Le marxisme et le Seconde Guerre Mondiale

L’humanité plongée dans l’horreur par les grandes puissances

Ce premier septembre débutait il y a septante ans la Seconde Guerre Mondiale. Tant que perdurera le système capitaliste, nous aurons encore et encore à subir des guerres et d’innombrables morts, mais le nombre de victimes de cette guerre mondiale a élevé cette dernière au rang de carnage le plus important de l’Histoire. Les estimations parlent d’environ 60 millions de morts, soit 20 millions de soldats et 40 millions de civils.

Ci contre, Adolf Hitler, Édouard Daladier, Neville Chamberlain et Benito Mussolini signent les accords de Munich en 1938.

Beaucoup de civils sont décédés pour cause de maladie, de famine, victimes des massacres, des bombardements ou de génocide délibéré. L’Union Soviétique maintenant disparue a perdu environ 27 millions de personnes, à peine en dessous de la moitié de des pertes globales de la guerre. Quatre-vingt-cinq pour cent des morts sont issus du côté Allié (la plupart d’Union Soviétique ou de Chine) et 15% du côté des forces de l’Axe; de l’Allemagne nazie, de l’Italie fasciste et du Japon. Une évaluation parle d’un nombre de civils décédés dans les camps de concentration nazis de douze millions, tandis que 1,5 million de personnes ont trouvé la mort durant les bombardements. Sept millions de personnes sont encore mortes en Europe pour d’autres causes tandis que 7,5 millions de Chinois ont péris sous la botte brutale de l’impérialisme japonais.

L’horreur de la guerre mondiale a laissé une empreinte indélébile sur les générations qui l’ont vécue. Cela a été notamment illustré à l’occasion des funérailles de Harry Patch, le dernier survivant britannique des tranchées de la Première Guerre Mondiale, décédé en juillet à l’âge de 111 ans. De façon significative, cet héroïque vétéran avait publiquement pris position contre la guerre ces dernières années. Cet humble plombier avait ainsi insisté pour que son cercueil soit porté par deux soldats belges, deux français mais aussi deux allemands. Cela souligne l’attitude de ceux qui ont vécu dans la boue et les ordures des tranchées de la Première Guerre Mondiale, ceux qui ont subi les effet du nationalisme et du chauvinisme qui a poussé à se jeter contre les hommes et les femmes de ‘l’autre camp’. Tout cela pour une guerre qui allait contre leurs intérêts et dont beaucoup ont payé le prix de leur vie. Cependant, même au cours de la deuxième guerre mondiale, les deux-tiers des personnes sondées aux USA faisaient la différence entre les Allemands et les nazis quant à leur responsabilité dans la guerre.

La Première Guerre Mondiale a été présentée comme la guerre qui devait en finir avec toutes les guerres, comme une ‘guerre pour la démocratie’. En fait, la plupart des pays impliqués n’accordaient qu’un droit de vote limité à la population, particulièrement en Russie, et les femmes n’avaient aucun droit de vote pour les élections nationales chez aucun des pays belligérants jusqu’à la fin de la guerre. Quant aux masses des possessions coloniales des puissances européennes, elles n’avaient tout bonnement aucun droit démocratique.

En réalité, cette guerre était une lutte pour une redistribution du marché mondial, des sources de matières premières, etc., entre différentes bandes de brigands. Les vainqueurs – la Grande-Bretagne, la France et les USA – ont imposé une paix vindicative et étouffante à l’Allemagne. Les termes de cette paix ont été précisés par le Traité de Versailles de 1919 qui, à son tour, a jeté les bases pour une autre guerre mondiale à peine plus de 20 ans après.

En réalité, les guerres et les souffrances ne sont pas historiquement inévitables, pour autant que la classe ouvrière puisse saisir l’opportunité d’intervenir à temps. Cela a été tout à fait possible juste après la Première Guerre Mondiale: la Révolution russe avait lancé une vague révolutionnaire à travers l’ensemble de l’Europe: en Allemagne, en Hongrie et en Tchécoslovaquie, vague dont l’onde de choc a été puissante jusqu’en Grande-Bretagne et même aux USA. Cependant, de façon tragique, les organisations de la classe ouvrière qui avaient été construites avant la Première Guerre Mondiale pour l’aider à changer de société sont devenues, à l’heure décisive, un rempart de protection pour le capitalisme. Les dirigeants de la sociale-démocratie (les ancêtres des partis ‘socialistes’ ou travaillistes actuels) sont venus à l’aide du capitalisme en soutenant leur ‘propre camp’ durant la guerre et en participant à la répression des révolutions, en particulier en Allemagne entre 1917 et 1923. Une révolution allemande réussie aurait assurément initié une vague révolutionnaire qui aurait transformé l’Europe et le monde.

