Paul Murphy, eurodéputé du Socialist Party, embarque à bord de la deuxième “Flottille de la liberté” pour Gaza

Paul Murphy, l’eurodéputé de nos camarades irlandais du Socialist Party a embarqué à bord de la “Freedom Flotilla II” afin de livrer de l’aide humanitaire à la population de la bande de Gaza. L’an dernier, la “Freedom Flotilla I” avait brutalement été attaquée dans les eaux internationales par les Forces de défense israéliennes (IDF), causant la mort de neuf militants des droits de l’Homme.

Pourquoi as-tu décidé de rejoindre la Flottille ?

Avant tout, ma décision de rejoindre la “Flottille de la liberté” est motivée par la lutte contre les conditions auxquelles sont confrontés les habitants de Gaza, et par la tentative d’apporter un réconfort humanitaire à leurs souffrances. L’État israélien interdit l’entrée de médicaments de base et de matériaux de construction à Gaza, ce qui a bien entendu un effet désastreux sur les conditions de vie de la population. L’objectif de la Flottille est de rompre le siège en apportant un approvisionnement de médicaments et de matériaux de construction tout en soulevant le problème du blocus et l’impact que cela a sur la population.

La bande de Gaza est une des régions les plus densément peuplée du monde, avec 1,6 million d’habitants entassés sur à peine 360km². Les conditions de vie y sont horribles, et se sont gravement aggravées depuis le début du blocus israélien. Selon les Nations-Unies, le taux de chômage à Gaza a atteint les 45,2% fin 2010. Le nombre de gens qui y vivent avec moins d’un dollar par jour a triplé, atteignant 300.000 habitants, directement en conséquence du blocus. L’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine (UNRWA) a rapporté que les salaires y ont chuté d’un tiers au cours du blocus.

Le blocus de Gaza entre maintenant dans sa cinquième année, et a été imposé par l’État israélien lorsque le Hamas y a remporté les élections. Ceci revient à un châtiment collectif de la population de Gaza pour avoir pris la décision d’élire le Hamas. C’est un viol révoltant des droits de l’Homme et de la démocratie que d’imposer une telle souffrance à la population civile de Gaza pour avoir “mal” voté !

 

Quelle est ta réaction par rapport à ce qui est arrivé à la Flottille l’an dernier ?

L’assaut sur la première Flottille de la liberté organisé par l’IDF l’an passé a démontré l’impunité avec laquelle l’establishment israélien se sent capable d’agir, sans aucune considération pour la loi internationale, sans même parler des droits de l’Homme. J’ai vu récemment une vidéo du raid sur la flottille, et j’ai eu la chance de parler avec certains des participants qui ont été témoins du meurtre de 9 militants pacifiques. La brutalité de l’IDF a été extrême, tout comme l’a été de manière générale la réponse du gouvernement israélien qui a cyniquement décider de lancer cette attaque sur ces militants des droits de l’Homme.

J’ai un immense respect pour la détermination de nombre de ces militants dans leur désir d’apporter de l’aide humanitaire à la population assiégée de Gaza. Lorsque j’ai entendu que la Flottille s’apprêtait à un nouveau départ, et qu’elle cherchait des figures publiques avec qui voyager, j’ai senti que ce serait une très bonne opportunité d’exprimer ma solidarité avec le peuple palestinien, de même que, espérons-le, d’accorder une certaine protection aux autres militants à bord du navire.

 

Qui fait partie du voyage pour Gaza ?

Des centaines de militants vont tenter de rompre le siège de Gaza dans quelques jours. Ces personnes proviennent de différents groupes pour les droits des Palestiniens, et bien entendu de diverses organisations politiques. Un autre eurodéputé du groupe de la Gauche unie européenne nous accompagnera, Williy Meyer, du parti espagnol Izquierda Unida. Il y a 25 participants à bord du navire irlandais, y compris le joueur de rugby Trevor Hogan et le conseiller communal Hugh Lewis, du mouvement “Les gens avant le profit” (qui fait partie, tout comme le Socialist Party, de l’Alliance de la gauche unie, United Left Alliance). Le navire irlandais est organisé par l’association Irish Ship to Gaza (irishshiptogaza.org), qui fait partie de la coalition internationale pour la deuxième Flottille de la liberté.

 

Tu penses que vous allez réussir à arriver à Gaza ?

