Monde et Europe: Une nouvelle période d’instabilité et de révolutions

Thèses du bureau européen du CIO

Début avril, des dirigeants du CIO venus d’Europe, mais aussi du Pakistan et d’Israël, se sont rencontrés pour discuter des développements internationaux, et en Europe en particulier. Les thèses suivantes y ont été discutées et amendées après discussion.

Il y a à peine trois mois que s’est tenu le Congrès Mondial du CIO, et depuis la situation mondiale a radicalement été modifiée par les révolutions au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Puis, il y a eu la double catastrophe naturelle du séisme et de l’immense tsunami au Japon. Ces événements ont servi à renforcer l’impression, créée par la crise économique persistante, d’un monde en chaos. Le danger de la fusion des réacteurs nucléaires – et des répercussions que cela pourrait avoir avec la possibilité de retombées radioactives à la Tchernobyl – a aussi eu pour effet de souligner l’irresponsabilité du capitalisme en ce qui concerne l’environnement. La construction de centrales nucléaires sur des lignes de faille sismiques reconnues, avec la fuite de particules radioactives et les dangers de tout un héritage de déchets nucléaires pour les générations futures, a horrifié le monde.

La révolution au Moyen-Orient et en Afrique du Nord

Le CIO avait bel et bien prédit les événements du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord. Dans le dernier document sur les relations mondiales adopté lors du 10ème Congrès du CIO en décembre 2010, nous avions correctement anticipé le fait que le Moyen-Orient était au bord d’une explosion sociale, mettant en avant la possibilité du renversement du régime Moubarak. Nous avions entre autres écrit ceci : ”Un autre “point chaud” pour l’impérialisme est le Moyen-Orient. Il n’y a aucun régime stable dans la région” (paragraphe 54). En particulier, nous avions prédit dans le même document que : ”Bien que le conflit entre les Arabes et les Israéliens est important, ce n’est pas le seul facteur qui doit être pris en considération lorsque nous établissons les perspectives pour cette région. Plus que jamais, la situation économique de ces pays les prépare à de grands mouvements sociaux et politiques. C’est particulièrement le cas pour l’Égypte … des revirements d’une ampleur sismique sont à l’ordre du jour dans ce pays. Le règne de Moubarak, long de 30 ans, approche de sa fin”. (paragraphes 62-63). Ce pronostic a été confirmé par les événements tumultueux qui se déroulent encore en ce moment, et par lesquels la révolution ou l’idée de révolution a bondi d’un pays à l’autre.

En conséquence de ces mouvements, on a une fois de plus vu venir à l’avant-plan la théorie trotskiste de la Révolution permanente. Toutefois, les idées de Trotsky ne se prêtent pas à une interprétation superficielle et unilatérale de la manière dont le processus de Révolution permanente va se dérouler. Trotsky n’a jamais envisagé un processus linéaire et direct. Les révolutions russes n’ont pas triomphé sans de sérieuses tentatives de contre-révolution. En Tunisie et en Égypte, étant donné la non-préparation des masses et le manque d’organisations indépendantes, couplés au fait que l’appareil sécuritaire militaire du vieux régime n’a pas été complètement démantelé, la contre-révolution allait forcément poser une grave menace à la victoire encore non assurée des masses. L’impact de la révolution était à son tour conditionné au fait que les masses venaient d’émerger de la nuit noire de décennies de dictature, ce qui était également renforcé par le manque de véritables partis ouvriers révolutionnaires, avec des cadres capables de rapidement orienter les masses politiquement. Néanmoins, chaque effort de la contre-révolution n’a fait que provoquer une opposition tenace, et, à chaque fois qu’il semblait hésitant ou endormi, a ressuscité le mouvement de masse contre les restes des vieux régimes et, en Tunisie, a poussé la révolution plus en avant.

En Égypte, l’occupation du quartier général de la police secrète – après des rumeurs selon lesquelles ses agents tentaient de détruire des fichiers détaillant la torture sous le régime Moubarak et le rôle que l’armée a joué dans celle-ci –, de même qu’un mouvement tout aussi tenace que celui de Tunisie, indiquent qu’une révolution ne peut pas être aussi facilement balayée. Mais l’intervention impérialiste en Libye (la soi-disant “zone d’exclusion aérienne”) fait partie d’une tentative d’intimider les masses révolutionnaires. Elle se fait passer pour un soutien à l’opposition libyenne alors qu’en réalité, elle est partie prenante d’une offensive générale de la réaction dans la région et à l’échelle internationale qui tente de stopper et de compliquer le processus révolutionnaire. Elle est aussi une tentative d’assurance de la part de l’impérialisme occidental afin d’assurer le maintien de son emprise sur les ressources pétrolières de la Libye. Après avoir courtisé Kadhafi, lui avoir fourni des armes, etc., la meilleure manière maintenant, selon les calculs de l’impérialisme, d’accomplir ses objectifs est d’abandonner son ancien “ami” pour s’assurer d’être “du bon côté de l’Histoire” – surtout de l’Histoire économique ! Comme l’ont montré les événements en Égypte, en Tunisie et, plus récemment, au Yémen, ils n’y parviendront pas.

Le massacre brutal au Yémen n’a servi qu’à renforcer la résolution du mouvement de masse, menant à la plus grande manifestation encore jamais vue contre le régime, et au départ probable de Saleh. La défection du chef du personnel de l’armée, qui est passé au camp de la révolution, a été un moment crucial. Ceci indique que Saleh n’a pas assez de forces sur lesquelles se baser. Mais l’accueil qui a été fait au général par l’opposition yéménite montre la confusion de la conscience – c’est le moins que l’on puisse dire – parmi les rangs de la révolution. Son portrait a été enlevé de la gallerie des méchants contre-révolutionnaires, et replacé parmi les anges !

L’intervention brutale de l’Arabie saoudite au Bahreïn pour y écraser la révolution est destinée à intimider les masses bahreïnies, de même que les travailleurs et paysans des pays qui ne se sont pas encore engouffrés dans la vague révolutionnaire, afin de les décourager de marcher dans les traces de l’Égypte et de la Tunisie. En interne, dans chaque pays, la contre-révolution attend son heure – forcée maintenant de plier sous le vent révolutionnaire – jusqu’à ce qu’elle puisse utiliser les déceptions engendrés par les résultats de la révolution afin de contre-attaquer. Le référendum sur les amendements constitutionnels des généraux venait seulement d’être terminé en Égypte, que l’armée a annoncé son intention de restreindre et de bannir les manifestations et les grèves. Néanmoins, la tendance dans la prochaine période sera à un approfondissement de la révolution mais, bien sûr, les perspectives varient d’un pays à l’autre.

De plus, il ne faut pas exclure une nouvelle guerre au Moyen-Orient. Le déclenchement d’une telle guerre pourrait provenir de la recrudescence de violence entre Palestiniens et Israéliens, avec l’attentat qui a fait sauter un bus à Jérusalem et l’accroissement du conflit à et autour de Gaza. Si une telle guerre survenait, et en particulier si elle venait à se développer en un conflit majeur, elle pourrait impliquer les États arabes ; l’armée égyptienne, par exemple, qui n’est plus maintenant tenue en laisse par le régime servile pro-USA et pro-Israël de Moubarak. Dans la nouvelle situation, la pression de la part des masses arabes pour défendre les Palestiniens sera intense. Ceci sera encore plus le cas si des mouvements de masse comme celui du 15 mars en Cisjordanie continuent à se développer.

Au moment où ce document était en préparation, la Libye se tenait dans l’œil du cyclone. Pour toutes les raisons que nous avons expliquées – dans les articles sur notre site – la situation en Libye est bien plus compliquée que les processus en Égypte et en Tunisie, étant donné le caractère particulier du régime Kadhafi. Il ne fait aucun doute que le régime Kadhafi est couvert de sang. L’insurrection de Benghazi a tout d’abord vaincu les troupes de Kadhafi – dirigées par ses fils – qui ont alors fui pour se mettre à l’abri à Tripoli. Des comités populaires ont commencé à prendre forme, mais ont malheureusement été dominés – et ceci a été renforcé depuis – par des forces bourgeoises et petites-bourgeoises, dont d’anciens ministres du régime Kadhafi. Notre revidencation qui demandait que ces comités soient fermement ancrés parmi les masses, avec une pleine démocratie ouvrière, et sur base d’un programme clair, aurait pu mener, si nécessaire, à la formation d’une armée révolutionnaire. Celle-ci aurait pu se développer de la même manière que les colonnes de Durutti après l’insurrection contre les fascistes à Barcelone au début de la Guerre civile espagnole en juillet 1936. La simple annonce d’une telle force aurait pu en soi avoir été l’étincelle qui aurait mené à une insurrection victorieuse contre Kadhafi à Tripoli.

Le caractère tribal de la Libye – renforcé par des divisions régionales, en particulier entre l’Ouest et l’Est – a permis à Kadhafi d’obtenir une certaine marge de manœuvre. Le fait de brandir le drapeau royaliste – le roi Idris provenait de Benghazi et était à la tête de la “tribu” Senoussi qui regroupe un tiers des Libyens – a permis au régime de Kadhafi de dépeindre Benghazi comme étant la base des forces contre-révolutionnaires qui souhaitent renverser le cours de l’Histoire. Cette impression a été renforcée par la décision des dirigeants du mouvement de Benghazi de faire appel à l’assistance de l’impérialisme – avec leur “zone d’exclusion aérienne”. Ceci représentait une volte-face par rapport à la position précédente à Benghazi, qui s’opposait à l’intervention impérialiste en disant : ”Les Libyens peuvent le faire eux-mêmes”.

