Quel avenir pour la Libye après la mort de Kadhafi ?

Dans cet article, publié initialement en anglais le 25 novembre, Robert Bechert (du Comité pour une Internationale Ouvrière) fait le point sur la situation après la mort de Kadhafi et développe la nécessité de construire une organisation indépendante des travailleurs, des jeunes et des pauvres de Libye, afin d’éviter le déraillement de la révolution.

Tandis que la défaite des dernières véritables forces de défense du régime dictatorial et de plus en plus mégalomane de Kadhafi a été largement acclamée, la manière dont ce régime est tombé signifie que de sombres nuages recouvrent le futur de la révolution libyenne.

Les masses laborieuses et la jeunesse libyennes sont maintenant confrontées tant à des opportunités qu’à des dangers. L’absence d’un mouvement ouvrier indépendant, l’amertume découlant d’une guerre civile de plus en plus brutale, et en particulier de l’intervention de l’OTAN, se sont combinées à l’histoire et aux caractéristiques propres de la Libye pour produire une situation sociale et politique extrêmement compliquée.

En aout, juste après la chute de Tripoli, nous écrivions que ‘‘La chute de Tripoli a été accueillie avec joie par un grand nombre de Libyens, mais certainement pas par l’ensemble d’entre eux. Un autre dirigeant autocratique, entouré de sa famille et de ses laquais privilégiés, a à son tour été renversé. Si cela avait été purement le produit d’une lutte de la part des masses laborieuses libyennes, cela aurait été largement acclamé, mais l’implication directe de l’impérialisme porte une ombre fort sombre au tableau du futur de la révolution… (“Le régime Kadhafi s’effondre”, 26 aout 2011, www.socialistworld.net).

‘‘Tandis que de nombreux Libyens font la fête, les socialistes doivent être clairs sur le fait que, contrairement à la chute de Ben Ali en Tunisie et de Moubarak en Égypte, la manière dont Kadhafi a été éliminé signifie que ce qui est une victoire pour la population libyenne, en est également une pour l’impérialisme. Sans les soldats, forces aériennes, armes, organisations, et entrainement fournis par l’OTAN et par d’autres pays tels que l’autocratie féodale qatarie, Tripoli ne serait pas tombée aux mains des rebelles de la manière dont cela s’est produit.’’

Bien entendu, les dirigeants occidentaux célèbrent aujourd’hui la mort de leur récent ami et allié Kadhafi avec un mélange d’hypocrisie et de recherche de profit. Ils ont ressorti du placard les vieux chefs d’accusation selon lesquels Kadhafi soutenait l’IRA en Irlande et, de manière générale, le terrorisme à l’échelle internationale. Toutes ces accusations avaient avaient sombré dans l’oubli après que Kadhafi soit devenu leur allié dans le cadre de la “guerre contre la terreur”. De telles charges pourraient d’ailleurs (et devraient) être dirigées contre le premier ministre britannique Cameron et tous les autres qui ont soutenu la guerre en Irak. Il y a aussi l’exemple des prédécesseurs de la flopée actuelle de dirigeants capitalistes qui, dans un passé pas si lointain, ont financé et armé les rebelles Contras au Nicaragua ou encore les Moudjahidines afghans, si merveilleusement “démocratiques” et “pro-femmes”.

Tandis que certains dirigeants de l’OTAN ont, après le désastre de l’invasion de l’Irak, utilisé cette guerre comme une tentative de réhabiliter la doctrine de l’“intervention humanitaire”, d’autres sont plus prudents, vu qu’ils ne sont guère confiants concernant l’avenir de la Libye. Les enquêtes menées par les gouvernements occidentaux autour des circonstances exactes de la mort de Kadhafi ne sont qu’une tentative de répondre à une partie du mécontentement public dans les médias. Ces derniers, avec les images du cadavre de Kadhafi, se sont lancés dans une véritable orgie de “death porn”. C’est aussi une manière de se donner une certaine marge pour se distancier des futurs développements en Libye, au cas où ceux-ci ne se dérouleraient pas de la manière dont ils l’espèrent.

