Ce document sur le Moyen-Orient/Afrique du Nord (MENA – Middle East and North Africa) est une des résolutions prises à l’issue du 10e Congrès Mondial du Comité pour une Internationale Ouvrière qui s’est tenu en décembre en Belgique. Des documents ont été rédigés sur les relations mondiales, l’Europe, l’Amérique latine, l’Asie, la Russie et l’Europe de l’Est, et sur la situation en Afrique.
Cette région est malade de l’occupation militaire impérialiste, de l’oppression nationale des Palestiniens, des Kurdes et d’autres, des régimes dictatoriaux, de la corruption endémique, des divisions sectaires, religieuses, nationales et ethniques, de la pauvreté et du chômage de masse, tout cela empirant avec la crise économique. Sur base de la persistance du capitalisme et de l’impérialisme, de nouvelles guerres et de nouveaux conflits vont forcément continuer à affecter la région. Un référendum au Soudan prévu en janvier 2011, concernant la sécession du Sud principalement peuplé de noirs animistes et chrétiens par rapport au Nord arabe et musulman, menace de mener à une reprise du conflit sanglant (2,5 millions de gens ont déjà trouvé la mort lors de la dernière guerre civile qu’a connu le pays).
Toutefois, la résistance de masse contre l’autoritarisme et la détérioration des conditions de vie est elle aussi une caractéristique de plus en plus prononcée de la région, comme on l’a vu lors du mouvement d’opposition de masse de 2009 en Iran. Encore plus important du point de vue du CIO, la récente période a aussi connu une hausse des luttes des travailleurs et des efforts pour construire des organisations indépendantes de masse de la classe ouvrière (en Égypte, en Turquie, au Liban, en Algérie et ailleurs).
En Égypte, le mouvement ouvrier a renforcé ses forces au cours des quatre dernières années, dans un contexte de loi martiale et d’oppression. En Turquie, 250.000 personnes ont participé à la manifestation du Premier Mai sur la place Taksim à Istanbul – pour la première fois en 33 ans – dans la foulée de la lutte héroïque des travailleurs de Tekel. Ces développements sont une indication des futures luttes massives de la part des travailleurs à travers toute la région, ce qui va poser les bases pour la construction d’un mouvement ouvrier puissant et indépendant, et pour la formulation d’une alternative de classe et socialiste à la place du système actuel.
Économie
La crise économique mondiale en cours en ce moment va avoir un effet dévastateur sur les conditions de vie de millions de personnes au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.
Même avant la crise, environ 23% de la population de la région vivait avec moins de 2$ par jour, et six millions de gens avec moins de 1$ par jour. Bien que la crise financière mondiale ait eu des ramifications profondes dans les principales banques de la région, l’approche plus “conservative” des institutions financières de la région au cours des années de croissance a fait en sorte que celle-ci n’a pas été aussi fortement frappée que l’Occident, au moins pas dans les premières phases de la crise économique qui s’en est suivie. Les 18 économies qui composent le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord (MENA) s’en sont mieux sorties que les États-Unis, qui ont vu leur production chuter de 2,4% en 2009, ou en comparaison de l’Europe dont l’économie s’est contractée de 4,1% l’an dernier. Toutefois, la performance économique varie grandement au sein de la région entre les pays producteurs et non-producteurs de pétrole.
Certains pays “pauvres en ressources” ont récemment connu une croissance. Uniquement surpassé par le Qatar en termes de croissance économique, le PIB du Liban s’est accru de 9% en 2008 et en 2009, et on s’attend à ce que ce pays croisse encore de 8% en 2010. Mais ces chiffres sont trompeurs. Le Liban se bat pour éradiquer une montagne de dettes qui s’élève à 148% du PIB, et qui est la troisième plus grande dette publique au monde. Les économistes avertissent aussi d’un effondrement possible de la bulle immobilière.
La chute soudaine du prix du pétrole, passant de 145$/baril en juillet 2008 à moins de 40$/baril au début de 2009 a causé un ralentissement des économies des six États producteurs de pétrole de la région (le Bahreïn, le Koweït, l’Oman, le Qatar, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis), connus sous le nom de Conseil de Coopération du Golfe (Gulf Cooperation Council – GCC). Le PIB total des États du GCC, qui inclut certains des plus grands producteurs de pétrole au monde, a chuté d’un impressionnant 80% entre 2008 et 2009. Les États du GCC ont été forcés d’augmenter les dépenses d’État et d’augmenter leur déficit.
Alors qu’on prévoit que l’économie des pays du GCC va connaitre une reprise en 2010 à cause de la nouvelle hausse du prix du pétrole, ce n’est pas une image uniforme, et la croissance générale est sapée par divers facteurs. On prédit que les Émirats arabes unis vont rester à la traine derrière leurs voisins du Golfe à cause de la stagnation de l’économie à Dubaï, à la suite de l’effondrement spectaculaire de son marché immobilier. La persistance de l’“aversion des risques” de la part du secteur bancaire et la prudence des consommateurs sont en train de menacer la reprise des GCC.
La grave crise économique de 2000-2002 dans des pays comme Israël ou la Turquie a constitué une anticipation de la crise économique mondiale actuelle, qui a conduit à une approche plus prudente de la dérégulation des secteurs financiers et bancaires dans ces pays. Les effets de la crise économique mondiale depuis 2007 ont jusqu’à présent été limités, au Moyen-Orient et en Afrique du Nord (bien que, pour la masse de la population, il n’y ait eu aucune amélioration des conditions de vie). Les plans de relance dans les principaux pays capitalistes ont eu un effet sur la région. Israël, en particulier, est assisté par ses liens avec les États-Unis et avec l’Union européenne. Mais l’économie de la région reste dans son ensemble anémique et très vulnérable à la crise mondiale qui se développe. Une “double chute” de l’économie mondiale, ou une croissance faible, une guerre des monnaies et une hausse du protectionnisme auront tous un effet désastreux pour les économies de la région. L’Arabie saoudite s’est déjà jointe à d’autres pays en imposant de nouvelles mesures protectionnistes.