Il est difficile de définir exactement de quelle manière la situation va se résoudre. Le soutien pour la zone d’exclusion aérienne va se désintégrer si les résultats ne mènent pas à un renversement rapide de Kadhafi. L’opinion publique aux États-Unis – où il y a une massive majorité de deux tiers en faveur d’un retrait d’Afghanistan – est opposée à toute campagne terrestre. Les forces US et françaises sont incapables d’entamer une offensive au sol efficace. Qui plus est, l’opinion publique, qui semblait initialement en faveur du bombardement de Kadhafi, pourrait se renverser en son contraire si le nombre de pertes venait à s’accroitre. Les États-Unis et le Royaume-Uni sont déjà débordés par le bourbier afghan. En outre, le soutien pour des mesures militaires au Royaume-Uni est extrêmement ténu, avec une crainte largement répandue – y compris parmi la bourgeoisie – que l’action soit limitée et se mue petit à petit en un engagement militaire prolongé.

L’impérialisme – associé aux forces de Benghazi – espère qu’une pression militaire suffisante mènera à une répétition de ce qui s’est passé au Yémen, avec la défection des généraux de Kadhafi. D’un autre côté, un blocage sur le plan militaire pourrait survenir, et on assisterait à une partition de la Libye dans les faits. Ceci mènerait probablement à des campagnes militaires ou terroristes contre les principales puissances impérialistes qui se sont engagées contre le régime de Kadhafi. Il est fortement improbable que les forces des grands pays arabes – comme l’Égypte – puissent être utilisées pour renverser Kadhafi, étant donné la nature instable et suspicieuse de l’opinion publique dans le monde arabe en ce qui concerne les interventions extérieures dans la région. Même Amr Moussa – le chef de la Ligue arabe – qui a tout d’abord soutenu la zone d’exclusion aérienne, a été forcé de faire marche arrière lorsque, comme c’était inévitable, des civils ont été tués et blessés par les frappes aériennes britanniques, américaines et françaises. En fait, les grandes puissances impérialistes sont déjà divisées – malgré la résolution des Nations-Unies qui a sanctionné leur action – et ces divisions vont s’accroitre si cette guerre venait à se prolonger et à s’intensifier.

L’Égypte est une arène cruciale où pourrait se décider la bataille épique entre les forces de la révolution et de la contre-révolution. Les chefs de l’armée, en collusion avec l’establishment politique, les Frères musulmans et les restes du NDP (le parti de Moubarak) ont organisé un référendum visant à supprimer certaines des lois répressives du régime Moubarak et à poser la base pour des élections dans les six mois. Les éléments les plus conscients de l’opposition à l’armée ont appelé à un boycott. Mais l’appel au boycott a eu un certain effet ; il n’y a eu que 41% de participation. Toutefois, l’opposition n’a pas eu assez de succès pour faire échouer le référendum ; 77% de ceux qui ont voté se sont déclarés en faveur des amendements. Notre revendication en faveur d’une véritable assemblée constituante révolutionnaire garde donc toute sa force. Ce qui est crucial par contre est la tâche urgente de construire les forces ouvrières indépendantes, en particulier les syndicats, et de poser la base pour un nouveau parti des travailleurs de masse. L’impérialisme – via les dirigeants syndicaux de droite en Europe et aux États-Unis – intervient comme il l’a fait lors de la révolution portugaise afin de dévoyer les nouveaux syndicats dans une direction pro-capitaliste. Au Portugal, ils ont utilisé les dirigeants syndicaux allemands, alliés au SPD, pour construire le Parti socialiste de Mario Soares et son syndicat affilié, l’UGT, pour contribuer à faire dérailler la révolution.

En Tunisie, ce sont les mêmes tâches fondamentales qui se posent, mais bien entendu la situation n’est pas identique à celle de l’Égypte. La Tunisie a une certaine histoire d’opposition organisée clandestinement contre Ben Ali, rassemblée en particulier autour des syndicats. Il faut ajouter à cela une conscience culturelle et politique relativement élevée, ce qui veut dire que les masses sont bien conscientes que la révolution a été faite par leurs sacrifices, mais qu’elles n’en ont pas encore récolté les fruits. Néanmoins, ce mouvement de la base est parvenu à renverser toute une série de gouvernements. Nos camarades, en Égypte comme en Tunisie, ont accompli des efforts héroïques afin d’atteindre les forces les plus conscientes et de chercher à les attirer à la bannière du CIO. Ce travail doit continuer au cours de la prochaine période.

Nous pouvons nous attendre à de nouveaux mouvements qui vont affecter quasiment chaque pays de la région. En plus de l’Égypte, de la Tunisie, de la Libye et du Bahreïn, les régimes de Syrie, des États du Golfe – malgré les pots-de-vin massifs octroyés par la monarchie saoudie –, d’Iraq et même d’Iran seront affectés. Il n’y a aucun retour possible ; il est impossible de réétablir les vieux régimes sur les mêmes bases qu’auparavant. Il y a une réelle soif d’idées, et une demande insistante pour des droits démocratiques partout, de même qu’une haine viscérale des régimes despotiques et dictatoriaux. Du côté de la classe ouvrière, il y a une tentative de créer des organisations indépendantes à la fois sur le plan syndical et politique. Pris tout ensemble, ceci revient à une situation favorable pour les idées du marxisme authentique et du trotskisme. Ce ne sera pas facile, étant donné les idéologies rivales du marxisme contre lesquelles nous nous voyons forcés de lutter. Mais pour la première fois, peut-être, depuis la faillite des partis communistes/staliniens à cause de leurs théories “en stades” erronnées, le terrain n’a jamais été aussi fertile pour la croissance des idées marxistes et trotskistes. De même, la situation économique et sociale générale – largement dominée par le scénario économique mondial et par son impact dans la région – signifie qu’il ne peut y avoir aucune réelle stabilité. Après tout, ç’a été la détérioration de la situation économique, manifestée par le chômage en progression constante et en particulier chez les jeunes, qui a été le facteur déclenchant des insurrections en Tunisie et en Égypte, et de tout ce qui a suivi. Ceci souligne l’importance cruciale d’avoir des perspectives économiques, comme le CIO l’a toujours mis en avant. Cependant, si la classe ouvrière ne devait pas parvenir à imposer sa marque sur la situation – via ses propres organisations indépendantes – ce serait alors l’islam politique de droite, largement marginalisé jusqu’ici, qui pourrait croitre à nouveau. Les conflits en Égypte entre coptes et musulmans (délibérément encouragés par l’armée) en sont un avertissement, tout comme les efforts délibérés de divisions entre chiites et sunnites au Bahreïn

L’économie mondiale

Le Moyen-Orient exerce également une énorme influence sur l’économie mondiale, en particulier à travers la matière première cruciale qu’est le pétrole. Et les remous colossaux dans la région ont exercé des pressions à la hausse sur le prix du pétrole, qui va maintenant probablement atteindre des records fumants étant donné les complications militaires en Libye, pays producteur de pétrole. En conséquence de cela, la “reprise” économique mondiale vacillante va sans doute être stoppée, si pas repartir en chute libre. L’envolée actuelle des prix du pétrole est la cinquième hausse de cette ampleur depuis 1973, et à chacune de ces hausses, le résultat a été une récession. Certains experts s’attendent à ce que le prix du pétrole brut atteigne les 160$/barril, d’autres s’attendent à plus encore. Un résultat inattendu de tout ceci est le bénéfice qu’en retirent les États producteurs de pétrole : ainsi, chaque hausse de 10$ du prix du barril gonfle le revenu de la Russie de 20 milliards de dollars supplémentaires ; l’Iran et le Venezuela, de même que les pays arabes, vont eux aussi en tirer parti. Certains ont été capables d’utiliser ceci – comme c’est le cas pour l’Arabie saoudite – pour racheter, ou du moins tenter de racheter, l’opposition interne croissante. Le chœur d’analystes capitalistes qui proclamaient que le capitalisme était en passe de complètement se remettre de la crise et parlaient déjà un peu plus tôt dans l’année de “sommets économiques ensoleillés” s’est complètement fourvoyé.

Des prétentions similaires avaient été faites en 2005, comme quoi le boom continuerait à jamais. Il est vrai que l’index boursier au Royaume-Uni a passé la barre des 6040 points au tournant de l’année. Cependant, suivre cette logique revient à dire que le meilleur endroit où investir aujourd’hui serait la Mongolie ou le Sri Lanka ! Même cette prétention a été sapée par les inondations dévastatrices au Sri Lanka, où un million de gens ont été affectés et 20% de la production de riz détruite.

Le tourniquet des marchés boursiers mondiaux – ce casino géant – n’ont que peu d’intérêt aujourd’hui pour mesurer la santé économique, ni les perspectives de croissance réelle dans le futur. Ce qui a plus d’intérêt, est l’aveu de l’analyste et historien “libéral” pro-capitaliste Simon Schama : ”Les vies de millions de gens dans notre Amérique hamburguerée ne passent que via les banques et les chèques alimentaires. Soixante-dix pourcent de la population a un ami proche ou un membre de la famille qui a perdu son travail. Nous vivons toujours dans l’Amérique en 3D : désolation, dévastation, destitution”. Et nous parlons ici du moteur du capitalisme mondial !

