Depuis le nouvel an, les actualités au sujet de la Russie et de l’Europe de l’Est ont été dominées par deux crises que la presse russe appelle ironiquement «secteur Gaza» et le secteur «bez gaza». Le premier surnom fait référence à la guerre de l’État d’Israël contre la bande de Gaza, le deuxième signifie «sans gaz» en russe ! A la même manière d’une personnes qui n’aurait pas payé sa facture de gaz, l’Ukraine a récemment vu son approvisionnement en gaz provisoirement coupé par la Russie à la suite du non-payement de sa facture de presque deux milliards de dollars.
Une importante part de l’approvisionnement de gaz russe destiné à l’Europe centrale et occidentale passant par les énormes pipelines ukrainiens, toute une série d’autres pays se sont retrouvés dans une situation grave, sans gaz alors que le thermomètre descendait sous zéro. Dans des pays tels que la Bulgarie, la Roumanie et la Serbie, des usines ont été fermées, exacerbant l’impact de la crise économique dans ces régions et les forçant à se rabattre sur des approvisionnements d’urgence pour chauffer les maisons, les écoles et les hôpitaux à partir de stocks en provenance de pays comme l’Allemagne.
Malgré des négociations impliquant l’Union Européenne et les Présidents et Premiers Ministres de Russie, d’Ukraine, de République Tchèque et d’autres pays, il a fallu deux semaines pour que l’approvisionnement en gaz commence à reprendre.
Mais le débat ne porte pas que sur le non-payement. Il est compliqué par la crise économique profonde qui commence à toucher la région ; par la lutte pour le contrôle de l’approvisionnement énergétique en provenance de régions riches en gaz et en pétrole en Russie, en Asie centrale et en Iran ; par les relations politiques et économiques entre les différents États impérialistes en Europe ; par les tentatives de puissances extérieures, y compris la Russie, l’OTAN et l’UE, de gagner de l’influence en Ukraine et par la lutte des différentes sections de l’élite dirigeante ukrainienne afin de renforcer leur position dans un pays secoué par des crises politiques permanentes.
Impact de la crise mondiale
En septembre 2008, Vladimir Poutine se vantait encore du fait que la Russie parvenait à éviter la crise économique mondiale. Mais maintenant, la Russie voit son économie s’effondrer comme un château de cartes, avec la chute des prix du pétrole de 147$ à 35$ aujourd’hui. Depuis juillet 2008, plus d’un trillion (mille milliards) de dollars ont été rayés du marché boursier russe – deux tiers de sa valeur. La production industrielle et la construction sont en chute libre. Un rapport affirme que la production industrielle en novembre 2008 était 10% inférieure à son niveau de l’année précédente au même mois. Des usines licencient leur personnel et les salaires sont réduits en miette, jusqu’à 50% dans certains cas et le rouble s’effondre. Pendant la plus grande partie de l’année passée, un dollar valait environ 25 roubles. Au cours des deux derniers mois, le rouble est tombé à 34 roubles pour un dollar. Les économistes disent qu’il pourrait descendre à 40 roubles pour un dollar.
L’Ukraine est dans une situation tellement désastreuse qu’il est difficile de l’exagérer. Le PIB est tombé de 14%. La production industrielle annuelle est tombée de 46% en novembre. La monnaie, le grivna, a vu sa valeur diminuer de moitié. Alors qu’une grande partie de l’économie ukrainienne dominée par la sidérurgie, le déclin d’industries telles que l’automobile a eu un effet immédiat. Malgré le fait que l’Ukraine était un des premiers pays à recevoir une aide du FMI – d’une valeur de 16 milliards de dollars – à la fin de l’an dernier, les économistes parlent toujours d’une éventuelle faillite de l’Ukraine. Sans gaz ni pétrole à elle, l’Ukraine tire quand même un bénéfice de l’énergie, par la redevance sur le passage des carburants sur son territoire. Plus de 80% du gaz vendu par la Russie à l’Europe passe à travers l’Ukraine. Le revenu qui en découle, et qui se compte en milliards de dollars, joue un grand rôle dans le maintien de ce qui reste de l’économie ukrainienne.
