Chapitre VIII. Le mouvement ouvrier : analyses

a) La CNT- FAI : l’anarchisme à l’épreuve des faits

«Le mécanisme politique de la révolution consiste dans le passage du pouvoir d’une classe à une autre.» (Trotsky, «Histoire de la révolution russe»)

Anarchistes et anarcho-syndicalistes refusent d’engager une lutte pour un pouvoir dont ils ne sauraient que faire, vu qu’il serait contraire à leurs principes. Comme en Russie, les confusions politiques du courant anarchiste les amèneront à se heurter en Espagne au problème de l’Etat. Faute d’avoir forgé les armes capables de l’aider à vaincre cet obstacle, le mouvement anarchiste abandonne implacablement ses principes : l’anti-étatisme doctrinal fait place à une collaboration pratique des anarchistes aux organes de l’état bourgeois.

Un des enseignements fondamentaux de la révolution russe est que celle-ci avait permis de vérifier la nécessité de briser l’Etat capitaliste et d’y substituer un gouvernement ouvrier. Les anarchistes n’ont rien tiré de cet enseignement, même s’il est clair que la dégénérescence bureaucratique de l’Etat ouvrier en Russie ne les a pas aidés dans ce raisonnement. Nombre d’anarchistes affirment encore aujourd’hui qu’en Espagne, ils auraient pu prendre le pouvoir mais qu’ils ne l’ont pas fait -non parce qu’ils ne le pouvaient pas- mais parce qu’ils ne le voulaient pas. Trotsky disait que les anarchistes «nient la politique jusqu’à ce qu’elle leur saute à la gorge ; alors ils font la politique à la place de la classe ennemie.» (1) Il n’y a en effet pas d’alternative entre le pouvoir des capitalistes et celui des travailleurs; dans une situation de dualité de pouvoir, c’est-à-dire au moment crucial où il faut choisir entre ces deux options, les dirigeants anarchistes, refusant a priori toute forme de pouvoir, acceptent dans les faits de laisser les rênes de celui-ci dans les mains de l’ennemi. Telles sont les deux faces de l’anarchisme : côté pile, un discours aux accents ultra-radicaux, teinté d’un refus de toute théorie politique; côté face, une capitulation honteuse quand l’histoire met les grands problèmes politiques à l’agenda. Malgré leur rejet infantile de la politique et du pouvoir «en général», c’est effectivement vers une collaboration effective avec la bourgeoisie et ses laquais politiques que les dirigeants de la CNT et de la FAI s’orienteront finalement : le 26 septembre 1936, trois leaders anarchistes acceptent des postes ministériels dans le gouvernement de la «Generalidad» (= gouvernement régional de Catalogne). Une des premières mesures de ce nouveau cabinet sera de dissoudre tous les comités révolutionnaires qui ont vu le jour depuis le 19 juillet. Le 4 novembre, quatre portefeuilles sont proposés à la CNT dans le gouvernement de Madrid ; sans hésiter, les dirigeants anarchistes réitèrent la même bêtise, à l’échelle nationale cette fois. Considérant toujours comme un péché originel de parler de l’Etat ouvrier, de la constitution et de l’élargissement des comités, ils commencent alors, comme en Catalogne, à travailler avec ordre et méthode à la reconstitution de l’Etat bourgeois. Le 23 février 1937, le ministre anarchiste Juan Peiro, écrit : «Notre victoire dépendait et dépend encore de l’Angleterre et de la France, mais à condition de faire la guerre et non la révolution» (2) On cerne ici toute la faillite de la théorie anarchiste, prise au piège de ses propres contradictions : n’ayant pas d’alternative et de stratégie pour contrer la politique de la classe dominante, les anarchistes font la politique à la place de la classe dominante. En renonçant à exercer la dictature du prolétariat, ils acceptent dans les faits à exercer la dictature…de la bourgeoisie. Comme le disait Trotsky, renoncer à la conquête du pouvoir, c’est le laisser dans les mains de ceux qui le détiennent, c’est-à-dire aux exploiteurs. Avant la révolution espagnole, l’anarchisme n’avait encore jamais été véritablement «testé» à une large échelle. Avec la révolution espagnole, ce fut chose faite. Et pour la dernière fois, aimerait-on espérer.