La Chine

La Chine et l’Asie, cependant, semblent toujours aller de l’avant, propulsées par l’immense plan de relance en Chine, dont l’ampleur et les effets avaient été prédits par le CIO. Le plan de relance chinois a permis de tirer de nombreux pays vers le haut, avec un certain effet en Europe. Dans le monde néocolonial, certains pays connaissent un boom des matières premières et, dans une certaine mesure, un marché accru pour leurs exportations. Toutefois, le revers de la croissance chinoise est l’accumulation de bulles à une échelle massive, qui pourrait bien mettre un terme brutal à la croissance chinoise, bien plus vite que ne se l’imaginent les économistes capitalistes. L’ampleur du secteur immobilier en surchauffe se reflète dans les effets dévastateurs sur les habitants des villes, en particulier dans des endroits tels que Pékin. L’inflation est toujours un enjeu extrêmement sensible pour l’État chinois, à cause du rôle historique qu’elle a joué dans la révolution chinoise qui a mené au renversement du Guomindang à la fin des années ’40 et qui a amené Mao au pouvoir. En janvier, l’inflation a atteint le record de 5,1%, ce qui a suscité un grand ”mécontentement par rapport aux hausses de prix qui ont atteint leur niveau le plus élevé depuis le début des statistiques en 1999”, selon un récent sondage de la Banque centrale.

Ce que cela signifie pour les millions de Chinois qui espéraient en vain pouvoir gravir les échelons de la propriété est montré par les estimations qui indiquent ”combien de temps les citoyens devraient travailler pour pouvoir se payer un appartement de 100m² dans le centre de Pékin, qui vaut en ce moment environ 3 millions de renminbi (450 000$). En supposant qu’il n’y ait aucune catastrophe naturelle, un paysan travaillant un lopin de terre moyen ne pourrait s’offrir un appartement que s’il avait commencé à travailler sous la dynastie Tang (qui s’est terminée en l’an 907) ! Un ouvrier chinois qui aurait gagné un salaire mensuel de 1500 renminbi depuis les guerres de l’opium de la moitié du 19ème siècle et aurait travaillé tous les jours depuis et même les week-ends, disposerait alors maintenant de tout juste de quoi se payer son propre logement aujourd’hui.”

Au même moment, la croissance économique colossale et incontrôlée de la Chine inflige chaque année pour plus de 1000 milliards de yuan (105 milliards d’euro) en dégâts environnementaux, selon les planificateurs du gouvernement. Le cout des déchets, des fuites, de la détérioration du sol et autres impacts a atteint les 1,3 milliards de yuan en 2008 (140 milliards d’euro). C’est l’équivalent de 3,9% du PIB du pays. La perte du sol et de l’eau ”pose de graves menaces à l’écologie, à la sécurité alimentaire et au contrôle des inondations”, a ainsi déclaré le vice-ministre chinois responsable des ressources en eaux. Les réservoirs sont incapables de satisfaire aux demandes d’une population croissante et de plus en plus développée. Pékin dépend déjà de nappes aquifères non-renouvelables pour pallier au déficit en eau de la ville qui s’accumule. Ce dernier pourrait mener à des contrôles dans la consommation de l’eau, surtout pour les gros utilisateurs tels que les usines. D’un point de vue économique, le développement pêlemêle de la Chine sur une base capitaliste n’est pas vivable, et ceci est encore plus évident dès lors que l’on parle d’environnement.

La radicalisation aux États-Unis

En ce qui concerne les États-Unis, ceux-ci laissent filer un déficit budgétaire béant (à tous les niveaux de gouvernement) qui promet un naufrage fiscal. À un moment l’an passé, la vente de bons du Trésor, nécessaire pour le financement continu du déficit, n’a obtenu qu’un faible résultat et a amené la menace d’une crise dans les finances du gouvernement. Toutefois, avec tous ces capitalistes qui possèdent des surplus massifs d’argent sans avoir un seul débouché où l’investir de manière productive – ce qui est en soi une expression de la crise organique du capitalisme – la vente de bons suivantes a, elle, été bien accueillie. L’administration Obama est confrontée à la perspective délicate de devoir chercher à réduire le déficit, ce qui aura un grave impact sur le niveau de vie. Si cette réduction se concentre sur l’armée – ce qu’espère la droite républicaine – cela aggravera énormément la situation sociale et mènera à une grande radicalisation.

Les événements spectaculaires au Wisconsin mettent en valeur ce qu’il se passe lorsque la droite républicaine se lâche contre la classe ouvrière américaine, qui semblait endormie et passive. Enhardi par le succès du Tea Party lors des élections de mi-mandat pour le Congrès, le gouverneur républicain du Wisconsin a lancé une offensive déclarée sur les droits de négociations des syndicats et sur les conditions des travailleurs. C’est ce qui a provoqué un soulèvement de la classe ouvrière sans précédent aux États-Unis depuis des décennies. L’ironie étant qu’il y a beaucoup de travailleurs qui avaient voté pour les candidats du Tea Party et qui sont devenus eux-mêmes victimes de ces attaques, et ont donc rejoint le mouvement d’opposition. Les travailleurs ont soulevé l’exemple de la révolution égyptienne ! Ils ont eu recours à des arrêts de travail spontanés et ont appelé à la grève générale. Des travailleurs d’autres Etats, comme en Indiana et en Ohio, ont suivi le Wisconsin ; ils ont eux aussi subi les mêmes attaques de la part de gouverneurs républicains inflexibles.

Tel un coup de tonnerre, le Wisconsin a réveillé le géant endormi de la classe ouvrière américaine, et a ouvert la voie à une opportunité très favorable pour notre section américaine. La question de savoir si cela va ou non mener à un revirement à gauche durable dépend, comme ailleurs, de la création d’un pôle d’attraction à gauche sous la forme d’un nouveau parti ou d’une nouvelle formation politique. La majorité des dirigeants syndicaux tente désespérément de diriger ce mouvement vers un soutien aux Démocrates, bien que parfois seulement en tant que “moindre mal”. C’est la même chose qui se passe en Europe avec nos dirigeants syndicaux qui ont peur et qui sont incapables de mener une lutte industrielle victorieuse contre les programmes d’austérité de la bourgeoisie. Ils cherchent à faire dévier le mouvement sur le plan électoral en renforçant le soutien à la social-démocratie. D’un autre côté, le fait d’attaquer l’énorme budget de la “défense” susciterait encore plus de critiques sur Obama et son administration de la part des Républicains de droite – menés par le Tea Party. Jusqu’à présent, il a fait face à cette offensive de droite par des pas en arrière et des concessions, par exemple sur la taxation des riches. Cette attitude pourrait encourager la droite à forcer Obama à faire encore plus de concessions. D’un autre côté, les attaques sur la classe ouvrière par les Républicains de droite amènent un soutien de “moindre mal” en faveur d’Obama pour les prochaines élections présidentielles en 2012. Il sera maintenant probablement réélu.

L’Europe et l’économie mondiale

En Europe, l’effondrement économique de l’Irlande menace de se propager au Portugal et même à l’Espagne, qui selon certains économistes capitalistes est la quatrième plus grande économie d’Europe et “est trop grosse pour être sauvée”. Même l’Italie et le Royaume-Uni ne sont pas totalement immunisés des effets de la crise bancaire européenne – parce que c’est bien d’une telle crise qu’il s’agit – qui a été déclenchée par les événements en Irlande. Le renflouement des banques irlandaises est un signe que c’est maintenant une question, comme l’a dit Samuel Johnson, de “tenir ensemble, ou tenir séparés”. Malgré tout, l’Irlande va sans doute faire défaut sur sa dette – ou la “reporter”, comme on dit dans le langage plus diplomatique des économistes capitalistes – en dépit de tous les efforts des États membres de l’UE et de leurs différents gouvernements nationaux pour renflouer le pays. Le Chancelier de l’Échiquier britannique Osborne a trouvé 7 milliards de livres sterling pour aider l’Irlande – en réalité, pour sauver les banques britanniques qui seraient affectées par un effondrement de l’économie irlandaise – en tant que “bon voisin”. Et pourtant, on ne peut pas dire de lui qu’il agit en “bon Samaritain” pour les pauvres et pour les travailleurs du Royaume-Uni, vu qu’il cherche à leur imposer le plus grand plan d’austérité depuis 80 ans.

Surtout basée sur les développements de l’économie chinoise, la machinerie et les consructeurs automobiles allemands ont pu rapidement se remettre de la première vague de la crise. Utilisant sa force compétitive, le capitalisme allemand semble être le grand vainqueur de la crise. Mais cette reprise se développe sur une base faible et sera remise en question dans un futur pas si lointain. Malgré cette faiblesse sous-jacente, cela a donné au capitalisme allemand une marge économique qui lui a permis de contribuer à éviter un effondrement économique complet en Europe et aussi – bien que de manière réticente et hésitante – de faire quelques concessions pour sauver l’euro jusqu’ici. Cela n’était pas assez pour sauver l’économie européenne ou pour démarrer un nouveau boom ; cependant, cela aura un impact décisif si de futures éruptions économiques en Allemagne venaient à frapper les développements européens.