L’administration Obama est complètement hypocrite lorsqu’elle réclame de savoir comment Kadhafi a été tué. Après tout, n’a-t-elle pas elle-même récemment tué Ben Laden plutôt que de le prendre prisonnier ? Nous aurions préféré que Kadhafi soit jugé pour ses crimes devant un tribunal populaire, ce qui aurait permis de révéler au grand jour la corruption de son régime répressif et ses liens avec l’impérialisme. Mais c’est précisément à cause de ces liens que l’impérialisme se réjouit si ouvertement du fait que Kadhafi ait été tué…

Les multinationales ont déjà commencé à réfléchir à la meilleure manière de tirer profit de la reconstruction de la Libye. Le gouvernement britannique a calculé qu’il y aurait au moins pour plus de 200 millions d’euros de contrat “à saisir” en Libye (London Evening Standard, 21 octobre 2011). Ainsi, dès le lendemain de la mort de Kadhafi, le ministre de la Défense britannique ordonnait aux entreprises britanniques de “faire leurs valises” pour aller en Libye y décrocher des contrats. Il n’a pas été rapporté s’il a précisé ce qu’il fallait mettre exactement dans ces valises, mais on peut d’avance supposer que quelques pots-de-vin seront en jeu. C’est là la manière “normale” de faire leurs affaires pour les compagnies internationales, surtout dans les pays riches en matières premières. À peine deux jours après cela, on apprenait que le même ministère de la Défense allait entamer des procédures légales pour empêcher un lieutenant-colonel britannique à la retraite, Ian Foxely, de publier un livre. Ce livre décrit en détails le paiement de 11,5 millions de livres sterling (13M€) qui auraient été versé à un prince saoudien pour “appuyer” un contrat de livraison de matériel militaire (Sunday Times de Londres, 23 octobre 2011).

Voilà la norme pour les puissances impérialistes. Elles n’ont jamais eu le moindre scrupule quant à leur soutien à des régimes dictatoriaux tels que l’Arabie saoudite aujourd’hui ou Kadhafi hier, tant que cela peut satisfaire leurs intérêts économiques et/ou stratégiques. Ainsi, ce n’était pas un problème pour le Royaume-Uni ni pour les États-Unis de “livrer” leurs propres prisonniers aux geôles de Kadhafi.

 

L’insurrection de masse de février

Au départ, Kadhafi, ayant tiré les leçons du renversement de Ben Ali et de Moubarak, a lancé une contre-offensive contre Benghazi et les autres centres de la révolution de février. Ceux-ci étaient certainement menacés, mais Benghazi, cité d’un million d’habitants, aurait pu être défendue par une défense populaire de masse, en plus d’un appel révolutionnaire aux travailleurs, aux jeunes et aux pauvres du reste de la Libye. Cela aurait pu mener à une victoire bien plus rapide et aurait évité l’intervention impérialiste.

À Benghazi en février, au début de la révolution, des affiches écrites en anglais étaient placardées dans la ville, avec le slogan “Non à l’intervention – les Libyens peuvent se débrouiller tout seuls”. Mais la direction auto-proclamée de l’insurrection ne voulait pas entendre parler de cela. Dominé par une clique de renégats du régime et d’éléments ouvertement pro-impérialistes, le Conseil national de transition (CNT), mettant de côté l’élan populaire initial et son attitude opposée à toute intervention étrangère, s’est tourné vers les puissances impérialistes et les États arabes semi-féodaux pour y chercher un soutien.

Les grandes puissances impérialistes ont sauté sur cette occasion d’intervenir, tout en se justifiant à l’aide d’arguments “humanitaires”, pour ‘‘sauver des vies’’. Elles tentaient ainsi de contenir la révolution, de reconstruire leurs points d’appui dans la région et d’accroitre leur exploitation des ressources naturelles libyennes. D’où leur approche extrêmement sélective en ce qui concerne la défense des civils.