Le dernier conflit gazier a commencé lorsque la Russie a stoppé ses fournitures à l’Ukraine, supposément à cause des énormes arriérés de payement de près de 2 milliards de dollars. La Russie s’est servie de cette excuse afin de remettre sur la table sa revendication que l’Ukraine paye le gaz au « prix du marché ». En 2008, l’Ukraine payait 179$ les mille mètres cubes, alors que le prix sur le marché européen est de 400$. Evidemment, avec son déficit budgétaire croissant, le gouvernement russe est désespérément à la recherche de revenus, tandis que l’Ukraine, qui se dirige rapidement vers la banqueroute, ne peut pas se permettre de payer plus.
Le gaz, outil de négociation de la Russie dans la région
Grâce à Gazprom (la compagnie gazière russe), la Russie a dans le passé utilisé ses prix en tant qu’instrument politique, les abaissant afin de venir en aide aux gouvernements amis, les accroissant vis-à-vis des gouvernements hostiles. En 2008, par exemple, la Bélarussie a payé 119$ par mille mètres cubes et l’Arménie 110$. Comparons cela au tarif de 280$ demandé aux États baltes. A la suite de la « révolution de la rose » en Géorgie, Gazprom a annoncé qu’il accroîtrait ses prix de 110 à 230$. Par conséquent, il est tout à fait logique au vu de cette politique que, particulièrement à la suite du soutien verbal à la Géorgie donné par le Président ukrainien Yushenko au cours de la courte guerre Russie-Géorgie de l’été dernier, Gazprom accroisse ses prix pour l’Ukraine.
Ceci fait partie d’une stratégie globale du gouvernement Poutine-Medvedev, qui vise à consolider le contrôle des marchés domestiques et internationaux à travers des compagnies d’État, telles que Gazprom et les autres corporations contrôlées par l’État. Cette stratégie est assez transparente. Ils veulent contrôler l’approvisionnement en gaz. Afin de réaliser cela, Gazprom pousse à la hausse les prix auxquels il achète le gaz aux autres républiques productrices, c-à-d celles d’Asie centrale, de sorte à ce que ces pays n’aillent pas vendre leur gaz directement à l’Ukraine ou à l’Europe dans le dos de la Russie. Et si elle doit payer un prix proche de celui du marché à ses fournisseurs, elle doit également obtenir un prix proche de celui du marché vis-à-vis de ses acheteurs.
Au même moment, il y a une lutte menée par Gazprom pour un contrôle total du marché domestique ukrainien.
Dans les années septante, l’ancienne Union Soviétique a commencé à exporter de grandes quantités de gaz en direction de l’Europe. Après l’éclatement de l’URSS, l’industrie gazière soviétique a été divisée en différentes industries nationales. Les différentes élites dirigeantes nationales ont mené d’amères batailles pour le contrôle des actifs dans leur partie de l’ancienne URSS (ce qui a souvent débordé en conflit militaire). Les autorités centrales et les conseils de gestion des corporations ont perdu le contrôle d’importantes portions de l’industrie et du commerce, surtout en Ukraine.
La relation entre les compagnies gazières ukrainienne et russe est devenue l’objet de transactions floues et corrompues. Les deux compagnies d’État contrôlaient toujours l’approvisionnement et le transit de gaz, mais une série de compagnies tierces intermédiaires ont été établies afin de vendre le gaz russe à des compagnies ukrainiennes. Les circonstances autour de la compagnie « Itera » demeurent encore nébuleuses à ce jour. Deux figures proéminentes sont apparues dans cette organisation : d’une part, l’actuelle Première Ministre ukrainienne, Yulia Timoshenko, de l’autre, son partenaire d’affaires Pavel Lazarenko, qui fut également Premier Ministre en 1996-7. En 2004, Lazarenko a été condamné à 9 ans de prison aux États-Unis pour « dilapidation de fonds ». Selon un rapport des Nations Unies, les fonds « dilapidés » s’élèveraient à plus de 200 millions de dollars en provenance d’Ukraine. Selon les documents du tribunal, Timoshenko avait arrangé le transfert de 162 millions de dollar pour Lazarenko.
Avec l’arrivée au pouvoir de Poutine, un nouveau mode de gestion est arrivé à la tête de Gazprom. L’élite dirigeante russe n’était plus prête à permettre les méthodes anarchiques et chaotiques des années ‘90. « L’ordre » devait être rétabli. Gazprom a décidé de former une nouvelle compagnie intermédiaire en Ukraine, une joint-venture à 50-50% entre Gazprom et les partenaires ukrainiens. UralTransGas et RosUkrEnergo ont été tout d’abord établis, au sein desquels le camp ukrainien déléguait dans les faits ses parts à différentes hommes d’affaires et membre du gouvernement. Selon certains rapports, ces entreprises ont empoché chaque année un profit d’environ un milliard de dollars, dont la moitié finissait sa course sur des comptes privés en Suisse. Itera et Timoshenko ont été chassés par une alliance formée de cadres Gazprom corrompus et d’hommes d’affaires ukrainiens. En 2005, le chef de la police politique ukrainienne de l’époque affirmait que RosUkrEnergo était contrôlée par Semen Mogilievich, reconnu sur le plan international comme un des plus grands fraudeurs financiers. Toute cette histoire explique pourquoi il y a aujourd’hui autant d’amertume au sujet des négociations du gaz.