Les destins entrelacés de toutes les économies d’Europe à travers la crise de la dette souveraine montre comment des développements cruciaux à l’échelle internationale façonnent les événements à l’échelle nationale, parfois de manière décisive. L’hypothèse sous-jacente du gouvernement ConDem au Royaume-Uni est que, malgré la brutalité des coupes, au final “Tout sera bien qui finira bien”. Les événements devraient selon eux aller dans leur sens, à cause de l’“inévitable” rebond de l’économie. Le cycle économique “normal” devrait se réaffirmer, disent-ils, une crise étant toujours suivie d’un boom, et ainsi le carrousel continue. Ces espoirs seront anéantis par la marche des événements. Car nous n’avons pas affare ici à un cycle similaire à celui des années 1950 à 75, ni à la phase de croissance plus faible des années ‘2000. Cette crise est totalement inhabituelle de par son caractère, sa profondeur et sa gravité, à la fois pour les dirigeants actuels et pour leurs “administrés”.

Au mieux, l’économie mondiale va continuer à boitiller de l’avant ; elle ne va pas immédiatement reprendre son niveau d’avant la crise de 2008. Ceci signifie que sur le long terme, le chômage endémique tendra à se consolider, bien qu’avec des hauts et des bas. Des millions de travailleurs ne pourront jamais être réintégrés dans l’industrie. Là où ils trouveront un travail, ce travail sera précaire, temporaire, à l’image de ce que l’on appelle aux États-Unis un job “de survie”. Les travailleurs les prendront dans l’espoir vain de pouvoir de nouveau se hisser à la position qu’ils avaient dans le passé. Mais pendant toute la période prévisible devant nous, l’époque des emplois à plein temps, d’un niveau de vie croissant ou même stagnant est terminée pour la majorité de la population.

La consommation joue un rôle crucial pour soutenir l’économie capitaliste moderne, en particulier dans les économies les plus avancées. Aux États-Unis pendant le 19ème siècle, près de 20% de l’économie provenait de la consommation. Aujourd’hui, aux États-Unis, celle-ci compte pour 70% du produit total. En Chine, d’un autre côté, la consommation vaut aujourd’hui 38% du PIB – ce qui est relativement beaucoup moins que les 50% sous le régime stalinien de Mao. Toutefois, les programmes d’austérité qui sont devenus la principale politique économique de la majorité des gouvernements bourgeois a pour effet de déprimer l’économie, précisément à cause du rôle crucial que jouent les consommateurs. Et ceci n’est pas compensé par la redirection de l’investissement – du surplus social – dans l’industrie productive, comme c’était la norme dans le passé. La politique dévastatrice de la financialisation du capitalisme mondial est enracinée dans le manque de débouchés profitables pour le capital, essentiellement à partir de la fin des années ’70. C’est quelque chose que le CIO a toujours mis en avant, encore et encore, dans son matériel écrit – une position presque unique parmi les marxistes.

Les investissements colossaux de capitaux fictifs – via le système de crédits – ont jeté la base pour les bulles qui ont maintenant éclaté. Mais le capitalisme, pris dans son ensemble et à une échelle mondiale, n’a rien appris de cela, et n’applique maintenant aucune nouvelle politique ni dans le vieux continent européen ni aux États-Unis. En fait, nous avons vu une répétition de la même politique que celle des années ‘2000, qui ne fait en réalité que gonfler de nouvelles bulles, même alors que le système lutte déjà pour se libérer des immenses conséquences de sa politique précédente, du surplus de dette. Par conséquent, les investissements dans l’industrie – qui est la réelle force pour créer de la valeur – sont à la traine. En fait, les investissements ont en réalité chuté en termes réels dans l’industrie de transformation. Le Royaume-Uni, par exemple, est passé d’une des nations les plus industrialisées du monde au 19ème siècle, à la cinquième position aujourd’hui. Selon le ministre des finances brésilien, sa nation a dépassé le Royaume-Uni et est devenue la cinquième plus grande économie mondiale, surtout après la croissance de 7,5% en 2010, son plus haut taux depuis 1986.

La reprise sur les marchés boursiers a été acclamée comme étant le précurseur de la croissance économique, ce qui est complètement faux. En fait, les “experts” en comportement des marchés boursiers sont historiquement du côté des “ours” – des pessimistes qui s’attendent à une Apocalypse financière. Une personne a récemment commenté dans le Guardian britannique que : ”Lorsque les marchés entrent une nouvelle phase de folie, moi je reste là à me gratter la tête d’étonnement. L’idée comme quoi nous sommes revenus à une reprise économique durable est aussi grotesque qu’elle l’était en 2005-07. Mais les investisseurs sont de retour sur la piste de danse, pirouettant droit vers la prochaine et inévitable implosion, au sujet de laquelle ils affirmeront une fois de plus par après qu’elle était imprévisible !”

Le capitalisme moderne semble incapable d’absorber le “surplus de travail” – un euphémisme pour “chômage de masse” – créé par la suraccumulation reflétée par la crise, à moins de pouvoir obtenir un taux de croissance soutenu d’au moins 3%, et même ainsi, à un taux combiné. Pourtant, même les plus optimistes des économistes bourgeois ne se font aucune illusion sur le fait que le capitalisme – même dans les économies qui semblent être dans une position favorable, comme l’Allemagne par exemple – sera capable d’atteindre un tel taux de croissance dans le futur prévisible. Axel Weber, le président sortant et complètement discrédité de la Bundesbank, disait à Londres récemment que l’Allemagne ne reviendrait pas d’ici la fin de 2011 à un niveau d’avant la crise. ”Il ne s’agit pas d’une success story, mais bien de trois années perdues”. Il a ensuite ajouté pour la forme que : ”La tendance de croissance sur le long terme pour l’économie allemande est de 1%. Nous n’avons pas affaire à un moteur dynamique pour l’économie européenne”.

Le chômage

La production de l’économie mondiale est revenue au niveau de 1989 ! Le FMI estime qu’en 2008, l’économie mondiale a perdu la somme colossale de 50 trillions de dollars en actifs dévalués et en termes de perte de production, une somme équivalant à la production totale de biens et services du monde entier pendant une année. La crise a laissé un immense legs débilitant que le capitalisme aura du mal à surmonter, si jamais il y parvient entièrement. La politique quasi-keynésienne d’Obama – avec ses divers plans de relance – a complètement échoué à endiguer le chômage, qui se tient officiellement à 9% de la force de travail (mais est dans les faits sans doute à deux fois ce niveau), et est restée à ce niveau depuis les 20 derniers mois sans discontinuer. Quarante-sept états sur cinquante ont même perdu des emplois depuis les plans de relance d’Obama.

Il y a dans le monde officiellement plus de 200 millions de gens au chômage, dont 78 millions ont moins de 24 ans. Et ceci est sans doute une énorme sous-évaluation, parce que ces chiffres ne tiennent pas compte du sous-emploi, des emplois partiels, etc. Selon l’Organisation internationale du travail, 1,5 milliards de gens sont en situation d’emploi précaire. En outre, la population mondiale va sans doute s’accroitre d’encore 2 milliards de personnes au cours des 40 prochaines années. En Europe, le chômage des jeunes se trouve en moyenne à 20,2% dans 17 pays de la zone euro, alors qu’il était à 14-15% il y a trois ans. Le chômage des jeunes est monté au niveau effarant de 35% en Grèce et même de 40% en Espagne !

Étant donné qu’il n’y a que très peu de soutien étatique pour les chômeurs dans ces pays – qui sont alors forcés de compter sur le soutien de leurs famille et amis – il est étonnant que nous n’ayons pas encore aperçu d’expression réelle de l’encore plus grand mécontentement que ces chiffres garantissent. Il est vrai que nous avons vu de grandes et furieuses grèves générales, mais étant donné la condition de la classe ouvrière, surtout dans le sud de l’Europe, nous pouvons nous attendre au cours de la prochaine période à des mouvements de protestation ouvrière qui pourraient déborder les limites de la société “officielle”. Déjà en Grèce, nous voyons que les masses, par pur désespoir – très souvent convaincues qu’elles n’ont aucune chance de succès – se sont néanmoins jetées dans la bataille, comme avec les travailleurs des bus d’Athènes, qui insistaient pour continuer leur lutte contre l’avis de leur direction syndicale, malgré le fait que le décret contre lequel ils se battaient avait déjà été mis en application ; ou avec les 2500 travailleurs (temporaires) de la Ville d’Athènes, qui ont occupé la salle du Conseil communal pour empêcher le nouveau maire PASOK de les licencier afin d’engager de nouveaux travailleurs intérimaires avec encore moins de salaire et encore moins de droits. Ce genre d’actions risque de devenir contagieuse – et pas seulement en Grèce – pour d’autres travailleurs qui vont chercher à les imiter, de même que pour les étudiants qui vont une fois de plus entrer en conflit avec le gouvernement ou avec les autorités éducationnelles.

