Peu avant le coup d’Etat qui a renversé le gouvernement de Mamadou Tandja le 18 février 2010, il était clair que quelqu’un allait devoir tomber. En tant qu’ancien dirigeant militaire devenu dirigeant civil, Tandja a émasculé l’opposition et s’est forcé un passage vers ce qui était censé constituer une présidence a vie.
De même qu’on le disait souvent quant à la situation au Nigéria sous le régime civil de Shehu Shagari, avant que le Général Muhammadu Buhari ne le renverse en décembre 1983, le pouvoir était dans les rues. Mais dans ce cas particulier, ce n’était pas un cas de «n’importe qui aurait pu le ramasser», mais plutôt que seule l’armée pouvait le récupérer.
Bien que le Niger ait par le passé souffert de la succession de plusieurs régimes militaires, il ne faisait aucun doute que le peuple n’avait aucune sympathie pour le régime maintenant renversé. De nombreuses personnes ont en fait poussé un soupir de soulagement en voyant un dictateur bourgeois notoire se faire ainsi mettre à la porte.
Cherchant à s’auto-maintenir au pouvoir, Tandja a l’an passé organisé un référendum truqué qui lui a anticonstitutionnellement octroyé un troisième mandat, après qu’il ait presté ses deux mandats légaux. La nouvelle constitution aurait fait de sa Présidence et du Conseil des Ministres un organe supérieur à l’Assemblée Nationale, dont la seule fonction serait devenue d’avaliser le budget annuel. Quelle qu’ait été sa décision, elle aurait dû être ratifiée par un Sénat nouvellement créé, dont deux-tiers des membres auraient été cooptés par Tandja et dont il aurait facilement pu ignorer ou faire annuler les motions.
Les protestations contre ces actes anticonstitionnels ont été brutalement réprimées et même, à un certain stade, Tandja a dissout les Cours qui avaient osé intervenir dans l’impasse politique. Les soi-disant politiciens d’opposition n’ont été d’aucun secours. Lorsque la Cour Constitutionnelle a condamné les traitements juteux versés aux cadres du gouvernement, ces politiciens ont été les premiers à s’opposer à ce jugement, sans tenir compte du fait que la majorité de la population vit dans la pauvreté la plus abjecte. Les politiciens d’opposition ont ensuite décidé de soutenir la Cour Constitutionnelle lorsqu’elle a décidé que Tandja ne pouvait pas utiliser un référendum pour s’offrir un troisième mandat. Tandja a alors bien entendu dissout la Cour.
En l’absence d’une intervention politique organisée par la classe ouvrière et d’une direction ouvrière a la tête de celle-ci, le dernier coup d’Etat mené par le Chef d’Escadron Salou Djibo, maintenant à la tête d’un Conseil Suprême pour la Restauration de la Démocratie, était inévitable. Mais bien que certaines sections de la population aient applaudi ce coup d’Etat, celles-ci doivent être averties que l’on ne peut pas faire confiance à la junte pour restaurer la démocratie de manière urgente et fondamentale, à moins que cette junte ne soit placée sous une pression démocratique massive par les travailleurs, les jeunes et les paysans. En fait, il n’est pas exclu que Djibo puisse devenir un autre Tandja après avoir exploité le mécontentement populaire pour prendre le pouvoir. Le fait que cette même junte qui a proclamé que le Niger était un «exemple de démocratie et de bonne gouvernance» a également suspendu la Constitution et dissout tous les organes élus devrait constituer un avertissement.
C’est là le refrain bien familier de “soldier go, soldier come”, tel qu’il a été chanté par le chanteur révolutionnaire nigérian, feu Fela Anikulapo Kuti. Par exemple, la junte militaire dirigée par le Capitaine Daddis Camara en Guinée-Conakry est revenue sur sa promesse de tenir des élections en 2009, promesse qui avait été faite au moment ou elle est arrivée au pouvoir après la mort de Lansana Conté et l’effondrement de son régime impopulaire en décembre 2008. Depuis, la junte guinéenne est en fait partie à l’offensive contre les forces d’opposition qui s’étaient liguées contre Conté. Lors du Lundi noir d’octobre 2009, une manifestation de masse contre la tentative de Camara d’accéder à la Présidence a été brutalement réprimée. Cet instant de folie complète à l’intérieur du stade national de Conakry a été une sorte de reprise du massacre de la place Tiananmen, les soldats tuant plus d’une centaine de gens et violant des femmes en public.
