Kazakhstan : En défense des travailleurs du pétrole

La bureaucratie syndicale et les groupes de ‘gauche’ attaquent la solidarité du CIO avec les grévistes

Avec une brutalité incroyable, le régime de Nazarbayev, au Kazakhstan, a tenté de briser l’esprit de combativité des travailleurs du pétrole à Zhanaozen et Aktau, en utilisant la troupe, la police, des tirs à balles réelles, des arrestations de masse, l’imposition d’un couvre-feu et jusqu’à la torture. Le régime admet lui-même que 16 personnes ont été tuées et plusieurs autres blessées en décembre. En réalité, des dizaines de personnes ont été tuées, des centaines d’autres blessées, et beaucoup sont encore ceux qui sont toujours en garde à vue ou qui sont forcés de se cacher pour éviter la persécution de l’État.

La manifestation des travailleurs du pétrole du 16 décembre dernier à Zhanaozen était une action tout à fait non-violente. Les diverses vidéos, y compris celles de la police, montre les travailleurs du pétrole et leurs partisans sur une place centrale, sans la moindre arme, sans même agiter de bâtons. Elles montrent d’ailleurs au contraire que lorsque l’atmosphère a commencé à s’échauffer et que des insultes ont été lancées en direction de la police, des travailleurs plus expérimentés sont directement intervenus pour calmer la situation.

Au cours de leur longue grève de 7 mois, ces grévistes avaient déjà pu démontrer en de nombreuses reprises quels étaient leur sang-froid et leur retenue. Les représentants qu’ils avaient élus ont été arrêtés et confrontés à une violence des plus brutales. Leur avocate, Natalia Sokolova, a été condamnée à 6 ans de prison. Des travailleurs ont vu leurs logements brûlés tandis qu’un gréviste et la fille d’un autre gréviste ont été lâchement assassinés. Des milliers de travailleurs du pétrole ont été licenciés. Mais malgré toutes ces provocations, ces héroïques travailleurs ont fait tout leur possible pour maintenir les protestations disciplinées et pacifiques.

Mais leur patron, avec le soutien plein et entier du régime, a toujours refusé de commencer de véritables négociations avec les grévistes. À plusieurs reprises, l’Etat s’est montré préparé à aller vers une confrontation violente, mais cette approche a été refreinée, par crainte de provoquer un conflit plus large encore à travers le pays. Il ne fait aucun doute que la solidarité croissante envers les grévistes, y compris au niveau international, a joué un rôle important.

La violence et les révolutions de palais – deux faces d’une même médaille

Mais à l’approche du 16 décembre, soldats et policiers avaient été déployés à l’avance dans la région, avec armes et balles réelles. Mis à part à Astana, la capitale, tout ce qui avait été prévu dans le pays pour célébré le 20e anniversaire de l’indépendance du pays (le 16 décembre) avait été annulé.

Il semble que l’attaque armée contre la manifestation des travailleurs du pétrole à Zhanaozen faisait partie d’un plan plus vaste organisé par une partie de l’élite dirigeante. Les violences qui ont dégénéré hors de tout contrôle suite à la fusillade perpétrée par la police ont été utilisées comme prétexte pour démettre plusieurs personnalités clés au sein du régime et des structures du pouvoir. Un des beaux-fils de Nazarbayev, Timur Kulibayev, a été démis de sa fonction de président de ‘KazMunaiGaz’ et du fonds national ‘Samruk-Kazyn’. De plus, des rumeurs font état du possible remplacement du chef de la KNB (la police secrète) par des personnes plus fidèles au groupe Massimov-Musin. Tout indique qu’une révolution de palais s’est produite dans les sphères dirigeantes.

Attaques contre les grévistes

Pourtant, les travailleurs du pétrole et leurs partisans ne cessent d’être accusés d’être responsables des tragiques évènements du 16 décembre. Ces accusations des porte-paroles du régime, qui prennent différentes formes, sont reprises telles quelles par les médias, la bureaucratie syndicale et même par certains de groupes de ‘‘gauche’’, qui agissent ainsi en apologistes du régime dictatorial de Nazarbayev.

Le régime prétend que la ‘‘raison majeure de ces troubles de masse réside dans les actions d’un groupe de hooligans qui a profité du conflit de longue date entre les salariés licenciés et la direction de la société ‘Ozenmunaigaz’.’’ (Déclaration émise par l’Ambassade de la République du Kazakhstan en Autriche, 23 décembre 2011)

L’ambassadeur kazakh aux Etats-Unis, Erlan Idrissov, a affirmé le 21 décembre 2011, que ‘‘la police a essayé de se comporter aussi responsablement que possible afin de protéger la vie des civils (…) A l’origine, sur la place [de Zhanaozen], seul le chef de la police avait une arme (…) Ce n’est que lorsque le vandalisme a commencé et que des menaces ont commencé à peser sur des vies innocentes – après l’incendie de la Akimat [les locaux des autorités locales] – que la police a dû recourir aux moyens nécessaires pour rétablir l’ordre.’’