Pourtant, se contenter d’une telle analyse concernant l’anarchisme en Espagne ne suffit pas. Car ce serait faire peu de cas des innombrables militants volontaires et héroïques qui ont combattu sous la bannière de la CNT. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si, au fur et à mesure que le rôle de la direction de la CNT devient de plus en plus clair, des voix de plus en plus nombreuses se font entendre dans ses propres rangs pour critiquer la ligne «officielle». Une différenciation s’opère chez les anarchistes, et de nombreux éléments évoluent nettement vers des positions qui se rapprochent du marxisme révolutionnaire. Un des groupes anarchistes, «Los Amigos de Durruti» (= Les Amis de Durruti), en opposition avec la bureaucratie et les dirigeants gouvernementaux de la CNT, propage le mot d’ordre «Tout le pouvoir à la classe ouvrière» (3) et affirme qu’il a manqué au mouvement libertaire espagnol une théorie révolutionnaire. Durruti était responsable du syndicat du textile de la CNT, il dirigea la résistance armée à Barcelone en ’36 et la première colonne de miliciens qui marchèrent sur Saragosse (la «Colonne de Durruti»), et mourut dans des circonstances suspectes. Les Amis de Durruti voulait arracher le symbole de Durruti à la direction anarchiste officielle ; en juin 1937, ils déclareront : «Pour battre Franco, il fallait d’abord écraser la bourgeoisie et ses alliés staliniens et socialistes. Il fallait détruire de fond en comble l’Etat capitaliste et instaurer un pouvoir ouvrier surgi des comités de base des travailleurs. L’apolitisme anarchiste a échoué.» (4) Ils avaient fini par comprendre que la conquête du pouvoir politique était la condition du succès de la révolution prolétarienne. C’est sans aucun doute pour cela qu’ils seront exclus des rangs de la CNT.

b) Le POUM : le danger du centrisme

«La révolution ne s’accorde pas avec le centrisme. Elle le démasque et l’anéantit.» (Léon Trotsky, «Leçons d’Espagne»)

Le POUM était indiscutablement l’organisation la plus honnête et la plus à gauche en Espagne ; bref, l’organisation aux positions politiques les plus avancées. Malgré ses effectifs relativement faibles, le POUM sut prendre des initiatives qui lui valurent d’accroître rapidement son influence. Toutefois cette organisation sera marquée, dès sa naissance, par le sceau du centrisme : révolutionnaire en paroles, réformiste dans les faits.

Déjà, faut-il le rappeler, sa création en elle-même fut une entreprise hasardeuse : niant les possibilités qui s’ouvraient sur la gauche du Parti Socialiste, les fondateurs du POUM ne cernèrent pas à temps cette évolution capitale que les staliniens, eux, avaient bien compris et mirent à leur profit, avec les conséquences que l’on sait : l’évolution des Jeunesses Socialistes sera brisée net par le ralliement au stalinisme de leurs dirigeants, à travers la constitution de la JSU. Les faiblesses du POUM dans son appréciation de la situation internationale et sa sous-estimation du danger stalinien -beaucoup de dirigeants du POUM estiment que la critique du stalinisme faite par les trotskistes est «exagérée»- n’y sont évidemment pas pour rien dans cette attitude.

La valeur d’un parti, et singulièrement de sa direction, se vérifie à la lumière des grands événements. Par temps calme, tout le monde est bon marin. Il ne suffit pas, en effet, de s’autoproclamer «révolutionnaires» pour agir en tant que tel ; la signature des poumistes apposée au programme du Front Populaire constituait en effet une renonciation dangereuse aux positions politiques adoptées par le parti au moment de sa création. Au moment où l’heure a sonné de préparer la prise du pouvoir par les masses, Andrès Nin affirme imprudemment que la dictature du prolétariat existe déjà en Espagne et que «l’Etat capitaliste est mort à jamais.»(5)

Les dirigeants du POUM resteront à la remorque des anarchistes pendant tout le conflit ; un éditorial de «La Batalla» -le journal du POUM- affirme par exemple: «La responsabilité des dirigeants de la C.N.T. et de la F.A.I. est énorme. Ils détiennent la clé de la situation. Plus, ils sont ceux qui peuvent décider du cours de la révolution». (6) Ils les suivront jusqu’à entrer dans le gouvernement de Catalogne avec eux : alors que les dirigeants bourgeois profitent de la passivité des organisations ouvrières pour restaurer leur appareil d’Etat, Andrès Nin y met sa pierre à l’édifice en acceptant la liquidation du pouvoir révolutionnaire catalan (le «comité central des milices antifascistes») et en devenant ministre de la Justice en Catalogne. C’est sous son mandat que sera par exemple décrété le désarmement des travailleurs catalans ; le 27 octobre 1936 en effet, un décret –reproduit mot pour mot dans le journal du POUM sans la moindre explication ni la moindre critique- stipule exactement ceci :

Article 1. Toutes les armes longues (fusils, mitraillettes, etc.) qui seront trouvés dans les mains de citoyens devront être remises aux municipalités dans un délai de huit jours suivant la publication de ce présent décret.

