WikiLeaks : l’empire américain dévoilé

Ce mardi 7 décembre, Julian Assange, le fondateur de WikiLeaks, actuellement l’organisation fauteuse de troubles n°1, a été arrêté après s’être rendu à la police londonienne. C’était là la dernière attaque contre cette organisation, parmi toute une série d’autres. Le site internet de WikiLeaks a subi des attaques sur sa liberté d’accès, des entreprises comme Amazon ou PayPal ont interrompus tous leurs services rendus à WikiLeaks tandis que des institutions financières comme MasterCard et Visa ont gelé ses comptes. Bradley Manning, un des fauteurs de troubles de WikiLeaks, a été arrêté en mai et est maintenant confronté à la cour martiale et jusqu’à 52 de prison.

WikiLeaks a été lancé en 2007 et fournit des méthodes sécurisées et anonymes à tout individu qui désire révéler des informations sensibles aux journalistes, généralement sous forme de documents originaux. Ce mois de juillet, nous avons vu la publication massive et sans précédent de plus de 90.000 rapports d’incidents et d’espionnage au sujet de la guerre d’Afghanistan de 2004 à 2009. Et, le 23 octobre, a suivi la publication de près de 400.000 documents américains classifiés se référant à la guerre en Irak.

Au total, c’est près de 500.000 documents, auxquels il faut rajouter les plus de 250.000 câbles diplomatiques américains, qui sont en train d’être publiés en ce moment. Cette “mégafuite” dépeint une image bien sombre de l’armée américaine qui, en plus de sa malhonnêteté violente, est aussi embourbée dans une crise sanglante et insoluble. Mais plutôt que de faire face à ces problèmes de manière franche, le gouvernement américain a tourné son attention vers des attaques contre WikiLeaks afin d’éviter d’autres situations embarrassantes.

Certains politiciens va-t-en-guerre tels que Peter King et Mitch McConnell ont accusé WikiLeaks de manière fort hypocrite en disant que l’organisation met en danger les troupes américaines en révélant des secrets gouvernementaux ! Mais c’est bel et bien, et avant tout, leur soutien aux guerres impérialistes en Irak et en Afghanistan qui est la cause de toutes ces années de carnage dans ces deux pays. C’est l’administration Bush qui a lancé toutes ces fausses accusations sur la prétendue présence d’armes de destruction massives en Irak, entrainant par là des centaines de milliers de morts. Si WikiLeaks avait existé à l’époque, alors tous ces mensonges auraient été révélés au grand jour et d’innombrables vies auraient été sauvées.

Délits sexuels et “espionnage”

Le tout dernier rebondissement dans cette affaire a été l’arrestation de Julian Assange pour la soi-disant charge de délits sexuels qu’il aurait commis en aout 2010 en Suède. Assange affirme que ce conflit provient du fait que ces rapports sexuels ont été consentis, mais non protégés. Toutefois, la justice l’accuse d’avoir eu un rapport non protégé avec une femme qui était endormie. Il a été libéré sous caution, mais reste maintenu sous surveillance à Londres et est menacé d’extradition vers la Suède.

Ce sont là de graves accusations, qui ne doivent pas être prises à la légère. S’il y a la moindre véracité derrière elles, il faut mener une enquête. Cependant, la manière dont l’enquête a été menée jusqu’ici ôte beaucoup de crédibilité à l’affaire… Peu de temps après que l’enquête ait commencé, le procureur général, Eva Finné, a fait annuler les accusations et retirer le mandat d’arrêt, avec pour commentaire : «Je ne pense pas qu’il y ait de raison de le soupçonner d’avoir commis un crime» (Dagens Nyheter, 03/11/10). Toutefois, l’enquête a été rouverte après l’intervention de Claes Borgström, un politicien suédois haut placé.

De même, il n’a pas encore été condamné pour un quelconque crime, et la Suède ne l’a jusqu’à présent convoqué que pour l’interroger au sujet de cette affaire. Néanmoins, l’Organisation internationale de la police criminelle (Interpol) a émis une ‘‘notice rouge’’ contre lui, sous laquelle il a été arrêté. Interpol n’a jamais, au grand jamais, montré le moindre intérêt dans une quelconque affaire de violence envers les femmes. En considérant le nombre d’actes de violence sexuelles qui se passent chaque seconde dans le monde (dont très peu sont effectivement suivis par la police), il y a beaucoup de raisons de soupçonner Interpol d’être en train d’utiliser cette affaire en tant que prétexte pour lancer une chasse à l’homme. Tout ceci suggère que les gouvernements britannique et suédois, sous pression des États-Unis, sont plus intéressés dans le lancement d’un procès pour hérésie contre Assange et WikiLeaks que dans l’avènement d’une nouvelle politique de lutte contre la violence faite aux femmes.