 

Les racines de la guerre

Le capitalisme avait été effrayé par l’expérience de la révolution allemande. En particulier, le capitalisme américain est intervenu avec le plan Dawes pour soutenir l’Allemagne et l’Europe dans les années ‘20. Mais cela n’a en rien résolu les contradictions fondamentales du capitalisme et de l’impérialisme qui avaient déjà conduit à la Première Guerre Mondiale.

Les racines de ces contradictions se trouvent dans le développement colossal des forces productives (l’organisation du travail, de la science et de la technique) devenu trop grand tant pour la propriété privée des moyens de production dans les mains d’une poignée de capitalistes monopolistes que pour l’existence des États-nation. Lénine avait déclaré «Le capitalisme signifie la guerre» ou encore que si la Première Guerre Mondiale ne débouchait pas sur un renversement du capitalisme pour une société socialiste, il s’en suivrait une seconde et une troisièmement guerre mondiale.

Mais la semi-stabilisation de l’Allemagne après l’échec de la révolution 1923 semblait contredire ces déclarations et d’autres analyses marxistes de la situation. Toutefois, si l’industrie allemande s’était certainement développée économiquement, elle était toujours corsetée par le Traité de Versailles et surtout par son manque de colonies et de marchés pour écouler ses marchandises. Tout cela était déjà aux mains de puissances coloniales plus anciennes: les impérialismes britannique et français – notamment concernant les semi-colonies d’Europe de l’Est – et ensuite, de plus en plus, le nouveau géant impérialiste américain. Quand la crise de 1929 a commencé à faire ses ravages, le capitalisme allemand avait assez de pouvoir économique pour fournir pratiquement le monde entier, sans toutefois pouvoir le faire à cause de la domination exercée par ses rivaux impérialistes. Cela a conduit à une crise de révolution et de contre-révolution qui, comme nous le savons, a permis la victoire d’Adolf Hitler et des nazis en mars 1933, en raison du lâche refus des dirigeants des partis sociaux-démocrates et communistes de barrer leur route.

Presque immédiatement, Léon Trotsky, résumant la position du marxisme, avait prévu qu’à moins que Hitler ne soit de suite stoppé, cela conduirait inévitablement à une résurgence de l’impérialisme allemand pour essayer de conquérir colonies et matières premières qui culminerait en une nouvelle guerre mondiale. Si grands étaient les dangers pour le mouvement ouvrier, non seulement en Allemagne mais aussi dans le monde entier, que Trotsky avait émis l’idée qu’un État ouvrier devrait mobiliser ses troupes et pourrait même menacer d’intervenir en Allemagne.

Cependant, l’État ouvrier russe avait dégénéré de la démocratie des travailleurs de Lénine et Trotsky au régime autoritaire de Joseph Staline et de la bureaucratie sur laquelle il s’était reposé. A l’opposé d’une politique favorisant la lutte pour le socialisme à travers le monde, Staline était monté au pouvoir derrière le slogan de ‘socialisme dans un seul pays’ symbolisant l’abandon des objectifs originels de la Révolution russe par l’élite bureaucratique qui avait usurpé le pouvoir et dominait de plus en plus l’État et la société. Plutôt que de se confronter à Hitler, Staline a oscillé entre la recherche d’alliances avec les puissances impérialistes soi-disant ‘démocratiques’ et des tentatives secrètes pour trouver un accord avec le régime nazi.

Les écrits de Léon Trotsky sur le processus qui a conduit à la Seconde Guerre Mondiale sont inestimables pour comprendre le caractère du capitalisme – en particulier son expression moderne, l’impérialisme – ainsi que son orientation vers la guerre sous certaines conditions. Trotsky avait affirmé que le soi-disant Traité de Paix de Versailles avait posé les bases pour permettre au capitalisme allemand d’entreprendre la tâche de l’unification nationale des peuples de langue allemande sur base de son programme impérialiste. Cela a facilité l’accession au pouvoir des forces fascistes d’Hitler, principalement basées sur la mobilisation de la petite-bourgeoisie désespérée. Les exigences d’Hitler d’incorporer à l’Allemagne plus de trois millions d’Allemands des Sudètes – qui vivaient dans les frontières de la Tchécoslovaquie d’après 1918 -, l’Autriche, etc., étaient simplement les premières étapes à franchir pour que le capitalisme allemand conteste de front la puissance de l’impérialisme franco-britannique, en particulier en Europe de l’Est.