Ces mêmes puissances impérialistes qui sont accourues à grands cris défendre Benghazi n’ont absolument rien fait pour empêcher l’offensive menée par le gouvernement israélien en 2008-09 contre Gaza. Cette année-ci, l’impérialisme a virtuellement gardé le silence sur la brutalité de ses proches alliés – le régime bahreïni et l’autocratie saoudienne – lorsque ces derniers ont manœuvré afin d’écraser l’opposition de la manière la plus violente qui soit. D’une manière qui n’est pas sans rappeler l’effondrement des régimes staliniens il y a 20 ans, l’impérialisme a tiré parti d’un mouvement spontané qui savait fort bien contre quoi il se battait, mais qui par contre ne possédait pas un programme clair qui lui soit propre. C’est pourquoi les militants du Comité pour une Internationale Ouvrière à travers le monde se sont résolument opposés à l’intervention de l’OTAN et ont constamment prévenu qu’il ne fallait en aucun cas entretenir la moindre illusion envers l’OTAN, insistant sur le fait que les travailleurs et la jeunesse du pays devaient construire ensemble leur propre mouvement démocratique et indépendant s’ils voulaient assurer que cette révolution puisse réellement transformer leurs vies.

 

Qui dirige la Libye aujourd’hui ?

Les puissances impérialistes, le CNT et d’autres affirment que la Libye a connu la plus complète de toutes les révolutions survenues en Afrique du Nord au cours de cette année. Dans un certain sens, c’est vrai puisque, malgré le fait qu’une certaine couche d’ex-cadres de Kadhafi ait décidé de virer de bord, la plupart du vieil État, et en particulier les forces armées et la police, a entièrement été démantelée au cours de la révolution et de la guerre civile. Mais, à la fois, ce n’est pas vrai, dans le sens que les révolutions en Tunisie et en Égypte ont toutes deux été un mouvement de masse qui a terrifié l’impérialisme, malgré le fait que dans ces deux cas, la machine étatique du vieil État soit jusqu’à présent en grande partie parvenue à se préserver en sacrifiant à cet effet le vieux dictateur qui se trouvait à sa tête. En Libye, au contraire, l’impérialisme s’est non seulement accommodé de la révolution mais, dans un certain sens, il en a même tiré profit.

À de nombreux égards, le CNT reste toujours essentiellement une force nationale fictive, sa base de pouvoir demeurant surtout à l’est, autour de Benghazi. C’est d’ailleurs de là aussi qu’a été proclamée la fin de la guerre civile le 23 octobre dernier. Aucune date n’a encore été avancée pour le déménagement du CNT à Tripoli – qui n’est pas seulement la capitale de la Libye, mais aussi la ville où vit un tiers de la population du pays. Les dirigeants du CNT ne sont toujours pas parvenus à nommer un nouveau “cabinet” pour remplacer celui qui a démissionné après le meurtre – toujours inexpliqué – du commandant militaire du CNT, le général Younès, par certains de ses ex-alliés rebelles. Le premier “premier ministre” du CNT, l’infâme Mahmoud Jibril, a été maintenant remplacé par Ali Tarhouni. Tarhouni était l’ancien ministre des Finances du CNT. Jusqu’à la révolution, il était professeur d’économie à l’université de Seattle, aux USA. Sa femme est avocate et travaille pour le Parquet de l’Etat de Washington. Tarhouni a reçu un mois pour nommer un cabinet intérimaire, ce qui montre bien l’ampleur des problèmes auxquels est confronté le CNT, ne serait-ce que pour se constituer lui-même.

La tragédie de la première étape de la révolution libyenne est le fait que l’insurrection initiale, essentiellement spontanée, n’a pas eu pour résultat le développement d’une auto-organisation démocratique des masses laborieuses et de la jeunesse.