C’est très certainement le cas pour le gouvernement américain, qui tente d’obtenir l’extradition d’Assange vers les États-Unis pour y répondre des chefs d’espionnage liés aux révélations faites par WikiLeaks. La sénatrice Diane Feinstein (Démocrate, Californie) a émis le souhait qu’Assange soit condamné selon les termes de l’Espionage Act de 1917. Il s’agit d’une loi très floue qui a été instituée sous le président Woodrow Wilson dans le but de réprimer l’opposition à la Première Guerre mondiale. Cette loi a connu son “heure de gloire” avec l’arrestation en 1918 du militant socialiste Eugene Debs, pour avoir fait un discours anti-guerre qui aurait pu “gêner le recrutement”.

Feinstein exige également une peine de dix ans de prison pour chaque fuite, ce qui reviendrait à une peine totale de 2.500.000 ans de prison. Erie Holder, le procureur général d’Obama, a dit que les cadres américains étaient en train de mener une «enquête très sérieuse et active, qui est de nature criminelle» autour des fuites de WikiLeaks (New York Times du 08/12/10). Les sénateurs Joe Liberman (Démocrate indépendant, Connecticut), Scott Brown (Républicain, Massachusetts) et John Ensign (Républicain, Nevada), ont introduit une loi qui rendrait criminel tout média qui publierait des documents de WikiLeaks.

Ces mesures représentent une grave attaque à la liberté d’expression et d’information. Il faut résolument s’y opposer. Quelles que soient les motivations derrière les accusations de délits sexuels en Suède, il est honteux que le gouvernement américain soit prêt à utiliser de telles charges en tant que levier pour attaquer la liberté d’information.

Morts de civils et torture

L’hystérie des gouvernements américains et du monde entier dans leurs attaques sur Julian Assange et sur WikiLeaks révèle une grave hypocrisie si on considère les révélations contenues dans les fuites elles-mêmes. Malheureusement, le gouvernement et les médias américains ont été capables d’utiliser les accusations suédoises afin de détourner l’attention des crimes bien réels et bien documentés qui ont été commis en Irak et en Afghanistan.

Une chose qui saute aux yeux presqu’instantanément est le fait que le gouvernement américain a menti du début à la fin en affirmant que les morts de civils en Irak étaient maintenues au strict minimum, et qu’ils ne savent en réalité même pas combien de civils ont été tués. Les documents estiment qu’entre 2004 et 2009, des centaines de morts violentes de civils ont été enregistrées en Afghanistan, et plus de 66.000 en Irak, mais celles-ci n’ont jamais été publiquement révélées. Il ne fait aucun doute que ces statistiques ne représentent qu’une fraction du nombre de civils qui ont réellement été tués, mais même si on se réfère au système de comptage de l’armée américaine, ce nombre équivaut à trois fois le nombre de morts “ennemies” au cours de la même période (soit 23.984).

Ceci ne devrait guère surprendre qui que ce soit, après avoir visionné la vidéo “Meurtre collatéral” également publiée par WikiLeaks un peu plus tôt dans l’année, qui montrait un groupe d’Irakiens et ce qui s’est avéré être deux journalistes de l’agence Reuters se faire bombarder sans aucun scrupule par des hélicoptères Apache américains dans les rues de Bagdad le 12 juillet 2007. Ils sont tous décédés. Cette vidéo a été suivie par une autre, montrant le meurtre d’un groupe d’hommes désarmés, tandis que leurs enfants trainaient d’autres blessés hors de portée. Quelles que soient les intentions des soldats impliqués, ces actes constituent clairement une violation des règles d’engagement, étant donné qu’aucun des individus pris pour cible n’avait affiché le moindre comportement hostile.