 

Révolution en Espagne

Trotsky a donc dit et défendu de façon consistante qu’une guerre mondiale se profilait. La seule force capable de l’arrêter, la classe ouvrière organisée, devait agir pour changer de société dans une direction révolutionnaire. De grandes opportunités se sont d’ailleurs développées, particulièrement en Espagne et en France, pour accomplir une révolution socialiste démocratique, ce qu’avait commencé le soulèvement de masse contre le Général Franco en Espagne. Une victoire aurait complètement éliminé la possibilité d’une nouvelle guerre mondiale avec son lot gigantesque de victimes et de souffrances. En fait, l’Espagne était une répétition générale de la deuxième guerre mondiale; elle a impliqué deux des puissances de l’Axe du côté de Franco, l’Allemagne et l’Italie, qui ont expérimenté les tactiques et le matériel – la blitzkrieg de Guernica par exemple – déployés par la suite à une échelle de masse durant la deuxième guerre mondiale, en particulier au cours de l’attaque d’Hitler contre la Russie en 1941.

Cependant, entre 1931 et 1937, la révolution espagnole n’a pas présenté une seule, mais beaucoup d’opportunités à la classe ouvrière pour qu’elle prenne le pouvoir. En juillet 1936, les actions spontanées de la classe ouvrière catalane ont lancé un mouvement contre Franco dans l’ensemble de l’Espagne qui a, à ses débuts, donné les quatre cinquièmes du pays aux mains de la classe ouvrière. La machine d’État des capitalistes a été réduite en cendres et le véritable pouvoir reposait sur les détachements armés et les organisations des travailleurs. Les capitalistes se sont sauvés du côté de Franco, seule une petite partie restant dans le giron de ‘l’Espagne républicaine’.

Dans cette révolution, le Parti Communiste a joué un rôle décisif en tant que traître. Le PC était complètement sous les ordres de la bureaucratie stalinienne de Moscou et se pliait en quatre pour satisfaire ses moindres caprices. En outre, le POUM – Parti Ouvrier d’Unification Marxiste, dont les dirigeants (comme Andre Nin et Juan Andrade) avaient initialement participé au mouvement trotskiste – a échoué pour utiliser cette situation révolutionnaire particulièrement favorable afin de mobiliser la classe ouvrière ainsi que les paysans vers la prise du pouvoir et, de ce fait, il a permis à cette occasion favorable d’échapper aux mains des masses.

Une révolution espagnole réussie, à peine un mois après les grèves massives de 1936 en France, aurait lancé une vague révolutionnaire qui aurait secoué et renversé les régimes fascistes d’Hitler et de Benito Mussolini, aussi bien que le brutal régime bureaucratique stalinien en Russie. Il ne faut pas voir de hasard si les grandes purges d’URSS, les Procès de Moscou dans lesquels Trotsky et son fils Léon Sedov étaient les principaux accusés, se sont déroulées à l’ombre de la révolution espagnole. Les flammes de la révolution espagnoles ont menacé non seulement le capitalisme mais aussi l’élite bureaucratique stalinienne, qui avait une peur bleue de la révolution. La bureaucratie russe a mené une guerre civile dans ses propres rangs afin d’éliminer les derniers vestiges du parti Bolchevik de Lénine et le souvenir de l’héroïque révolution de 1917. La tragique défaite de la révolution espagnole a énormément affaibli la classe ouvrière et posé les bases de la guerre qui devait plus tard se développer.

 

Des manœuvres cyniques

Les historiens contemporains essayent de dépeindre l’attitude des ‘démocraties’ occidentales comme implacablement hostile aux régimes d’Hitler et de Mussolini. A ce moment, les partis communistes, aux bottes de Moscou, ont également essayé de distinguer le rôle et les motivations ‘progressistes’ des démocraties capitalistes contre les puissances fascistes. Mais quand Staline a opéré un rapprochement avec Hitler, les partis communistes ont affirmé l’exact opposé: il n’y avait aucune différence fondamentale entre les différents régimes capitalistes. En réalité – sous le caractère très différent des régimes politiques ‘fascistes’ et ‘démocratiques’ – le facteur principal qui a conduit à la Seconde Guerre Mondiale, comme à la première, a été le conflit entre les différents intérêts impérialistes présents dans tous ces régimes.