Selon une déclaration faite par le Daulbayev Askhat, le Procureur Général de la République du Kazakhstan, le 16 décembre, les perturbations ont été causées quand ‘‘un groupe de hooligans [sur la place] ont commencé à tabasser les civils et à fracasser les voitures garées près de la place. » La déclaration se poursuit comme suit : ‘‘En raison des perturbations, le bureau du bourgmestre, un hôtel et le bâtiment de la société Ozenmunaigaz ont été brûlés.’’

Ces déclarations, en réaction aux protestations qui se sont déroulées dans le monde entier, sont très manifestement destinées à tromper l’opinion internationale sur les sanglants événements qui se sont produits à Zhanaozen. Dans les premières déclarations du Procureur Général, le 16 décembre, il est affirmé que les bâtiments ont été brûlés « en conséquence des troubles’’, mais cette version a été changée deux jours plus tard pour donner l’impression que ces destructions avaient pris place avant l’intervention meurtrière de la police.

Mais les différentes déclarations officielles du régime suffisent déjà à poser des questions très sérieuses :

  • Si ce qui s’est passé à Zhanaozen n’était qu’une émeute causée par des hooligans, pourquoi les ‘‘moyens habituels’’ de la police (balles en caoutchouc, canons à eau) n’ont-ils pas été utilisés ? Pourquoi directement recourir aux tirs à balles réelles ?
  • Si la police protégeait la population de la place de ces hooligans, pourquoi ont-ils tirés à balles réelles au sein même de la foule qu’elle était censée protéger ?
  • Si l’action de la police n’a constitué qu’une réponse à des émeutes, pourquoi l’ambassadeur du Kazakhstan aux Etats-Unis juge-t-il nécessaire de consacrer une partie importante de sa déclaration à s’en prendre aux grévistes du pétrole ?
  • Si cela n’était tout simplement qu’une émeute, pourquoi le gouvernement a-t-il interdit toute manifestation, réunion publique et grève et a été jusqu’à interdire l’utilisation de photocopieuses, de TV, de radios, de vidéos et de haut-parleurs ? C’est bien étrange, que les hooligans ont d’habitude fort peu tendance à éditer des tracts et à organiser des conférences de presse.

Les vidéos et les témoins dissent démontrent clairement que l’attaque policière n’avait aucun fondement

La vérité, c’est que le massacre de Zhanaozen n’était pas une conséquence d’une riposte légitime de la police face à du hooliganisme ou à des émeutes, il s’agissait bel et bien d’une attaque prédéterminées contre les grévistes du pétrole. C’était une nouvelle tentative de briser leur grève. Plusieurs vidéos démontrent que la place, juste avant l’attaque de la police, n’était occupée que par des manifestants pacifiques, sans armes, et que la police ainsi que les soldats, en marche vers la place, tiraient sur la foule de loin. Dans une vidéo particulièrement pénible à regarder – certaines scènes rappelant celles des journées de juillet 1917 à Petrograd (quand l’armée a tiré sur les manifestants et en a tué des centaines sur la perspective Nevsky) – on eut voir les manifestants fuir à travers la place alors qu’on leur tire dans le dos et que les blessés à terre sont brutalement frappés par les voyous aux ordres du régime.
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Ces films sont tellement révélateurs que même le Procureur général du Kazakhstan a été forcé de réagir. Le 27 décembre, il a annoncé qu’une enquête criminelle était lancée au sujet des « décès causés par la police à la suite d’un ordre de tirer pour tuer.’’ Nous n’avons bien entendu aucune confiance envers les possibilités que cette enquête soit honnêtement et sérieusement menée jusqu’à son terme, mais il est plus que révélateur que la responsabilité des agents de police dans ces meurtres soit reconnue d’une certaine manière. Ceci dit, tandis que ces policiers sont menacés de 5 à 10 ans de prison, l’avocate des grévistes du pétrole, Natalia Sokolova, dont le seul tort est d’avoir honnêtement défendu la cause des grévistes, a déjà été condamné à 6 ans de prison.