Malgré l’implication d’un grand nombre de Libyens dans les combats et malgré l’armement de masse de la population, il n’y a jusqu’à présent aucun signe de la moindre tentative de la part des travailleurs, des jeunes et des pauvres libyens d’établir leur propre pouvoir indépendant, démocratique et collectif sur la société. Tandis que des organes locaux, souvent de quartier, ont surgi çà et là, ils ne sont pas connectés ensemble, ni systématiquement démocratiques. Sans organisations fortes, démocratiques et indépendantes dans les quartiers et dans les entreprises, ce sont les milices et les mosquées qui sont en train de prendre la direction de l’organisation de la sécurité et du redémarrage des services publics. Mais ces milices ne sont pas dirigées de manière démocratique et la population n’a aucun contrôle sur elles. Elles sont divisées selon des lignes géographiques, tribales, ethniques ou philosophiques, et leurs dirigeants ont leur propre agenda.

En l’absence, jusqu’à présent, du développement d’un mouvement ouvrier et de forces de gauche, les groupes islamistes ont commencé à tenter de se constituer un soutien plus large. L’État pétrolier autocratique du Qatar, qui possède le réseau télévisé al-Jazira, joue un rôle crucial par son soutien à des milices ou à des dirigeants individuels.

Lorsqu’il a proclamé à Benghazi la “Libération de la Libye” et la fin des combats, le président du CNT Jalil – l’ex-ministre de la Justice de Kadhafi – a déclaré : ”En tant que pays islamique, nous avons adopté la charia comme base de notre loi.” Qui au juste a pris cette décision ? Ce n’est pas très clair, mais cela reflète l’influence croissante des forces islamistes. Jalil a annoncé dans la foulée, et de manière complètement inattendue, l’interdiction des intérêts sur les prêts d’argent et l’abolition d’une loi décrétée naguère par Kadhafi qui requérait des hommes une autorisation de la part de leur femme dans le cas où ils voulaient prendre une seconde épouse. Jalil a justifié cela par le fait que : ”Ceci n’est pas notre Coran. Nous considérons le Coran comme étant la première source pour notre Constitution et pour toutes nos règles – pas la seule, mais la principale.”

L’impérialisme, tout en espérant que le CNT sera capable d’incorporer les différents éléments afin de stabiliser la situation, éprouve également de fortes craintes quant à la manière dont la situation pourrait se développer.

Paddy Ashdown, l’ex-“haut représentant” de l’OTAN pour la Bosnie-Herzégovine, est d’avis que des élections devraient être organisées ”aussi tard que possible” en Libye. La première priorité, selon Ashdown, est de rétablir le ”règne de la loi – peut-être même la loi martiale dans un premier temps”, et de même, ”le monopole étatique de l’usage de forces mortelles” (The Guardian, Londres, le 22 octobre 2011). Bien entendu, pour des raisons de présentation, Ashdown a refusé de dicter qui devrait selon lui établir cet “État” en premier lieu. Cherchant à ne pas paraitre trop brutal, Ashdown a décidé d’éviter de mentionner le fait que ce qu’il voulait vraiment dire est qu’il faut que la Libye soit dirigée par un gouvernement auto-proclamé, soutenu par l’impérialisme, et que toute implication de la population libyenne soit postposée jusqu’à “aussi tard que possible”. Et m… pour la démocratie !

La stabilisation ne sera toutefois pas facile. De nombreux Libyens, surtout parmi la jeunesse, sentent maintenant qu’ils ont l’opportunité et le pouvoir de décider de leur propre avenir. Il sera difficile d’immédiatement asseoir l’autorité du CNT ou de tout autre gouvernement. En outre, on voit se dessiner des lignes de rupture parmi les différentes milices, par exemple entre celles de Misrata et de Zintan à l’Ouest, et celles de Benghazi à l’Est. La minorité berbère (qui a joué un rôle crucial dans les combats à l’ouest du pays) a aussi ses propres revendications et il existe encore des tensions entre les diverses milices de Tripoli. En ce moment, l’impérialisme espère que la richesse pétrolière libyenne permettra de maintenir le pays en un seul morceau. Mais cette même richesse pourrait également conduire à des luttes, en particulier entre les différentes élites en compétition pour le partage du butin.