Crise politique en Ukraine
Timoshenko n’est rien d’autre qu’une populiste. Elle a gagné une renommée internationale en tant que dirigeante de la « Révolution Orange », aux côtés de Yushenko. A la suite de cet événement, Iouchtchenko est devenue Président tandis que Timoshenko était nommée Première Ministre. Elle ne l’est cependant restée que pendant neuf mois (de janvier à septembre 2005), avant que Iouchtchenko ne la renvoie en l’accusant d’abuser de sa position afin d’éponger les dettes de ses anciennes entreprises. La coalition orange explosa rapidement, avec les partisans de chacun des deux dirigeants formant leur propre camp. Iouchtchenko demeure fermement pro-occident, tentant de pousser l’Ukraine vers l’OTAN, bien que la majorité des Ukrainiens s’y oppose clairement. Sa cote de popularité a fortement diminué.
Timoshenko a regagné son poste de Premier Ministre en décembre 2007, après que son parti soit sorti second des dernières élections, derrière le bloc pro-russe. Une crise politique a à nouveau explosé, en automne dernier, après la guerre entre la Géorgie et la Russie. Iouchtchenko a ouvertement soutenu la Géorgie et a tenté d’empêcher la flotte russe de la Mer Noire d’utiliser sa base en Crimée afin d’imposer un blocus aux ports géorgiens. Bien qu’elle ne soutienne pas ouvertement la Russie, Timoshenko a attaqué la position de Iouchtchenko au sujet du port de Crimée. Début octobre 2008, Timoshenko a effectué une visite à Moscou afin d’y négocier un nouveau contrat gazier directement avec Poutine, qui aurait vu le prix monter à 250 $ pour 2009 et s’aligner sur le prix du marché mondial dans les trois ans. Le point crucial, toutefois, était que RosUkrEnergo ne participerait plus aux échanges. A la place, Naftogas, la compagnie pétrolière ukrainienne d’Etat, et Gazprom établiraient une joint-venture directe. Cette position était en phase avec les revendications de Gazprom, puisque cela lui aurrait donné un contrôle direct sur le transit gazier – ainsi que de meilleurs prix – en supprimant les intermédiaires.
Ceci fut un coup direct dans la figure des bureaucrates et hommes d’affaires corrompus qui se trouvaient derrière RusUkrEnergo. Iouchtchenko vit son autorité sapée, puisque certains rapports laissent entendre que les oligarches aux commandes de RusUkrEnergo lui fournissaient un important soutien financier. Près d’un tiers du financement de la campagne de Iouchtchenko pour les présidentielles de 2010 provenait apparemment de sources proches de RusUkrEnergo. Timoshenko a vraisemblablement avancé les intérêts de ses amis en Suisse tout au long des négociations. Sans surprise, Iouchtchenko essaya de virer Timoshenko une nouvelle fois, en octobre, l’accusant d’être une traîtresse aux intérêts nationaux de l’Ukraine. Il appela à de nouvelles élections parlementaires pour décembre 2008. Celles-ci ne furent cependant jamais organisées, vu le fait que la Cour Constitutionnelle déclara cette décision illégale, et Timoshenko parvint à reformer et à renforcer sa coalition au parlement. Le fonds d’urgence accordé par le FMI en novembre dernier était entre autres soumis à la condition que la stabilité politique soit rétablie.
Malgré l’accord passé en octobre entre les Premiers Ministres ukrainien et russe, lorsqu’il fut temps de l’appliquer au moment du nouvel an, cet accord fut torpillé par des intérêts particuliers de chaque côté.