Comme Glenn Greenwald l’a fait remarqué à ce moment-là, «Il y a un véritable danger que des incidents du type de ce massacre en Irak soient exposés d’une manière fragmentaire et inhabituelle : c’est à dire, la tendance de parler de cela comme étant s’il s’agissait d’une aberration. Ce n’en est pas une. C’est en fait le contraire : cela fait partie de la procédure standard que nous suivons lors de toute guerre, invasion ou occupation.» (Salon.com, 06/04/10)

Cette position est soutenue à la fois par de nouvelles preuves et par la vidéo elle-même, dans laquelle les soldats dans l’hélicoptère reçoivent la permission d’ouvrir le feu avant même qu’ils n’aient rapporté quoi que ce soit qui puisse indiquer que les personnes bombardées représentaient une quelconque menace immédiate.

De même, le scandale des actes de torture dans la prison d’Abu Ghraib en 2004 était un autre cas que l’armée a tenté de décrire comme un acte perpétré par “quelques individus pourris”. Il semble que des actes de torture aussi malsains que ceux-ci ou pire encore ont pu se poursuivre en Irak sous la supervision de l’armée américaine, tant qu’ils étaient effectués par les autorités ou par les forces de sécurité irakiennes. Un ordre fragmentaire (ou “frago” – un ordre qui altère un ordre existant) a bien clarifié le fait que les cas d’“abus d’Irakiens par des Irakiens” ne nécessitait “aucune enquête plus approfondie”. Les incidents d’actes de torture auxquels il est fait allusion dans les documents incluent l’électrocution, des foreuses électriques, et de temps à autre l’exécution de détenus. (bbc.co.uk 23/10/10)

La réaction des autorités

Le contrecoup politique qui a suivi ces fuites a été profond : l’ensemble de l’establishment politique a condamné en vrac toutes les fuites et a menacé de répliquer lourdement par des procès contre toutes les personnes impliquées. Certains conservateurs aux États-Unis ont été encore plus loin, comme le commentateur de Fox News qui a appelé à ce que l’éditeur en chef de WikiLeaks Julian Assange soit traité comme un “prisonnier de guerre”. Christian Whiton, un ancien cadre du département d’État, a déclaré que l’ensemble du personnel de WikiLeaks doit être classifié en tant que “combattants ennemis”, et a vigoureusement défendu le fait que des “actions non-judiciaires” soient utilisées contre eux. Un éditorial du Washington Times a dit que le gouvernement américain devrait ‘‘mener la guerre contre la présence sur internet de WikiLeaks’’, et d’autres déclarations similaires sont apparues sur le site de l’American Enterprise Institute (AEI). (The Independent, 27/10/10)

Le soldat de première classe Bradley E. Manning, âgé de 22 ans – et qui est déjà accusé en tant que premier suspect dans le cadre de la publication de la vidéo “Meurtre collatéral” de même que de la vidéo d’un autre raid aérien et de la dernière fuite des 250.000 câbles diplomatiques américains – a lui aussi été classifié comme étant une “personne d’intérêt” en ce qui concerne les carnets de la guerre d’Afghanistan. Rien que sur la base des chefs d’accusation retenus contre lui, il pourrait être condamné à 52 ans de prison !

Tandis que ces attaques contre les responsables des fuites sont en cours, l’administration Obama a en même temps tenté de dénigrer la portée de ces documents, utilisant l’argument éhonté selon lequel ceux-ci ne couvrent que la période qui a précédé la nouvelle offensive, alors que selon eux, la guerre se déroule à présent fort bien. Elle a aussi reçu une petite couverture de la part du Times de Londres, qui a résumé toute l’affaire en disant que «Après tout, les documents ne contredisent pas les rapports officiels de la guerre». Un peu plus récemment, Obama, dans une déclaration commune avec le Président mexicain Felipe Calderón, a condamné «les actes déplorables perpétrés par WikiLeaks» concernant les nouvelles fuites au sujet de la guerre contre la drogue. (New York Times, 11/12/10)

Les efforts frénétiques réalisés pour contenir ces fuites et leur portée vont à l’encontre de toutes les promesses de “transparence” de l’administration Obama. La vérité est plutôt que le gouvernement se base sur le secret en tant qu’outil crucial avec lequel revigorer le soutien en faveur de la guerre, et c’est pourquoi il est tellement prompt à poursuivre les personnes responsables de la fuite de ces documents.