Une autre confirmation qu’un ordre de tirer pour tuer a été lancé provient du ministre de l’Intérieur du Kazakhstan, rien de moins, K. Kazymov. Dans une interview réalisée le 16 décembre, il a admis qu’il avait donné l’ordre d’ouvrir le feu sur la foule. Il a essayé de justifier cet ordre en prétendant que les manifestants « étaient armés d’armes automatiques, et nous aussi ». Il a confirmé que la police continuerait de tirer des citoyens kazakhs si cela était ‘‘nécessaire’’. Son interview a été publiée sur internet, accompagnée de vidéos montrant la foule courir dans tous les sens face à la police qui tire très visiblement dans le dos de manifestants désarmés et paniqués.

Nazarbayev dénonce les ‘influences étrangères’ et les ‘criminels’

A la lumière de tout cela, les déclarations du dictateur Noursoultan Nazarbayev selon lesquelles les troubles auraient été causés par des ‘‘groupes organisés de criminels en liaison avec des forces étrangères’’ sont particulièrement cyniques.

Pour une bonne partie de la population du Kazakhstan, le plus grand groupe criminel organisé du pays est celui du clan Nazarbayev lui-même, protégé par un bataillon de soldats formé et équipé par les Etats-Unis. Les diverses photos font toujours apparaître des voitures blindées de confection américaines aux postes de contrôle d’Aktau et de Zhanaozen.

Mais les déclarations de M. Nazarbayev ne sont destinées qu’à détourner l’attention du rôle de la police, du ministre de l’Intérieur, des troupes spéciales et de ceux qui, au sein du cercle présidentiel, ont planifié ce massacre. C’est pour cela qu’il blâme des personnages du régime tels que Mukhtar Ablazov, Rakhat Aliyev et Bulat Abilov.

Ces oligarques, tous d’anciens membres de la clique dirigeante, vont sans aucun doute tenter d’exploiter l’opposition qui se développe face au régime actuel pour se construire un certain soutien public afin de défendre leurs propres politiques pro-capitalistes. Mais les divers clans sont tous résolument opposés à l’idée que les travailleurs du pétrole puissent avoir leurs propres syndicats indépendants et leur propre parti politique, pour les travailleurs et sous leur contrôle exclusif.

Les grévistes du pétrole étaient pacifiques et disciplinés

L’idée selon laquelle les grévistes du pétrole auraient pu être dirigés, contrôlés et manipulés par une quelconque force secrète de l’extérieur est une véritable insulte à leur détermination ainsi qu’à leur discipline. La décision d’organiser la manifestation pacifique du 16 décembre a été prise ouvertement et collectivement, lors d’un meeting de masse sur cette place. Cette décision a ensuite été publiquement annoncée et les travailleurs du pétrole ont eux-mêmes été prévenir les autorités qu’ils avaient l’intention d’organiser une telle manifestation en avertissant qu’il y avait des risques que des provocations soient organisées par des sections des forces spéciales.

La manière très publique dont les choses ont été organisées a permis à la campagne ‘‘Campaign Kazakhstan’’ et aux sections du Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO) de planifier une série d’actions de solidarité et de protestation devant les ambassades du Kazakhstan et les sièges d’entreprises aux intérêts commerciaux liés au régime kazakh dans un certain nombre de pays ce jour-là (notamment en Belgique). Le caractère de solidarité a bien entendu largement cédé la place à celui de la protestation lorsque les nouvelles de ce bain de sang sont parvenues aux manifestants devant les ambassades.

La semaine qui a suivi le massacre, diverses manifestations ont été organisées à travers l’Europe, y compris à Londres, Bruxelles, Vienne, Berlin, Moscou, Stockholm, Dublin, Athènes et ailleurs également, comme à New York, Hong Kong et Tel Aviv. Le député européen Paul Murphy (élu de la section du CIO en République irlandaise, le Socialist Party) a à la rupture de tous pourparlers entre l’Union Européenne et le gouvernement du Kazakhstan, et a aussi écrit une lettre de protestation signée par plus de 40 eurodéputés. Des communiqués de presse ont été émis dans un certain nombre de pays (lire notamment Massacre au Kazakhstan: Quand l’agence Belga se fait complice du régime) et de conférences de presse ont été organisées à Moscou et à Almaty. [Vous pouvez accéder à différents rapports des protestations sur le site socialistworld.net].

Rompre le blocage de la presse

La politique de l’Union Européenne, de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et des Etats-Unis est directement dictée par les intérêts de ces institutions pour l’exploitation du pétrole et du gaz kazakhs. Elles ont tout d’abord ignoré ou réagi de façon bien équivoque face aux nouvelles du massacre. Dans une certaine mesure, cela s’est reflété dans la politique éditoriale d’une grande partie des médias du monde entier. Les premières heures après le massacre, par exemple, des reporters internationaux basés à Moscou ont refusé de relayé les rapports du bain de sang sans ‘‘confirmation indépendante’’ tout en relayant par contre les déclarations officielles du régime. United Press International, par exemple, a qualifié les grévistes du pétrole de ‘‘voyous’’ à trois reprises dans un article de 150 mots seulement.