Article 2. A la fin du délai ci-dessus mentionné, toute personne qui conservera de tels armements sera considérée comme fasciste et jugée avec la rigueur que de tels actes impliquent. (7)

Utilisé par les ennemis de la révolution pour cautionner le sale boulot, le POUM sera ensuite exclu du gouvernement une fois son aide devenue inutile. Au lieu d’utiliser cette exclusion pour corriger ses erreurs antérieures, le POUM ne trouve rien de mieux à faire que de mener campagne pour sa réintégration dans la coalition. Par de tels actes, le POUM, quoiqu’on puisse en dire, partage la responsabilité du coup de frein donné à la révolution. En s’efforçant de ne pas heurter de front ses adversaires, et en couvrant ainsi l’aile gauche du Front Populaire, le POUM ne fera que préparer la voie à sa propre destruction.

Pourtant, ce parti avait d’énormes possibilités : dans les six premières semaines qui suivirent l’offensive révolutionnaire de juillet 1936, il était passé d’un parti de 1000-1500 membres à plus de 30.000 membres. Selon certaines sources, il aurait atteint jusqu’à 60.000 membres. (8) Proportionnellement, il disposait donc d’effectifs plus nombreux que le Parti Bolchévik dans les débuts de la révolution russe.

Malheureusement, accablé de nombreuses insuffisances idéologiques, oscillant entre le réformisme et la révolution par une politique ambigüe et incertaine faite de vacillations et hésitations diverses -et de contradictions continuelles entre ses déclarations et ses actes-, le POUM commettra toute une série d’erreurs qui lui seront fatales : en Catalogne, au lieu de faire un travail dans la CNT-syndicat le plus puissant d’Espagne-, le POUM se contente d’envoyer ses militants dans l’UGT catalane, plus petite et plus inconsistante. Dans le même sens, les poumistes créent leurs propres milices, au lieu de mener le combat au sein des milices de la CNT, qui rassemblent incontestablement la majorité du prolétariat (dès le 21 juillet, les premières colonnes qui partent de Barcelone en direction de l’Aragon ou de Madrid reflètent cette réalité : la CNT-FAI compte 13.000 miliciens, le POUM 3.000, et l’UGT, 2.000). Cet isolement sur le front rend d’ailleurs le POUM particulièrement vulnérable face à l’ennemi : pour exemple, sur le front de Madrid, 9 miliciens du POUM sur 10 tombent en l’espace de six mois. (9) Cherchant ainsi des raccourcis en esquivant le travail dans les organisations de masse, et en refusant par là de disputer la direction de la lutte aux anarchistes, la politique de la direction du POUM aura pour résultat d’isoler l’avant-garde de la classe et de laisser les larges masses dans les mains d’une direction fourbe.

Le jugement sévère qu’y apportera Trotsky n’était donc pas dénué de fondement, loin s’en faut : «La peur de s’isoler de la bourgeoisie conduit à s’isoler des masses. L’adaptation aux préjugés conservateurs de l’aristocratie ouvrière signifie la trahison des ouvriers et de la révolution. L’excès de prudence est l’imprudence la plus funeste. Telle est la principale leçon de l’effondrement de l’organisation politique la plus honnête de l’Espagne, le P.O.U.M, parti centriste.» (10)

c) Le PCE : le stalinisme dans sa plus simple expression

«Le stalinisme est devenu le fléau de l’Union soviétique et la lèpre du mouvement ouvrier mondial.» (Léon Trotsky, «La lutte anti-impérialiste»)

Il n’est sans doute pas exagéré de dire que les staliniens constitueront l’avant-garde de la contre-révolution espagnole, les exécuteurs les plus zélés du rétablissement de l’appareil d’Etat bourgeois. Pendant tout le conflit, les staliniens nageront complètement à contre-courant de la dynamique révolutionnaire, allant jusqu’à nier le fait qu’une révolution prenait place en Espagne, tout en s’attelant avec méthode à dévier celle-ci de son cours.