Mais la conscience politique est toujours en retard, et parfois de manière chronique, par rapport à la situation économique objective. Le krach de Wall Street en 1929 a stupéfait la classe ouvrière américaine, et il a fallu au moins quelques années pour qu’elle puisse rallier ses forces et résister à l’offensive du capitalisme. Un mouvement offensif n’a réellement commencé, comme nous l’avons fait remarquer à maintes reprises, qu’au moment du début du boom à partir de 1934. Il est hautement improbable, surtout à un niveau global, qu’une telle croissance survienne, au moins dans les pays industriels avancés. Comme le Brésil l’a démontré, il est possible qu’un certain niveau de croissance se réalise dans certains pays et certaines régions, même au beau milieu d’une récession mondiale générale. Il y a une raison spécifique dans le cas du Brésil, comme dans d’autres pays ; cette croissance s’est effectuée portée par la croissance chinoise, la Chine cherchant à mettre la main sur des ressources naturelles afin de maintenir son industrie en état de marche.

Répercussions politiques et nouvelles formations de gauche

Ce n’est que maintenant – dans la dernière période – que les répercussions politiques de cette crise profonde et organiques commencent à être ressenties à un niveau général à travers toute l’Europe. Celles-ci se sont reflétées dans les grèves générales et les manifestations de masse en France, au Portugal, en Espagne, et avec les huit journées de grèves générales en Grèce, de même qu’en Italie.

Ces mouvements ont été suivis par la répudiation massive en Irlande du Fianna Fáil, le parti de gouvernement, lors des éléctions générales de février. Ces éléctions ont été importantes pour de nombreuses raisons, pas seulement pour nous, le CIO, mais aussi pour la classe ouvrière et pour la gauche en Europe en général. La percée splendide de nos camarades en Irlande a été un triomphe pour notre section irlandaise et pour le travail du CIO accompli depuis longtemps. Elle contraste brillamment avec les autres partis de la gauche révolutionnaire qui ont été incapables d’imprimer leur marque sur ce qui reste après tout le plus difficile terrain pour les révolutionnaires, le terrain électoral. Cette victoire a directement suivi le triomphe spectaculaire lors des élections européennes.

Si nous ne proclamons pas notre succès, personne ne le fera ! Notre camarade Joe Higgins a brillamment utilisé sa plate-forme pour faire connaitre et soutenir les luttes des travailleurs. Durant ce processus, cela a considérablement renforcé son autorité et son prestige, ainsi que les nôtres, parmi les travailleurs. Mais absolument aucune reconaissance publique ni aucun mérite ne lui ont été accordés par nos “alliés” de la gauche radicale, et surtout pas dans leurs publications. La même chose vaut pour notre succès à avoir fait élire deux camarades au Dáil en tant que membres de l’Alliance de la gauche unie (ULA – United Left Alliance). Par exemple, un correspondant irlandais qui écrivait au sujet du succès de l’ULA dans une récente édition de la London Review of Books a accompli la prouesse de mentionner le nom de tous les parlementaires élus sur la liste de l’ULA, sauf ceux de Clare Daly et de Joe Higgins, nos camarades du Socialist party!

La victoire électorale en Irlande, qui plus est, a été obtenue en alliance avec certaines forces qui, dans le passé et très certainement dans le futur, ont eu et auront des positions douteuses en termes de consistance de leur position révolutionnaire. Nous avons néanmoins suivi une tactique correcte, qui découlait de la revendication depuis longtemps adoptée par le CIO en ce qui concerne de faire les premiers pas pour la formation d’un nouveau parti de masse des travailleurs. Le moment n’est pas encore propice pour le lancement d’une telle initiative en Irlande du Sud, mais la tâche va se poser devant nous au cours de la période à venir – et nous serons le principal moteur dans ce projet.

En Écosse aussi, nous participons à une alliance électorale – via Solidarity – avec George Galloway pour les élections à venir au parlement écossais. En Angleterre et au pays de Galles pour les élections communales qui vont se tenir en mai, nous sommes à travers la TUSC en alliance avec le syndicat des transports RMT et d’autres. Le gouvernement ConDem va aussi organiser un référendum le même jour afin de modifier le système électoral, passant d’un système uninominal majoritaire à un tour, à un système de vote alternatif, auquel nous sommes opposés car nous considérons cela comme un pas en arrière pour la classe ouvrière et pour le mouvement ouvrier. Nous allons participer aux élections communales à une échelle plus large encore qu’auparavant. Nous tentons de former des alliances larges, ce qui signifie que dans certaines élections communales, nous allons représenter une contestation bien plus générale, et viser encore plus de sièges. Ceci découle du fait que nous faisons de réelles tentatives pour arracher le contrôle des conseils communaux des mains des trois principaux partis capitalistes.

En ce qui concerne notre expérience lors d’autres tentatives de former des alliances avec la gauche, il est vital que nous construisions non seulement l’influence mais aussi les forces organisées du CIO avant de lancer un tel projet. Cela non pas pour des raisons étroites ou “sectaires”, comme le suggèrent nos critiques. Nos expériences historiques, y compris lors de la récente période en Grèce, par exemple, montre que sans un noyau marxiste ferme – avec des perspectives claires et une compréhension de la stratégie et des tactiques – même les opportunités les plus prometteuses peuvent être gâchées. Il y a, qui plus est, l’expérience de l’effondrement du PRC en Italie. Si, dès le départ, le CIO avait eu un groupe organisé en Italie, il aurait alors été possible de construire une importante force trotskiste qui aurait pu agir comme un obstacle à la direction opportuniste du PRC, et peut-être même empêcher la désintégration de ce parti. Mais même si cela n’avait pas été possible – à cause du nombre limité de marxistes – nous en serions à tout le moins sortis avec une force bien plus puissante, que ce soit en termes politiques ou d’effectifs, capable d’affronter la situation actuelle en Italie. Notre section italienne – qui a été une importante addition au CIO – montre ce qui aurait été possible de réaliser dans le passé, mais aussi, surtout, ce qu’il sera possible de faire dans la période explosive qui s’ouvre. Les événements en Irlande signifient que nous sommes maintenant entrés dans une nouvelle période décisive dans laquelle le “facteur subjectif” peut faire une différence cruciale.

Une des caractéristiques les plus saillantes de la période que nous venons de traverser est la faiblesse et la tendance à la désintégration de certaines des nouvelles “forces de gauche”. Lorsque celles-ci ont été fondées, elles promettaient les débuts de nouveaux partis ouvriers. Cette revendication a été la pierre angulaire de la politique du CIO pendant maintenant plus d’une décennie. Mais ironiquement, au plus la crise s’approfondit et le mécontentement des masses grandit, au plus les dirigeants de ces formations abandonnent leurs précédentes positions de gauche ; ils ont de fait viré à droite. Ceci s’applique à Die Linke en Allemagne, au Bloco de Esquerda au Portugal, et même, malheureusement, au NPA à dominance mandéliste en France. Le SWP au Royaume-Uni, et dans une certaine mesure à l’échelle internationale, a suivi une trajectoire similaire. Ceci, peut-être est la plus étonnante de ces métamorphoses, étant donné ce qui semblait être leur sectarisme inflexible des années ‘2000. Mais en réalité, cela ne nous surprend pas ; l’opportunisme est toujours le revers du gauchisme.

Ce qui est plus important pour le CIO est l’approche générale que nous adoptons envers les nouvelles formations de gauche. Là où elles ont stagné et ont fait marche arrière – dégénéré politiquement – il serait alors insensé de notre part de leur accorder obstinément trop de ressources. Dans tous les cas, lorsque nous avons travaillé dans de grandes organisations dans le passé, nous avons toujours eu une orientation vers les masses à l’extérieur, qui ne rejoignaient pas nécessairement ces organisations, mais qui en général adhéraient à leur bannière. Nous sommes aujourd’hui confrontés à une situation très compliquée – elle-même conditionnée par la transition d’une période politique à une autre – dans laquelle toutes sortes de possibilités peuvent s’offrir. L’Irlande a jusqu’ici démontré l’attraction que peut avoir une candidature indépendante, tout comme notre position au Royaume-Uni. Grâce à notre influence dans les syndicats – via la politique correcte que nous avons suivie envers le réseau national des délégués syndicaux, les assemblées syndicales, le travail dans la gauche large, etc. – nous sommes parvenus au Royaume-Uni à fortement influencer la gauche au sein des syndicats, au niveau de la direction comme au niveau de la base.

Nous ne pouvons pas poursuivre une politique uniforme qui serait adaptée à la situation dans chaque pays. Cette période, qui a certans traits des années ’30, nous oblige à être flexibles dans notre orientation tactique à chaque étape. Le CIO doit expliquer encore et encore, et en particulier en cette période charnière, l’importance de nouvelles formations à gauche en tant que stade nécessaire du développement d’un mouvement des travailleurs de masse. En même temps, là où ces nouvelles formations ne parviennent pas à devenir un pôle d’attraction sérieux, nous devons en expliquer les raisons. D’un côté il y a les faiblesses politiques intrinsèques de ces organisations, surtout au niveau de la direction, et l’incapacité à comprendre correctement quel stade nous sommes en train de traverser.Ce facteur se couple au manque de confiance dans le pouvoir d’attraction que peut avoir pour la classe ouvrière un programme d’action de revendications au jour le jour, mais avec en son cœur le slogan suprême de la nécessité d’un plan socialiste en réponse au chaos du capitalisme qui devient plus clair de jour en jour. Au mieux, ces formations mettent en avant leur propre version de l’anticapitalisme et même alors, pas toujours de manière très claire. L’anticapitalisme est sans doute l’attitude politique qui prévaut chez la majorité des travailleurs, bien qu’il y ait une couche de plus en plus grande de socialistes ou de gens ayant une connaissance du socialisme, en particulier parmi la nouvelle génération qui entre en lutte.