La campagne menée par le CIO et Campaign Kazakhstan a aidé à vaincre les tentatives du régime de dissimuler l’ampleur du massacre. Finalement, le poids écrasant cumulé des témoignages, vidéos et rapports de journalistes ont eu raison de cette attitude complice, et les rapports dans les médias ont commencé à être plus équilibrés.

 

‘‘An injury to one is an injury to all’’ – Ce qui en touche un nous touche tous

Tout aussi rapidement, des syndicalistes ont réagi face à la crise, mais de façon bien différente. A Anvers, par exemple, la délégation de TOTAL a relayé les rapports en direct du CIO sur le site de leur délégation, de sorte que les travailleurs pouvaient voir par eux-mêmes l’étendue de l’horreur des événements. Bien que le site du CIO au Kazakhstan a immédiatement été bloqué par le régime après la fusillade, le site russe du CIO a continuer à fonctionner, jusqu’à ce qu’arrivent des problèmes dus aux trop grand nombre de visiteurs sur le site, dont de nombreux journalistes de médias du monde entier.

En Suède, Gruvtolvan, le syndicat de l’industrie minière de Kiruna, a condamné sans équivoque « la violence contre les travailleurs (…) suite à l’attaque de la police et des militaires contre une manifestation dans la ville de Zhanaozen. » Ils ont appelé le mouvement syndical suédois à activement soutenir les travailleurs du pétrole du Kazakhstan sous la devise « Une victoire pour les travailleurs, où qu’ils soient, est une victoire pour tous les travailleurs, partout! » Cet appel a été accompagné d’une importante donation pour les grévistes.

Si une véritable organisation syndicale nationale indépendante existait au Kazakhstan, il y aurait immédiatement eu après le 16 décembre convocation de meetings, d’actions de protestations et de grèves dans tout le pays en riposte au massacre de Zhanaozen.

 

Une commission indépendante internationale doit enquêter

Malheureusement, alors que des militants syndicaux ont réagi partout à travers le monde, certains membres de la bureaucratie syndicale internationale ont adopté l’approche de renvoyer chacun dos à dos. Ainsi, la Confédération syndicale internationale (CSI) a publié une déclaration le 16 décembre, signée Sharan Burrow, secrétaire général, qui déclare : « une situation extrême de tension et de désespoir a provoqué des troubles, la panique et le chaos. La violence doit immédiatement cesser, et toutes les parties doivent reconnaître que la seule façon de résoudre des conflits est le dialogue ouvert et la négociation. Le gouvernement doit immédiatement agir pour commencer ce processus. »

Cette déclaration ignore donc la responsabilité du régime dans ce massacre, une attitude partagée par de nombreuses autres organisations, telles que Human Rights Watch, qui a publié une déclaration le 22 décembre. Dans celle-ci sont détaillés plusieurs cas de graves tortures du fait des forces gouvernementales à Zhanaozen et, ensuite, l’organisation tire la conclusion incroyable que ‘‘les autorités du Kazakhstan doivent mener immédiatement une enquête.’’ Cela n’aboutirait qu’à une enquête ignorant totalement la responsabilité écrasante du ministère de l’Intérieur et qui, dans le meilleur des cas, trouverait quelques boucs émissaires afin de laissait un peu de colère s’échapper.

Le CIO estime qu’il est nécessaire d’organiser une commission d’enquête internationale, totalement indépendante du gouvernement, des structures étatiques et des intérêts pétroliers et gaziers, afin de faire toute la lumière sur les causes réelles du massacre et sur les véritables responsables de ces horribles évènements.

 

La “gauche” et les bureaucrates syndicaux poignardent les grévistes dans le dos

Mais si la Confédération Syndicale Internationale n’a pas ouvertement condamné le régime de Nazarbayev, elle n’a au moins pas directement attaqué les travailleurs du pétrole. De la façon la plus incroyable qui soit, les 17 et 18 décembre, des déclarations sont apparues sur des sites internet de langue russe contrôlés par des syndicats et des groupes de gauche qui, tout en condamnant la violence, se sont lancés dans des attaques contre les grévistes du pétrole, contre leurs revendications et leurs tactiques, répétant d’ailleurs bien souvent l’argumentation des patrons et du gouvernement.

