I. Préface

I. Préface

Depuis la conférence nationale de novembre 2005 du Mouvement pour une Alternative Socialiste, plusieurs évènements ont confirmé l’analyse qui y a été faite. En conséquence de la défaite de la lutte contre le Pacte de solidarité entre les générations et/ou d’autres attaques patronales, la question nationale revient sur le devant de la scène. Les politiciens bourgeois de tout horizon utilisent la question nationale pour se vendre à leurs électorats en préparation des élections communales d’octobre 2006 et des élections parlementaires de 2007, décisives pour l’avenir de l’actuelle coalition violette au gouvernement fédéral. Le nouveau gouvernement qui sortira de ces dernières élections devra se résoudre à trouver une solution pour la question de l’arrondissement de Bruxelles-Hal-Vilvorde. Plusieurs mois de chamailleries précéderont cette scission, accompagnée, selon les cas, de pleurs sur « la trahison de la Flandre » ou de la Wallonie.

Tout ce cirque aura lieu sous les regards étonnés de la majorité de la population qui n’assiste qu’en spectateur à ce débat. De fait, au moment où les discussions sur la scission de BHV étaient au centre de l’actualité, une enquête a démontré qu’à la question de savoir s’il fallait oui ou non effectuer la scission de l’arrondissement, la grande majorité de la population était « sans opinion ». Il en allait de même à Bruxelles et dans sa périphérie, avec toutefois une polarisation plus forte. Aujourd’hui encore, parmi les couches larges de la population, la compréhension des chamailleries nationalistes est particulièrement limitée, ne parlons même pas d’enthousiasme. Que cela soit le Manifeste pour une Flandre indépendante du Cercle de Warande, la question de la scission de la Croix-Rouge (parce que la section wallonne est déficitaire et que « les Flamands » ne veulent pas faire les frais des « dettes wallonnes ») ou encore la décision issue de Marino Keulen d’imposer des conditions linguistiques pour l’obtention d’un logement social en Flandre (ce qui exclu de leur droit à un logement abordable des groupes linguistiques indépendamment de leurs besoins, dans la même lignée du slogan « adaptes-toi ou casses-toi » cher au Vlaams Blok/Belang), etc. Toutes ces choses doucement soufflées ne sont aucunement suivies d’un mouvement de masse : les larges couches de la population sont plus concernées par l’application du Pacte des générations et les menaces d’attaques sur l’indexation des salaires. Dernièrement encore, la décision de la Communauté flamande à Bruxelles de ne permettre aux animateurs sous sa responsabilité de ne s’occuper que des jeunes néerlandophones n’a conduit – à juste titre d’ailleurs – qu’à la résistance du personnel de ces institutions.

Les directions syndicales n’ont pas organisé la lutte contre le Pacte des générations pourtant haï par la base syndicale. Mais les actions des 7 et 28 octobre imposées par la base ont toutefois permis d’obtenir un match nul plutôt qu’une défaite totale. Dans quelles mesures la pression de la base peut à nouveau réussir à amener le mouvement syndical à entrer en action est encore incertain et dépend également de l’attitude du patronat. Une attaque ouverte contre l’index serait un coup de fouet porté au mouvement, mais les déclarations de Verhofstadt montrent que celui-ci a appris sa leçon: il n’est possible en Belgique de toucher aux acquis du mouvement ouvrier que de façon masquée et surtout de telle manière que les directions syndicales puissent vendre la casse sociale à leurs bases. Mais nous avons déjà pu remarquer par le passé qu’une défaite et un affaiblissement (temporaire) de la lutte collective du mouvement ouvrier belge amènent les tendances nationalistes à prendre le dessus sans épargner les travailleurs.