Un chômage de masse
La crise économique met en relief les contradictions nées de la surdépendance aux réserves d’hydrocarbures au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. De nombreux pays de la région sont basés presque entièrement sur le pétrole, et ne sont pas parvenus ni à diversifier leur économie, ni à accroitre le niveau de vie. Le haut taux de chômage qui en découle est une caractéristique constante à travers toute la région ; c’est une véritable bombe à retardement (comme l’a démontré la récente révolte en Tunisie, qui s’est déroulée après le Congrès Mondial, NDT). Plus de 30% des 350 millions d’habitants de la région est âgée d’entre 15 et 29 ans, et le chômage parmi ce groupe est de 28% en moyenne.
Le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord ont le plus haut niveau de chômage des jeunes au monde, et deux tiers de la population y ont moins de 24 ans. La Banque mondiale prédit que 100 millions d’emplois devraient être créés dans la région au cours des 20 prochaines années ne serait-ce que pour accommoder ceux qui cherchent à entrer sur le marché du travail pour la première fois de leur vie.
Le chômage de masse a alimenté un mécontentement de masse et les tensions sectaires à travers l’ensemble de la région. Dans les États du Golfe en particulier, les musulmans chiites sont une minorité depuis longtemps discriminée dans les États sunnites. Ceci s’ajoute aux préoccupations de l’élite par rapport à l’influence de plus en plus grande des chiites en Iraq, aux tentatives de l’Iran de devenir la puissance dominante dans la région, et à la force relative du Hezbollah au Liban. Jouant à fond sur la stratégie de la division, les autorités saoudiennes, koweïtiennes et bahreïniennes ont toutes au cours des derniers mois fait usage d’une lourde répression sur leurs populations chiites qui réclament plus de droits.
Irak
La division sectaire trouve également son expression dans l’incapacité à former un gouvernement en Irak, même plusieurs mois après les élections de mars 2010 (un gouvernement a finalement été constitué en Irak le 11 novembre, après huit mois de négociations et après l’écriture de ce texte, NDT). Après 30 ans de dictature, de guerre, de sanctions, d’invasion et d’occupation impérialiste, d’insurrection et de guerre civile sectaire (les États-Unis soutenant la majorité chiite), l’Irak actuel a atteint une “forme de macabre stabilité”, avec un niveau de violence permanente sans précédent, et un État immensément corrompu et “dysfonctionnel”.
La “situation sur le plan sécuritaire” demeure désespérée ; les pertes de civils sont plus élevées en Irak qu’en Afghanistan. Cette année, on a vu un nouveau développement dans la violence, avec l’assassinat ciblé de plus de 700 personnes, principalement du personnel de sécurité. L’impasse politique au sommet, l’occupation impérialiste continue et les conditions de vie atroces contribuent toutes à une colère de masse, à une violente opposition et au sectarisme. Bagdad est balafrée de 1500 check-points, des rues entières sont bloquées par des kilomètres de murs de protection en béton. Les attentats sectaires ont fait leur grand retour, avec le massacre de tas de chrétiens et de chiites à Bagdad au cours des premières semaines de novembre 2010. Depuis l’invasion sous direction américaine de 2003, la population chrétienne est passée de 1 million à 500.000, et un nouvel exode de cette minorité est maintenant probable. Sans surprise, très peu des 2 millions de réfugiés irakiens en Jordanie ou en Syrie sont prêts à risquer leur vie en tentant un retour au pays. 1,5 million d’autres personnes qui ont fui leur foyer durant les pogroms sectaires de 2006-2007 sont considérés comme “personnes déplacées en interne” ; beaucoup d’entre elles sont forcées de vivre dans des camps sordides, où ils sont rejoints par un nombre croissant de réfugiés économiques irakiens, dont bon nombre de paysans ruinés.
On décrit de plus en plus l’Irak comme un “nouveau Liban”, où chaque ethnie ou communauté sectaire est en lutte pour sa part de pouvoir ou de ressources. Les réserves de pétrole non-exploitées du pays sont parmi les plus grandes au monde, et on estime que ses exportations de pétrole vont quadrupler au cours de la prochaine décennie. Chaque année, environ 60 milliards de dollars issus du pétrole sont nécessaires pour les dépenses de la machine d’État, principalement afin de payer les salaires des forces de sécurité et de la bureaucratie civile. Les dirigeants sunnites, chiites et kurdes veulent tous leur part de l’argent du pétrole et des rares emplois. Le “centre sunnite” de l’Irak craint un “renouveau chiite” – près de 40% du pétrole du pays entoure la ville chiite de Bassorah dans le Sud.
L’Iran est en train d’essayer d’obtenir un accord entre Nouri al-Maliki, le Premier Ministre irakien, et le dirigeant chiite irakien Moqtada al-Sadr (avec aussi une implication des sections syrienne et libanaise du Hezbollah). Jusqu’à présent, les États-Unis ont échoué à composer un gouvernement alternatif. Un cadre occidental anonyme a commenté qu’un second gouvernement Maliki formé selon les termes de l’Iran ne serait “rien moins qu’une défaite stratégique” pour l’impérialisme américain, après une guerre de sept ans qui a couté plus de 600 milliards de dollars, plus de 4.425 vies de soldats américains et plus de 30.000 blessés. Il n’y a même pas la moindre tentative de la part des puissances occupantes de tenir un compte-rendu détaillé des morts civils causés par le conflit. Les estimations varient entre 100.000 et 600.000 morts. Quels que soient les chiffres exacts, il s’agit de toute façon d’un massacre en bonne et due forme de masses d’irakiens innocents.
Malgré le “retrait des troupes” orchestré par Obama, les États-Unis vont conserver au moins 40.000 soldats en Irak, pour construire tout un réseau de bases militaires américaines et donner un soutien lourd à l’État irakien. Mais le fait de renforcer l’armée irakienne est extrêmement périlleux dans une situation de divisions nationales, régionales et sectaires. Un conseiller militaire américain, David Kilcullen, a averti l’an passé du fait que l’Irak affichait les “conditions classiques pour un coup d’État militaire”. Comme l’a déjà souligné le CIO à de nombreuses reprises, une des conséquences possibles de l’invasion et de l’occupation est la création de toute une série de nouveaux dictateurs “à la Saddam”.