Néanmoins, il est vital que l’opposition au système – aussi chaotique puisse-t-elle être – constitue le point de départ pour amener la nécessité du socialisme, qui doit être expliqué aux nouvelles couches avec les termes les plus simples possibles, sans être non plus simplistes. Si cela ne se produit pas et que l’opportunité n’est pas saisie, alors le mouvement ne progressera pas à une plus grande échelle. D’une certaine manière, c’est là l’ABC, mais c’est quelque chose qui est entièrement incompris même par ceux qui prétendent être des marxistes ou des trotskistes. Comme nous l’avons souvent débattu à de nombreuses reprises contre les doctrinaires gauchistes ou sectaires, quand bien même elle serait laissée à elle-même, la classe ouvrière arrivera toute seule de part son expérience à tirer des conclusions socialistes. Mais un parti – surtout un parti de masse – accélère énormément la vision du monde de la classe ouvrière, la transforme même ; et en premier lieu, des couches politiquement les plus conscientes de la classe ouvrière. Il est donc d’une importance cruciale que nous nous battions encore pour un nouveau parti des travailleurs de masse, même dans des situations où les pas en direction d’une telle formation ont soit échoué, soit reculé. Et les événements nous aident dans cette tâche.

 

Le Japon et les conséquences du désastre

La situation objective à l’échelle mondiale ne pourrait être pire pour le capitalisme, qui se trouve au bord d’une complète dépression. La situation actuelle signifie le pire des mondes pour la classe dirigeante : la stagnation économique et maintenant la percée de l’inflation – c’est à dire la stagflation, au moins dans certaines régions du monde – sans aucune réelle perspective dans le futur prévisible de pouvoir s’extirper de cette situation. Le Japon – défiguré par le séisme et le tsunami – va certainement avoir besoin d’au moins 300 milliards de dollars pour réparer les dégâts.

Une catastrophe naturelle peut avoir différents résultats dans différents pays, selon leur situation économique et sociale précédente. Parfois, une telle catastrophe peut devenir le facteur déclencheur d’une révolution, comme au Nicaragua dans les années ’70. Mais elle peut aussi jouer le même rôle qu’une dépression, remplissant la même fonction pour le capitalisme en crise ; la “destruction créative”, comme on dit. En ouvrant de nouveaux champs d’investissement – dans la construction par exemple – cette destruction peut mener à une certaine croissance économique. Le Liban semble avoir échappé à la crise qui a commencé en 2007-8 et qui, comme nous l’avons vu, a eu un effet profond sur le monde arabe. Ceci provient probablement de la dévastation qui a été infligée au Liban pendant la guerre contre Israël, qui a à son tour été à la base d’un boom de la construction.

De la même manière paradoxale, le Japon est en train de drainer les épargnes de sa population – qui restait jusqu’ici à l’abri dans les banques – et pourrait connaitre une certaine croissance sur le moyen ou long terme. Mais en même temps, il n’est pas certain du tout que cela sera le cas, étant donné l’ampleur de la dette nationale, qui vaut plus de 220% du PIB. L’effet immédiat a été d’endommager les perspectives de croissance par la destruction de l’apprivisionnement énergétique, la hausse du cout du pétrole, etc. Mais même si l’économie japonaise parvenait à croitre, cela ne changera pas de manière fondamentale la situation pour le capitalisme mondial. La perspective est toujours celle d’une crise économique persistante, qui aura de profondes répercussions politiques, comme le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord l’ont démontré.

 

Radicalisation et réaction en Europe

L’Europe a été fortement affectée par cette crise. Le paradoxe est que cette constatation provient du camp le plus inattendu. Marine Le Pen, la nouvelle dirigeante du Front national en France, prétend maintenant dans son incroyable percée démagogique, et dans une tentative évidente de revêtir son parti d’extrême-droite d’un masque “radical”, que la France est dans une situation “pré-révolutionnaire” ! La France serait selon elle confrontée aux mêmes défis qu’avant la révolution française ! Elle se berce d’illusions en imaginant que sa version droitière de “révolution” – ou plutôt, devrions-nous dire, de contre-révolution – est la solution. Mais elle met effectivement le doigt là où il faut – bien qu’elle exagère un peu en parlant d’une situation entièrement “pré-révolutionnaire”. Nous aussi avons mis en avant le fait qu’il y a un grand élément de situation pré-révolutionnaire aujourd’hui présent dans toute l’Europe. Mais nous lions cela à une solution socialiste ; Le Pen voudrait quant à elle perpétuer le capitalisme, un système de plus en plus dépassé.

Depuis le Congrès Mondial du CIO, la caractéristique la plus frappante en Europe est le profond désenchantement des masses, le discrédit des classes dirigeantes du continent. Cette perte de confiance provient de la crise économique persistante et de la pression qui se fait en conséquence sur le niveau de vie, non seulement pour la classe ouvrière, mais aussi pour de larges couches de la classe moyenne, qui n’avait pas été aussi gravement affectée par les crises précédentes. Mervyn King, gouverneur de la Bank of England, a admis que le niveau de vie n’a pas augmenté au Royaume-Uni depuis les six dernières années – alors que les prix s’accroissent de près de 5% par an ! À cause des coupes budgétaires du gouvernement ConDem, King admet que l’offensive sur le niveau de vie de la classe ouvrière sera sans doute le plus violent depuis les années ’20, qui est précisément la période qui a mené à la grève générale de 1926. Le reflet politique du mécontentement que tout ceci a engendré a été jusqu’à présent étouffé par le report de l’appel à une action de protestation nationale et générale par les dirigeants syndicaux – via le Trade Union Congress – et sans parler d’une grève ! Mais le report d’une telle action a eu pour résultat une accumulation de la colère et de la violente hostilité envers le gouvernement, qui s’est révélée dans la manifestation du 26 mars, la plus grande manifestation ouvrière depuis 20 ans.

Le Royaume-Uni est en train de rattraper le reste de l’Europe. Une révolte à l’échelle continentale est imminente – en partie préparée par les manifestations et grèves géantes de l’an passé. Seuls 6% de la population à travers toute l’Europe disent avoir une grande confiance dans leur gouvernement, 46% disent ne pas en avoir beaucoup, et 32% disent n’avoir aucune confiance dans leur gouvernement ! Seulement 9% pensent que les politiciens – dans l’opposition comme au pouvoir – se conduisent avec honnêteté et intégrité. Le manque de confiance dans les gouvernements en général est le plus grand en Pologne et en France, où la méfiance dépasse la confiance de 82% ! En France, le négatif net reçoit 78%, et en Allemagne, le score surprenant de 80%. Encore moins de gens croient que les politiciens sont honnêtes. En Pologne, 3% sont d’accord avec cette affirmation ; en Espagne 8% ; en Allemagne 10% ; en France 11% ; au Royaume-Uni 12%. En tout, 40% des Européens pensent que l’économie va empirer au cours des 12 prochains mois. (sondage Guardian/ICM du 14 mars 2011).

En même temps, parce qu’il n’a pas été contré par le mouvement ouvrier (ou en tous cas pas au niveau de sa direction), l’impitoyable bombardement de propagande qui proclame qu’il n’y a pas d’autre choix que de réduire les dépenses d’État a eu un certain effet. 78% des gens sont d’accord sur le fait que “le gouvernement dépense trop”, seuls 10% disent qu’il ne faut pas de coupes. De telles affirmations, cependant, ne reflètent pas la manière dont des groupes de travailleurs réagissent lorsque les “coupes” s’appliquent à eux-mêmes ! En outre, une fois que le mouvement de masse sera confronté aux conséquences des programmes d’austérité qui sont en train d’être mis en œuvre partout en Europe, la réaction sera alors différente. En France par exemple, il y a une conscience des avantages qu’offre un “État-providence”, tout comme au Royaume-Uni et ailleurs, et par conséquent la lutte va continuer.

Au Portugal, même le Parti social-démocrate (parti d’opposition de centre-droit), a refusé de rejoindre le “grand marchandage” de tous les partis bourgeois en soutien au programme d’austérité du Parti “socialiste”. Ceci, malgré le fait que la bourgeoisie portugaise est entièrement en faveur d’un tel programme. C’est ce qui a mené à la chute du gouvernement et à de nouvelles élections le 5 juin. Le gouvernement portugais a en effet été renversé par la pression d’un mouvement de masse gigantesque. Cela va probablement mener à l’élection de l’opposition bourgeoise actuelle, qui n’a à son tour absolument aucune solution à la catastrophe économique à laquelle est confrontée le Portugal. Le pays, probablement aux côtés de la Grèce et de l’Irlande, va sans doute faire défaut sur sa dette dans le deuxième stade de la crise, ce qui pourrait provoquer une nouvelle crise généralisée, partant du secteur bancaire, et qui pourrait être tout aussi grave qu’en 2008 et plonger l’Europe un peu plus profond dans un âge sombre économique.