Quand cela sert leurs objectifs et qu’ils se sentent menacés par la révolution, les capitalistes n’éprouvent que peu de difficultés à passer de la ‘démocratie’ aux régimes autoritaires, autant à vrai dire qu’un homme pour changer de chemise. En Tchécoslovaquie, par exemple, à la suite des accords de Munich de septembre 1938 conclus entre les les représentants de l’impérialisme britannique et français (Neville Chamberlain et Édouard Daladier) d’un côté, et de Hitler et Mussolini de l’autre, l’existence indépendante de la Tchécoslovaquie a été enterrée, le gouvernement ‘démocratique’ d’Edvard Beneš a été jeté hors du pouvoir pour être remplacé par une dictature militaire.

Quant à l’opposition implacable de l’impérialisme britannique face à Hitler, son représentant le plus célébré avant le début de la guerre, Winston Churchill, a écrit les phrases suivantes à propos de l’accession au pouvoir d’Hitler l’édition de 1939 de son livre, les Grands Contemporains: «J’ai toujours dit que si la Grande-Bretagne connaissait la défaite au cours de la guerre, j’espère que nous saurions alors trouver un Hitler pour, à nouveau, gagner notre place légitime parmi les nations». Les nazis ont d’ailleurs été financés et aidés par la classe dirigeante britannique avec un soutien massif de la part des grandes entreprises britanniques aussi longtemps que les nazis regardaient vers l’Est avant-guerre, vers une attaque contre l’Union Soviétique. La Grande-Bretagne a ainsi soutenu le programme de réarmement d’Hitler avec l’accord naval anglo-allemand de 1935 qui a permis un développement de la marine allemande au-delà des limites imposées par le Traité de Versailles.

David Lloyd George, le célèbre dirigeant libéral britannique, avait également décrit Hitler comme un ‘rempart’ contre le Bolchevisme. Churchill, dans son discours à Rome en 1927, n’a pas hésité à faire des éloges aux fascistes italiens: «Si j’étais italien, je suis certain que j’aurais été de tout cœur avec vous du début à la fin dans votre lutte triomphante contre l’appétit bestial du léninisme». En d’autres termes, quand les intérêts fondamentaux des capitalistes sont menacés – le maintien et l’augmentation de leurs bénéfices, marchés, etc. – peu importe les belles phrases sur la démocratie, ils sont prêts à recourir aux méthodes autoritaires les plus brutales si le reste échoue. Ce sont les désaccords fondamentaux entre différents intérêts impérialistes antagoniques qui ont conduit à la Seconde Guerre Mondiale, pas la lutte pour la démocratie.

Cet argument est peut-être contredit par le fait qu’Hitler et Mussolini ont fini par entrer en guerre contre les impérialismes britannique et français, et par la suite contre les USA? Le capitalisme britannique a tout d’abord essayé de calmer le jeu et de s’adapter aux ambitions de l’impérialisme allemand, comme l’illustrent particulièrement les concessions faites sur la question de la Tchécoslovaquie dans les accords de Munich. Mais l’intervention d’Hitler en Pologne signifiait pour les impérialisme britannique et français que l’impérialisme allemand avait, en quelque sorte, franchit le Rubicon. Cela menaçait leurs semi-colonies dans l’ensemble de l’Europe de l’Est et dans le reste du monde.

De façon tout à fait honteuse et incroyable, au moment même où les forces fascistes d’Hitler se préparaient à écraser la Pologne, Staline a choisi de se précipiter à l’aide d’Hitler en signant le pacte Hitler-Staline, la Pacte germano-soviétique de 1939, pacte que Trotsky avait prévu depuis longtemps. Huit jours après la signature du pacte, les nazis ont lancé leur attaque et la Seconde Guerre Mondiale commençait. De cette façon, Staline espérait prévenir la Russie contre une attaque de la part des hordes nazies. Mais, toujours comme l’avait prévu Trotsky, ce pacte aidait Hitler, désormais libre d’amasser ses avions et ses tanks contre la France et, ensuite, contre la Grande-Bretagne. Après cela, Hitler s’est tourné contre l’Union Soviétique et ses ressources, en particulier son pétrole et son blé. Staline a facilité cette attaque en ayant ordonné l’exécution massive de la fine fleur de l’état-major militaire russe. De brillants stratèges militaires comme Mikhaïl Toukhatchevsky, qui avait anticipé la tactique allemande de la guerre-éclair (blitzkrieg), ont péri dans les purges.