L’équilibre des forces sur le plan régional
L’invasion de l’Irak dirigée par les États-Unis a intensifié les tensions au Moyen-Orient et a affaibli la position des régimes les plus pro-américains. Ce dernier processus a été renforcé par la colère populaire vis-à-vis des attaques contre le Liban et Gaza du fait d’Israël, en 2006 et 2009, ainsi que par le raid des commandos israéliens sur le cargo d’aide humanitaire pour Gaza en 2010, en plus de l’oppression continue des Palestiniens.
Les élites dirigeantes des régimes pro-occidentaux, en Jordanie, en Égypte et en Arabie saoudite, sont perçues par les masses arabes comme étant complices de cette oppression, et sont de plus en plus détestées par leur propre peuple. La dynastie des Hachémites en Jordanie a chamboulé les cantons électoraux avant les élections parlementaires en novembre, de sorte à donner une plus grande représentation aux communes rurales faiblement peuplées qu’aux centres urbains denses, où dominent les Jordaniens d’origine palestinienne.
Les conséquences de l’occupation de l’Irak ont modifié l’équilibre des forces dans la région, avec le renforcement de l’Iran et de “l’axe chiite” comme on l’appelle. En outre, avec une population de 72 millions d’habitants et l’ampleur de son intervention en Irak (elle est la deuxième plus grande composante des troupes de l’OTAN en Irak derrière les États-Unis), la Turquie est une puissance régionale grandissante dans la région, et vise à jouer un rôle majeur au Moyen-Orient. Le régime AKP au pouvoir en Turquie utilise la position géostratégique cruciale de son pays (à l’intersection de l’Europe, du “monde russe” et du Moyen-Orient, NDT) pour manœuvrer entre les différentes régions et les puissances locales et mondiales.
Comme l’a souligné le document sur les relations mondiales, l’impérialisme ne sera jamais capable d’imposer de l’extérieur une solution durable pour l’Irak ni pour l’Afghanistan. Après le bilan des années Bush au niveau de la politique extérieure, le caractère de l’intervention impérialiste américaine a été contraint de se modifier. Mais les États-Unis restent, et de loin, la plus grande puissance militaire au monde, une puissance qui va continuer à intervenir là où elle peut pour sauvegarder ses intérêts stratégiques sur les plans économique et militaire.
Une attaque américaine contre l’Iran reste une possibilité, éventuellement avec une coopération israélienne (ou bien sous la forme d’une attaque par Israël “tout seul”). Les répercussions sociales, politiques et militaires d’une telle attaque seraient énormes, dans la région et dans le monde entier. Au départ, une attaque israélo-américaine serait le déclencheur d’une vague terrible d’indignation nationaliste en Iran, mais mettrait aussi le feu aux poudres des sentiments anti-israéliens et nationalistes arabes à travers toute la région. Les Gardiens de la Révolution iranienne et les alliés régionaux de Téhéran – comme le Hezbollah – entameraient des actions de représailles. Sous l’énorme pression de leurs populations, l’Iran et les États producteurs de pétrole pourraient temporairement limiter leurs exportations de pétrole, ajoutant un nouveau revers déstabilisant à la crise économique mondiale.
Le Yémen et la Somalie
Les États-Unis sont de plus en plus emportés par les événements en Somalie et au Yémen, sans aucune perspective de résoudre ces crises. Les États-Unis financent allègrement le régime islamiste “modéré” de Sharif Ahmed en Somalie, qui impose la charia, bien que son autorité ne s’étende guère plus loin qu’à ‘‘quelques ruelles dans la capitale où l’on entend les mouches voler’’ (The Economist du 18/09/10). En réalité, des régions entières du sud et du centre de la Somalie sont contrôlées par les milices islamistes al-Shabaab (“La Jeunesse”). Près de 20.000 civils ont fui cette année la capitale, Mogadiscio, à cause du conflit, et plusieurs milliers ont été tués ou blessés. Les États-Unis sont réticents à envahir le pays à nouveau après son intervention désastreuse en 1993, mais même une politique plus agressive de la part des États-Unis pourrait se retourner contre eux, faisant de la Somalie le prochain “foyer du djihad mondial”.
Au Yémen, l’organisation “al-Qaïda dans la Péninsule arabe” (AQPA) est maintenant considérée par les services de renseignement britanniques comme une menace terroriste aussi grande que celle qui émane du Pakistan et d’Afghanistan. Il n’est pas difficile de comprendre comment le Yémen est devenu un point de concentration pour tous les “moudjahiddines”. Le Yémen est le pays le plus pauvre de toute la MENA ; près de la moitié de sa population vit avec moins de 2$ par jour, alors qu’il est situé juste à côté de certains des plus riches États au monde, y compris l’Arabie saoudite. Le pétrole yéménite compte pour 90% de ses exportations et pour les trois-quarts de son revenu, mais on estime que son faible filon d’“or noir” s’asséchera d’ici 2017. Le chômage est de 35% et on s’attend à ce que sa population de 23 millions d’habitants – dont la moitié a moins de 24 ans – double d’ici 2035.
Sous le règne kleptocratique du Président Abdoullah Salih, le Yémen souffre de conflits séparatistes dans le Nord et dans le Sud. Le Président Salih utilise la menace d’al-Qaïda et de la “situation sécuritaire” pour pourchasser impitoyablement toute opposition séparatiste dans le Sud et pour appeler à un soutien accru de la part du Royaume-Uni et des États-Unis. Peu désireux d’impliquer leurs troupes dans un autre potentiel bourbier militaire, les États-Unis ont envoyé un chèque de 300 millions de dollars “la moitié pour le développement, la moitié pour l’armée” au régime Salih. La presse affirme que la Maison blanche est en train de se préparer à intensifier ses “opérations spéciales” au Yémen, y compris plus d’attaques de drones. Il ne fait aucun doute que ceci va contribuer à accroitre le champ de recrutement d’AQPA. Toutefois, les “moudjahidines” sont moins soutenus dans le sud du Yémen. De fait, la plupart des Yéménites ‘‘se soucie plus de la terre et d’argent que de religion et d’idéologie’’ (The Observer du 31/10/10).