Gazprom est un prédateur impitoyable. Il veut contrôler les sources de gaz et les marchés dans lesquels le vendre. En Russie comme en Ukraine, des bureaucrates et hommes d’affaires corrompus sont mouillés dedans. Afin de renforcer ses propres intérêts, Gazprom fait pression sur différentes force politique ou les achète carrément. Il a ainsi des amis très haut placés. Victor Tshernomyrdin, l’homme qui est resté le plus longtemps au poste de Premier Ministre dans la Russie post-soviétique, était l’ancien président des directeurs de Gazprom. Il est ensuite devenu, et est toujours, l’amabssadeur russe en Ukraine. En 2000, il a été remplacé en tant que dirigeant de Gazprom par Dmitri Medvedev, qui est maintenant Président russe. Lorsque Medvedev a quitté la compagnie, il a été remplacé par Victor Zubkov, l’ancien Premier Ministre de Poutine. L’actuel PDG de Gazprom, Alexei Miller, fait partie des plus proches amis de Poutine.
La lutte de la Russie pour accroître son influence dans la région
Cependant, ce n’est pas là la fin de cette histoire. Selon certains analystes, Gazprom a remplacé le Ministère des affaires étrangères russes en tant que principal véhicule de la politique étrangère russe. L’enjeu de cette dispute portait autant sur l’implication politique européenne, que sur un désaccord quant au prix à payer. La Russie veut que l’Union Européenne accroisse son soutien quant au projet de construction du pipeline du nord à travers la Mer Baltique, ce qui permettrait de passer outre l’Ukraine, le Belarus, les Etats baltiques et la Pologne. De la même manière, il existe un projet similaire de construction d’un pipeline sud qui irait de la Mer Noire à l’Italie.
L’Union Européenne a de bonnes raisons de soutenir ces projets, puisqu’elle espère qu’ils lui permettront de diversifier son approvisionnement en gaz et à éviter une répétition de la crise gazière de cet hiver. Toutefois, les pays ainsi contournés considèrent ces projets comme une nouvelle arme entre les mains de la Russie – ils faciliteront le chantage au robinet de gaz pratiqué par la Russie au cas où devrait surgir un conflit. Ceci n’empêche cependant pas certaines personnalités occidentales de jouer un rôle actif dans cette polémique. L’ex-Premier Ministre finlandais, Paavo Lipponen, travaille comme consultant pour le projer de pipeline nord, et Gerhard Schröder (l’ex-chancelier allemand) est le président de son comité d’actionnaires.
Il y a aussi le sentiment que le Kremlin était en partie motivé par le désir de discréditer l’Ukraine en tant que partenaire stable aux yeux de l’OTAN et de l’UE. Lors des prochaines élections, que ce soit des élections parlementaires anticipées à un moment quelconque en 2009 ou que le gouvernement parvienne à tenir jusqu’aux prochaines présidentielles en 2010, il est improbable que Victor Iouchtchenko, le seul candidat réellement pro-occidental, obtienne mieux que la troisième place. Les sondages d’opinion actuels placent en tête Victor Yanukovich, entièrement pro-russe. Yulia Timoshenko est un personnage bien plus imprévisible, au vu de son « soutien » tacite à la Russie contre la Géorgie, et de ses accords hautement pragmatiques avec le Kremlin au cours de la crise gazière. Il a aussi été suggéré par la presse ukrainienne et russe qu’elle aurait passé un accord avec le Kremlin pour qu’il la soutienne en tant que candidate présidentielle, même contre Victor Yanukovich.
Le rôle joué par des individus qui tentent d’utiliser le conflit gazier afin de satisfaire leurs propres intérêts, comme la « princesse orange » ukrainienne, Yulia Timoshenko, l’ancien chancelier Gerhard Schröder ou encore de hauts fonctionnaires du gouvernement russe, complique la situation. Gazprom agit en tant qu’« agent de l’impérialisme », non seulement dans le sens que l’entreprise utilise de telles méthodes afin de renforcer sa propre position sur les marchés, mais aussi dans le sens qu’elle soutient activement un renforcement des intérêts géopolitiques de la Russie.
Au cours de la dernière décennie, les dettes dues à la Russie par les anciennes républiques soviétiques ont été utilisées afin de renforcer l’implication du capital russe dans les processus de privatisation. C’est ce qui s’est passé en Géorgie après la Révolution de la Rose et, plus récemment, en Belarussie. En 2007, Gazprom a déclaré au gouvernement belarusse qu’il désirait augmenter le prix du gaz. Il a été décidé que les prix du gaz augmenteraient graduellement et que 50% de la compagnie gazière bélarusse seraient transférés à des propriétaires russes. Dans les faits, c’est un échange de dettes contre actions, tactique qui a été largement utilisée par l’impérialisme américain pendant les crises de dettes en Amérique Latine afin d’acquérir le contrôle de toute une section de l’économie de pays étrangers.