Je pense que la réponse à cette question est quasi entièrement entre les mains de l’establishment israélien et des forces de défense. S’ils décident d’attaquer les navires à nouveau, ce qui, je pense, est le plus probable, il ne sera pas possible de les distancier. Toutefois, s’ils prennent cette décision, ils risquent de déclencher un important mouvement de protestation dans le monde entier, comme cela s’est produit au moment de leur attaque de la dernière flottille.

Au cas où nous parvenons à atteindre Gaza, nous y apporterons notre aide humanitaire et y resterons quelques jours pour y organiser toute une série de meetings de solidarité et de débats citoyens, ainsi que des rencontres avec des militants des droits de l’Homme et autres. Je serais particulièrement intéressé de rencontrer les syndicalistes qui ont organisé d’importantes grèves à Gaza ces dernières années.

 

L’ouverture du passage de Rafah (entre l’Égypte et la bande de Gaza) ne signifie-t-elle pas que la Flottille n’est plus nécessaire ?

Non, et cela, à mon avis, pour deux raisons. La première est que la frontière de Rafah n’est pas réellement ouverte. Les autorités égyptiennes ont annoncé son ouverture à la fin du mois de mai. Ils ont permis aux civils de passer la frontière, mais interdisent les entrées et sorties de marchandises. Il est vrai que l’ouverture du poste-frontière permet aux gens d’aller en Égypte pour y acheter des produits, médicaments, etc. Mais début juin, le Hamas a annoncé la fermeture de la frontière de son côté, selon lui en guise de protestation contre les files au poste-frontière, et contre la fermeture de la frontière par l’Égypte la veille, qui avait été opérée sans avertissement. Quelle que soient les motivations réelles du Hamas, il est clair que le problème n’est pas résolu et que l’objectif de la Flottille reste valide.

Deuxièmement, même si le passage de Rafah était complètement ouvert, la Flottille garderait quand même toute sa pertinence. La population de Gaza ne devrait pas être forcée à n’emprunter qu’un seul point de passage à cause du blocus d’Israël, et devrait être capable d’utiliser librement ses ports maritimes, sans interférence israélienne.

 

Quel impact penses-tu que les révolutions en Afrique du Nord et au Moyen-Orient auront sur les développements dans la région ?

Il est évident que ces révolutions ont un impact sur la situation en Israël/Palestine. Partout dans la région, il y a eu des manifestations et des protestations en solidarité avec les masses palestiniennes opprimées. En même temps, le peuple palestinien a été inspiré par les événements révolutionnaires dans la région. Il ne faut pas s’étonner que les manifestations pour commémorer la Nakba (“catastrophe” en arabe – le jour où l’État d’Israël a été installé, en commençant par l’expulsion d’environ 700.000 Palestiniens) tenues en Israël même et dans les territoires occupés palestiniens ont connu une affluence record. Les révolutions ont aussi eu un impact sur le Hamas et le Fatah qui sentent monter la pression d’en-bas et se sont vus contraints d’entamer des discussions en vue de former un gouvernement d’unité nationale.

Il est important de constater que ces mouvements de protestation étaient principalement composés d’une nouvelle génération de jeunes Palestiniens, et semblent avoir gagné en importance. Le 15 mars, on a vu des manifestations massives dans les rues de nombreuses villes et villages de la bande de Gaza et de Cisjordanie. Le jour de la Nakba, le 15 mai, a aussi connu de grands mouvements, comme je l’ai déjà dit, auxquels se sont ajoutés les débuts d’un mouvement de masse des réfugiés palestiniens dans les pays arabes. Le 5 juin, des conflits ont eu lieu à la frontière près du plateau du Golan, où les attaques brutales de l’armée israélienne ont tué 20 Palestiniens et blessé des centaines d’autres.

D’un autre côté, le gouvernement israélien a tenté d’utiliser les révolutions pour semer la peur parmi les juifs israéliens, en agitant l’épouvantail d’une menace des forces de l’islam politique. C’est la tactique traditionnelle de l’establishment capitaliste israélien, qui insiste sur le fait qu’Israël est entouré de pays hostiles, et qu’il est par conséquent d’avoir une “unité nationale” au sein d’Israël et de se concentrer sur les questions de sécurité. Le régime israélien est très inquiet d’avoir perdu des alliés importants tels que l’ex-dictateur égyptien Hosni Moubarak. En même temps, il lui sera de plus en plus difficile de se présenter comme étant la seule “démocratie” dans la région, qui doit se défendre contre les dictatures qui l’encerclent.