Dans le contexte de l’aggravation des difficultés sur le plan économique, du vide politique à la tête des mouvements de masse, de la putréfaction de la bourgeoisie néocoloniale et de la rhétorique “anti-impérialiste” des islamistes politiques, les divers phénomènes de l’islamisme politique et du terrorisme vont continuer à susciter une attraction parmi des couches larges des parties les plus aliénées de la population de la région. Mais les masses apprennent aussi de leur propre rude expérience de l’islam “politique” et “radical” de droite, comme l’opposition de masse au règne des mollahs en Iran et le dégout face aux atrocités sectaires d’al-Qaïda en Irak le montrent bien. Le développement de la lutte de masse des travailleurs et de la radicalisation de classe va voir se développer les idées anticapitalistes et socialistes, et constituera un puissant pôle d’attraction pour les masses, de même qu’une tendance capable de contrebalancer l’islam politique réactionnaire et le terrorisme. Bien que ce processus ne se fera pas de façon directe, et verra aussi le développement de tendances plus larges et plus confuses comme le “pan-arabisme” ou le “pan-islamisme”, et même le développement possible d’un “islamisme de gauche”, les puissantes batailles de classe qui se trouvent devant nous vont poser la base pour le renouveau des idées socialistes et de classe qui étaient naguère si puissantes dans la région.
C’est une de nos tâches principales dans ce processus : aider le mouvement ouvrier à apprendre les leçons des erreurs et des trahisons des anciens dirigeants des partis communistes et des autres organisations de masse.
Palestine et Israël
À coup de grand ramdam médiatique, le Président Obama a organisé de nouveaux “pourparlers de paix” entre le Premier Ministre Netanyahou et le dirigeant palestinien Abbas en septembre 2010. Le “but” de ces pourparlers, une soi-disant “solution à deux États”, verrait en réalité le maintien des frontières de 1967, avec 80% de la terre pour Israël, plus une partie de la Cisjordanie. Les Palestiniens recevraient un petit territoire invivable, sans aucun droit de retour pour les réfugiés. Netanyahou a bien expliqué que Jérusalem restera sous domination israélienne et ne sera pas une “capitale partagée”, et que tout État palestinien sera soumis à la surveillance de la police israélienne.
Il ne fait aucun doute que l’administration Obama voudrait voir un accord – aux dépens des Palestiniens, bien entendu – afin de renforcer et consolider les intérêts américains, y compris la position d’Israël à long terme, en tant que son principal allié dans la région. Netanyahou, mis sous la pression des différentes factions au sein du gouvernement israélien de coalition, avec d’un côté l’ultra droite liée aux colons, de l’autre son propre parti, le Likoud, n’est à ce stade pas prêt à accepter les souhaits des États-Unis. Toutefois, Netanyahou pourrait finalement plier sous la pression américaine, qui est soutenue par certaines sections de la classe dirigeante israélienne qui craint les conséquences des tendances démographiques, et qui se soucie de la position régionale et internationale du capitalisme israélien.
La classe dirigeante israélienne est prise au piège. Elle craint que la “bombe à retardement démographique” ne mène à ce que la population palestinienne croissante au sein d’Israël ne devienne majoritaire. Le Ministre israélien de la Sécurité, Barak, a exprimé en février 2010 ce problème auquel est confrontée la classe dirigeante : ‘‘Tant que dans ce territoire à l’ouest du fleuve Jourdain, il n’y aura qu’une seule entité politique appelée Israël, alors elle sera soit non-juive, soit non-démocratique’’. Il a poursuivi en disant ceci : ‘‘Si dans cet État unique, les Palestiniens qui habitent en Cisjordanie pouvaient dans le futur voter lors des élections en Israël, alors Israël deviendrait un État bi-national. D’un autre côté, au cas où les Palestiniens ne pourraient pas voter, alors ce serait un État d’Apartheid… Ces alternatives nous forcent à tracer la frontière d’un État qui inclut une majorité juive, avec un État palestinien de l’autre côté.’’
La classe dirigeante israélienne craint fortement que toute concession accordée aux masses palestiniennes ne fera que renforcer la lutte contre l’oppression. Mais renforcer la répression étatique n’aura au final qu’un effet similaire.
La montée du néolibéralisme en Israël a joué un rôle décisif dans l’écrasement de la base traditionnelle de soutien des principaux partis politiques de la classe dirigeante israélienne, ce qui a pour finir mené à l’effondrement du camp de la “gauche sioniste”. Le gouvernement Netanyahou, confronté à la crise historique du sionisme elle-même, est forcé, encore plus que les gouvernements précédents, à se baser sur un nationalisme et un militarisme israélien affirmé, en plus de l’islamophobie et du racisme anti-arabe. C’est cela qui a mené à l’inclusion de partis d’extrême droite dans le gouvernement et leur influence croissante au sein des principaux partis traditionnels de l’establishment au pouvoir. Un tel développement signifie que ces partis sont des outils moins fiables aux yeux de la classe dirigeante.
Les “pourparlers” israélo-palestiniens sont en ce moment en pause, à la suite de la reprise de la construction de “colonies” en terre palestinienne le 27 septembre. Même si Netanyahou, sous l’intense pression américaine, parvient à dompter la droite assez que pour pouvoir maintenir “vivants” ces soi-disant pourparlers (en faisant même rentrer le parti “Kadima” dans la coalition), la classe dirigeante israélienne donnera aussi peu que possible et s’assurera qu’il n’y ait aucun développement d’un État palestinien réellement indépendant.
