Tunisie : “Il faut une deuxième révolution !”

Les formidables mouvements de masse qui ont eu raison de l’ex-dictateur Ben Ali, puis de son premier ministre Ghannouchi qui a dirigé les deux premiers gouvernements provisoires, n’ont pas dit leur dernier mot. Essebssi le nouveau 1er ministre est une vieille personnalité liée à la dictature précédente de Bourguiba. Depuis la chute de Ben Ali, chaque gouvernement est formé de gens n’ayant jamais fait la révolution…

S’il existe désormais plus de libertés politiques, il n’en reste pas moins que tout ceci est très précaire. La répression peut prendre des formes soudaines et violentes. De plus en plus d’anciens responsables du régime retrouvent un poste de responsabilité, toute une partie de l’appareil de répression reste en place. Quand la situation sociale s’améliore un peu, ce n’est que là où des grèves ont eu lieu. La situation est dominée par ces luttes. Les nombreuses questions que se posent ceux qui ont fait la révolution sont de savoir comment continuer celle-ci jusqu’au bout. Les querelles des principaux partis, souvent coupés des masses, ne répondent pas aux besoins profonds du peuple tunisien.

La majorité des revendications ne sont pas satisfaites

La révolution tunisienne a commencé parce que l’absence de libertés, le poids de la dictature policière et du parti du président, le RCD, se combinaient avec une situation sociale de plus en plus désastreuse : chômage de masse, absence d’avenir pour la jeunesse, salaires de misère, sous développement des régions du centre et de l’ouest… Tous ces éléments de la société tunisienne après 23 ans de régime de Ben Ali, des millions de personnes ont eu enfin la possibilité de les contester à une échelle de masse, en même temps, en étant prêtes à aller jusqu’au bout, jusqu’au renversement du régime de Ben Ali.

Cette révolution a évidemment inquiété tout le monde : les maffieux au pouvoir, le RCD, les forces de sécurité et les pays impérialistes, notamment France et USA. C’est pour cela qu’ils ont sponsorisé Essebssi comme 1er ministre, lequel ne manque jamais une occasion de se comporter en valet de l’impérialisme. Il a honoré l’échéance de la dette extérieure, le 8 avril dernier, pour un montant de 400 millions d’euros en échange… de nouveaux prêts pour un total de plus de 800 millions d’euros. La dette date de Ben Ali, et son clan en a été le seul bénéficiaire, mais le jackpot tunisien continue pour les impérialistes grâce à Essebssi.

Multiplication des grèves

A Ben Arous, à Sfax, à Gafsa,… on ne compte pas les luttes et les grèves. Travailleuses qui découvrent que leurs cotisations retraite ne sont pas enregistrées à la sécurité sociale, employés qui sont encore en contrat d’un mois renouvelable,…

La grève des éboueurs du Grand Tunis et de quelques autres villes a, en une semaine, gagné sur ses principales revendications : titularisation de tous les employés, meilleurs équipements pour travailler. Elle a reçu un soutien énorme de la population. Mais comme pour d’autres luttes, la direction de l’UGTT n’est intervenue que pour s’imposer comme intermédiaire officiel entre les grévistes et patrons.

L’absence d’initiatives centrales pour les travailleurs et les jeunes

Depuis mars, la situation est instable et incertaine. Un véritable vide politique existe et le débat politique reste principalement aux mains de partis ne remettant pas en cause le capitalisme.

A gauche, les formations qui sont désormais sorties de la clandestinité (Parti communiste ouvrier de Tunisie, différentes fractions issues de la mouvance anciennement maoïste des Patriotes démocrates,…) n’ont pas saisi l’importance de cette question. Même si de nombreux militants de ces courants sont souvent d’actifs syndicalistes, ou des organisateurs de manifestations, il n’y a pas de véritable campagne pour que se construise un parti de masse des travailleurs et de la jeunesse. En fait, aucune de ces formations ne formule une perspective socialiste révolutionnaire pour la suite de la révolution.

Ainsi, aucune réelle bataille politique sur la base d’un débat public et ouvert n’a été menée pour dégager la direction corrompue de l’UGTT au moyen d’un congrès extraordinaire du syndicat. Du coup, cette direction qui a soutenu Ben Ali reste un obstacle au développement des luttes. Cela maintient une défiance envers l’UGTT de la part de ceux qui ont fait la révolution, notamment les jeunes.

Or, cette bataille est cruciale. En la liant à une proposition de véritable campagne du syndicat pour l’emploi, les salaires et en soutien aux luttes en cours, avec la perspective d’une journée nationale de grève, et en direction des couches militantes sincères du syndicat, une telle bataille permettrait d’unifier les travailleurs, les jeunes, et les masses pauvres.