 

Les intérêts de la Classe Ouvrière

La position que les socialistes et les marxistes adoptent dans une guerre est d’une importance primordiale. C’est un test des plus acide. La question fondamentale à poser est selon nous la suivante: quelle classe sociale dirige la guerre et dans les intérêts de laquelle la guerre est elle menée? Les palabres concernant la ‘démocratie’ et ‘qui a déclaré la guerre’ sont des thèmes mineurs du point de vue de la classe des travailleurs. De chaque côté du conflit, les diplomates arrivent toujours à dépeindre ‘l’ennemi’ comme l’agresseur. Mais la superstructure politique d’un régime capitaliste ne peut pas changer les bases économiques réactionnaires de l’impérialisme dans un sens ou dans l’autre. Ces bases économiques constituent la force principale qui entraîne une guerre. En ce sens, la deuxième guerre mondiale était essentiellement la continuation de la première guerre mondiale dans la lutte que se menaient des puissances impérialistes rivales.

Cependant, continuation ne signifie pas répétition. L’existence des régimes fascistes – dont l’essence était la suppression complète de tous les éléments de démocratie, et de démocratie ouvrière en particulier (syndicats, droit de grève, liberté d’assemblée, etc.) – a eu un effet énorme sur les perspectives politiques et sur le point de vue adopté envers la guerre de la part des travailleurs (en particulier dans les régimes ‘démocratiques’ de Grande-Bretagne, de France, des USA, etc.) Du fait de l’expérience de la Première Guerre Mondiale, et contrairement à celle-ci, il n’y avait pas d’enthousiasme parmi les masses de la classe des travailleurs pour la deuxième guerre mondiale. Mais ces masses, en Grande-Bretagne par exemple, avaient clairement vu le caractère ouvertement anti-classe ouvrière d’Hitler et de Mussolini et ne voulaient pas d’un régime fasciste, surtout amené par un oppresseur étranger, imposé à eux. Par conséquent, une fois la guerre commencée, le marxisme véritable a dû élaborer une politique à mettre en avant en temps de guerre.

Au cours de la Première Guerre Mondiale, le pacifisme a exprimé l’hostilité des travailleurs contre le carnage de la guerre. Il y avait par conséquent une certaine tolérance envers les objecteurs de conscience. Dans quelques pays, une minorité significative et grandissante de militants ouvriers s’opposaient même à la guerre. Avant le début de la Seconde Guerre Mondiale, il y avait un sentiment général d’opposition à la guerre et pour la paix. Mais une fois la guerre commencée, il devenait urgent pour les marxistes d’élaborer une attitude à adopter face à elle. Répéter simplement certaines des formules que Lénine avait énoncées pour la Première Guerre Mondiale, comme certains groupes sectaires le faisaient alors et comme d’autres le font encore dans des circonstances semblables aujourd’hui, était totalement inapproprié.

Après 1914, Lénine avait rassemblé derrière la politique du ‘défaitisme révolutionnaire’ les forces marxistes et socialistes dispersées au lendemain de la débâcle de la Seconde Internationale sociale-démocrate. Il s’agissait d’une politique orientée vers les cadres, destinée à l’avant-garde de l’avant-garde, et non à gagner la masse de la classe ouvrière. La formule de Karl Liebknecht – ‘L’ennemi principal est chez nous’ – exprimait mieux une politique pour la mobilisation des masses de la classe ouvrière. Ce que Lénine mettait en avant était la nécessité – dans le cadre de la capitulation chauvine et nationaliste des dirigeants de la Deuxième Internationale – d’adopter, de poursuivre en fait, une politique de lutte des classes durant la guerre pour les organisations de la classe ouvrière mais aussi de se préparer à la révolution socialiste qui pourrait sortir de la guerre.

Les socialistes et les révolutionnaires se sont implacablement opposés à la défense de la prétendue patrie capitaliste. Si c’était tout à fait correct, ce n’était pas suffisant pour gagner les masses ou, comme Trotsky l’a dit, «entrainer les cadres qui à leur tour entraineraient les masses qui ne veulent pas d’un conquérant étranger». La politique de ‘défaitisme révolutionnaire’ de Lénine n’a pas été décisive pour que les bolcheviks puissent gagner à eux la classe ouvrière en vue de la prise du pouvoir en octobre 1917, mais bien le slogan de ‘Tout le pouvoir aux soviets’, plus tard combiné à celui de ‘Terre, pain, paix’. Par conséquent, une fois la deuxième guerre mondiale commencée, les forces marxistes de Grande-Bretagne groupées autour de la Workers’ International League (Ligue Internationale Ouvrière) – qui sont plus tard devenues le Socialist Party, le parti-frère du PSL en Angleterre et Pays de Galles – ont formulé, pour faire face à la situation, une politique clairement basée sur la lutte des classes avec l’objectif de gagner les masses. La politique mise en avant par la WIL a d’ailleurs exercé un effet significatif sur des sections de la classe ouvrière durant la guerre.