Parmi la population juive, une couche, surtout composée de jeunes, est dégoutée par la politique de Netanyahou et de l’extrême droite, et commence à entrer en opposition ouverte. Bien qu’encore peu en nombre, l’existence même de cette tendance est lourde de sens.
Tandis que le nationalisme sioniste est utilisé pour bloquer la lutte de classe, et en particulier les luttes qui pourraient franchir la division nationale, d’importantes ripostes de la part de la classe ouvrière ont eu lieu en Israël au cours des dernières années. On a eu en 2007 la grève massive des enseignants du secondaire qui a défié le gouvernement et qui a culminé avec la mobilisation de 100.000 enseignants, étudiants et sympathisants au cours d’un meeting de solidarité où les chefs des syndicats ont été forcés par l’humeur combative d’appeler à une lutte plus large, “pour un État-providence”. Même la fédération syndicale Histadrut a vu son nombre d’affiliés croitre depuis 2006. De 1996 à 2004, l’ancienne direction de Histadrut s’était vue contrainte de diriger les plus grandes grèves de toute l’Histoire d’Israël. Après la défaite de ces luttes, la nouvelle direction est parvenue depuis 2005 à imposer un silence industriel sans précédent (le syndicat des enseignants du secondaire ne fait pas partie de Histadrut). Elle a conclu des accords pourris avec les patrons et le gouvernement, sous prétexte de
“responsabilité nationale”.
Toutefois, comme cela est déjà impliqué par quelques exemples petits, mais lourds de signification, la bureaucratie a été forcée à lâcher de la vapeur lors des dernières années (dans certains cas, à cause de l’influence de la nouvelle organisation “Pouvoir aux travailleurs” que le CIO a aidé à lancer et à construire), le calme industriel va forcément se terminer, et l’emprise de la bureaucratie ne pourra que se relâcher. Ce sera particulièrement le cas lorsque l’économie israélienne sera touchée par la récession qui, on peut s’y attendre, sera plus vive que le dernier ralentissement de début 2009. Pour remporter les batailles du futur contre les patrons, les travailleurs israéliens vont devoir adopter un programme de solidarité et de lutte unie des travailleurs juifs et arabes. Ceci implique de rompre avec la politique d’oppression, de colonisation et d’agression militaire envers les masses de la région qui est celle de l’élite dirigeante.
Pour l’instant, la “direction” poltronne de l’Autorité palestinienne (AP), sous pression de l’administration américaine, cherche toujours désespérément à maintenir les pourparlers, tout comme la très molle Ligue arabe. La réalité est que la tournée actuelle de (non-)pourparlers ne mènera absolument nulle part. Bien qu’une marge très limitée pour un peu plus d’“auto-gouvernance” des Palestiniens pourrait être accordée à un certain point – allant même jusqu’à l’annonce de la création d’un pseudo État palestinien “indépendant” –, sur base du capitalisme et de l’impérialisme, aucune solution durable et fondamentale ne peut être trouvée pour la question palestinienne ou pour amener la paix dans la région. Qui plus est, une telle annonce pourrait servir de prétexte pour intensifier la répression contre les Palestiniens qui vivent en Israël, ou pour lancer une nouvelle attaque militaire contre le Hamas à Gaza, où un et demi millions de gens restent vivent encore en état de siège, avec une immense pauvreté et un immense chômage. Les conditions au sein de l’AP sont loin d’être fort meilleures. Les Palestiniens qui vivent en Israël sont de plus en plus aliénés par les mesures discriminatoires et par la persécution et la répression brutales de toute forme de protestation. Ceci s’ajoute aux attaques de la part de l’extrême-droite, à la pauvreté croissante et aux tentatives de l’État israélien d’altérer l’équilibre démographique au détriment des Palestiniens.
L’armée israélienne continue à menacer de lancer des attaques militaires contre le Hezbollah au Liban. De fait, la situation est lourde de conflits militaires et de guerres. Tout comme les attaques précédentes d’Israël sur le Liban et sur Gaza, de tels conflits vont déclencher une immense colère et opposition dans tout le monde arabe et sur le plan international. Au lieu de pourparlers menant à la paix et à la justice, la question nationale devient de plus en plus ingérable, menant à de nouveaux mouvements et révoltes de masse des Palestiniens opprimés. Même l’élite dirigeante palestinienne a partiellement reconnu cela, avec certains de ses dirigeants nationaux qui reprennent les cris de l’immense frustration des masses en parlant de “lutte”. Bien entendu, ces “dirigeants” ne font qu’utiliser la menace d’un renouveau de la lutte de masse pour tenter d’ajouter une pression sur Israël et sur les puissances occidentales et les forcer à un accord.
Tous les acquis majeurs obtenus par les Palestiniens ne l’ont été que par des mouvements de masse, surtout la Première Intifada. Les développements actuels jettent les bases pour de nouvelles révoltes de masse. La lutte pour les droits démocratiques et sociaux des Palestiniens à l’intérieur d’Israël sera très certainement un des points centraux lors d’une “Troisième Intifada”. La lutte de masse des Palestiniens, tout comme au cours des précédentes insurrections, recevra une solidarité toute prête dans la région comme sur le plan international, y compris de la part d’une section des travailleurs et des jeunes juifs. Toutefois, sans une direction armée d’une approche de classe, le mouvement de masse pourrait finir par déployer des méthodes de lutte contre-productives, limitant par là sa capacité à contrer la violente répression du régime israélien. Un programme marxiste pour résoudre la question nationale, sur une base de classe et socialiste, est vital pour faire progresser la lutte et pour empêcher un possible élargissement de la barrière nationale.
Le régime du Hamas à Gaza continue à partiellement canaliser la colère des Palestiniens face à leurs terribles conditions de vie. Mais avec sa politique islamiste de droite, le Hamas n’offre aucune stratégie alternative viable pour les Palestiniens opprimés ; cette politique est d’ailleurs de plus en plus remise en question par des sections de la population gazaouie. De fait, le Hamas a entamé des négociations en coulisse avec l’impérialisme américain, et son sous règne les femmes sont de plus en plus opprimées, de même que toute opposition au Hamas.
