Au moment de produire ce journal, les négociations concernant la réforme d’Etat sont arrivées dans une phase critique, notamment au sujet de Bruxelles-Hal-Vilvorde. Si ce blocage dure trop longtemps et ne dégage aucune solution, tout le travail de cet été aura été vain. Mais ces vacances sans gouvernement auront été différentes de celles de 2007 de par, selon la presse, leur atmosphère politique et la volonté des partis francophones de faire une partie du chemin en direction des revendications des partis flamands. Qu’y-a-t-il derrière tout ça et vers où allons-nous ?
Un accord ou non ? Aujourd’hui, comme en 2007, tout bloque à nouveau autour de BHV, mais le contexte est tout autre. Une série d’accords partiels existent déjà concernant le transfert de certaines compétences fédérales aux régions et communautés, tout comme existe un accord de principe sur la révision de la Loi de financement, avec à la clé une plus grande autonomie fiscale pour les régions.
Il n’est dès lors plus question de la panique qui avait régulièrement envahi les médias en 2007. Généralement, règne plutôt l’idée que les négociateurs ont du sang-froid et suffisamment de pragmatisme pour ne pas mettre en péril les accords en tenant hystériquement à avoir raison dans les dossiers symboliques.
Comme les “hommes d’Etat” belges (les plombiers institutionnels pragmatiques) tels que Dehaene et Van Rompuy l’ont toujours dit, BHV ne peut être résolu que dans le cadre plus large d’une réforme d’Etat qui prévoit des compensations sur d’autres terrains. Concernant BHV, tout accord doit à la fois bétonner la frontière linguistique – afin de conjurer le spectre de la francisation pour les partis flamands – et également bétonner les facilités – pour exorciser le démon de l’existence d’une minorité de francophones sans droits et discriminée pour les partis francophones.
Les négociations semblent cette fois-ci respecter ces règles, même si la N-VA (surtout) et le CD&V d’un côté et le CDH de l’autre soient assez nerveux à l’idée des prochaines échéances électorales et concernant l’avenir de leurs carrières grassement rémunérées. Nous avons connu des moments de dramatisation, mais les accords partiels conclus (rien n’étant toutefois certain tant que tout n’est pas conclu) illustrent qu’il y a une volonté de parvenir à un accord.
La N-VA est-elle prête pour un accord ? En est-elle capable ?
La N-VA n’est pas un parti traditionnel. A la différence des chrétiens-démocrates et des libéraux, à la différence aussi de la social-démocratie qui s’est constamment bourgeoisifiée depuis la fin des années ’80, la N-VA n’est pas sous le contrôle direct de la bourgeoisie.
Les partis traditionnels se sont déjà vendus depuis longtemps, et sont prêts à appliquer le programme de la bourgeoisie à tout moment. Le seul obstacle présent de temps à autresur cette voie, c’est la nécessité d’avoir des voix. C’est cela qui entraîne ces partis à défendre certains points de vue différents (surtout dans l’opposition) ou à agir en contradiction avec ce programme. Le comportement du CD&V depuis sa première cure d’opposition (de 1999 à 2004 au niveau flamand et de 1999 à 2007 au niveau fédéral) en est une excellente illustration.
La N-VA est un parti petit-bourgeois, un parti qui défend les intérêts des classes moyennes flamandes et des petits patrons flamands. Ces dernières années, sous la direction de Bart De Wever, ce parti a quitté l’image de flamingant démodé et nostalgique pour adopter celle d’un nationalisme plus pragmatique, défendant les intérêts de la Voka. Pour cette organisation patronale flamande, BHV et d’autres dossiers symboliques n’ont que peu d’intérêt. Ce qu’elle désire, par contre, c’est une compétition accrue entre entités fédérées, à l’avantage du patronat.