Ce processus est influencé par différents facteurs. Le MAS/LSP, sans bien évidemment posséder de boule de cristal, peut toutefois dans une certaine mesure dégager de la dynamique en marche l’avenir qui nous est réservé. Si un nouveau parti des travailleurs commence à s’organiser nationalement – ce que soutient le MAS/LSP sans conditions – les tendances régionalistes peuvent être contrariées. Ce serait vu par l’avant-garde du mouvement ouvrier belge – ceux qui aujourd’hui déjà osent mener la lutte – comme un moyen efficace pour décider d’une tactique de lutte nationale des travailleurs contre la bourgeoisie nationale belge ainsi que pour contrecarrer sa tactique de « diviser pour mieux régner ». D’un autre côté, avec la scission de la FGTB-Métal CMB par exemple, le mouvement ouvrier peut se laisser porter plus loin vers ces tendances régionalistes. Le MAS/LSP lutte contre la scission du mouvement ouvrier et donc également contre celle du syndicat des métallos, non pas en vertu d’un certain réflexe unitariste vis-à-vis de l’Etat belge – nous pensons qu’un retour au vieil Etat unitaire, même si on le voulait, est actuellement quasiment exclu – mais en constatant qu’une scission du mouvement ouvrier n’aura pour conséquence que d’amener plus de défaites encore. L’histoire récente de la lutte dans l’enseignement le démontre clairement.

Par ailleurs, la bourgeoisie belge elle-même – qu’elle soit d’origine flamande, wallonne ou bruxelloise – résiste aussi à l’idée d’une scission de la Belgique. Alors qu’elle manie avec habileté les préjugés nationalistes que ses médias se chargent de disperser aux quatre vents, l’indépendance de la Flandre ou de la Wallonie la priverait d’un Etat qui a jusque ici très bien servi ses intérêts. Son attitude à l’égard de la Maison Royale, qui n’est remise en question par aucune institution ou parti, illustre l’attachement de la bourgeoisie belge à l’unité du pays. C’est dans la même logique qu’il faut analyser l’intervention de la Fédération des Entreprises Belges dans le carrousel de B-H-V (« arrêtez tout ça et dépensez cette énergie dans le dossiers des fins de carrière ») ou la réaction du VOKA, organisation patronale flamande, sur le Manifeste du Cercle de Warande. Peut-on imaginer que le Comte Lippens et Etienne Davignon se seraient portés garants et auraient mis leur image en jeu pour établir un aéroport flamand ou wallon après la faillite de la Sabena ? Nous ne le pensons pas. Le MAS/LSP part de l’idée que dans le cas d’une scission, l’unité du mouvement ouvrier belge est nécessaire afin d’éviter une sanglante guerre civile. La bourgeoisie belge n’acceptera pas simplement la création d’une Flandre et d’une Wallonie indépendante, même si cette décision est prise démocratiquement par la majorité de la population.

Les déficits à tous niveaux (à l’exception de quelques profiteurs) trouvent leur origine dans la crise de l’économie capitaliste. Depuis la moitié des années ‘70, le chômage et la pauvreté ne cessent d’augmenter tandis que les salaires on baissé de valeur et que les loyers ou les prix des maisons grimpent continuellement, que les allocations sociales sont devenues autant d’aumônes (le chômeur isolé qui arrive au seuil de pauvreté belge – 772 euros – est un chômeur chanceux). Sur le même temps, la concurrence a énormément augmenté dans la société, surtout pour les couches les plus pauvres: une concurrence en définitive pour des emplois mal payés, pour des logements abordables ou sociaux, pour des places dans de « bonnes écoles »,… Dans les couches larges, le nationalisme est toujours l’expression de la lutte pour plus de moyens. Si il y a des pénuries, la bourgeoisie peut alors faire tourner à plein régime les mécanismes de divisions. La dernière décennie a d’ailleurs démontré à quel point le racisme peut s’imposer à nouveau à grande échelle, tout comme le sexisme dans sa forme « moderne ». Dans le système capitaliste, la question nationale conduit toujours à une impasse, la bourgeoisie ne possède aucune solution durable.