Le Mouvement Socialiste Russe [section russe du Secrétariat Unifié de la Quatrième Internationale, à laquelle est reliée la LCR belge, n’ayant aucun rapport avec le Mouvement Socialiste du Kazakhstan] a contribué à détourner l’attention de la responsabilité du gouvernement Nazarbayev pour ce massacre en répétant grossièrement les mensonges du régime concernant l’implication de l’oligarque Mukhtar Ablyazov. Ce faisant, ils réduisent le rôle de l’autodiscipline et de la conscience politique des travailleurs du pétrole en les réduisant à l’état de simples pions joués par les oligarques kazakhs et en donnant du crédit aux déclarations du dictateur qui blâme les influences étrangères (Ablyazov vit à Londres) pour tous les problèmes rencontrés au Kazakhstan.

Les attaques les plus importantes proviennent toutefois de l’Union internationale des travailleurs de l’alimentation (UITA) et de la Confédération du travail de Russie. Même avant les événements du 16 décembre, d’anciens fonctionnaires de l’Union Internationale des travailleurs de l’alimentation à Genève et à Moscou ont travaillé à saper le soutien à la grève. Des pressions ont ainsi été exercées sur Alexei Etmanov, le syndicaliste indépendant le plus connu en Russie, ce qui l’a conduit à revenir sur sa promesse d’organiser des actions de solidarité avec les travailleurs du pétrole par l’intermédiaire du syndicat des travailleurs de l’automobile.

Le prétexte donné ensuite à ce désistement était que les travailleurs du pétrole avaient été manipulés par des représentants de la ‘‘gauche révolutionnaire’’ – c’est-à-dire par le Comité pour une Internationale Ouvrière. Cela a d’ailleurs été confirmé dans une déclaration de l’UITA le 9 décembre 2011 qui disait: ‘‘Avec pourtant un énorme potentiel d’organisation, dans tout ce temps, les grévistes n’ont jamais mis en place leur propre organisation, tout comme avant ils ne disposent pas de leurs propres représentants et direction élus, avec le droit de représenter les travailleurs dans les négociations avec la direction de la société et les autorités. Cela signifiait que, dès le début, différents groupes politiques ont été en mesure d’utiliser l’énergie sociale et le potentiel du mouvement ouvrier de masse dans leurs propres intérêts. S’exprimant au nom des travailleurs et réécrivant constamment les revendications des travailleurs, ils ont apporté d’énormes préjudices au mouvement, ont fait sortir le conflit du champ de la lutte syndicale et ont réduit au minimum les chances de succès, privant ainsi les habitants de Zhanaozen de leur grève.’’

Cette déclaration fait écho aux arguments des patrons et du gouvernement et est particulièrement honteuse étant donné que les travailleurs, dès le début, ont élu leurs représentants pour les négociations, ces représentants rencontrant ensuite une répression sévère. Nous avons déjà dit que Natalia Sokolova, l’avocate des grévistes, a été condamnée à 6 ans de prison, Akzhanat Aminov a reçu une peine de deux ans avec sursis, tandis qu’un troisième a vu sa maison brûler !

 

Les grévistes du pétrole luttaient pour le droit d’instaurer leurs propres syndicats indépendants

Il convient de rappeler que la grève de la faim des travailleurs du pétrole a commencé en mai dernier après que les membres du syndicat de Karazhanbasmunai, à Aktau, ont exigé le retour de documents syndicaux de leur ancien président après qu’il ait été démis de ses fonctions par le vote des membres du syndicat. L’ancien leader syndical avait collaboré avec la direction de l’entreprise pour éviter toute véritable négociation portant sur les salaires et les conditions de travail. Il avait été jusqu’à envoyer des gros-bras armés pour qu’ils battent ses adversaires. En Juin, l’UITA avait envoyé toute une série de questions bureaucratiques aux grévistes, dont les réponses ont nécessité 60 pages de documents. Le résultat final a été de déclarer que les travailleurs avaient eu tort de démettre leur ancien dirigeant syndical, comme ils ne pouvaient changer de président qu’une fois tous les 5 ans !

L’affirmation selon laquelle le CIO a constamment « réécrit » les revendications des travailleurs est absolument ridicule, comme toutes les autres calomnies visant à salir les grévistes. Depuis le début de la grève, le CIO a publié sur ses sites toutes les déclarations produites par les grévistes. Le 1er Juin 2011, après que la police anti-émeute ait attaqué les grévistes de la faim de Zhanaozen, le comité de grève de Zhanaozen avait publié les revendications suivantes:

 

  • La démission de la direction de la société “KazMunaiGaz” à Aktau;
  • La restauration du statut autonome de la société “OzenMunaiGaz”;
  • L’augmentation de 60% des salaires des médecins et des enseignants de la ville pour compenser la dureté de leur travail dans des conditions écologiques difficiles;
  • Le retour sous statut public, c’est-à-dire la nationalization, des enterprises regroupées dans la société “OzenMunaiGaz” – en particulier TOO “Burylai”, TOO “KazGPZ”, TOO “Kruz”, TOO “Zhondei”.

