INTERVIEW
Une interview de Gustave DACHE, ancien délégué à Caterpillar et Citroën et candidat d’ouverture du PSL sur la liste LCR-PSL pour les européennes (dernier effectif). Gustave a, entre autres, participé à plusieurs occupations d’usines et à la “grève du siècle” de 60-61. Selon lui, la crise actuelle du capitalisme va permettre de renouer en masse avec les traditions révolutionnaires du mouvement ouvrier.
Gustave, comment vois-tu l’avenir ?
“Aujourd’hui, on est dans la crise du capitalisme la plus profonde que nous ayons connu. On essaie de nous faire croire que c’est passager, mais moi je n’y crois pas du tout. Mais ce n’est pas parce que le capitalisme est en crise qu’il va s’autodétruire de lui même, ça, ça ne s’est jamais vu et ça ne se verra jamais. Pour pouvoir mener une bataille avec la classe ouvrière contre le système capitaliste, il faut un parti marxiste révolutionnaire décidé à lutter, non seulement en paroles, mais surtout en actes, et il faut le construire dès aujourd’hui. Sans une bonne préparation, on passera encore une fois à côté d’une chance historique, comme celle de 60-61. Demain, nous connaîtrons des mouvements de plus en plus combatifs de la classe ouvrière, des mouvements renouant avec les traditions révolutionnaires du mouvement ouvrier.”
“En 60-61, on pouvait renverser le système capitaliste, ou du moins tenter de le faire. Il y avait un parti qui se disait marxiste révolutionnaire à l’époque, mais moi je ne l’ai pas vu, ou plutôt je ne l’ai vu que dans les écrits. Mais dans la lutte, pas du tout. Et pourtant, moi aussi, je faisais partie de ce parti…! Il y a eu beaucoup de discussions à l’intérieur parce que les travailleurs voulaient l’affrontement généralisé contre la bourgeoisie. Mais celui-ci n’a pas eu lieu car les appareils réformistes ont freiné le mouvement. Et les “marxistes révolutionnaires” de l’époque ont capitulé devant la tendance réformiste animée par André Renard.”
“Aujourd’hui, la situation est encore plus favorable. La crise dans laquelle nous allons rentrer va concrétiser tout cela et faire apparaître le potentiel révolutionnaire de la classe ouvrière. Un mouvement comme le PSL doit se préparer à la lutte pour le pouvoir. Attention, ça ne veut pas dire qu’il va falloir sortir demain dans la rue avec des armes et crier «Vive la révolution!», ce n’est pas ça. Il faut participer aux élections, être présent dans les luttes et en même temps être prêt pour demain, anticiper le moment où il faudra porter l’assaut frontalement contre le capitalisme.”
“Alors, évidemment, je ne suis pas un prophète et je ne peux pas dire si la situation va se développer précisément comme ci ou comme ça. Mais il n’empêche que les conditions d’aujourd’hui sont ce qu’elles sont et que, la situation continuant de s’aggraver, les travailleurs n’auront pas d’autres choix. Aujourd’hui comme hier, il suffit au départ d’une petite organisa-tion, contrairement à ceux qui disent toujours qu’une petite minorité n’est pas capable de jouer un rôle important, pour justifier leurs erreurs et leurs échecs. Pour moi, il est clair qu’une petite minorité peut jouer un rôle important. On peut déjà le voir dans les luttes ordinaires actuelles : il suffit parfois d’un militant qui propose une occupation et toute l’usine suit. Un militant peut faire toute la différence avec une bonne proposition, qui va dans le sens de la lutte et qui ne soit pas une chose farfelue qui ne tient pas la route. Les jeunes pourraient se dire qu’ils n’ont pas d’expérience, mais l’expérience vient au travers de la lutte, et ça va très vite parce que l’expérience sur le terrain progresse à la vitesse de la lumière.”
“Sur 15 jours de temps dans une lutte, on a parfois appris plus qu’avec 10 ans de lecture.”
Tu dis qu’on apprend dans les luttes, contre quoi mettrais-tu en garde les jeunes camarades?
“La première erreur à ne pas commettre, c’est de se couper des masses. Traditionnellement, les masses ouvrières se dirigent toujours vers leurs organisations traditionnelles. C’est ce qui s’est passé en 60. A l’époque, le PS avait encore une vraie base ouvrière. Les militants d’avant-garde ou qui prétendaient l’être ont renforcé le courant vers les organisations ouvrières traditionnelles, parce qu’on ne pouvait pas aller contre ce courant-là. On ne pouvait pas se couper des masses, on devait aller dans leurs sens. Et inévitablement, elles se tournent vers les organisations dans lesquelles elles se reconnaissent parce qu’elles n’ont rien vu d’autres et qu’elles n’ont pas de grand parti révolutionnaire de masse qui existe depuis suffisamment de temps pour avoir fait ses preuves.”