Bien qu’un certain sentiment d’appartenance nationale libyenne se soit accru au cours des dernières décennies, la révolution et la guerre civile ont de nouveau ouvert des lignes de fracture sur des bases tribales, claniques, ethniques et régionales. Elles pourraient, en l’absence d’un mouvement ouvrier capable d’unifier les masses laborieuses par la lutte, mener à des divisions croissantes à l’avenir. Celles-ci pourraient être encore attisées par les conditions qui vont suivre la fin de la guerre civile. La combinaison de la hausse du niveau de vie depuis 1969 et de la campagne de bombardement de l’OTAN ont poussé toute une série de gens à se battre fermement afin de défendre le régime ou, de leur point de vue, afin de repousser l’envahisseur étranger.

Mais ce n’est encore que le début ; les travailleurs et la jeunesse libyens n’ont pas encore posé leurs revendications sur la table. Un facteur crucial dans la révolution a été la révolte retentissante de la jeunesse contre la corruption et le népotisme étouffant du régime de Kadhafi. 30% des 6,5 millions de Libyens ont moins de 15 ans, l’âge moyen est de 24 ans, et il y a près d’un quart de million d’étudiants dans le supérieur. Ceux-ci attendent beaucoup de la suite des événements, surtout en ce qui concerne la fin du chômage qui touche aujourd’hui 20% de la population.

Le pétrole et le gaz ont fait de la Libye un pays riche. La Banque mondiale estime qu’elle possède pour 160 milliards de dollars de réserve en devises étrangères. Ce revenu et cette richesse ont permis à Kadhafi de rehausser le niveau de vie. L’éducation et les soins de santé étaient gratuits, et de nombreuses denrées de base étaient subsidiées. L’espérance de vie était de 51 ans en 1969 (l’année où Kadhafi a pris le pouvoir), et de 74 ans aujourd’hui. Tout cela explique pourquoi son régime a conservé un certain soutien malgré tout. Mais toutes ces mesures dépendent du prix du pétrole. Toute nouvelle rechute de l’économie mondiale transformerait la situation de manière fondamentale et menacerait de plonger le pays dans le désastre. Lorsque les prix du pétrole ont chuté dans les années ’80, le PIB libyen s’est effondré de 40%.

Maintenant, plus que jamais, la création d’organisations ouvrières démocratiques et indépendantes, y compris un parti des travailleurs, est une question vitale. C’est là la seule manière par laquelle les travailleurs, les opprimés et la jeunesse seront capables de parvenir à une réelle transformation révolutionnaire du pays et de contrer les plans de l’impérialisme, de mettre un terme à la dictature et de transformer les vies de la masse de la population.

Sans cela, d’autres forces vont venir remplir le vide. Afin de limiter l’influence de celles-ci et de mener à bien ses propres objectifs, le mouvement ouvrier aura besoin de défendre l’ensemble des droits démocratiques, d’impliquer les travailleurs immigrés et de défendre leurs droits, et de s’opposer à la privatisation des richesses de la Libye.

Il devra également exiger le retrait de toutes les forces militaires étrangères et s’opposer à toute nouvelle intervention de leur part, tout en réclamant l’élection démocratique d’une Assemblée constituante et, avant tout, en rejetant toute participation à un gouvernement avec des forces pro-capitalistes. Au lieu de cela, il devra s’efforcer de bâtir un gouvernement constitué de représentants des travailleurs et des pauvres, basé sur des structures démocratiques ancrées dans les entreprises et dans les quartiers et communautés. Un tel gouvernement utiliserait les ressources de la Libye pour sa population. Cela serait une véritable victoire pour la révolution libyenne, et constituerait un exemple à l’échelle internationale sur la manière de mettre un terme à la fois à la dictature et aux misères du capitalisme.