Les principaux partis de gauche ne semblent préoccupés que par la future assemblée constituante sans même formuler un contenu socialiste pour cette future constitution ni une forme d’organisation du débat et des élections elles-mêmes permettant d’impliquer largement la population.

La plupart des débats politiques laissent à l’écart l’immense majorité de la population et notamment les masses les plus défavorisées. C’est cette situation qu’essaie d’utiliser le parti religieux Ennahda qui allie références islamistes et formulations sociales, tout en se présentant (pour le moment ?) comme en accord avec les libertés démocratiques. Un danger réel existe qu’émerge de cette formation un courant en faveur d’une dictature religieuse. Mais ce ne serait possible que par l’absence d’un parti de masse des travailleurs et de la jeunesse.

Beaucoup de partis focalisent sur un «danger Ennahda», appelant à s’unir mais en masquant leur programme pro-capitaliste. Or c’est bien par le terrain économique et social qu’il faut entamer la bataille politique contre Ennahda.

Renforcement de la répression

Cette situation d’indécision politique ne peut pas durer sur une longue période. Il a suffi d’une déclaration de l’ancien ministre de l’intérieur, Rahji, pour que l’Etat reprenne une offensive sécuritaire. Rahji a déclaré qu’un coup d’Etat militaire était en préparation en cas de victoire d’Ennahda aux élections. On a du mal à comprendre l’objectif de cette déclaration, qui plus est à 3 mois des élections. Car c’est évidemment un scénario qui a toujours été possible mais la forme très soudaine de l’annonce a pris les militants au dépourvu et a pu être utilisée par les forces réactionnaires au sein de l’Etat.

Une première manifestation a ainsi été férocement réprimée jeudi 5 mai à Tunis et depuis c’est l’escalade. On assiste à une reprise en main de l’avenue Bourguiba par des policiers désormais cagoulés. Un déchaînement de violence qui a provoqué une réaction logique de nombreux jeunes peu prêts à un tel retour en force des anciennes méthodes de l’Etat. De plus, il semble que l’ancien RCD pousse au maximum à ce que le chaos l’emporte, notamment en payant des bandes pour casser et piller. Essebssi a pu à son tour sauter sur l’occasion. Dans son discours du 8 mai, il a accusé les «manœuvres de déstabilisation», disant même que la gauche y a sa part. «La Tunisie perd 7000 emplois par mois», «l’Etat risque de ne pas pouvoir payer les fonctionnaires le mois prochain »… Evidemment, Essebssi ne dit jamais que les responsables de tout cela sont les capitalistes tunisiens et impérialistes, donc il est le serviteur.

Et il a ajouté «si les manifestations continuent, ce sera le chaos». Autrement dit, on assiste à une reprise en main autoritaire des choses, qui peut ouvrir la voie à une répression plus vaste. Désormais, le gouvernement commence à laisser entendre que les élections seront reportées…

Pour une révolution socialiste

Comment continuer la révolution est une question largement discutée. Il manque des organisations populaires assez vastes pour permettre à de larges couches de la population de s’organiser et de discuter des perspectives, de définir leurs besoins, et les moyens de les satisfaire, et se défendre contre la répression. Les comités qui avaient surgi dans les quartiers, les entreprises, les lieux d’étude… pour défendre la révolution dans ses premiers jours seraient encore plus nécessaires aujourd’hui. Et en se fédérant localement et nationalement, en élisant démocratiquement leurs représentants (révocables), de tels comités permettraient de construire une alternative à l’Etat tunisien actuel et à son gouvernement au service des capitalistes. Un gouvernement réellement produit par la révolution, défendant les aspirations et les revendications de celle-ci pourrait être issu de telles structures.

C’est cette perspective d’un gouvernement des travailleurs, des jeunes, des paysans et des masses populaires, pouvant mettre en place une politique réellement socialiste et démocratique, nationalisant les secteurs clefs de l’économie sous le contrôle et la gestion démocratique des travailleurs, permettant ainsi un plan de développement économique assurant un emploi, un logement etc. pour tous et toutes… qui donne tout son sens au slogan « pour une deuxième révolution ». C’est ainsi que l’on pourra nettoyer le pays de tous les restes de l’ancien régime.

Le débat sur une telle perspective socialiste révolutionnaire est au cœur des discussions que nous avons avec de nombreux activistes. Le Comité pour une internationale ouvrière fait tout son possible pour aider les militants tunisiens à continuer leur combat face à un Etat toujours répressif. Il faut une organisation réellement socialiste révolutionnaire, démocratique, en Tunisie, pour proposer un programme qui rompt avec les erreurs de la gauche actuelle, s’adresse aux révolutionnaires les plus combatifs, discute son programme à l’échelle la plus large possible et aussi avec d’autres courants, fraternellement, et permette que la révolution tunisienne réussisse enfin à faire dégager les maffieux, les capitalistes et les impérialistes.

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Article de la Gauche Révolutionnaire

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