Trotsky a résumé le problème d’une politique marxiste vis-à-vis de la question militaire durant la deuxième guerre mondiale en ces termes: «Il serait doublement stupide d’adopter une position pacifiste purement abstraite aujourd’hui, le sentiment des masses est qu’il est nécessaire de se défendre. Nous devons dire: ‘Roosevelt [le président des USA] affirme qu’il faut défendre le pays: cela ne nous va seulement que si c’est notre pays et pas celui des 60 familles [les 60 familles les plus riches] et de leur Wall Street’.» Les travailleurs en Grande-Bretagne ou aux USA, a-t-il continué, «ne veulent pas être conquis par Hitler et à ceux qui disent, ‘nous voulons un programme de paix’, les travailleurs répondront: ‘mais Hitler ne veut pas d’un programme de paix’. Par conséquent, nous affirmons que nous défendrons les États-Unis (ou la Grande-Bretagne), mais avec une armée ouvrière, des officiers ouvriers, un gouvernement ouvrier, etc.» En conséquence de quoi les marxistes-trotskistes se sont engagés avec leur classe dans l’armée et, de façon habile, ont développé dans l’armée et les entreprises une politique et un programme de lutte des classes.

Les capitalistes, quand ils ont à choisir entre la classe ouvrière et un oppresseur étranger, choisissent invariablement ce dernier, comme cela a été démontré par la Commune de Paris en 1871. A l’époque, les lâches capitalistes français avaient reçu le soutien des forces prusso-allemande pour réprimer leur propre classe ouvrière. De même, alors que la France reculait face à l’offensive militaire nazie, les capitalistes français ont constamment refusé d’armer la classe ouvrière comme les marxistes l’exigeaient, précisément en raison de leur crainte d’une répétition des évènements de la Commune de Paris.

 

Des brutalités des deux côtés

Le cours militaire de la guerre est assez bien connu et n’a pas besoin d’être répété dans ce texte. L’intervention de l’impérialisme américain et la résistance héroïque des masses russes – en dépit des crimes de Staline – qui stoppé les forces hitlériennes et les ont fait reculer ont été des facteurs décisifs pour renverser le cours de la guerre contre Hitler, Mussolini et l’impérialisme japonais, avec en résultat leur défaite finale. Durant ce processus, cependant, le monde a connu de lourdes pertes tant en nombre de victimes qu’en destruction de richesses et de force industrielle.

Cependant, même actuellement, toute l’histoire de cette guerre n’a toujours pas été entièrement racontée, comme le développe le récent ouvrage d’Anthony Beevor, D-Day et la Bataille de Normandie (édité en français aux éditions Calmann-Levy). Les mesures militaires brutales et insensibles n’étaient pas le seul fait d’Hitler et de Mussolini. Le livre de Beevor sur le Jour-J en Normandie décrit les mesures militaires sauvages appliquées par tous les camps dans une guerre de ce caractère. Il affirme que 70.000 civils français ont été tués par le bombardement allié durant les cinq premiers mois de 1944, soit plus que le nombre de tués en Grande-Bretagne en conséquences des bombes allemandes! La campagne de bombardement qui préparé le débarquement du Jour-J a été organisé par Harris ‘Bomber’, responsable également des pertes subies à Dresde lors de la destruction de cette ville allemande.

Cette guerre, une fois encore comme Trotsky l’avait analysé, a déclenché une vague révolutionnaire et une énorme radicalisation des masses initiée par la révolution italienne de 1943 et le renversement de Mussolini et de son remplaçant, le maréchal Badoglio, ainsi que par les luttes de la classe ouvrière au nord de l’Italie. Quant à l’héroïque classe ouvrière parisienne, elle a pris la ville quand général de Gaulle était encore à des dizaines de kilomètres de la capitale. Ce dernier a été envoyé à toute vitesse dans la capitale par les forces américaines quand justement afin d’empêcher que la libération de paris ne devienne l’étincelle qui aurait mis le feu aux poudres d’une nouvelle révolution française, cette fois-ci avec un caractère socialiste basé sur la classe ouvrière.

En Grande-Bretagne, l’élection générale de 1945 a été tout à fait étonnante pour la plupart des commentateurs d’alors: le ‘victorieux’ Winston Churchill y avait reçu une claque. C’était en grande partie en raison du rejet massif des Conservateurs et de leur projet de société. Les troupes refusaient de retourner aux conditions des années ’30 qui avaient conduit à la guerre. Christopher Bailey et Tim Harper, dans leur livre Forgotten Wars: The End of Britain’s Asian Empire (indisponible en français), ont affirmé: «Avant les élections, Churchill avait été dégoûté d’entendre Sir William Slim lui dire que 90% des troupes qui combattaient dans l’est asiatique allaient voter pour les travaillistes, les autres 10% ne voulant pas voter du tout» (…) «Les partisans des travaillistes, fatigués par la dysenterie, la malaria,… voulaient voir le nouveau monde que les précepteurs de gauche dans les corps d’éducation de l’armée leur avaient promis. D’ailleurs, des révoltes ont eu lieu parmi les forces britanniques de Karachi à Singapour».