Sans alternative digne de foi de la part du mouvement ouvrier dans ce système où existent si peu de gagnants pour la masse de perdants – des richesses décadentes pour une poignée de super-riches d’un côté et une pauvreté criante pour des couches toujours plus larges de l’autre – alors la réapparition de tendances nationalistes est inévitable. Afin de réfréner la lutte pour le maintien des moyens et des acquis, la question communautaire sur la division de ces moyens à l’intérieur de la Belgique sera toujours mise au premier plan de l’agenda politique, toujours plus urgemment à mesure de l’approfondissement de la crise économique. Il sera de plus constamment plus difficile d’acheter la question nationale. Nous avons déjà pu remarquer que sans concessions, le plus souvent financières, aboutir à un compromis est impossible. Dans les négociations pour trouver un accord sur la scission de B-H-V, ce n’est pas tant le « immédiate » que le « sans compensations » qui pose problème.

Mais cela n’empêche pas les partis bourgeois à jouer prioritairement dans cette cour faute d’autres terrains sur lesquelles se profiler. Et vu que la social-démocratie ne se profile plus sur la fracture fondamentale dans la société – la lutte des classes – elle s’enfonce elle aussi toujours plus profondément dans le régionalisme. Si la scission philosophique entre laïcs et chrétiens a beaucoup perdu de son éclat, elle reste cependant présente sous forme structurelle dans des institutions séparées (écoles, hôpitaux, caisses d’assurances maladies,…). Il en va de même l’intérieur du mouvement ouvrier avec la FGTB d’un côté et la CSC de l’autre, une division qui a de nouveau été utilisée par le gouvernement et le patronat pour nous faire avaler le Pacte des générations. Politiquement, la social-démocratie fait déjà depuis longtemps la cour à la direction de la CSC. La direction actuelle de la FGTB est la conséquence de la « modernisation » – en réalité une « CSC-risation » – du syndicat socialiste d’un organe de combat vers un syndicat de service. C’était d’ailleurs le principal cheval de bataille de la précédente présidente de la FGTB et actuellement membre du Parlement européen pour le SP.a, Mia de Vits, qui voulait en finir avec l’influence de la « vieillotte combativité wallonne », mais qui, en réalité, prenait chaque forme de combativité en grippe. Il est d’ailleurs à remarquer que cette même direction de la FGTB n’a mené aucune lutte réelle et générale contre les nombreuses expulsions de délégués et a même exclu des rangs du syndicat des délégués combatifs comme Roberto D’Orazio, Silvio Marra de même que d’autres délégués de Clabecq et des fonctionnaires syndicaux combatifs comme Albert Faust. Cela s’est idéologiquement traduit par l’acceptation des bases fondamentales de la politique néo-libérale par la direction de la FGTB.

Des partis comme le CD&V, la NVA, le Vlaams Belang et Spirit jouent déjà aujourd’hui avec cette situation par des déclarations selon lesquelles la Flandre ne pourrait maintenir ses acquis qu’en cas de croissance de son autonomie et de cisaillement de la solidarité avec la Wallonie. De leur côté, tous les partis wallons sont partisans d’une scission partielle de la sécurité sociale, bien que les formulations et les rythmes d’adaptation peuvent différer. Tous les partis flamands défendent aujourd’hui une politique d’exclusion pour imposer de façon dictatoriale la langue flamande, ce qui est notamment révélé par la décision d’imposer la connaissance du flamand pour obtenir des logements sociaux, mais aussi par la politique de « harcèlement des francophones » dans la périphérie bruxelloise, politique dans laquelle Leo Peeters du SP.a excelle. La « défaite publique » à l’époque des vives discussions autour de B-H-V, quand Verhofstadt n’a pu que de nouveau postposer un dossier difficile, va devoir être payée, c’est certain.