La libération des masses palestiniennes ne peut pas être accomplie dans le cadre du capitalisme. Leurs aspirations ne peuvent être satisfaites dans une lutte aux côtés des régimes arabes corrompus et réactionnaires. Après tout, le régime de Moubarak en Égypte est responsable du blocus de la frontière de Rafah avec Gaza, et la classe dirigeante libanaise porte la responsabilité de l’oppression et de la discrimination continues des Palestiniens dans les camps de réfugiés au Liban. La lutte pour l’émancipation doit être liée à la lutte pour le socialisme, sur base de l’unité de la classe des travailleurs à travers la région. Ce n’est qu’à travers des mouvements de masse unis de la classe ouvrière et des pauvres de Palestine, et d’Israël aussi, qu’une solution pourra être trouvée ; que l’on pourra s’opposer à l’oppression nationale, aux partis des patrons et de l’impérialisme ; et obtenir une réelle auto-détermination pour les Palestiniens – pour une Palestine socialiste et démocratique, pour un Israël socialiste et démocratique, en tant que membres égaux et volontaires d’une confédération socialiste de tout le Moyen-Orient.
Les positions politiques de principe établis par les forces du CIO en Israël et au Liban, souvent dans des conditions objectives extrêmement difficiles, sont cruciales pour préparer le terrain pour de futurs grands pas en avant pour le marxisme dans la région.
Le Liban
La complexité et la haute instabilité de la situation au Liban – dominée par des partis pro-marchés et à base sectaire, et par l’interférence des puissances régionales et impérialistes – ont été illustrées par la volte-face du Premier Ministre Saad Hariri en septembre dernier au sujet de l’assassinat de son père Rafiq, qui avait été cinq fois Premier Ministre. Saad Hariri avoue maintenant s’être trompé en accusant la Syrie de l’attentat à la voiture piégée qui a tué Rafiq, un homme d’affaires multimilliardaire. C’est ce meurtre en 2005 qui a déclenché la “Révolution des Cèdres”, soutenue par l’Occident, et qui a mené au retrait des “gardiens de la paix” syriens après trois décennies d’implication syrienne directe au Liban. Saad Hariri est arrivé au pouvoir au cours de ces événements, mais lui et ses alliés ont seulement obtenu une très mince majorité parlementaire. Le Hezbollah pro-syrien (dont le prestige a été grandement renforcé après la guerre d’Israël contre le Liban en 2006) a, avec ses alliés, forcé Hariri à partager le pouvoir en 2008. Depuis lors, les alliances politiques de Hariri se sont affaiblies et son principal soutien étranger, l’Arabie saoudite, a amélioré ses relations avec la Syrie. Maintenant, le tribunal des Nations-Unies qui est en train de mener une enquête autour de l’attentat de 2005 serait en train de s’orienter vers une responsabilité du Hezbollah ou d’un “groupe solitaire” émanant de cette organisation. Une telle découverte serait hautement explosive et pourrait déclencher une nouvelle crise politique.
Quelles que soit leurs différences sectaires, tous les partis libanais partagent la même politique économique et sociale pro-capitaliste. L’importante lutte des enseignants en 2010 a montré qu’aucun des principaux partis ne défend les intérêts des travailleurs et des pauvres. Les travailleurs qui entrent dans de nouvelles actions industrielles, comme ils vont inévitablement le faire à cause du nouveau programme de privatisation et de coupes budgétaires du gouvernement, vont tirer la conclusion qu’ils ont besoin de s’unir pour construire un mouvement ouvrier contre la politique néolibérale et qu’il faut une alternative politique unifiée contre la pauvreté, le sectarisme et la guerre. En développant de manière audacieuse sa plate-forme et ses forces, le CIO au Liban peut jouer un rôle crucial dans ce processus.
L’Iran
L’Iran a bénéficié du pouvoir grandissant des chiites en Irak et a élargi son influence dans la région, comme on l’a vu avec la visite d’Ahmadinedjad au Liban en octobre 2010. Téhéran cherche à assister la création d’un gouvernement à dominance chiite en Irak. Ceci renforcerait le commerce et la “codépendance” économique entre l’Iran et l’Irak, et contribuerait à éviter à ce que l’Iraq redevienne une menace militaire, comme cela l’était avec Saddam, ou ne soit utilisé en tant que base de lancement pour une attaque américaine.
Quelles que soient les menaces extérieures de l’impérialisme, au final ce sont les événements domestiques qui détermineront le destin de la théocratie au pouvoir en Iran. À cause du manque d’organisations de masse de la classe ouvrière, le mouvement de masse des “Verts” en 2009 a été réprimé et dispersé, pour le moment, par la force brute du régime Ahmadinidjad. Mais ce puissant mouvement de masse n’est que le prélude de luttes révolutionnaires de masse qui vont se développer en Iran. Des millions sont descendus dans les rues après les élections de juin 2009, qui étaient largement perçues comme ayant été truquées, malgré la violente répression des milices bassidji du régime. Il y avait des rapports de soldats qui désobéissaient aux ordres d’attaquer les manifestants.
Au cours du mois de décembre 2009, la conscience du mouvement s’est développée bien au-delà de celle de ses soi-disant dirigeants, et il y avait des rapports d’une radicalisation accrue parmi les étudiants. Toutefois, avec le déclin du mouvement de masse, cette conscience radicalisée a quelque peu reculé, et Moussavi et Karroubi ont maintenu leur rôle de “dirigeant” de l’opposition. Pourtant, comme les événements l’ont déjà montré, ceci peut à nouveau changer très rapidement sur base de nouveaux mouvements de masse.
