Des représentants des sections du Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO) de toute l’Europe, d’Asie, d’Amérique latine et d’Afrique se sont rencontrés cette semaine pour discuter de la situation mondiale en cette période de crise capitaliste profonde, où les travailleurs sont maintenant confrontés à d’intenses attaques sur leur niveau de vie.
“La pire crise du capitalisme depuis les années 30”
Les travailleurs commencent à riposter
Ouvrant la réunion du Comité Excéutif International (International Executive Committee – IEC) du Comité pour Internationale Ouvrière (CIO), Tony Saunois a déclaré que l’année passée a été « extrêmement explosive et importante pour le capitalisme mondial comme pour le CIO ». Ce thème a été développé lors de la première session sur l’économie et les relations mondiales, introduite par Peter Taaffe du Secrétariat International (SI). On aurait peine maintenant à trouver un pays ou une région que l’on pourrait considérer comme stablee, a dit Peter. Par exemple, le PIB africain a été divisé par deux au cours de la dernière décennie. Les pays BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) sont devenus les pays BIC, depuis l’implosion de l’économie russe !
C’est avec une « délicieuse ironie » que le vingtième anniversaire de l’effondrement du stalinisme en Europe de l’Est, que les dirigeants mondiaux avaient espéré pouvoir célébrer en tant que « victoire du marché libre », ait coïncidé avec la pire crise capitaliste depuis les années 30. Un Allemand de l’Est interviewé par le Guardian de Londres leur a par exemple dit que « le communisme athée a été remplacé par le capitalisme athée » !
Lors du dernier meeting de l’IEC, le CIO avait analysé le fait que les capitalistes préféreraient hypothéquer leur avenir afin d’empêcher la récession de se muer en une dépression mondiale. Il semble que cela ait maintenant été accompli, mais la différence entre récession et dépression n’est que d’ordre académique pour les nombreux pauvres du monde entier. Même aux Etats-Unis, des cités telles que Detroit ou des états tout entiers comme la Californie ont été dévastés pour la crise économique. Celà, malgré les 14 trillions de dollars (14 mille milliards, soit 30% du PIB mondial), que les capitalistes ont jeté dans l’économie mondiale. La récente faillite de Dubaï World est un symptôe du type de perspectives auxquelles est confronté le capitalisme mondial : des caractéristiques dépressionaires prolongées, avec des ondes de choc parcourant l’ensemble du système. A la suite de Dubaï World, ce sont des pays entiers qui pourrraient s’effondrer, comme cela a été le cas de l’Islande un peu plus tôt : l’Irlande, la Grèce, la Hongrie et l’Ukraine (qui aurait une probabilité de 56% d’entrer en faillite), sont toutes candidates. Toutefois, les travailleurs commencent à riposter. Les travailleurs de la fonction publique en Irlande ont montré leur fureur face aux tentatives de leur faire payer la crise des capitalistes, via toute une série de manifestations et de grèves de masse qui ont ébranlé leur île.
Pas de retour à la croissance
Il est clair, a poursuivi Peter, qu’il n’y aura pas de retour à la même position économique que celle qui existait avant que le développement de la crise des hypothèques subprimes ne marque le début de la crise. Pendant toute une période, le capitalisme mondial s’est reposé sur la finance et sur le crédit pour tenter de maintenir la profitabilité et les marchés, mais cette voie est désormais fermée. Les « plans de relance » ont modéré les premiers effets de cette nouvellee crise, mais maintenant c’est à la classe ouvrière, ainsi qu’à de nombreuses couches de la classe moyenne, de payer la note. Le coût de la récession a été « équivalent à celui d’une guerre », selon un analyste. L’explosion des bulles qui avaient été créées par l’orgie financière d’avant 2007 pourrait signifier 10 ans de sauvage austérité pour la classe ouvrière – à moins qu’elle ne contre-attaque.
Pour le capitalisme, la seule soi-disant « lueur » au milieu des ténèbres a été la Chine. L’Etat y a réaffirmé son contrôle de l’économie, et on estime à 600 milliards de dollars la valeur qui a été pompée dans l’économie, et qui est maintenant en train de créer de nouvelles bulles, surtout sur les marchés boursiers et immobiliers. Les capitalistes internationaux essaient de forcer le gouvernement chinois à réévaluer sa monnaie, le renminbi, mais ceci ne serait qu’une répétition des accords du Plaza et du Louvre, qui dans les années 80 ont forcé la réévaluation du yen japonais, et ont été à la base des deux « décennies perdues » de croissance économique dans ce pays, avec un taux de croissance d’environ 0,1% par an depuis 1991 ! La croissance chinoise ne résoudra pas les problèmes du capitalisme. L’économie mondiale est confontée à une période prolongée de stagnation et même de de stagflation.