Mais de l’autre côté de la frontière linguistique également existent des partis qui jouent le jeu communautaire. La question nationale est un facteur clef dans l’image de « parti d’opposition » que le PS a pu maintenir si longtemps malgré sa présence ininterrompue durant presque 20 années au gouvernement fédéral et malgré le fait que régionalement, il a toutes les cartes en mains. La politique néo-libérale en Wallonie – moins avancée qu’en Flandre en conséquence à la fois de la force du mouvement ouvrier wallon, de son poids dans la société mais aussi de la situation économique elle-même – a toujours été expliquée par les politiciens francophones comme « imposée par la Flandre », par « l’Etat Belgo-flamand ». De même, il n’est pas fortuit que le très néo-libéral Plan Marshall soit arrivé après le carrousel de B-H-V. Des politiciens comme Van Cauwenberghe se sont mobilisés pour déclarer dans la presse que « la Wallonie doit pouvoir avancer seule, car nous ne pouvons plus compter sur ces flamands égoïstes ». La surenchère communautaire a l’avenir assuré, également du côté francophone.

Des deux côtés, les mythes obstinés et les préjugés ont grandi et ont la peau dure. En l’absence de parti ouvrier qui puisse mettre en avant une véritable histoire de la lutte des travailleurs belges, ces préjugés auront tout l’espace de s’épanouir. Des deux côtés proviennent une série de « données objectives » aptes à démontrer l’un ou l’autre point de vue, mais tout n’est qu’une question d’interprétation. Tout et son contraire peut être dit sur base des ces données. Le MAS/LSP part de l’idée que le mouvement ouvrier a besoin de s’intéresser lui-même à la question nationale. Finalement, cela revient à mettre en avant la nécessité d’un nouveau parti des travailleurs qui puisse travailler en finesse à une réponse collective, une réponse de classe, face à toutes les études et déclarations bourgeoises. De la même manière que la NVA clame qu’il n’y a jamais eu dans l’histoire de «transferts» de la Wallonie vers la Flandre, nous déclarons que jamais les travailleurs flamands n’auraient réussi à imposer des acquis fondamentaux comme le droit de grève, le droit de vote, la journée des 8 heures, l’index,… sans une lutte en commun avec les travailleurs wallons, très certainement au vu du poids historique du mouvement ouvrier wallon (poids provenant d’une industrialisation à grande échelle plus précoce). Encore aujourd’hui, nous voyons que le bilan entre les défaites et victoires dans les luttes est toujours plus favorable aux travailleurs sur le plan national que sur le plan régional. Dans l’enseignement, le prix à payer pour la scission de la lutte sur le plan communautaire et la cassure de la solidarité dans le mouvement a été et reste lourd. Ce coût n’a par ailleurs pas seulement été payé par le personnel, qui doit maintenant travailler dans des conditions déplorables, mais également par nos enfants qui sont en Flandre, en Wallonie, à Bruxelles ou en Communauté Germanophone les victimes de la politique d’exclusion résultant des coupes d’austérité dans l’enseignement. Tu ne peux pas suivre dans ta classe surpeuplée? Allez, hop ! A l’enseignement professionnel ou même à l’enseignement spécial ! Pour tous, mais très certainement pour les francophones de Bruxelles, le sous-financement de l’enseignement entraîne des conséquences poignantes.

Avec cette publication, le MAS/LSP veut apporter une contribution socialiste à cette discussion, contribution qui est indispensable si nous voulons éviter que les travailleurs flamands, wallons, bruxellois et germanophones aussi bien que les travailleurs d’origine étrangère se laissent diviser dans le futur.

Ce texte est le résultat de discussions à l’intérieur du MAS/LSP sur la question nationale par le biais d’une commission qui a travaillé une demi-année à l’élaboration d’un texte de discussion, d’une conférence nationale en novembre 2005 et d’une discussion au Comité National de février 2006. Nous avons abordé la façon dont les socialistes ont dans le passé – en Belgique et ailleurs – approché la question nationale et avec quels résultats. En d’autres termes, nous avons observé la théorie de la question nationale du mouvement socialiste élaborée avant notre époque pour la cadrer dans la période actuelle. Nous avons abordé le développement de cette question en Belgique en la rapportant systématiquement à l’étude de la lutte des classes en Belgique. De cette manière, nous obtenons une vision historique différente sur nombre de préjugés et de mythes afin de vérifier si oui ou non ils sont réels tout en défendant un programme qui va dans les intérêts des travailleurs et de leur famille, indépendant de leur origine nationale ou de leur langue.

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