La principale leçon de l’échec du mouvement de masse à renverser le régime est le besoin urgent de construire des organisations indépendantes de la classe ouvrière. De telles formations de classe mettraient en avant des revendications démocratiques (qui, dans une telle situation, acquièrent un caractère révolutionnaire) et des revendications de classe, et utiliserait les armes de la lutte de classe, y compris la grève générale, pour assurer la fin du régime réactionnaire des mollahs. Les couches des classes moyennes en 2009 se sont rangées derrière le mouvement de masse, et certaines sections de la classe ouvrière, en particulier les travailleurs des transports publics. Mais il manquait à tout ce potentiel une direction socialiste clairvoyante, et il ne s’est pas développé en une grève générale et en un mouvement de classe assez puissant que pour renverser le régime.
Bien qu’Ahmadinedjad ne se soit cramponné au pouvoir que de justesse, sa faction dirigeante a par la suite souffert d’un fractionnement interne, reflétant en partie l’aggravation de la situation économique et sociale sur le plan domestique.
Les sanctions imposées par l’Occident se font durement sentir, même si l’Iran reste le cinquième plus grand exportateur de pétrole au monde. Mais on estime que la production de pétrole va chuter de 15% d’ici 2015 et les exportations de 25%, selon le magazine The Economist. Le plan d’Ahmadinedjad est de cesser les subsides aux consommateurs, qui équivalent à un quart du PIB, ce qui va causer une forte hausse des prix de l’alimentation, du carburant et des transports. La perspective d’une vie de faible croissance économique, d’un haut taux de chômage et sous un règne autoritaire réactionnaire, signifie que les masses iraniennes – ayant pris le gout de la lutte de masse – vont forcément repartir sur cette voie.
L’opposition de masse en Iran – confuse et désorientée après la répression brutale – entretient toujours à ce stade beaucoup d’illusions dans la démocratie bourgeoise, ce qui est compréhensible. On ne doit pas s’attendre à plus, étant donné l’héritage de trois décennies d’oppression théocratique, le caractère poltron de l’opposition Moussavi et le manque d’une alternative révolutionnaire socialiste. Moussavi représente une aile de l’élite qui désire entre autres parvenir à un accord avec l’impérialisme américain. Il veut aussi adoucir la répression et concéder quelques réformes démocratiques afin de tenter d’élargir la base de soutien du régime et donc faire dérailler le mouvement de masse. L’expérience du programme et des méthodes de Moussavi signifiera que des sections de travailleurs et de jeunes peuvent rapidement adopter des idées et des méthodes de lutte plus radicales. Cependant, des sections entières du mouvement de masse peuvent rapidement déborder des limites du programme Moussavi, qui tente de conclure un accord avec le régime. Nous avons vu pendant le mouvement de 2009 la manière dont les actions de protestation contre le truquage des élections se sont développées en une lutte pour abattre la dictature. Début 2010, les funérailles de l’ayatollah Hossein Ali Montazeri se sont transformées en une série d’actions larges anti-gouvernement, avec un niveau record de reprise des slogans contre la ligne dure du “guide spirituel suprême” Khamene’i.
La question nationale en Iran est elle aussi une menace pour le régime. Dans les régions kurdes, les grandes manifestations du Premier Mai et la grève générale appelée après l’assassinat d’un militant syndical kurde a montré le caractère explosif des aspirations non-résolues des masses, y compris concernant leurs droits démocratiques nationaux.
Le timing des futurs mouvements de masse contre le régime des mollahs est bien entendu impossible à prévoir. Mais il est certain qu’après s’être engagées dans une lutte ouverte, bien que temporairement retenues, les masses vont de nouveau s’avancer pour renverser le régime fondamentaliste. Si le mouvement pour les droits démocratiques est lié à une lutte de masse de la classe ouvrière et des pauvres, le régime peut être renversé. Le rôle de la classe ouvrière sera décisif. Bien que les tentatives d’organiser des syndicats indépendants ou des grèves soient brutalement réprimées, les travailleurs des bus de Téhéran et les ouvriers de la sucrerie de Haft Tapeh ont déjà entamé une lutte courageuse. Plus de travailleurs, surtout dans les régions kurdes, ont été impliqués dans des grèves au cours de l’an passé.
De nouveaux mouvements de masse en Iran vont également avoir une énorme influence sur les pays environnants et sur le plan mondial. Cela souligne le besoin urgent de développer les idées et la présence du CIO au Moyen-Orient, sur base du travail magnifique qui est déjà accompli par le CIO là où il existe. Les socialistes appellent la classe ouvrière iranienne et les couches moyennes de plus en plus appauvries de ce pays à agir de manière indépendante de l’opposition pro-capitaliste et des factions de l’élite dirigeante. Il est nécessaire de tirer les leçons de l’amère déception de 1979/80, lorsque l’élite a utilisé une phraséologie “révolutionnaire” et religieuse pour prendre le pouvoir et le consolider. Les dirigeants de l’opposition actuels aimeraient détourner le pouvoir potentiellement révolutionnaire des masses à l’aide d’une phraséologie et de promesses “démocratiques”. La reconstruction du mouvement ouvrier est une tâche cruciale qui incombe aux masses iraniennes.
Même si le régime Ahmadinedjad était renversé et remplacé par un régime bourgeois “pro-démocratie” – du fait du caractère pro-capitaliste des dirigeants de l’opposition qui exploitent les illusions dans la démocratie parlementaire “à l’occidentale” et essentiellement, à cause du manque d’une alternative socialiste – de nouvelles luttes de masse des travailleurs et de la jeunesse vont se développer. Un nouveau gouvernement capitaliste se baserait tout d’abord sur les espoirs et les illusions des masses, mais deviendrait rapidement un gouvernement de crise. Seul un gouvernement des travailleurs et des pauvres peut garantir les droits démocratiques et entamer la transformation du pays en rompant avec l’emprise de l’élite et du capitalisme.