La N-VA ne veut pas faire éclater la Belgique à court terme, et certainement pas de façon chaotique ou violente. Cela contrarierait les intérêts de la Voka. En ce sens, la N-VA – malgré la présence de radicaux flamingants et utopistes désespérés dans ses rangs – peut encore fonctionner comme un parti d’Etat dans le cadre belge. Le résultat des élections de juin dernier a bien dû forcer la bourgeoisie belge à adopter ce point de vue.
Aujourd’hui, les négociations pour une réforme d’Etat et pour la formation d’un gouvernement sont un test pour la NVA : en est-elle capable ? Dans le cas contraire, le choc en retour ne se fera pas longtemps attendre.
Et la classe ouvrière? Et les assainissements?
L’intérêt de la bourgeoisie est d’obtenir l’application d’un plan qui fasse payer la crise aux travailleurs et à leurs familles. Partout en Europe et dans le monde, c’est l’appauvrissement général qui est à l’agenda afin de rendre possible l’enrichissement d’une petite élite. La réforme d’Etat, qu’importe sa façon de réorganiser les différentes pièces du puzzle, doit être considérée dans le cadre de cette nécessité.
En Belgique, les réformes d’Etat ne concernent plus la manière de redistribuer des moyens, mais bien celle de répartir l’austérité et les assainissements entre les différents niveaux de pouvoir. Il n’en allait d’ailleurs pas autrement en 1988, quand un accord a été trouvé pour transférer l’enseignement aux communautés après une longue période de crise politique avec de grandes batailles socio-économiques (le gouvernement chrétien-démocrate/libéral tentait de faire passer une sévère politique d’austérité face à un mouvement ouvrier mobilisé) et également des chamailleries communautaires autour des Fourons. Depuis lors, l’enseignement a bien souffert – coupes budgétaires après coupes budgétaires – avec en conséquence l’actuel manque de place, des classes pleines à craquer et des bâtiments vieillis des deux côtés de la frontière linguistique.
Mais il y a plus. La stabilisation du gouvernement résultant de la réforme d’Etat et du caractère de classe moins officiellement bourgeois du gouvernement suivant constitué des chrétiens-démocrates et des sociaux-démocrates, dès 1988, a donné à la bourgeoisie la capacité d’imposer le plus grand plan d’austérité structurel de l’histoire belge, le Plan Global (1993), malgré la grève générale numériquement la plus grande que nous ayons connue. Pour stopper la lutte avant qu’elle ne provoque la chute du gouvernement, les directions syndicales disposaient de l’argument ultime : il s’agissait du ‘‘gouvernement le plus à gauche possible’’.
Si se constitue aujourd’hui un gouvernement avec le PS et le CDH d’un côté et le CD&V, la N-VA et le SP.a de l’autre, nous pouvons nous attendre à entendre à nouveau cet argument, le seul parti se réclamant ‘‘de droite’’ dans un tel gouvernement serait la N-VA et les deux partis liés aux directions syndicales seraient impliqués. C’est notre plus grande menace pour les années à venir, et la seule réponse appropriée serait que les syndicats brisent leurs liens avec les partis bourgeois et que commence la construction d’un nouveau parti des travailleurs avec l’implication significative de syndicalistes.
Concernant la réforme d’Etat, nous ne devons guère avoir d’illusions. Penser qu’avaler n’importe quoi, simplement en en ayant marre de ces discussions, ne donnera aucune solution. Cette réforme d’Etat ne sera en aucun cas une solution capable de régler définitivement l’affaire. La seule véritable résolution des problèmes communautaires en Belgique est hors de portée du système capitaliste, car cela nécessite une démocratie conséquente avec garantie des droits démocratiques aux niveaux culturel, social et économique pour tout le monde, y compris la garantie des droits de minorités pour les minorités nationales. Cela nécessite d’assurer pour chacun un emploi décent, un logement bon marché et de qualité, un enseignement et des soins de santé gratuits, etc. Les capitalistes n’accepteront jamais de céder cela, la dégradation des conditions de vie des masses ces trente dernières années l’illustre assez.
Article par ANJA DESCHOEMACKER