 

Réécrire l’Histoire

Après l’élimination de Kadhafi, il était inévitable que l’impérialisme et les restes de la vieille élite renversée en 1969 se mettent à réécrire l’histoire de la Libye, de manière complètement exagérée, cherchant à faire passer l’idée qu’il était une fois, avant Kadhafi, où la Libye a connu une période “démocratique”.

Au cours des 42 ans où il est resté au pouvoir, Kadhafi a effectué de nombreux revirements politiques, parfois de manière fort brusque. En 1971, il a aidé le dictateur soudanais de l’époque, Nimeiry, à écraser un coup d’État de gauche qui avait été organisé en réaction à la répression de la gauche, y compris l’interdiction du parti communiste soudanais qui comptait alors un million de membres. Six ans plus tard, Kadhafi proclamait une “révolution populaire” et changeait le nom officiel du pays de “République arabe libyenne” à “Grande Jamahiriyah arabe libyenne populaire et socialiste”. Malgré le changement de nom et la formation de soi-disant “comités révolutionnaires”, cela n’avait rien à voir du tout avec un véritable socialisme démocratique, et n’était aucunement un pas en avant dans cette direction. Politiquement, le régime était similaire aux anciens régimes staliniens d’Union soviétique et d’ailleurs ; mais la Libye, malgré des nationalisations à tout va, n’avait pas totalement rompu avec le capitalisme. Plus tard, après 2003, Kadhafi avait commencé à privatiser l’économie. Sous Kadhafi, les travailleurs et la jeunesse libyens n’ont jamais dirigé le pays. Kadhafi restait au pouvoir. Cela était souligné par le rôle de plus en plus proéminent qui était joué par bon nombre de ses enfants au sein du régime.

Mais dire qu’il n’y avait aucune démocratie sous Kadhafi, ne revient pas à dire qu’il y en avait une avant 1969 ! Formellement, il y a eu en Libye cinq élections organisées sous la monarchie soutenue par le Royaume-Uni et par les États-Unis – mais quel était leur véritable caractère ? Après l’indépendance en 1951, les toutes premières élections organisées en Libye, en 1952, n’ont permis la participation que de 140.000 électeurs masculins, “sains d’esprit et solvables”. Le vote n’était secret que dans dix circonscriptions urbaines. Malgré une fraude éhontée à travers tout le pays, l’opposition du Parti du Congrès national a remporté la majorité des sièges à Tripoli. À la suite des protestations contre le trucage des élections, les partis politiques se sont vus frappés d’interdiction et le dirigeant du PCN, Bashir Bey Sadawi, a été expulsé du pays.

Lors des quatre élections suivantes, seuls des individus, et non des partis, ont eu le droit de se présenter aux élections. Mais en 1964, malgré le harcèlement et les arrestations, toute une série de candidats d’opposition ont tout de même été élus. Le parlement a cependant rapidement été dissout et de nouvelles élections ont été organisées en 1965, avec encore plus de fraudes, souvent de manière extrême, afin d’assurer la victoire des candidats pro-gouvernement dans cette dernière “élection” avant le renversement de la monarchie, en 1969.

L’impérialisme n’a jamais particulièrement souhaité le maintien de la Libye en tant qu’État uni. Il était alors confronté à la popularité croissante en Libye, et ailleurs au Moyen-Orient, du dirigeant nationaliste radical égyptien, le colonel Nasser. En 1959, les États-Unis discutaient du fait que, au cas d’un coup d’État nassérite en Libye, ”La Tunisie, auparavant renforcée comme il se doit par les États-Unis, devrait se saisir de la Tripolitaine”, c.-à-d. que la Libye devrait être partitionnée.

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