L’Égypte
Avec sa population de 85 millions d’habitants, sa position géostratégique dans le monde arabe, son régime divisé et son niveau croissant d’opposition et de lutte industrielle, l’Égypte est un autre pays clé pour la lutte de classe qui se développe dans la région. Le vieux Président Moubarak a organisé des élections parlementaires à la fin de novembre 2010, mais cela était accompagné d’innombrables barrières aux partis d’opposition qui désiraient se porter candidats, et d’une répression générale des militants, en particulier contre les partisans des Frères musulmans. Le régime a une bonne raison de craindre des élections qui ne seraient pas bridées : malgré la fraude flagrante et la violence d’État, les dernières élections parlementaires en 2005 ont vu les Frères remporter un cinquième des sièges alors qu’ils n’étaient candidats que pour un tiers de ceux-ci. Les élections de novembre 2010 n’étaient qu’une farce, qui a permis au parti du gouvernement de “gagner” 97% des sièges. Selon des estimations indépendantes, le taux de participation était de 10-15%, comparé à 25% lors des élections de 2005. Reflétant la hausse de la radicalisation de l’opposition au règne de Moubarak (et à l’intronisation prévue de son fils Gamal) à travers toute la société, des divisions ont commencé à s’ouvrir au sein des Frères. Des opposants critiquent la décision de leur organisation de se présenter aux élections et d’avoir donné une légitimité à la farce électorale. Une campagne pour boycotter le scrutin menée par Mohamed El Baradei, l’ancien directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique, a récolté près d’un million de signatures.
Les causes des troubles politiques grandissants et des divisions au sein de l’élite dirigeante sont la détérioration de la situation économique et sociale et la vague de grève qui s’est produite au cours des dernières années. Les travailleurs et les jeunes sont confrontés à un futur peu brillant, fait de chômage grandissant et de prix en hausse. L’inflation croissante mine le niveau de vie, et les salaires restent stagnants. Plus de 40% de la population vit dans la pauvreté, et près de 30% de la population est illettrée. Le fossé entre les riches et les pauvres s’est élargi ; les riches vivent aujourd’hui dans de luxueuses “communautés gardées”, les pauvres dans la misère urbaine.
Les actions industrielles et les actions ouvrières ont commencé en décembre 2006, avec l’occupation par les travailleurs de l’usine textile Mahalla ; avec ses 28 000 travailleurs, cette usine est la plus grosse de toute la région Moyen-Orient/Afrique du Nord. Les patrons et le gouvernement ont été forcés de concéder de meilleurs salaires et de meilleures conditions, ce qui a inspiré d’autres travailleurs à partir en grève eux aussi. Les grèves contre les privatisations et pour les renationalisations sont extrêmement importantes, de même que les efforts pour créer des syndicats indépendants. Le régime a été contraint aux concessions, y compris l’annonce de la mise au frigo à durée indéterminée du programme de privatisation dans toute une série de composantes du secteur public.
Des mesures courageuses et impressionnantes ont été prises pour former des syndicats indépendants, dans un contexte de loi martiale. Bien que le gros des grèves de masse aient été organisés par des ouvriers (comme les travailleurs du textile ou ceux de l’usine d’aluminium), jusqu’ici ce sont surtout les employés qui sont parvenus à franchir les étapes dans la création de nouveaux syndicats (par ex, les enseignants, le personnel administratif de l’éducation, les percepteurs d’impôts immobiliers et les postiers). Toutefois, de nouvelles grèves et luttes de masse vont voir d’autres sections de la classe ouvrière rompre la répression et développer de la confiance, et se voir entrainées dans la tâche décisive de la construction d’organisations indépendantes de classe.
La pression de la classe ouvrière et de la crise économique et sociale est reflétée dans les vifs débats internes au sein du régime concernant la succession au Président Moubarak. Certaines sections du régime au pouvoir, et en particulier ceux qui représentent l’armée et la bureaucratie étatique, ne veulent pas voir Gamal Moubarak prendre le pouvoir. Les divisions du régime donnent confiance aux masses égyptiennes pour avancer pour plus de droits démocratiques. Les Frères musulmans cherchent à être les principaux bénéficiaires de ce processus, mais ils se sont opposés à la plupart des grèves de ces dernières années. En réalité, ces dirigeants servent de soupape de sécurité à l’establishment au pouvoir ; cela a mené à des divisions parmi les couches de ce mouvement qui sont basées sur des classes moyennes plus radicales.
En l’absence d’organisations de classe de masse, de larges couches de la population égyptienne regardent en direction de Mohamed El Baradei et de son Association nationale pour le changement. El Baradei est considéré comme un étranger par le régime , qui a bloqué sa candidature aux élections présidentielles de 2011. En réponse, El Baradei s’est appuyé sur le mécontentement populaire. Il a appelé à des réformes, afin d’“éviter une révolution des affamés”. Il a lancé une campagne de boycott des élections, liée à des revendications démocratiques, qui bénéficie d’un large soutien parmi de nombreuses couches de la société. Ceci souligne l’importance vitale de revendications démocratiques transitionnelles, liées à la transformation socialiste de la société, en Égypte et dans les autres pays de la région.
El Baradei est une figure quelque peu accidentelle, et il reste à voir quel cours il va suivre sous la pression des événements. Mais il est certain que l’Égypte est entrée dans une nouvelle étape d’une importance cruciale pour la lutte de classe dans la région. Le régime est de plus en plus divisé et perd beaucoup de son soutien traditionnel parmi les basses couches professionnelles et au sein de la bureaucratie d’État. À la suite de la vague d’actions industrielles, les élections présidentielles de 2011 pourraient devenir le point de ralliement de l’opposition au régime, avec des conséquences potentiellement explosives. Tout comme en Iran en 2009, la tentative de truquer les élections et la répression étatique pourraient être le catalyseur de luttes de masse qui vont rapidement se développer dans des tentatives de renverser le régime.
Tous les régimes despotiques et autoritaires de la région craignent à juste titre les mouvements d’opposition de masse qui pourraient se développer en Iran, en Égypte et aillleurs, et qui constitueraient une source d’inspiration pour leurs populations opprimées. Toutefois, à moins que la classe ouvrière ne prenne la direction de tels mouvements, avec un programme de classe indépendant, l’opposition de masse peut emprunter des canaux différents. Sans une direction socialiste, les insurrections des populations opprimés du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord peuvent prendre la forme d’actes de désespoir, comme des émeutes de la faim ou le pillage.