En Juillet, des incendies criminels ont eu lieu contre des maisons de militants grévistes, et Zhaksylyk Turbayev a été assassiné quand il est devenu clair qu’il serait élu à la présidence du nouveau syndicat. L’avocate Natalia Sokolova et le militant syndical Akzhanat Aminov ont été arrêtés et ont été confrontés à de graves accusations. Des milliers de grévistes ont été licenciés. Lors de leur rencontre avec le député européen Paul Murphy en juillet dernier, les travailleurs ont défini leurs revendications de la façon suivante:

 

  • La reconnaissance des droits des travailleurs, notamment leur droit d’élire leurs propres représentants, sans interférence de qui que ce soit ;
  • La libération immédiate de Natalia Sokolova et de Akzhanat Aminov;
  • Le réengagement de tous les travailleurs licenciés aux conditions qui prévalaient avant leur licenciement;
  • L’abandon de toutes les poursuites judiciaires contre les grévistes;
  • Le commencement de véritables négociations avec les représentants élus des travailleurs.

 

Les bureaucrates syndicaux soutiennent les briseurs de grève et les éléments diviseurs dans le syndicat

En réalité, l’UITA et ses ‘‘organisation fraternelle’’ en Russie (KTR) et au Kazakhstan (la ‘‘Confédération des syndicats libres du Kazakhstan’’, CFTUK) tentent depuis le début de faire dévier la grève. Au Kazakhstan, le CFTUK dirigé par Sergei Belkin a depuis longtemps cessé d’exister en tant qu’authentique organisation syndicale. En 2009, Belkin a signé un accord avec le gouvernement destiné à stopper toutes les grèves, les protestations et les manifestations de travailleurs afin de permettre au régime de « maintenir la stabilité’’. En novembre dernier, quand le gouvernement a annoncé qu’il était temps de mener des ‘‘négociations’’ à Zhanaozen, Belkin, totalement absent depuis le début du conflit, est soudain arrivé comme ‘‘expert indépendant’’ pour aider le gouvernement et ses tentatives de briser la grève. La tactique du régime était alors d’essayer par tous les moyens de diviser les grévistes en offrant à certains d’entre eux des emplois dans une nouvelle société, tout en encourageant Belkin pour qu’il mette en place un nouveau syndicat anti-grève dans le cadre de la Confédération syndicale CFTK. Les grévistes, cependant, ont rejeté ces tactiques, insistant pour que tous les travailleurs sans exceptions soient être réintégrés dans leur ancien emploi.

Hypocritement, l’UITA et le KTR, après avoir soutenu les activités visant à briser la grève et le syndicat anti-grève de Belkin, ont donné des conseils aux travailleurs en leur disant qu’ils devraient : ‘‘décider de suivre le chemin de la construction de leur propre syndicat indépendant, qui peut décider d’une stratégie d’action et proposer leurs revendications à tous niveaux, en s’assurant qu’ils obtiennent, ainsi que leurs familles, les moyens nécessaires pour se défendre et pour mobiliser un soutien international.’’

 

Il faut construire de véritables syndicats indépendants

Depuis le début de la grève, le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO) a entièrement pris ses responsabilités en soutenant, non seulement en paroles mais aussi en actes, l’appel diffusé à Zhanaozen et à Aktau sous la signature de milliers de travailleurs en novembre (soit avant les ‘‘conseils’’ de l’UITA. Dans cet appel, ils expliquent que : ‘‘notre combat démontre que vaincre l’injustice et l’arbitraire ne peut se faire qu’en unissant nos forces. Dans cette situation difficile et compliquée, le meilleur soutien et moyen d’action sera de créer une organisation syndicale indépendante et de développer des revendications capables d’unir, comme l’augmentation des salaires, l’amélioration des conditions de vie et de travail et la non-ingérence de l’employeur dans le travail du syndicat. En faisant ce travail d’unification des travailleurs, ce syndicat deviendra une solide fondation pour la création d’un syndicat national indépendant au Kazakhstan.’’

Le CIO estime que si les syndicats tels que l’UITA et le KTR soutiennent véritablement les travailleurs du pétrole, ils devraient alors publiquement retirer tout leur soutien à la Confédération syndicale kazakh CFTK et donner un soutien pratique et moral à ceux qui tentent de construire un authentique syndicat indépendant dans ces circonstances extrêmement difficiles. Mais même si l’UITA et le KTR refusent d’agir de la sorte, le CIO va continuer à soutenir les grévistes et à les aider.