Mais comme l’a montré l’expérience récente, la gauche ne va pas automatiquement occuper l’espace politique – un énorme vide en réalité – en conséquence de la crise. L’extrême-droite a maintenu une importante présence et a été dans certains pays le principal bénéficiaire politique de la situation actuelle, comme en Autriche. Elle a accompli une importante percée politique et électorale en l’absence d’une réponse à gauche, qui ne peut être fournie dans cette situation que par de nouveaux partis ouvriers de masse menant campagne autour des thèmes qui affectent au jour le jour les classes ouvrière et moyenne, mais aussi liée à une forte remise en question du système, sur base d’une alternative socialiste. L’extrême-droite a combiné son hostilité traditionnelle envers les minorités ethniques et raciales – se concentrant surtout au cours de la dernière période sur les musulmans et sur l’islam (et, dans certains pays, sur les Roms) – avec des éléments de programme anticapitaliste.

Elle peut faire un appel aux travailleurs – et a obtenu un certain succès ce faisant – qui font face à une plus grande insécurité et sentent que leur niveau de vie est remis en question par les vagues d’immigration des 10 dernières années, auxquelles il faudra bientôt ajouter le million d’immigrants en provenance du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord à la suite des révolutions qui s’y déroulent. Ces immigrants forment bien entendu les couches les plus opprimées de la classe ouvrière, se voyant privés des plus basiques des droits humains et démocratiques – comme l’a montré la grève de la faim en Grèce. Et quelles que soient les raisons pour lesquelles ils ont quitté leur pays natal, c’est le devoir du mouvement ouvrier de chercher à les protéger, et en particulier les salariés parmi eux, afin de les intégrer dans les syndicats.

Les partis bourgeois sont forcés de s’opposer en parole à cette immigration “incontrôlée” – surtout dans des pays comme le Royaume-Uni qui est confronté à la plus grande vague d’immigration de son Histoire – dans une tentative de couper l’herbe sous les pieds des partis anti-immigrants de droite ou d’extrême-droite. Mais ils continuent l’immigration parce que cela les aide à pousser à la baisse les “couts salariaux”, par le travail bon marché, accroissant ainsi leurs bénéfices. Nous avons vu récemment l’attaque incroyable sur le “multiculturalisme” par Cameron au Royaume-Uni et par Merkel en Allemagne, de même que la politique éhontée de Sarkozy en France, qui dans ce dernier cas est calculée pour endiguer le Front national et l’attraction de sa nouvelle dirigeante Marine Le Pen. Cela s’est complètement retourné contre lui, puisque il a ainsi légitimé le Front national et sa dirigeante aux yeux des dirigeants UMP. La direction du NPA en France ne s’est pas non plus couverte de gloire avec sa position au sujet du voile des femmes musulmanes, que Sarkozy tout comme le Front national ont attaqué. Nous défendons le droit des femmes d’adopter toute forme vestimentaire qu’elles désirent et de résister à la pression réactionnaire qui leur est imposée, mais nous défendons aussi le droit de toutes les minorités ethniques et religieuses à porter quelque forme de couvre-chef ou de vêtement qu’elles jugent appropriée, à condition bien entendu que cela n’empiète pas sur les droits des autres. Il est incroyable que qui que ce soit– et en particulier ceux qui se prétendent socialistes ou marxistes – approuve l’interdiction du port du voile par l’État, comme certains l’ont fait dans le passé.

La direction du NPA a fait d’énormes dégâts à son parti en ne soutenant pas clairement leur propre candidate aux élections qui portait le voile, pavant la voie pour des attitudes plus réactionnaires dans les rangs de leur parti. L’incapacité de la direction à ouvrir un véritable débat politique sur la question l’a empêché de voter une position de classe claire lors de son Congrès national. La conséquence des zigzags politiques de la direction est que que la candidate Ilham Moussaïd et de nombreux autres membres de culture musulmane ont quitté le parti, et d’ailleurs encore plus de jeunes et de travailleurs vont aussi comme eux probablement s’éloigner du parti.

 

La crise de la zone euro

Merkel veut maintenant renégocier la part que doit payer l’Allemagne pour mettre sur pied le nouveau fond de sauvetage de la zone euro. Mais comme le spéculateur milliardaire George Soros l’a écrit au sujet de la crise de l’euro – et il doit savoir de quoi il parle ! – : ” La “crise de l’euro” est en général perçue comme une crise monétaire qui est aussi une crise de la dette souveraine et une crise bancaire”. Il a prévenu du fait que l’imposition de pénalités sur les pays “débiteurs” signifie qu’ils ne seront pas capable de payer, et vont donc s’effondrer. Cela amènerait la menace d’une répétition de ce qui s’est passé en Amérique latine dans les années ’80, qui a eu pour résultat la “décennie perdue” des années ’90.

Comme nous l’avons mentionné plus haut, une gigantesque crise bancaire est imminente en Europe. La politique de Merkel, avec Sarkozy derrière elle, va combiner cela avec leur exigence de plus d’austérité dans des pays tels que la Grèce, l’Irlande et le Portugal. Dans le cas de l’Irlande, par exemple, le gouvernement allemand a réclamé qu’elle relève sa faible taxe sur les entreprises, qui est extrêmement bénéficiaire pour les capitalistes étrangers qui choisissent d’investir en Irlande et qui a sans aucun doute été un important facteur dans le passé pour la naissance du soi-disant Tigre celtique. Il sera difficile pour tout gouvernement irlandais – étant donné la sensibilité ressentie par le peuple irlandais envers toute interférence étrangère – d’accéder à cette requête.

Mais la puissance économique du capitalisme allemand camoufle l’actuelle faiblesse politique de Merkel. Elle a subi des revers électoraux récemment à Hambourg et ailleurs, en partie à cause du fait que le gouvernement allemand est perçu comme trop “sympathique” envers les “pays périphériques” quant à leur problème chronique de dette souveraine. La lutte autour de Stuttgart 21 et pour la fermeture des centrales nucléaires allemandes à la suite de la catastrophe au Japon ont eux aussi affecté la campagne électorale dans le Bade-Wurtemberg, où un des derniers sondages d’opinion suggère que la coalition Écolo-SPD pourrait vaincre le CDU qui est au pouvoir dans ce Land depuis 1953 ! Il y a eu un renouveau de grandes manifestations antinucléaires au lendemain de la catastrophe, et ceci pourrait se répéter dans de nombreux autres pays. Après la catastrophe, on a formé une chaine humaine de 60 000 personnes à partir d’une station nucléaire jusqu’au centre de Stuttgart. Ce n’est là qu’une des illustrations du dégout ressenti autour de cet enjeu.

Partout en Europe la hausse de l’euro-scepticisme et la mise en valeur des intérêts nationaux par les bourgeoisies de différents pays a sévèrement entamé l’attractivité du “projet européen”. Les plans d’austérité, les coupes dans les budgets sociaux et les pertes d’emploi ont lieu partout. La reprise économique – comme celle qui a lieu en Allemagne – est faible. Les partis bourgeois sont en crise à l’échelle continentale. Ceci est illustré par la situation en Belgique qui a battu le record historique de pays sans gouvernement permanent !

En même temps, les partis ex-sociaux-démocrates sont ravagés par la même crise. En l’absence d’alternatives sérieuses à gauche, ils peuvent toujours agir en tant que port d’attache pour tous les élécteurs mécontents, mais sont incapables de récupérer leur “ancienne gloire”, le soutien dont ils pouvaient bénéficier auparavant. Au mieux, ils sont perçus comme une alternative bourgeoise “radicale”. Dans tous les pays, des millions d’anciens électeurs les ont désertés. En Suède, au cours des élections générales de l’an passé, où ils n’ont mis en avant aucune alternative au néolibéralisme du gouvernement de droite, les sociaux-démocrates ont connu leur pire résultat électoral depuis 1914. En Allemagne, le SPD, malgré quelques succès électoraux sur les plans local et régional, se tient toujours dans les sondages d’opinion à à peine 26%, alors que le CDU de Merkel est à 34%. Die Linke a sans nul doute pris quelques électeurs avec lui, mais un beaucoup plus grand nombre d’entre eux est tout simplement tombé dans l’indifférence, voire dans l’hostilité par rapport à l’ancien parti ouvrier qu’est le SPD.

En fait, à cause du rejet de toutes les alternatives politiques disponibles de la part des principaux partis, une tendance à l’abstentionnisme peut se manifester. Lors des élections locales en France, il y a eu de grandes abstentions, indiquant le fait que la France est confrontée non pas à une crise économique, mais aussi à une impasse politique. Le gouvernement Sarkozy est perclu de crises ; le président est même plutôt perçu comme un personnage burlesque. Il a été jusqu’à provoquer des manifestations nationales des juges pour ses commentaires quant à ceux d’entre eux qui seraient “trop conciliants avec le crime”. Pour la première fois depuis le procès de Pétain (le dirigeant collabo de la France occupée par les nazis), un ancien président français, Chirac, va être jugé pour corruption. Pour ajouter à tous ces maux, il semblerait selon les sondages que Sarkozy sera éliminé lors du premier tour des élections présidentielles de 2012, pour se faire dépasser par Marine Le Pen du Front national !