 

Les trotskistes en temps de guerre

Les marxistes, et les trotskistes en particulier, sont intervenus avec succès dans le processus de radicalisation des troupes durant la guerre. Rejetant toute politique de désertion ou d’abstention politique, les trotskistes avaient cherché à être vus dans l’armée comme les ‘meilleurs soldats’, comme l’avait dit Trotsky. Au parlement des soldats britanniques du Caire, par exemple, les trotskistes ont eu beaucoup de succès dans leur travail, en dépit des tentatives de la hiérarchie militaire de les persécuter.

Des trotskistes ont aussi joué un rôle héroïque en Europe. En Grèce, par exemple, sous la botte du fascisme, le dirigeant trotskiste grec Pontiles Pouliopoulous a lancé un appel révolutionnaire en italien à son peloton d’exécution de soldats italiens. Un témoin italien a plus tard déclaré: «Pouliopoulous a eu une attitude de héro. Il s’est adressé aux troupes italiennes comme à des ‘frères’ en leur disant: ‘en nous tuant, vous vous tuez vous-mêmes’ – vous combattez l’idée d’une révolution socialiste» Les troupes italiennes ont refusé d’ouvrir le feu, et c’est l’officier fasciste lui-même qui a dû effectuer l’exécution. En Grande-Bretagne, alors que le parti ‘communiste’ condamnait toute grève ‘en soutien de l’effort de guerre’, les trotskistes soutenaient les revendications légitimes de la classe ouvrière durant la guerre en dirigeant avec succès des grèves d’apprentis, d’électriciens et d’autres travailleurs concernant leurs salaires et leurs conditions de travail.

La situation qui s’est ensuite développée a suivi les lignes que Trotsky avait tracées. Une vague révolutionnaire a déferlé d’Italie vers le reste de l’Europe et de la Grande-Bretagne, dans ce dernier pays avec l’élection d’un gouvernement travailliste tandis que les masses ouvrières se radicalisaient de beaucoup en France. Malheureusement, les forces véritables du marxisme n’étaient pas suffisamment fortes pour saisir les occasions qui se sont présentées, en conséquence de quoi le réformisme et le stalinisme ont pu trahir ce mouvement. Le stalinisme était sorti renforcé de la guerre avec la propagation d’une économie planifiée, même dominée par une caste bureaucratique, en Europe de l’Est et avec la victoire de la Révolution chinoise en 1949. Voilà ce qui a créé les conditions politiques préalables au boom économique mondial qui a suivi, entre 1950 et 1975.

Depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale, au lieu de l’avenir paisible tant promis, ces 70 dernières années ont été caractérisées non par une nouvelle guerre mondiale – à moins de compter la prétendue ‘guerre froide’ – mais par des séries de guerres coloniales sanglantes. Cela a obligé l’impérialisme à abandonner le contrôle direct du monde néo-colonial, mais la domination économique impérialiste est encore plus grande aujourd’hui au détriment des masses. Dans la période récente, il y a encore eu la guerre d’Irak, qui a entraîné le plus grand déplacement de population depuis 1945, et maintenant le bourbier afghan. Le pronostic de Lénine affirmant que le capitalisme signifie la guerre et n’est qu’un système d’horreur est bien visible aujourd’hui.

Il est vrai qu’une nouvelle guerre mondiale du style des première et deuxième guerre mondiale n’est plus, ou probablement plus, possible aujourd’hui étant donné le rapport des forces mondial. A l’ère des armes nucléaires, une nouvelle guerre mondiale ne signifierait pas seulement la barbarie, pour employer les mots de Rosa Luxembourg, mais aussi l’extinction même de la civilisation par la destruction des forces productives – et en particulier la plus importante, la classe ouvrière. Les capitalistes ne s’engageraient pas dans une guerre qui assurerait non seulement la destruction de leur système mais aussi d’eux-mêmes, de leurs familles ainsi que de toute les vies humaines et de la société telle que nous la connaissons. L’existence de la démocratie capitaliste – et en particulier des organisations ouvrières, les syndicats, etc. – est le facteur le plus puissant en restant leur main. Cependant si, en raison de l’échec de la classe ouvrière pour prendre le pouvoir, un nouveau dictateur surgissait, aux USA par exemple, alors tous pourrait arriver. C’est toutefois peu probable car la classe ouvrière, réagira en premier lieu face à la crise et se dirigera en direction d’un changement de société. Il faudrait non pas une, mais plusieurs défaites avant que le capitalisme ne puisse à nouveau imposer à la société un régime ou une dictature réactionnaire.