Il est clair, de par l’expérience de mon voyage en Tunisie et des expériences des membres du Comité pour une Internationale Ouvrière en Égypte et ailleurs, que le futur des révolutions n’est toujours pas décidé. Partout à travers la région, les forces de la contre-révolution sont en train de se réorganiser et cherchent à consolider leur puissance. À moins que la révolution n’aille de l’avant et que les masses ouvrières et pauvres ne prennent le plein contrôle démocratique de la gestion de la société et de l’économie, les espoirs des peuples qui ont bravement renversé des dictateurs brutaux ne seront hélas pas exhaussés.

 

Quelle est ton attitude par rapport au Hamas ?

J’ai toujours reconnu la victoire électorale légitime du Hamas à Gaza en 2006, comme je me suis opposé au blocus imposé par l’État israélien. De mon point de vue, le Hamas est parvenu à gagner son soutien du fait de la frustration et de la désillusion croissante des masses palestiniennes par rapport à l’échec du processus de paix d’Oslo qui avait été signé par l’aile Fatah de l’OLP sous Arafat. En outre, les masses palestiniennes ont été de plus en plus mécontentes par rapport à la corruption et au népotisme de l’Autorité palestinienne dirigée par le Fatah.

Toutefois, j’ai de très profonds désaccords avec la direction politique du Hamas. Le Hamas est fondamentalement une organisation de droite, dont la politique est dirigée contre les intérêts du mouvement ouvrier, des syndicalistes et des véritables socialistes. Le Hamas n’offre aucune issue et ne mènera pas à un État palestinien indépendant et viable.

Je suis en désaccord avec la stratégie et les tactiques du Hamas en ce qui concerne la manière d’aboutir à un État palestinien indépendant. Je soutiens de manière inconditionnelle le droit à l’auto-détermination et à l’auto-défense du peuple palestinien contre l’État d’Israël, mais je suis absolument opposé aux méthodes des attentats suicides, des tirs de roquettes sur les civils israéliens, etc.

À mon avis, ce genre d’actions apporte en réalité une aide à l’establishment politique de droite en Israël et à la machine d’État israélienne, et ne va certainement pas apporter la paix à la région ni un État palestinien indépendant. Cela, parce que ces méthodes permettent justement à l’establishment israélien de jouer sur la peur à l’intérieur d’Israël, et de lier les simples travailleurs israéliens aux partis de droite qui mènent une propagande constante sur le thème de la sécurité.

 

Comment pouvons-nous selon toi obtenir un État palestinien ?

Ce qu’on appelle le “printemps arabe” – la série de révolutions, de mouvements révolutionnaires et d’insurrections en Afrique du Nord et au Moyen-Orient – a démontré, encore une fois, que la résistance de masse, l’action collective par les opprimés contre les oppresseurs est la méthode la plus efficace pour obtenir un véritable changement. La première insurrection des masses palestiniennes en 1987 – la première intifada – a ébranlé la classe dirigeante israélienne et l’impérialisme, et a forcé le régime israélien à des “pourparlers de paix”, qui n’ont toutefois mené qu’au frauduleux accord d’Oslo, en 1993, qui a été un cruel cul-de-sac pour les Palestiniens.

Un redéveloppement de lutte de masse est à mon avis vital pour faire progresser la lutte. Pour parvenir à cela, il ne faut donner aucune confiance dans les diverses puissances occidentales qui prétendent parfois de temps en temps être “favorables” au peuple palestinien.

Au lieu de ça, ce qu’il faut construire, à mon avis, est un mouvement révolutionnaire de masse des masses palestiniennes, des masse insurgées du monde arabe, de même que des travailleurs et des pauvres en Israël même. De tels mouvements pourraient parachever le renversement des élites corrompues dans le monde arabe, de même que dégager l’establishment israélien de droite, et lutter pour créer une Palestine socialiste, aux côtés d’un Israël socialiste, en tant que membres d’une confédération socialiste du Moyen-Orient.

En ce moment, il y a énormément de discussions sur la possible déclaration d’un État palestinien indépendant devant l’Assemblée générale des Nations-Unies le 1er septembre. On comprend bien qu’il y ait beaucoup d’espoir parmi le peuple palestinien par rapport à ce 1er septembre qui pourrait enfin mener à la création d’un État palestinien indépendant.