“Les masses se dirigent donc vers leurs directions traditionnelles et notre rôle est de les accompagner. Mais au moment où elles se rendent compte des inepties et du rôle de frein des organisations traditionnelles, qu’il faut d’ailleurs dénoncer, une fois que les masses ont compris dans la lutte que ces directions-là les freinent, alors le parti marxiste révolutionnaire doit jouer son rôle avec des idées claires et des perspectives de renversement du système capitaliste et de prise du pouvoir par les travailleurs. Pour cela, il ne faut pas nécessairement être nombreux, mais avoir les reins solides politiquement. La grande erreur serait alors de suivre les belles paroles des organisations traditionnelles et de se mettre à l’abri derrière elles.”
“C’est l’erreur que les organisations qui se disaient marxistes révolutionnaires ont commise en 60-61, et ceux qui disent qu’on n’était pas assez nombreux, que les conditions n’étaient pas mûres, c’est de la foutaise. La réalité était tout autre. Dès le début, la classe ouvrière s’est mobilisée indépendamment des organisations traditionnelles, elle a imposé la grève et construit des comités de grève partout.”
“Et même si la grève de 60-61 s’est produite il y a longtemps, la classe ouvrière n’est pas depuis lors restée les bras croisés, elle n’est pas restée inerte. La lutte des classes, ce n’est pas tous les jours des bagarres de rue à coups de boulons ou de pavés. La lutte de classes, c’est aussi dans les usines, dans les manifestations, les 1er Mai et tout ça.”
Quelle est la revendication du PSL qui te tient le plus à cœur ?
“Il faut toujours, et maintenant plus encore, avoir l’objectif de la prise du pouvoir. Mais va dire aux ouvriers demain qu’il faut prendre le pouvoir… Donc, on a besoin d’un programme de transition entre le système capitaliste et la révolution, un programme qui comprend des points comme la nationalisation sous contrôle ouvrier.” Que dirais-tu aux gens qui ont des préjugés assimilant révolution et violence?
“Mais bon, il y a le programme comme moyen de transition, une sorte de pont pour passer sur l’autre rive, et puis il y a ceux qui considèrent que le programme est une fin en soi, genre une fois qu’on a les nationalisations, c’est bon. Là est l’erreur.”
“En principe, le père de famille n’est pas violent, il n’est pas non plus pour la révolution violente, il n’y a personne qui est pour cela, nous non plus d’ailleurs. Un révolutionnaire n’est pas là pour la violence.”
“Mais au cours de la lutte, à certains moments, j’ai vu des pères de famille paisibles, qui avaient deux enfants ou trois, qui ne s’exprimaient pas beaucoup mais qui, quand le mouvement était là, étaient plus révolutionnaires que les révolutionnaires! Ce qu’il y a derrière, c’est que suivant la condition dans laquelle tu te trouves, ta vision change. C’est normal que, dans la situation actuelle, d’apparence paisible, si tu vas demander à quelqu’un s’il est révolutionnaire, il va te répondre que non. Mais j’ai connu beaucoup de camarades qui n’étaient pas révolutionnaires, mais quand il y avait de la bagarre, étaient à la tête du combat. C’est donc les conditions objectives dans lesquelles on est qui font qu’on devient révolutionnaire ou qu’on devient violent.”
“Parce qu’à la violence de la réaction, tu ne peux répondre que par la violence révolutionnaire. Ou alors tu te laisses faire, mais ce n’est pas possible. Quand les conditions objectives ne sont pas présentes, en tant que révolutionnaire, on te voit comme un mec bizarre. C’est un peu comme ça qu’on me voyait, parce que dans les assemblées syndicales, j’étais un peu dynamique. Les gens disaient : «Roooah, Gustave, c’est un révolutionnaire…» Tu vois?”
“Mais petit à petit, j’ai gagné de l’audience auprès de la classe ouvrière et quand tu arrives dans une situation insurrectionnelle, ce sont des éléments pareils qui peuvent être importants et jouer un rôle. En ‘60, les premières manifestations étaient paisibles, mais seulement jusqu’à un certain point.”