La France est le pays de la lutte de classe par excellence. Étant donné le mécontentement massif de la classe ouvrière française – et ses traditions révolutionnaires – une nouvelle explosion dans les rues et dans les usines et entreprises est inévitable. La question est maintenant de savoir si oui ou non un nouveau mai 68, ou des éléments d’une telle situation, peut se développer au cours de la prochaine période. Si la Grèce est confrontée à un développement “à l’argentine” – avec des occupations d’usines – alors pourquoi la classe ouvrière française ne pourrait-elle pas, sur base de son passé, elle aussi aller dans cette direction ? Notre section en France, aux effectifs encore limités mais très efficace, doit se préparer à une surenchère de la lutte, sur le plan politique comme sur le plan industriel, et dans laquelle de grandes opportunités peuvent se développer. Si nous nous saisissons de ces opportunités à temps, ceci pourrait mener à une croissance importante, voire exponentielle, de nos forces. Étant donné la confusion politique parmi la plupart de la gauche, une clarté d’analyse et des slogans clairs à chaque étape de la lutte peuvent avoir un important impact pour montrer la marche à suivre aux meilleures couches des travailleurs et des jeunes. La France reste un pays européen crucial pour la classe ouvrière et, bien entendu, pour le CIO.

En réalité, c’est l’ensemble de la situation en Europe méridionale qui doit occuper une position cruciale dans nos plans lors de la prochaine période. Nous avons fait de grands efforts pour rassembler des forces en Espagne, au Portugal et en Italie, avec un certain succès. Ces efforts devront être intensifiés au cours de la prochaine période. C’est ici que se reflète l’expression la plus aigüe de la crise européenne. Tous les pays de l’Europe méridionale ont été convulsés par la crise économique et sociale, et cela va sans doute continuer et s’approfondir au cours de la prochaine période. Il y a, bien entendu, la complication de la multiplicité des forces et des groupes de gauche. Mais ceux-ci ne sont pour la plupart que des reliques de la situation idéologique confuse de la période précédente. Sous le martèlement des événements, lorsque la situation deviendra plus sérieuse, ces organisations vont se faner et disparaitre, tout comme toutes les plantes étranges et merveilleuses qui apparaissent dans les bois au printemps, mais qui laissent ensuite la place à la verdure resplendissante de l’été. Nous avons déjà attiré l’attention sur la manière dont d’anciens groupes de gauche virent à droite lorsque la situation devient plus sérieuse et plus difficile, lorsqu’il y a une demande non pas d’une phraséologie de gauche, mais de véritables idées qui puissent trouver une prise sur l’esprit des masses.

Les événements en Chypre du Nord – qui ont été brillamment expliqués dans un article sur notre site et qui n’ont certainement été mentionnés nulle part ailleurs dans la presse bourgeoise européenne – montrent comme une situation peut rapidement se déstabiliser et se transformer sur base des attaques sur le niveau de vie de la classe ouvrière. Ces attaques ont été mises en œuvre par un gouvernement nationaliste de droite – le Parti d’unité nationale – et ont été le “pire plan d’austérité jamais imposé à la classe ouvrière de Chypre du Nord. Elles sont survenues juste après que le précédent gouvernement du CTP (Parti républicain turc), ait échoué dans ses tentatives d’effectuer les attaques qu’il avait prévues à cause de la résistance de masse de la classe ouvrière turco-chypriote. En fait, en conséquence de cela, le CTP a perdu les élections, mais le nouveau gouvernement, imperturbable, a néanmoins désiré poursuivre ces attaques.

Les actions des travailleurs les ont amenés en collision non seulement avec le gouvernement de Chypre du Nord, mais aussi avec le gouvernement AKP d’Erdoðan à Ankara qui a attaqué les grévistes. Erdoðan a demandé avec arrogance que le gouvernement de Chypre du Nord prenne des mesures contre les manifestations parce que les travailleurs brandissaient des bannières qui attaquaient le gouvernement turc. La réponse des syndicats a été : ”Nous n’acceptons pas vos insultes… Vous appelez Moubarak à écouter le peuple, mais vous-même vous ne le faites pas … Nous observons avec effroi la politique islamique néolibérale de l’AKP qui va à l’encontre des travailleurs turcs, et nous, en tant que communauté vivant dans un autre pays, proclamons que nous ne laisserons pas passer cette politique et que nous ne reculerons pas. Ce pays est à nous, c’est nous que le dirigeons”. De belles paroles ! Et une excellente réponse à tous ceux qui, en Égypte, en Tunisie, et dans le monde arabe dans son ensemble, ont invoqué le modèle turc comme étant un modèle pour leurs pays !

En Italie aussi, il y a eu un changement de la situation, dû non seulement à la position précaire du premier ministre décadent et grotesque qu’est Silvio Berlusconi, mais aussi aux actions impressionnantes de la classe ouvrière, et en particulier des travailleurs industriels au cours de la dernière période. C’est ce qu’on a vu clairement avec les actions de la FIOM, le syndicat de la métallurgie, en défense des travailleurs de FIAT qui se sont vu imposer de nouvelles conditions, lesquelles incluent une réduction des pauses, une hausse de la productivité par travailleur, et une action disciplinaire qui mènerait dans certains cas au licenciement des travailleurs qui partiraient en grève. Les travailleurs n’auront plus le droit d’élire leurs représentants syndicaux. La FIOM est partie en action malgré la passivité du sommet des fédérations syndicales : la CGIL, la CISL, et l’UIL. La FIOM a néanmoins récemment organisé d’impressionantes manifestations en soutien aux travailleurs dont les contrats nationaux étaient menacés par les patrons. Ces manifestations ont vu une énorme participation, non seulement de la part des travailleurs affectés, mais aussi de militants de la CGIL et d’autres syndicats de même que de militants de gauche.

Également lors du 13 février, un million de femmes ont défilé dans 230 villes et cités d’Italie en un mouvement spontané déclenché par le comportement personnel dégénéré de Berlusconi. L’alliance entre le parti de Berlusconi et la Ligue du Nord – un parti séparatiste et raciste basé dans le nord de l’Italie – et sa fusion avec l’Alliance nationale (les héritiers du MSI néofasciste) en un mouvement appelé “Peuple de liberté” (PdL) tend à la fracture. M. Fini, l’ancien leader de l’AN, a quitté cette formation pour créer le mouvement “Futur et liberté pour l’Italie” (FLI).

La force de Berlusconi – son seul véritable atout – est l’inefficacité de l’opposition et le manque d’une alternative de masse à son gouvernement. Même la bourgeoisie veut voir la fin de son régime, parce qu’elle a un vague pressentiment qu’une tempête d’opposition est en train de couver dans les rangs de la classe ouvrière italienne, et elle cherche un instrument plus stable pour répondre à cette situation. Le problème toutefois est de parvenir à assembler autant que faire se peut une alternative politique, avec en son centre le mollusque qu’est le Parti démocratique (PD). Les forces de “centre-gauche” qui sont maintenant organisées au sein du PD pourraient se liguer avec des réfugiés de la coalition de Berlusconi pour former un nouveau gouvernement. Même les restes des partis de gauche pourraient rejoindre une telle “fédération” à cause de leur récent virage à droite. Mais comme nos camarades l’ont fait remarquer, la véritable alternative se trouve dans la formation d’une opposition ouvrière sur le front industriel autant que politique. Cette opposition doit être une nouvelle entité – un “parti des travailleurs” qui doit être placé “sous le contrôle des travailleurs, et pas un parti des ‘amis des travailleurs’”.

 

Une nouvelle période pleine de rebondissements

Il est clair que nous sommes confrontés à une nouvelle période pleine de rebondissements. L’élaboration de perspectives claires est vitale. Mais même le fait d’avoir de bonnes perspectives et une stratégie et une tactique correctes ne sont pas en soi une garantie de succès pour une organisation ouvrière révolutionnaire. Il faut aussi la volonté de renverser tous les obstacles, d’acquérir et de consruire les outils organisationnels afin de pouvoir saisir les opportunités qui existent dans la situation actuelle. Cette période comporte, dans un certain sens, certains éléments objectivement prérévolutionnaires lorsqu’on les regarde à l’échelle européenne ou mondiale. Qui plus est, les événements au Moyen-Orient et en Afrique du Nord sont une répétition générale avant les orages révolutionnaires qui vont souffler ailleurs.

Mais il y a toujours un grand fossé entre la situation objective et le niveau de conscience des masses, même de la part de la couche la plus avancée. La classe ouvrière n’a – dans la plupart des pays – pas épuisé ses illusions dans le fait que le système du capitalisme pourra trouver une issue et se stabiliser, menant à un retour de la situation d’avant la crise. Du point de vue des masses, de telles illusions ne pourront disparaitre que sur base des événements, et de gros événements d’ailleurs. Il nous faut dans cette situation n’être pas seulement audacieux dans la propagande de nos idées, mais également patients. Parfois une approche plus pédagogique, le gain de petits groupes de même une ou deux personnes en premier lieu, peut être décisif dans l’implantation d’une grande présentce et même d’une base de masse plus tard.

Étant donné le potentiel explosif de la situation économique sous-jacente, les événements et les luttes peuvent se développer très rapidement. Ceci peut rapidement transformer la conscience des travailleurs et des jeunes. Ce ne sera pas toujours un processus lent et graduel, mais plutôt un processus qui progressera par bonds, avec des périodes d’accélération. Tous les membres et tous les sympathisants du CIO doivent être prêts à utiliser de manière audacieuse ces opportunités de construire et de renforcer les forces de masse de la classe ouvrière tout en les armant des idées marxistes qui sont nécessaires pour vaincre le capitalisme et pour renverser ce système de profit une bonne fois pour toutes.

Nous sommes confiants dans le fait que les discussions lors de ce Bureau européen et les enjeux qui y ont été élaborés contribueront à la préparation du CIO pour cette nouvelle période décisive en Europe et dans le monde.

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