Et ces actions ne se limitent pas simplement à renforcer la position économique de l’impérialisme russe. L’expansionnisme de Gazprom se ressent partout dans le monde. Des pactes d’amitié avec des pays tels que la Bolivie et l’Iran sont suivis par des investissements. Alors qu’il était encore président de Gazprom, Dmitrii Medvedev a organisé un investissement d’un milliard de dollars dans Naftna Industrija Srbije, la plus grande entreprise gazière serbe. Cette opération, selon le propre aveu de Medvedev, avait pour but d’ «exprimer un soutien à la Serbie dans le cadre de la proclamation d’indépendance unilatérale illégale par le Kosovo».
Concernant l’Ukraine, Poutine a bien expliqué qu’une des raisons qui a poussé la Russie à lui couper le gaz était de la punir pour avoir «envoyé des armes et du personnel militaire afin d’aider la Géorgie dans sa guerre contre la Russie». Le vice-président de Gazprom, Alexandr Medvedev, s’est plaint du fait que l’Ukraine «dansait au son d’une musique qui n’est pas orchestrée en Ukraine [càd, aux USA]». Il n’est par conséquent pas surprenant qu’un des cadres du Ministère des affaires étrangères ukrainien a décrit cette coupure de gaz comme étant «une continuation de la guerre Russo-géorgienne selon d’autres moyens. Là-bas, c’était des tanks ; ici, c’est le gaz».
Mais maintenant, après les négociations de la nuit dernière au Kremlin entre Poutine et Timoshenko, il apparaît qu’un accord a été obtenu. L’Ukraine payera le gaz au prix du marché, avec une ristourne de 20% lors de la première année. En d’autres termes, elle va maintenant payer 360$ les mille mètres cubes. Mais il faut s’attendre à ce que le prix du gaz suive la baisse du prix du pétrole (en général, il suit le prix du pétrole avec un décalage de six mois). RusUkrEnergo ne jouera plus aucun rôle dans le commerce du gaz entre la Russie et l’Ukraine. Sa place va lui être prise par une joint-venture entre Gazprom et Naftogas.
Qui a gagné ?
Le Président Iouchtchenko semble avoir été complètement discrédité, et sans doute une bonne fois pour toutes. Les derniers sondages d’opinion ne lui donnent plus que 2% de soutien. Timoshenko semble avoir renforcé sa position. Elle a chassé ses rivaux et placé ses partenaires d’affaires à des positions avantageuses. Au même moment, Timoshenko a confirmé qu’elle est une battante, peut-être la seule à pouvoir remporter les élections présidentielles de l’an prochain, bien que beaucoup d’Ukrainiens voient clair dans son jeu. L’Ukraine en tant qu’Etat a endommagé sa réputation en Europe et il y aura certainement plus de doutes au sujet de son acceptation dans l’OTAN ou l’UE.
Les gains pour la Russie ne sont pas aussi clairs. Gazprom a remporté l’accord qu’il désirait : vendre le gaz au prix du marché à son voisin. Mais à la suite de ce conflit, il a perdu plus d’un milliard de dollars de revenus. La réputation de la Russie a elle aussi été ternie, jusqu’à un certain point, mais il semble qu’elle ait renforcé le soutien européen en faveur du projet de pipeline nord. Angela Merkel a par la suite confirmé la volonté de l’Allemagne de mener à bien ce projet. La Russie pourrait considérer que les coûts de la dernière dispute gazière en valent la peine, puisqu’il apparaît que son intervention dans la politique intérieure ukrainienne a permis d’obtenir le résultat qu’elle escomptait.
Les perdants, bien entendus, sont les millions de travailleurs et de pauvres dans toute l’Europe qui ont souffert de cette coupure de gaz au cours d’un des hivers les plus froids jamais vus, et qui vont maintenant devoir payer plus cher pour leur facture. Ces événements démontrent pourquoi les ressources énergétiques mondiales doivent être arrachées des mains des propriétaires privés, des spéculateurs et des escrocs déclarés. Elles doivent être nationalisées et gérées sous le contrôle démocratique des travailleurs, dans le cadre d’un plan international, pour lequel les décisions ne seraient pas prises selon les intérêts de riches actionnaires et propriétaires, mais dans l’intérêt d’un développement rationnel et harmonieux de la société.
Article par ROB JONES