L’Afghanistan et le Moyen-Orient
Tournant son attention vers les relations mondiales, Peter a mentionné l’annonce de l’envoi de 30 000 renforts en Afghanistan faite la veille par le Président Obama, qui reflète la politique de « vitnamisation » du Président Johnson pendant la guerre du Vietnam. Cette politique avait été un échec, tout comme le sera celle d’Obama. Même Alexandre le Grand n’a pas été capable de soumettre l’Afghanistan. Cette crise a maintenant atteint une ampleur régionale, entraînant le Pakistan dans son sillage, où les talibans combattent l’armée pakistanaise. Obama va dépêcher un vice-roi en Afghanistan, et forcera le Président Karzaï à accepter son règne, mais la région toute entière est instable et la pauvreté des masses, terrible. Comme l’a dit un analyste, les Afghans « ne peuvent pas se nourrir de démocratie ».
Le Moyen-Orient lui aussi est en train de plonger dans un conflit de plus en plus profond. La détresse des Palestiniens reste sans réponse, et dans le cadre du capitalisme, le restera. La masse opprimée des Palestiniens devient maintenant de plus en plus sceptique, et c’est peu dire, quant à l’éventualité d’une solution « à deux Etats » sous le capitalisme. Ajouté à cela, se trouve la menace d’une attaque israélienne sur les centrales nucléaires iraniennes, et le danger d’un sanglant conflit régional.
Vide à gauche
En guise de conclusion, Peter a souligné le rôle que peuvent avoir d’audacieuses idées socialistes tout au long du processus en cours. L’extrême-droite est parvenue à occuper une partie du vide politique qui a suivi la récession économique, mais ceci n’est que la première phase de la crise, et leurs idées fausses et pernicieuses seront sapées au fur et à mesure de son avancement – à condition que les socialistes remplissent leur rôle. Malheureusement, certains des nouveaux partis de gauche qui ont été formés au cours des dernières années ont viré à droite, décevant par là même des sections entières de la classe ouvrière. Mais, étant donné l’ampleur du vide à gauche, l’idée de nouveaux partis des travailleurs est en train de gagner du terrain.
Le CIO s’est bien développé l’an dernier, par son rôle à la tête d’importantes luttes industrielles, et par l’élection du camarade Joe Higgins au Parlement Européen. La prochaine période sera favorable aux socialistes, avec un capitalisme en crise profonde, et le CIO peut énormément s’y renforcer.
Contributions au débat
Au cours de la discussion, plusieurs camarades ont exprimé des points de vue pertinents. Le camarade Yuvraj, d’Inde, a souligné le fait que certains politiciens capitalistes sérieux, tels que le Britannique Peter Mandelson, sont en train d’insister sur le fait que le capitalisme britannique doit se tourner vers l’industrie, mais ni lui ni les autres n’ont pris en compte le fait que les investissements ne vont que là où ils rapportent le plus de profits. Al Gore a beau appeler à un « capitalisme durable », les contradictions du capitalisme sont si profondes qu’elles ne peuvent être résolues qu’en abolissant le capitalisme dans son ensemble.
Plusieurs camarades sont intervenus sur les récents mouvements de la classe ouvrière et de la jeunesse. Sonja a décrit les occupations d’étudiants en Autriche, qui sont parvenues à se lier aux syndicalistes en lutte pour de meilleurs salaires. Aïnur du Kazakhstan a dit que la revendication de nationalisation a été mise en avant sur plus de 50 entreprises au cours des derniers mois, y compris par 30 000 travailleurs du pétrole, soutenus par les mineurs de charbon et de minerais. De larges sections de la classe moyenne du Kazakhstan sont tombées dans la misère durant la crise, et forment maintenant ce qu’on appelle des « nouveaux pauvres ». Ces luttes et mouvements de protestation posent maintenant la base pour de nouveaux syndicats indépendants et de nouvelles formations politiques.
La lune de miel d’Obama est terminée
Philip des Etats-Unis a expliqué que la lune de miel d’Obama est arrivée à son terme. Les espoirs engendrés par son élection se sont évaporés parmi toute une section des travailleurs et de la jeunesse, à cause de la crise économique, du débat autour de la réforme des soins de santé aux USA, et du fort sentiment anti-guerre. L’économiste Paul Krugman a expliqué qu’une des raisons derrière la chute du soutien pour Obama (lequel, dans un sondage récent, ne jouissait plus que d’un peu moins de 50% de popularité) a été sa trop grande « timidité » quant à sa politique économique. Il y a une immense colère face aux banques et aux « banksters » (contraction de « bank » et de « gangster »), comme ailleurs, et le capitalisme y est confronté à sa plus grande remise en question depuis des décennies, avec un intérêt croissant en faveur des idées socialistes. Dans un autre sondage, 35% de la jeunesse américaine déclaraient préférer le « socialisme » en tant que système économique.