La deuxième guerre mondiale représente une page barbare de l’Histoire qui ne doit jamais être répétée. Mais cela ne peut être garanti que par une révolution socialiste et par la création d’un monde socialiste démocratique.

 


 

Post scriptum:

Depuis que ce dossier a été écrit et envoyé pour être publié dans le magazine Socialism Today, le gouvernement russe actuel, selon The Guardian (édition du 22 août), a déclassé des documents secrets relatifs au Pacte Hitler/Staline conclu il y a 70 ans. Cette manœuvre a clairement pour but de justifier ce pacte. Un représentant des services de renseignement russes, Lev Sotskov, cherche maintenant à faire croire que Staline «n’a eu aucun choix» autre que de s’allier à Hitler en 1939. Cela aurait été rendu nécessaire car «le pacte – signé par les ministres des affaires étrangères Vyacheslav Molotov et Joachim von Ribbentrop – donnait du temps au Kremlin après que l’Ouest ait trahi Staline». Il est vrai que la Grande-Bretagne avait cédé la Tchécoslovaquie à Hitler avec les accords de Munich. Mais l’idée selon laquelle Staline avait été ‘laissé tombé’ avec cet accord est entièrement fausse.

À compter de 1933, Léon Trotsky n’a eu de cesse de continuellement prévenir dans la presse du monde entier que le but fondamental de la politique extérieure de Staline était d’arriver à un accord avec Hitler. Trotsky avait d’ailleurs dénoncé comme les manœuvres hypocrites de Staline entre les deux camps en présence ainsi que sa campagne pour une alliance des ‘démocraties’. Chamberlain a essayé de toutes ses forces d’arriver à une alliance avec Staline, mais ce projet a échoué parce que «Staline craignait Hitler», a ainsi écrit Trotsky. Il a ajouté: «Et ce n’est pas accidentellement qu’il le craint. L’armée rouge a été décapitée.» Staline, à ce moment, préférait un status quo ou une alliance avec Hitler. Ce pacte Hitler/Staline n’était ni dans l’intérêt de la classe ouvrière mondiale – il a outragé les rangs des partis communistes qui ont subi de lourdes défections dans de nombreux pays – ni un outil pour ‘gagner du temps’ ou donner des avantages à la Russie en cas de guerre.

En fait, un accord commercial entre la Russie et l’Allemagne a accompagné le pacte. Cela a énormément aidé l’Allemagne dans son ‘effort de guerre’ en lui assurant des rentrées de matières premières essentielles, du blé et du pétrole. Staline a aidé de façon criminelle Hitler dans sa guerre contre la Grande-Bretagne et la France en renforçant de ce fait les forces allemandes pour ensuite attaquer la Russie deux ans plus tard. Le but du pacte n’était pas de défendre les acquis de la révolution russe, l’économie planifiée, mais bien de protéger les intérêts de la clique du Kremlin et de la bureaucratie qu’elle représentait. La caste bureaucratique craignait de devoir rendre des compte à des masses russes furieuses en cas de guerre.

Cette dernière position du gouvernement russe actuel est en opposition à la décision de 1989 du parlement d’URSS de dénoncer le pacte Hitler/Staline. Le gouvernement Poutine a probablement décidé d’approuver des mesures de Staline 70 ans plus tard parce qu’elle veut s’en servir à certains égards. Par rapport à Staline, Poutine repose sur un système social différent – une économie et un État capitalistes – mais il souhaite utiliser le nationalisme et la force militaire russe, comme Staline, afin de défendre son droit d’intervenir dans des «zones d’intérêts privilégiées» (selon le président russe, Medvedev), dans le voisinage proche de la Russie. Ce n’est pas un hasard si Sotskov justifie également l’intervention de Staline en Estonie, en Lettonie et en Lituanie.

Malgré les apologies du régime actuel de Poutine, le pacte Hitler/Staline était un crime contre les intérêts de l’Union Soviétique et, en particulier, contre les intérêts des masses. Ce crime a été l’œuvre d’un régime bureaucratique cynique sans aucun intérêt pour l’opinion de la classe ouvrière mondiale ou de la lutte pour le socialisme démocratique à travers le monde.

 

 

Dossier par PETER TAAFFE

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