D’ailleurs, cela aussi est confirmé par des documents en provenance de l’armée américaine et de la CIA qui ont été publiés précédemment par WikiLeaks, et qui mentionnent la nécessité de détruire WikiLeaks et comment susciter artificiellement un soutien en faveur de la guerre d’Afghanistan en France et en Allemagne. Ces documents comportent des chapitres aux titres tels que “L’apathie du public permet aux dirigeants d’ignorer les électeurs”. Dans un autre document de cette série, intitulé “Pourquoi compter uniquement sur l’apathie pourrait ne pas être suffisant”, la CIA esquisse d’autres stratégies cruciales pour assurer le soutien à la guerre, tels que l’utilisation de femmes afghanes pour faire des déclarations pro-guerre, afin de jouer sur la sympathie des français envers les réfugiés afghans. Elle souligne aussi l’utilité de Barack Obama en tant que belle gueule pour la guerre, et comme étant quelqu’un à qui la plupart des populations européennes à accorderont plus facilement leur confiance. (Glenn Greenwald, Salon.com 27/03/10)

Poursuivre les taupes responsables de la diffusion de ces documents n’a rien à voir avec la protection de la population, comme de nombreux membres de l’establishment voudraient le faire croire, mais à plutôt tout à voir avec le “management de la perception” (encore une belle formule de la CIA). Pour le reste d’entre nous, ces taupes devraient être considérées comme des héros, prêts à risquer leur vie pour pouvoir livrer au public ces informations cruciales. Ces documents peuvent et doivent être diffusés aussi largement que possible afin d’exposer la brutalité et la futilité des guerres, et devraient constituer un incitant pour renouveler les efforts d’organisation dans le but d’y mettre un terme immédiatement.

Action de protestation contre la censure de WikiLeaks par le gouvernement au siège d’Amazon.com

Ce lundi 13 décembre, la cour du siège de Amazon.com a été inondée par une cacophonie de sifflets et de chants, tandis que 50 personnes protestaient contre la censure de WikiLeaks par le gouvernement américain. Malgré l’averse glaciale, les militants ont envoyé un message clair et sans équivoque à Amazon.com, comme quoi leur décision de censurer WikiLeaks en supprimant son site de leurs serveurs ne se fera pas sans bruit.

Sous la pression du gouvernement américain, Amazon.com a été la première parmi toute une série d’entreprises qui sont en train de restreindre notre droit de connaitre ce que le gouvernement est en train de faire, en bloquant l’accès au site de WikiLeaks, et donc aux câbles diplomatiques américains, et en refusant de transmettre les dons comme pour PayPal, Mastercard ou Visa.

Ceci est une attaque flagrante de notre liberté d’information, de presse et de parole – qui sont des éléments cruciaux et fondamentaux de la démocratie. Ceci représente une tentative de faire taire l’opposition croissante aux guerres impopulaires en Iraq et en Afghanistan, alors que de nombreux câbles révèlent un effort concerté de la part de l’administration Bush comme de celle d’Obama de tromper le peuple américain et le monde afin de pouvoir mener leurs guerres au Moyen-Orient.

L’action, soutenue par Socialist Alternative, a obtenu un soutien large parmi les organisations militantes et la population. La liste des signataires inclut la Coalition de la communauté arabe américaine de l’état de Washington, les Vétérans d’Irak contre la guerre (section de Fort Lewis), les Vétérans pour la paix (chapitres 92 et 111), le Green Party du comté de Skagit, le Centre Whatcom pour la paix et la justice, le collectif Seattle uni contre la répression du FBI, Coffee Strong (une association de vétérans), les Femmes radicales, et le Parti socialiste pour la Liberté

De concert avec les millions de personnes outragées par cette offensive inacceptable contre nos droits démocratiques, et tirant son inspiration des centaines de manifestants à Brisbane en Australie et au Royaume-Uni contre la censure de WikiLeaks, de même que des millions dans toute l’Europe qui ont décidé d’entrer en résistance contre les coupes budgétaires brutales dans les programmes sociaux, nous étions remplis d’indignation et avons scandé «Liberté de parole – sous l’attaque, que faisons-nous ? Levons-nous, ripostons !» Malheureusement, les médias de masse, malgré leurs belles promesses, n’ont pas daigné envoyer le moindre reporter, laissant aux travailleurs et aux jeunes la tâche de s’opposer au rôle perfide qui est joué par le gouvernement américain et par les corporations, et de défendre nos droits à la liberté de presse et de parole.

 

 

Article par George Martin Fell Brown et Brandon Madsen, Socialist Alternative (CIO-États-Unis)

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