Il est clair que le but poursuivi à l’époque par Staline dans ce pays n’est pas la victoire de la révolution, mais seulement l’assurance de se constituer de bons alliés contre l’Allemagne nazie pour la 2ème guerre mondiale qui s’annonce. Les dirigeants staliniens ne veulent à aucun prix du triomphe d’une révolution sociale en Espagne, et ce pour deux raisons : d’une part, elle exproprierait les capitaux investis par l’Angleterre et la France, alliées présumées de l’URSS dans la «ronde des démocraties» contre Hitler. Ce dernier fait n’est d’ailleurs même pas contesté par les staliniens eux-mêmes : dans un livre écrit par Santiago Carillo, président du PCE dans les années ’70, on peut lire : «Il est clair qu’à l’époque, la bourgeoisie européenne n’aurait pas toléré qu’un petit pays comme l’Espagne puisse victorieusement porter une révolution socialiste. A cette époque, nous ne parlions pas de révolution socialiste et nous critiquions même ceux qui le faisaient, car nous voulions neutraliser les forces bourgeoises des démocraties européennes.» (11) On a beaucoup de mal à croire que les classes dominantes anglaise et française étaient assez dupes pour ne pas se rendre compte qu’une révolution était en train de menacer leurs intérêts capitalistes en Espagne du simple fait que les staliniens refusaient d’en parler, mais bon…ces derniers n’en sont plus à une contradiction près. En décembre 1936, Staline en personne envoie une lettre au chef du gouvernement espagnol stipulant ceci : «Il ne faut pas repousser les dirigeants des partis républicains mais au contraire les attirer, se rapprocher d’eux et les associer à l’effort commun du gouvernement. C’est nécessaire pour empêcher que les ennemis de la République ne voient en elle une république communiste, et pour empêcher ainsi leur intervention déclarée, ce qui constitue le plus grand péril pour l’Espagne républicaine.» (12) Un deuxième facteur fondamental doit être pris en compte pour comprendre l’attitude du stalinisme en Espagne : «ce qui constitue le plus grand péril pour l’Espagne» aux yeux de Staline, ce n’est pas «l’intervention déclarée des ennemis de la République», mais bien la révolution. La révolution est un phénomène extrêmement contagieux ; autrement dit, la caste dirigeante russe craignait la révolution comme la peste car celle-ci aurait durement secoué l’assise même de son pouvoir en URSS. Pour la bureaucratie stalinienne, une victoire révolutionnaire en Espagne signifiait le chant des sirènes.

Dès lors, pour les staliniens, la lutte n’est plus entre révolution et contre-révolution mais entre démocratie et fascisme, ce qui rend nécessaire le maintien du Front Populaire et de l’alliance avec les républicains bourgeois, le respect des institutions légales, de la démocratie parlementaire et du gouvernement. Le journal «L’Humanité» (journal du PCF) du 3 août 1936 affirme : «Le Comité Central du Parti Communiste d’Espagne nous demande d’informer le public, en réponse aux rapports tendancieux publiés par certains journaux, que le peuple espagnol ne se bat pour l’établissement de la dictature du prolétariat mais pour un seul but : la défense de la loi et de l’ordre républicain dans le respect de la propriété.» (13)

Un argument souvent utilisé par les staliniens pour justifier la politique du Front Populaire est que celui-ci visait à avancer un programme plus modéré capable d’attirer la petite-bourgeoisie vers le mouvement ouvrier, de «sceller l’alliance des classes moyennes avec la classe ouvrière.» (14) S’il entendait cela, Lénine se retournerait dans sa tombe ! L’histoire du bolchévisme est l’histoire d’une guerre sans relâche contre de telles notions. Le moyen de gagner la classe moyenne à la cause du mouvement ouvrier n’est pas de lier les mains de ce dernier aux politiciens bourgeois, mais bien au contraire de faire tout pour les démasquer, de faire tout pour montrer l’incapacité de la bourgeoisie et de son système politique à résoudre la crise, de faire tout pour démontrer dans l’action que la seule issue se trouve du côté des travailleurs. En Russie en 1917, c’est cette politique de classe intransigeante qui a permis de gagner la confiance de la paysannerie et a ainsi assuré le succès de la révolution. La petite-bourgeoisie, de par sa position intermédiaire dans la société, a tendance, dans la lutte des classes, à se ranger du côté du «cheval gagnant», c’est-à-dire du côté de la classe qui se montrera la plus résolue et la plus à même de gagner la bataille. En Espagne en 1936, la politique de Front Populaire a seulement réussi à pousser la paysannerie et la petite-bourgeoisie des villes dans l’indifférence, voire dans les bras de la réaction fasciste.

Références
(1) «La révolution espagnole et les tâches communistes», de Léon Trotsky, p.22
(2) «Politica» du 23 février 1937
(3) «Chronique de la révolution espagnole», publiée par l’»Union Communiste», éditions Spartacus, p.66
(4) «Bilan – contre-révolution en Espagne», de Jean Barrot
(5) «La Révolution Espagnole 1931-1939», de Pierre Broué, chap.6, p.75
(6) «La Batalla « du 3 mars 1937
(7) «Révolution et contre-révolution en Espagne», de Felix Morrow, chap.7, p.116
(8) «The Spanish Revolution 1931-1937”, de Peter Taaffe et Ted Grant, p.49
(9) «Révolution et contre-révolution en Espagne», de Felix Morrow
(10) «Leçons d’Espagne», de Léon Trotsky, p.39-40
(11) “The Spanish Revolution 1931-1937”, de Peter Taaffe et Ted Grant, p.15
(12) “Histoire de l’Internationale Communiste», de Pierre Broué, chap.31 : «Front populaire : image et réalités «, p.692
(13) “La guerre civile en Espagne”, de Felix Morrow, chap.5, p. 95
(14) “Histoire de l’Internationale Communiste», de Pierre Broué, chap.31 : «Front populaire : image et réalités «, p.675

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