Le 17 décembre, le Président du KTR, Boris Kravtchenko, a clairement tenté de blâmer le CIO pour les événements de Zhanaozen: ‘‘Nous croyons que la responsabilité de ces événement et du sang versé par les travailleurs du pétrole incombe entièrement aux dirigeants de la République du Kazakhstan. Cependant, cette responsabilité est partagée par les spéculateurs politiques, auto-désigné ‘‘comité’’ et ‘‘internationale’’, qui utilisent la protestation sociale pour leurs propres intérêts, pour réécrire les revendications des manifestants en transformant politiquement celles-ci et qui, par leurs actions provocatrices, poussent les autorités à utiliser des moyens violents.’’

Ce que Boris Kravtchenko pense exactement du CIO n’est pas très clair. Nous avons soutenu la grève depuis sa création. Nous avons défendu que les employeurs éliminent tous les obstacles pour que des négociations sérieuses puissent commencer. Nous avons soutenu que ces négociations devraient être dirigées de façon transparente par des représentants élus des grévistes. Dès le début, nous avons été engagés dans la construction de la solidarité avec les grévistes et avons aidé à briser le blocus médiatique. Nous avons discuté avec les grévistes de leur intention d’organiser une manifestation pacifique le 16 décembre et avons convenu d’organiser une campagne internationale de solidarité autour de cet évènement.

 

Les staliniens surpassent les bureaucrates syndicaux

Une attaque encore plus vicieuse contre les travailleurs du pétrole a été lancée par le Parti communiste d’Ukraine, qui était resté silencieux sur cette question jusqu’au 4 janvier. Ce parti a finalement brisé son silence dans un article qui accuse Natalia Sokolova d’être un agent du département d’Etat américain et les travailleurs du pétrole d’être responsables de « la tentative des Etats-Unis pour déstabiliser la situation politico-économique. » Ils ont continué en disant: ‘‘Les autorités du Kazakhstan ont agi durement, courageusement et de manière adéquate. Ils ont réagi fermement en instaurant l’Etat d’urgence et la police anti-émeute n’y a pas été de main morte contre les combattants bien armés qui se trouvaient derrière les travailleurs du pétrole. Ils ont montré leur courage quand le président, M. Nazarbayev, a visité la ville de Zhanaozen et a personnellement parlé aux habitants. Leur réponse a été adéquate, en agissant avec fermeté et en expliquant à ces messieurs de l’Union Européenne que ce qui se passe à Zhanaozen est une affaire interne au Kazakhstan. »

La “gauche” attaque les grévistes qui revendiquent la nationalisation

Le 18 décembre, le site internet de gauche « RabKor » publiait un article d’Aleksei Simoyanov de l’Institut de la Mondialisation, à Moscou. Après presque sept mois de silence et à seulement 2 jours du massacre, l’auteur avait décidé de rejoindre le flot des attaques contre les travailleurs du pétrole : « Il est impossible de ne pas parler d’un certain nombre d’erreurs tactiques effectuées par les manifestants au cours de leur campagne. Aussi longtemps que les principaux slogans des manifestants étaient favorables à des meilleurs salaires, au respect des droits des travailleurs et luttaient contre la dégradation des conditions de travail, ils étaient dans une position forte. Dans les limites d’un conflit entre travailleurs et patron, les autorités avaient les mains liées, et toute pression de leur part aurait été purement illégitime. Le problème s’est compliqué quand, sous l’influence du CIO, les travailleurs ont également défendu des revendications politiques, y compris la nationalisation de la compagnie. »

Pourtant, comme cela peut être vérifié avec l’évolution des revendications des grévistes, les travailleurs du pétrole ont défendu la nationalisation de leur entreprise dès le début du litige. Ils n’ont pas eu besoin du CIO pour savoir que tant que ces entreprises restaient aux mains de capitaux privés liés au régime et aux multinationales étrangères, il n’était pas possible d’obtenir un salaire raisonnable. Le seul changement qui a été opéré avec cette revendication au cours de la grève, c’est de généraliser la revendication de la propriété publique à tout le secteur pétrolier, sous le contrôle des travailleurs. Les travailleurs du Kazakhstan ne sont d’ailleurs pas les seuls à tirer ces conclusions. En décembre, par exemple, des dizaines de milliers de syndicalistes ont défilé à Liège, en Belgique, pour exiger la nationalisation du site liégeois d’ArcelorMittal.

