Le mot d’ordre principal du PCE est «victoire militaire d’abord, réforme sociale ensuite». (1) Diaz, que nous avons déjà mentionné plus haut, déclarait : «Il est nécessaire de se mobiliser dans la plus grande unité pour gagner la guerre. Communisme libertaire, dictature du prolétariat, socialisme d’Etat, ou république fédérale, nous parlerons de tout cela APRES la guerre.» (2) En clair, il s’agissait, au nom de la guerre, de sacrifier la révolution.
Ce qu’il faisait mine de ne pas comprendre est qu’on ne pouvait gagner la guerre sans gagner la révolution. Le sort de la lutte militaire était lié directement au développement et à l’issue de la lutte révolutionnaire contre l’Etat bourgeois. Il n’y avait évidemment pas de solution intermédiaire à partir du moment où l’on admet la structure de classe de la société.
La politique stalinienne, au contraire, consistera précisément à tenter désespérément de chercher le chemin d’une «troisième voie» afin de maintenir le statu quo. Cette politique peut se résumer très simplement par une formule du type : «ni la victoire du fascisme, ni celle de la révolution». Staline devait par conséquent entreprendre l’exercice périlleux d’armer la République tout en désarmant la révolution. «Il ne s’agit plus pour lui de soutenir une révolution ouvrière, il s’agit de maintenir un certain équilibre des puissances et de louvoyer avec les masses auxquelles il faut bien mentir», nous explique Victor Serge (3). Cependant, la lutte s’était engagée dans une voie telle que l’issue ne pouvait être apportée que par l’écrasement de l’un ou de l’autre des adversaires en présence. Trotsky analyse : «La tâche des révolutionnaires authentiques consiste, tout en affermissant et en renforçant le front militaire, à briser la tutelle de la politique de la bureaucratie soviétique, donner aux masses un programme social hardi, découvrir les inépuisables sources d’enthousiasme dont les masses sont capables, d’assurer la victoire de la révolution et, par là de soutenir la cause de la paix en Europe. Le salut de l’Europe est à ce prix.»(4) Etablissant une référence à la guerre de sécession, et voulant souligner à quel point la politique est l’arme décisive dans la guerre civile, il poursuit : «Des réformes sociales hardies sont le gage de la victoire. Lee était sûrement un chef militaire plus talentueux que Grant. Mais le programme d’abolition de l’esclavage assura la victoire de Grant.»(5)
Beaucoup d’historiens ont une fâcheuse tendance à expliquer la défaite contre le fascisme en Espagne sous un angle purement militaire. Avec une analyse aussi superficielle, comment expliquer la victoire des Bolchéviks contre les blancs pendant la guerre civile en Russie ? Ceux-ci avaient alors dû faire face, en plus de la contre-révolution intérieure, à l’intervention de 21 puissances étrangères armées jusqu’aux dents. Fin stratège militaire, Napoléon affirmait que «dans une guerre, le moral des troupes vaut trois fois le nombre d’effectifs». En effet, la clé du succès des Bolchéviks ne résidait pas dans leur supériorité militaire ou technique, mais dans le fait qu’ils portaient sur leur drapeau un programme capable de rassembler des millions d’ouvriers et de paysans dans une lutte à mort contre leurs exploiteurs. En Espagne, un tel programme était la condition de la victoire. En particulier, une politique correcte vis-à-vis des paysans et de la question agraire, défendant résolument l’expropriation des grands propriétaires fonciers et la remise de la terre aux paysans, aurait pu indiscutablement faciliter la désagrégation des troupes de Franco, à composition principalement paysanne. Malheureusement, aucun parti n’était préparé à défendre un tel programme jusqu’au bout ; la destruction méthodique des conquêtes révolutionnaires détruisait au contraire la raison pour laquelle tant de militants se battaient, et préparait les conditions de la défaite.
«Qu’a donné la république démocratique au paysan toujours roulé, toujours exploité? La misère et les balles. Or, que lui promettait contre Franco le Front populaire? Le maintien de la même république (…) Le langage mou et la politique pourrie de la démocratie bourgeoise et du Front populaire étaient incapables de disloquer et de démoraliser l’armée fasciste, composée des éléments précisément faciles à gagner : les paysans exploités, les esclaves coloniaux, et même les Allemands et les Italiens luttant pour une cause qui n’était pas la leur.» (6)
Références:
(1) «The Spanish Revolution 1931-1937”, de Peter Taaffe et Ted Grant, p.12
(2) «The Spanish Revolution 1931-1937”, de Peter Taaffe et Ted Grant, p.13
(3) «Révolution dans la guerre d’Espagne», de Wilebaldo Solano
(4) «Oeuvres» de Léon Trotsky, 1938
(5) ibidem
(6) «L’Espagne livrée «, de M. Casanova