les mêmes revendications. Maintenant, ils ont obtenu les signatures de centaines de travailleurs de l’automobile.

Le premier choc a aussi donné lieu à plus de manifestations. Il y a quelques semaines, une manifestation forte de 1.000 travailleurs a été organisée par la centrale syndicale métallurgique locale de Volvo Trucks à Umeå, afin de demander l’interdiction de licenciement pour deux ans, des lois visant à une meilleure protection du travail, un jour de travail plus court, etc. Dans un discours à la fin de la manifestation, ceci était relié à la revendication d’une campagne nationale pour considérer la prise en charge des banques et des principales entreprises.

RS se réjouit du fait que la question de la propriété de l’industrie ait été soulevée en tant que point urgent. Il est maintenant nécessaire de militer en faveur d’une mobilisation syndicale massive et nationale afin de défendre les emplois, le bien-être social et la protection de l’environnement – reliée à la nationalisation d’urgence de l’industrie automobile toute entière. Un dollar semble être un prix raisonnable.

Bien sûr, cela ne devrait pas être une mesure temporaire, mais devrait être considéré comme une mesure stratégique sur le long terme afin de non seulement protéger les emplois, mais également d’accomplir la transformation écologique nécessaire de l’ensemble du secteur du transport, en plus de rompre avec le capitalisme.

La transformation nécessaire du secteur des transports ne peut être accomplie sur base des profits capitalistes. Celle-ci requérrait des investissements étatiques massifs dans la production de modèles de voitures non-polluantes, en plus d’un revirement majeur en faveur des systèmes de transport en commun – des trains à grande vitesse qui remplaceront les vols domestiques et continentaux, des lignes de bus confortables et gratuites qui remplaceront l’absurde trafic automobile. Il serait également assez possible d’utiliser les ressources de l’industrie automobile afin de développer l’énergie éolienne et marémotrice, etc.

Pendant leur temps libre et ce, à titre bénévole, plus de cent ingénieurs de Volvo Cars ont déjà développé une centaine de propositions de voitures vertes, dont 13 ont été transférées au département recherche et développement de l’entreprise. Pendant longtemps, il y a eu de vives critiques par rapport à la mauvaise gestion de leur entreprise par les gérants de Ford et de GM, qui ont activement bloqué toute proposition visant à développer des voitures non-polluantes et à consommation minimale. Ces arguments sont parfaits pour montrer la nécessité d’accomplir la nationalisation sous le contrôle des travailleurs, en cogestion avec un futur gouvernement socialiste.

RS/Offensiv se réjouit de la remise en question de la propriété des banques et de l’industrie automobile. Mais la crise de la propriété va bien plus loin que cela et parcourt toutes les grandes entreprises, dont les propriétaires font maintenant la preuve de leur plus profond mépris vis-à-vis de leurs salariés, avec des licenciements de masse, déjà alors que nous ne sommes qu’au tout début de la crise. Il y a un arrêt quasi total de l’activité dans le secteur du bâtiment, en dépit du besoin pressant de construire des maisons et de rénover des centaines de milliers de logements sociaux construits dans les années 60 et 70, et de ce faire d’une manière qui permette à la fois d’économiser de l’énergie, et de fournir un logement qui soit à la portée des jeunes et des travailleurs.

 

Revendications

Le temps est venu pour les travailleurs et les socialistes d’exiger une campagne syndicale massive pour les emplois, le bien-être social et le climat – reliée à la revendication de la nationalisation urgente des banques et de l’industrie automobile, sous le contrôle des travailleurs. Ceci signifierait également des revendications concrètes en terme de lois du travail permettant le veto par rapport aux licenciements, une semaine de travail plus courte, une hausse des allocations sociales, de meilleurs services publics (enseignement, santé, prise en charge des enfants et des personnes âgées, etc.), et un programme massif d’investissements publics afin de sauver l’environnement.

 

 

Article par ARNE JOHANSON


 

Post Scritpum du 16 décembre :

Depuis que cet article a été écrit, le gouvernement suédois a présenté un plan de crise pour le secteur automobile d’une valeur de 28 milliards de couronnes (2,5 milliards d’euro), basé sur des garanties d’emprunt et un soutien étatique pour une nouvelle compagnie de recherche et développement automobile, à charge de l’Etat, et qui soutiendrait les entreprises automobiles privées. Ceci a joué en défaveur des propositions plus radicales, et n’aura de bénéfices que pour une durée très limitée. Toutefois, l’Unionen, le syndicat des employés, a amené la revendication d’une fusion de Volvo et Saab en une seule entreprise avec un nouveau propriétaire – quelque chose qui semble très difficilement réalisable sans nationalisation.

Auteur

Laisser un commentaire