Les éléments ouvriers doivent noter qu’une telle situation pourrait se développer au Niger. Ils doivent également noter que l’expérience du Niger pourrait elle-même se dérouler à nouveau dans d’autres pays ou des dirigeants soi-disant civils ont fini par arranger la Constitution et par décontenancer les souhaits du peuple. Chez nous au Nigéria, l’incapacité du Président Yar’ Adua, gravement malade, à quitter le pouvoir comme l’exige la Constitution, à cause de sa maladie, a plongé le pays dans une nouvelle crise politique, qui s’ajoute à la corruption, à la pauvreté et au chômage perpétuels en plus des vagues de licenciements et de la croissance du militantisme ethnique et religieux. Aujourd’hui, nous avons un Président invisible et un Président par intérim, un soi-disant Commandant en Chef que l’état-major militaire défie ouvertement. Ce genre de blocage politique sans marge de manœuvre peut à un certain moment, en l’absence d’une alternative politique et sociale viable apportée par la classe ouvrière, être exploité par l’armée pour une fois de plus prendre le pouvoir.
Le Niger, en tant qu’ex-colonie française, souffre, comme beaucoup d’autres ex-colonies en Afrique, des divisions ethniques, de la corruption et de la pauvreté. C’est un pays principalement agricole, qui est toutefois riche en ressources minérales précieuses telles que l’uranium et le pétrole. Beaucoup de ces activités économiques dépendant de l’aide extérieure (a laquelle est liée des plans néolibéraux incluant des privatisations, la dérégulation et la hausse des prix des marchandises) de la part de pays impérialistes tels que la France, le Nigéria, la Russie, les Etats-Unis, la Russie et la Chine. Parmi les politiciens nigériens, la lutte pour le pouvoir revient à la lutte pour le contrôle des millions de dollars provenant de l’uranium, de la même manière que les pétrodollars définissent la politique au jour le jour des politiciens capitalistes nigérians. Il n’y a rien qui puisse suggérer que la nouvelle junte ne va pas poursuivre ce pillage tout en imposant des mesures d’austérité à la population.
Le Niger n’a qu’une petite population ouvrière, mais malgré cela, elle pourrait remplir le vide politique en fournissant l’alternative d’une plate-forme politique ouvrière qui utiliserait la solidarité pour construire un mouvement massif pour les masses, qui offrirait une alternative socialiste afin de remplacer la politique capitaliste néolibérale, et qui appellerait au soutien du mouvement ouvrier large dans toute l’Afrique occidentale et sur l’ensemble du continent africain.
Les travailleurs et la jeunesse du Niger doivent revendiquer la fin immédiate de la junte militaire. En particulier, les travailleurs et les jeunes doivent lutter pour la convocation immédiate d’une Assemblée Constituante composée de représentants démocratiquement élus des syndicats, de la jeunesse, des partis politiques, des femmes, des communautés ethniques, etc. dont les fonctions seraient entre autres de rédiger une Constitution plus démocratique.
Ceci devrait aussi constituer le premier pas vers des élections nationales véritablement démocratiques. Au cours de telles élections, le parti politique de la classe ouvrière devrait logiquement se présenter avec un programme qui s’oppose au néolibéralisme, incluant entre autres la nationalisation des secteurs-clés de l’économie sous le contrôle et la gestion démocratique des travailleurs. De cette manière, les ressources qui auraient autrement été pillées par la clique civilo-militaire pourraient être utilisées dans le but de pourvoir aux besoins de base de la population.
Article par Lanre Arogundade