Chapitre X. Le pacte de non-intervention

Le 1er août 1936, Léon Blum, cédant aux pressions de l’impérialisme britannique ainsi qu’à celles du parti radical -son partenaire bourgeois dans la coalition du Front Populaire français- avait proposé un «pacte de non-intervention» en Espagne, ratifié quelques jours plus tard par la quasi-totalité des pays européens (29 au total, dont l’Italie et l’Allemagne).

Ce pacte était une hypocrisie complète. Il n’arrêtait certes pas les fournitures d’armes et d’hommes aux fascistes : pour venir en aide à Franco, Hitler envoya entre 20.000 et 60.000 hommes, Mussolini une centaine de milliers) ; par contre, il permettait dans une large mesure d’étreindre la résistance des miliciens ouvriers, notamment par la fermeture de la frontière française et l’embargo général sur les armes.

Sans surprise, l’URSS, sous prétexte de ne pas provoquer la guerre, s’était engagée elle aussi dans cette politique de non-intervention. Trotsky commentait : «La politique de non-intervention que le gouvernement de l’URSS vient officiellement de rejoindre est conservatrice, nationaliste et étroite. Ces gens essaient de se justifier en disant ‘Nous ne voulons pas provoquer la guerre’. Ainsi, ils laissent l’Europe devenir fasciste, puis se retirent. Au bout du compte, ils auront quand même la guerre, mais devrons l’affronter dans des conditions infiniment plus défavorables.» (1)

Cependant, en octobre 1936 s’opère un changement brusque dans l’attitude de la part de la Russie stalinienne : l’URSS viole le pacte et entame à son tour les premières fournitures d’armes. L’arrivée de l’aide matérielle russe (chars, tanks, avions…et police politique) sur le territoire espagnol et l’entrée en scène, à l’initiative et sous le contrôle des différents partis communistes du monde, des «Brigades Internationales» -formées de volontaires de tous pays venus combattre le fascisme-, a pu faire croire à beaucoup de militants que le gouvernement soviétique cédait à la pression des masses.

Il y a certainement là une part de vérité, car le courant de sympathie vis-à-vis des miliciens espagnols est énorme parmi le mouvement ouvrier mondial, et le prestige de l’URSS est en jeu. Néanmoins, comme nous l’explique Wilebaldo Solano, ancien membre du POUM : «Si Staline a changé son fusil d’épaule, il n’a pas pour autant l’intention de laisser se développer la révolution espagnole. Tout en rompant avec la non-intervention, il veut néanmoins continuer à rassurer Londres et Paris et prouver sa capacité à maîtriser le prolétariat d’Espagne.» (2) En effet, l’intervention de l’URSS est dictée par d’autres préoccupations que la victoire de la révolution : les intérêts de sa politique extérieure, la volonté de s’opposer au renforcement de l’Allemagne nazie de plus en plus menaçante. Même à considérer cette stratégie dans un cadre strictement «antifasciste», elle était vouée d’avance à la défaite ; car, comme le dit Pierre Broué, «Staline, incontestablement, était plus préoccupé de faire aboutir son propre plan d’extermination que d’arrêter celui que venait de promettre et d’engager le général Franco avec l’appui d’Hitler et de Mussolini.» (3)

Effectivement, lorsque Staline se décide à envoyer en Espagne des armes, du matériel et des hommes (alors que cette aide fut refusée au début, lorsqu’elle aurait pu être décisive), un autre facteur était intervenu : le recul de la révolution, marqué notamment par l’entrée des représentants de la FAI, de la CNT et du POUM dans le gouvernement. Cet appui en armes va à la fois servir aux staliniens d‘instrument de chantage pour obtenir des garanties politiques de la part des représentants du camp dit «républicain», et constituer un prétexte pour ceux-ci afin de justifier leur capitulation et la trahison de leur base. Pas d’armes, pas de ravitaillement pour Barcelone et le front d’Aragon tant que la CNT n’accepte pas les mesures contre-révolutionnaires proposées par les staliniens : tel est l’odieux chantage auquel ont recours ces derniers. De leurs côtés, les dirigeants de la CNT courbent la tête devant l’influence russe dans la crainte de se voir retirer l’aide en armements. L’ «Independant News» du 31 octobre 1937 rapporte que García Olivier, éminent dirigeant de la CNT, et ministre de la justice dans le gouvernement de Madrid, va jusqu’à affirmer qu’«il faut céder une fois pour toutes aux exigences de Moscou». (4)

Or, le «soutien» des staliniens n’est qu’une étape dans leur manoeuvre destinée à étouffer le foyer révolutionnaire espagnol. De fait, la «réaction démocratique» ne tarde pas à laisser la place à la contre-révolution stalinienne dans toute sa cruauté, mettant la touche finale à l’étranglement de la révolution. L’Espagne devient un laboratoire pour la prochaine guerre mondiale où Staline va pouvoir démontrer aux puissances occidentales qu’il est un allié solide et digne de confiance, capable de ramener l’ordre en étranglant une révolution inopportune.

Références
(1) «Oeuvres» de Léon Trotsky, 1938
(2) «Révolution dans la guerre d’Espagne», de Wilebaldo Solano
(3) «Histoire de l’Internationale Communiste», de Pierre Broué, chap.31 : «Front populaire : image et réalités «, p.696
(4) «Chronique de la révolution espagnole», publiée par l’»Union Communiste», éditions Spartacus, p.43

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