Simoyanov ne fait avec son texte que démontrer sa profonde incompréhension de cette grève. La direction de l’entreprise a refusé de négocier non pas parce que les ouvriers ont soulevé la revendication de la nationalisation, mais parce qu’ils n’étaient pas prêts à mieux payer les travailleurs. La logique de son article est que les travailleurs devraient restreindre leurs luttes à des questions purement économiques et que s’ils vont plus loin, toute la pression contre eux devient ‘‘légitime’’. Suivant cette logique, les syndicats ne devraient pas exiger le limogeage des responsables antisyndicaux ou faire grève afin de faire tomber des régimes autoritaires. Suivant cette logique encore, les syndicalistes d’Europe, de Grèce, du Portugal, d’Italie et d’ailleurs qui sont en lutte par millions contre les politiques d’austérité de leurs gouvernements ne devraient pas exiger la chute de ces gouvernements ? Simoyanov pensent-il aussi que cette revendication est ‘‘illégitime’’ ?

L’ironie est que ces critiques, en se précipitant contre les grévistes du pétrole, ont oublié de s’en prendre à la direction de l’entreprise, et finissent même au final à la droite du président Nazarbayev qui, à Aktau, a déclaré après le massacre que : ‘‘Le gouvernement, ainsi que le fonds Samruk Kazyna et la société KazMunaiGas, ont échoué à mettre en œuvre mes instructions sur la résolution rapide de ce conflit. Malheureusement, ils se sont montrés incapables de résoudre le problème. »

La caractéristique des critiques de ‘‘gauche’’ des grévistes est la manière dont ils ferment les yeux sur les bureaucrates syndicaux qui collaborent avec les régimes autoritaires ! Boris Kravtchenko est un membre du conseil consultatif du président russe Medvedev, Alexeï Etmanov est un candidat de la liste pro-Kremlin « Russie juste » et Sergei Belkin a signé une entente pour éliminer les grèves avec le régime de Nazarbayev. Ils sont en colère non pas parce que les travailleurs du pétrole ont adopté des revendications politiques – ils ne les critiqueraient pas s’ils rejoignaient le parti présidentiel. Les critiques n’arrivent que lorsque les travailleurs du pétrole déclarent qu’ils ne vont plus soutenir le parti présidentiel et lancent un appel au boycott total des élections législatives de janvier. Plutôt que de rester derrière l’un ou l’autre parti politique pro-régime et leurs conseillers dans les syndicats, les travailleurs du pétrole ont appelé à la création de leur propre, démocratique et indépendant parti des travailleurs, un instrument politique capable de représenter leurs intérêts sans devoir subir l’influence des oligarques.

Le 16 décembre – début de la fin pour Nazarbayev

Les événements du 16 décembre 2011 marquent un tournant dans le développement des luttes ouvrières à travers l’ancienne Union soviétique (la CEI, Communauté des Etats Indépendants). Après sept mois de lutte acharnée, les travailleurs du pétrole ont appris de nombreuses leçons. Ils ont démontré qu’ils étaient capables d’adopter une attitude pacifique et disciplinée et de rejeter les provocations destinées à les conduire à la violence. Ils sont allés plus loin que de simples exigences salariales face à un patron qui n’a aucune envie de payer plus, et ont défendu que l’entreprise devait être nationalisée, sous contrôle ouvrier, de sorte que les richesses du pays puissent être utilisées pour le peuple, plutôt que d’enrichir les oligarques et la famille présidentielle. Ils ont démontré qu’ils peuvent unir autour d’eux tous les pauvres et les exploités de la région en défendant de meilleurs salaires pour ceux qui travaillent qui travaillent dans le secteur public. Ils ont appris qu’il y a beaucoup de ‘‘dirigeants’’ et de ‘‘politiciens’’ qui inondent leurs oreilles de promesses d’amitié éternelle en échange de leurs votes, mais qui désertent aux premiers besoins. Ils ont vu que les seuls amis qu’ils ont vraiment, ce sont les travailleurs d’autres villes et d’autres pays, les seuls à avoir exprimé une véritable solidarité.

Même après les horribles attentats de la police et de l’armée le 16 décembre 2011, et les nombreux morts, blessés et emprisonnés, les travailleurs du pétrole ont préservé leur dignité et leur discipline. Ils continuent à faire appel aux autres travailleurs pour qu’ils s’organisent en une seule fédération syndicale nationale et indépendante et pour construire un parti des travailleurs. Le Comité pour une Internationale Ouvrière et ses sections est fier de rester à leur côté, et de rester entièrement solidaire de leur combat.

 

 

Article par ROB JONES

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