Toutefois, bien qu’il soit possible que le 1er septembre apporte une certaine forme de reconnaissance pour la cause palestinienne, il ne va malheureusement pas satisfaire aux aspirations du peuple palestinien. Le régime israélien ne permettra pas l’établissement d’un État souverain palestinien avec Jérusalem en tant que capitale commune. Malgré le fait qu’Israël semble plus isolé en ce moment, les États-Unis et les autres puissances occidentales ont toujours besoin d’Israël en tant qu’allié de poids dans une région dont la composition n’est toujours pas stable pour les intérêts de l’impérialisme occidental.

Afin de parvenir à une véritable solution, le régime politique actuel en Israël doit être renversé. Pour ce faire, la classe ouvrière israélienne est un allié potentiel crucial. Je pense qu’il est extrêmement important d’insister sur le fait – souvent oublié par de nombreuses personnes à gauche – que malgré la propagande massive au sein d’Israël et sa nature militarisée, Israël reste une société de classes.

Cela a été démontré récemment par les mouvements de protestation contre la hausse des prix, par d’importantes grèves des travailleurs sociaux, des docteurs et des cheminots, et par la grève des ouvriers de la chimie à Haïfa. Ces luttes ont impliqué des juifs israéliens aux côtés d’arabo-palestiniens israéliens. Mes camarades juifs et palestiniens du Mouvement de lutte socialiste en Israël/Palestine (www.maavak.org.il) jouent un rôle actif dans la construction d’un soutien pour la grève de Haïfa, de même que dans d’autres luttes, et jouent un rôle actif dans la lutte contre l’occupation et l’oppression des Palestiniens. Ils cherchent à unifier les travailleurs juifs et arabes de manière générale contre la classe capitaliste israélienne. Je crois qu’avec un appel de classe, une majorité des travailleurs et des pauvres israéliens peuvent être gagnés à une lutte unie contre l’ennemi commun. J’applaudis aussi la manifestation courageuse début juin à Tel Aviv contre l’occupation, dans laquelle le CIO a participé de manière fort visible.

 

Comment les partisans de la cause palestinienne partout dans le monde peuvent-ils contribuer à cette lutte ?

Un des débats parmi ceux qui soutiennent les droits du peuple palestinien concerne l’appel au boycott, au désinvestissement et aux sanctions contre Israël. Ceux qui parlent du boycott en tant que tactique majeure prétendent que le fait d’encourager les gens à boycotter les produits et les institutions israéliens partout dans le monde est une activité importante que les gens peuvent faire où qu’ils se trouvent. Je comprends évidemment pourquoi certains militants cherchent à promouvoir cette campagne, mais je ne pense pas qu’un boycott général représente la meilleure solution pour militer en faveur des droits des Palestiniens et d’un État palestinien.

Certains types de boycotts et de sanctions, tels que contre les armes qui sont utilisées dans les territoires occupés, ou des produits fabriqués dans les colonies juives – surtout si organisées par les syndicats – peuvent jouer un rôle utile dans la lutte.

Mais je crois que l’establishment politique israélien utiliserait à son avantage le développement d’une campagne de boycott général, en tant qu’outil de propagande pour semer la haine à l’encontre des masses palestiniennes parmi les travailleurs israéliens. Cela permettrait à l’État israélien d’aller encore plus loin dans sa propagande selon laquelle les juifs israéliens sont seuls au monde et par conséquent doivent tenir bons tous ensemble afin de défendre leurs intérêts. Pour cette raison, bien que je reste bien entendu en bons termes avec ceux qui appellent au boycott, je crois que cette revendication pourrait renforcer la droite chauviniste en Israël, ce qui nous rendrait la tâche plus difficile pour convaincre les travailleurs juifs israéliens, qui je pense sont cruciaux pour une solution durable au Moyen-Orient.

Plutôt que de poursuivre une stratégie de boycott, j’aimerais encourager les gens à s’emparer de l’opportunité qu’offre la Freedom Flotilla II pour organiser des manifestations de masse contre la manière dont l’État israélien traite la population de Gaza, et en soutien au droit des Palestiniens d’avoir leur propre État véritablement indépendant. En particulier, j’aimerais encourager les travailleurs à débattre de cet enjeu au sein du mouvement ouvrier pour y faire adopter des motions autour de ce problème, de même que les étudiants devraient le faire dans le mouvement étudiant.

 

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