Le potentiel de lutte aux Etats-Unis a été souligné par Bryan, qui a donné un compte-rendu de la scission sur une base militante au sein des syndicats. Le syndicat United Healthworkers (Travailleurs de la santé unis), qui représente 150 000 travailleurs, a quitté le SEIU (Service Employees International Union) à cause de la politique droitière de sa direction. Selon Bryan, des luttes de masse aux Etats-Unis vont poser la base pour une alternative ouvrière indépendante à gauche des Démocrates.
Ayesha du Liban a décrit la misère dans laquelle vivent les masses égyptiennes, et le manque de toute force politique qui puisse les représenter, malgré leur ardente colère. Les capitalistes égyptiens sont en train de préparer une explosion sociale pour le futur.
Hannah de la section Angleterre – Pays de Galles a donné un aperçu des statistiques concernant les dettes des Etats des principales économies mondiales : à cause de l’ampleur sans précédent des interventions qui ont été effectuées dans le but d’empêcher une récession, le Royaume-Uni est endetté à 87% de son PIB, les Etats-Unis 98%, le Japon 200% ! Même si une dépression peut être évitée, l’avenir sera terrifiant pour la classe ouvrière si aucune lutte ne se développe. Ceci veut dire des grèves générales qui durent un voire plusieurs jours. Le Royaume-Uni n’a connu qu’une seule grève générale au cours de son histoire, en 1926, et cela, à la suite d’une période d’austérité sauvage semblable à celle qui est aujourd’hui proposée par l’ensemble des partis capitalistes du pays.
Plusieurs camarades ont également commenté les effets désastreux que le capitalisme a sur l’environnement et le changement climatique.Le CIO participera de manière énergique aux manifestations entourant la conférence sur le changement climatique de Copenhague.
Les relations économiques du capitalisme s’effondrent
Dans sa conclusion de la discussion Lynn Walsh, du Secrétariat International du CIO, a dépeint un capitalisme dans sa pire crise depuis l’entre-deux-guerres. Les pertes des économies capitalistes s’élevent en moyenne à 5% du PIB mais certaines, comme celles des pays baltiques, ont perdu bien plus que cela. La dernière période a été dominée par le néolibéralisme, la mondialisation et la politique du marché ultra-libre, qui visaient à restaurer la profitabilité du capitalisme. Mais le coût en a été l’accumulation d’une immense montagne de dettes : en 1980, la dette mondiale s’élevait à hauteur d’un an de PIB mondial, mais en 2005, elle valait quatre fois le PIB mondial ! La crise a montré qu’un type de relations a disparu pour en laisser un autre. Les capitalistes sur le plan international travaillent à une réponse empirique au jour-le-jour en guise de réponse à la crise.
Les plans de relance devront être maintenus si l’on veut éviter une deuxième plongée dans la récession, mais cela se ferait aux dépens de la dette de l’Etat. C’est donc la manière de réduire le fardeau pour l’Etat qui a divisé les rangs des stratèges du capitalisme. Certains, tels que Ben Bernanke de la US Federal Reserve, ou Mervyn King de la Bank of England, se sont « convertis » au keynésianisme. Sans les effets de la « facilitation quantitative » (càd, le fait d’imprimer de l’argent), il y aurait déjà dès à présent une nouvelle crise sur les marchés, donc ce camp est peu disposé à supprimer la facilitation quantitative et les stimuli financiers. Mais une autre aile des capitalistes suit toujours la position idéologique du passé qui affirme que la dette de l’Etat crée de l’inflation. Ce serait effectivement le cas en période économique « normale », mais nous ne vivons pas une période normale, mais une période déflatoire. Malgré cela, la plupart de l’argent en provenance de la facilitation quantitative est empilé dans les banques et n’est pas utilisé.
Des perspectives moroses pour le capitalisme
Une chose sur laquelle tous les stratèges du capitalisme sont d’accord, est que ce sera à la classe ouvrière de payer la crise. On s’opposera aux taxes sur la richesse et les profits des grandes entreprises, mais on réalisera d’immenses coupes dans les services publics. Le fait est que ce sont des caractéristiques déflatoires qui vont dominer l’économie mondiale tout au long des prochaines années.
En conclusion, la discussion a montré que les perspectives pour l’économie mondiale sont extrêmement moroses. Ceci signifie une immense rehausse des attaques sur le mode de vie et les conditions de la classe ouvrière. Mais le débat a montré que le CIO est préparé à ces attaques et est prêt à armer la classe ouvrière avec le programme, la stratégie et lees tactiques nécessaires pour contrer les ravages du capitalisme, et se diriger vers un avenir socialiste.