Lettre ouverte pour un syndicalisme de combat

La crise du capitalisme et les politiques d’austérité entraînent partout à travers le monde une renaissance des luttes des masses, et particulièrement des luttes syndicales. En Belgique aussi, les discussions portant sur la stratégie et les tactiques syndicales suscitent un intérêt grandement renouvelé, alimenté entre autres par la manière dont le mouvement de lutte contre la réforme des pensions et l’austérité dans son ensemble a été freiné et stoppé par les directions syndicales FGTB et CSC elles-mêmes. Mais ce débat, hélas, est lui aussi freiné, voire réprimé.

C’est ce qu’à tristement illustré l’exemple de la réunion du Comité Exécutif Élargi de la régionale FGTB de Charleroi le 21 mars dernier. Je veux saisir cette occasion pour faire un plaidoyer pour un syndicalisme de combat et pour une réelle démocratie syndicale. Il ne suffit pas d’accorder la parole, encore faut-il sérieusement organiser le débat démocratique, sur base d’arguments et non d’invectives.

Lors de cette réunion, Anne Demelenne, secrétaire générale de la FGTB, avait fait un exposé de plus d’une heure sur l’Union Européenne et sa politique. J’ai ressenti cette prise de parole comme une tentative visant à amoindrir les responsabilités du gouvernement belge, soi-disant avant tout tributaire de l’Europe, et à justifier l’atterrissage forcé du mouvement syndical après la grève générale du 30 janvier de cette année. Directement après cette introduction, j’ai fait une intervention dont l’essentiel peut se résumer comme suit : il nous faut de l’audace, et un réel syndicalisme de combat !

Les diverses critiques que j’ai pu porter contre l’attitude des directions syndicales n’ont pas laissé indifférent, et ont provoqué une riposte qui a pris la forme d’une succession d’attaques personnelles s’en prenant à mon passé syndical, faute de pouvoir argumenter sur le fond. Je trouve important de ne pas laisser ces attaques sans suite car elles constituent, au-delà du mépris de ma personne, une véritable tentative d’intimidation à destination de tous les militants critiques envers la politique de l’appareil syndical.

Lorsque je suis descendu de la tribune, y est alors monté Antonio Cocciolo, président des métallos de la FGTB pour la régionale de Charleroi. Ce dernier a notamment déclaré : ”Gustave, tu n’as rien compris de l’exposé sur l’Europe (…) Dans ta vie syndicale, tu as travaillé 18 mois à Caterpillar et tu n’as su faire que d’être mis à la porte de l’entreprise (…) Dans le garage où tu as travaillé, tu as également été mis à la porte (…) Tu n’as jamais dirigé aucune grève.’’ Le véritable fond de sa pensée est venu ensuite : ”Il y a plusieurs façon d’attaquer le syndicat, la droite l’attaque de l’extérieur, toi c’est de l’intérieur.’’ Depuis quand les critiques d’un militant qui a dédié sa vie à l’activité syndicale doivent-elles être considérées comme des attaques à mettre sur le même pied que l’offensive pro-patronale des partis traditionnels ou de la presse contre les syndicats ?

J’ai été licencié à Caterpillar. C’est vrai. Mais il faut alors préciser d’emblée que ce fut au terme d’une lutte syndicale qui a permis d’implanter l’organisation syndicale dans l’entreprise, une lutte qui a notamment vu le licenciement de 25 ouvriers-grévistes, en 1970, pour fait de grève (dans le peu d’années qui ont suivi, pas moins de six délégués syndicaux FGTB ont été licenciés dans l’entreprise pour avoir militer en faveur de la reconnaissance du syndicat dans l’usine). J’étais de ces 25 ouvriers, en tant que délégué, avec l’autre délégué FGTB qui avait soutenu cette lutte de 10 jours. La raison la plus probable pour laquelle la cause de ce licenciement n’a pas été mentionnée de la tribune est très certainement que cette lutte avait dû être menée à la fois contre la direction de l’usine et contre la direction des syndicats FGTB et CSC de l’époque. Ce combat a renforcé le syndicat, mais a dû se mener contre l’appareil syndical. Ces deux notions ne sont clairement pas à confondre.

Au garage Citroën-Bairiot, mon licenciement fut en fait une prépension dans le cadre d’une restructuration, après 20 de travail dans cette entreprise d’une quarantaine de travailleurs. 20 ans au cours desquels j’avais notamment… implanté une section syndicale de la FGTB auparavant inexistante ! Cette manière de tronquer la vérité et de dénigrer les luttes syndicales du passé sont-elles le nouveau mot d’ordre de la régionale FGTB de Charleroi ? J’espère bien que ce n’est pas le cas, ni à Charleroi ni ailleurs.

Ces précisions ne sont pas destinées à ‘’redorer mon blason’’ mais à dénoncer des pratiques indignes du combat syndical et qui lui portent préjudice. A l’heure où des centaines de milliers de jeunes à travers le monde se sont soulevés pour réclamer une ‘’démocratie réelle’’, l’exemple d’une réelle démocratie, de la démocratie des travailleurs et des exploités, devrait venir des syndicats. Je déplore très fortement que ce ne soit pas le cas. La démocratie ne se limite pas à laisser parler des opposants pour ensuite répondre par un flot d’insultes afin d’éviter à tout prix un débat de fond.

Ce débat est pourtant crucial aujourd’hui, pour en finir avec le syndicalisme de concertation ainsi que les actions symboliques et renouer avec un syndicalisme de combat, basé sur le combat des masses. A chaque fois que la FGTB a donné un mot d’ordre de grève (local ou régional) les travailleurs ont toujours suivi, à condition que ces mots d’ordre correspondent exactement aux aspirations profondes de la classe des travailleurs. Si aujourd’hui il existe une large couche d’hésitants et de déçus dans les rangs syndicaux, n’est ce pas par dégoût des manifestations-promenades à Bruxelles et des actions sans lendemain ? N’est-ce pas parce qu’ils doutent de la réelle volonté de lutte des appareils syndicaux ? Quel serait l’impact d’une large campagne de sensibilisation et de mobilisation contre l’austérité et d’un bon plan d’action élaboré avec l’implication active de la base syndicale ? Est-ce un tabou de poser toutes ces questions ? On pourrait le penser au vu de la riposte haineuse dont j’ai été l’objet.

Je tiens à dénoncer vigoureusement ces atteintes à la démocratie syndicale, comme je l’ai fait toute ma vie militante durant. Contrairement à ce qui a été dit, les critiques constructives ne peuvent que renforcer la lutte de classe en faveur des travailleurs, et non détruire le syndicat. Par contre, il est vrai que cette démocratie syndicale est un danger pour tous ceux qui se contentent de donner des mots d’ordre d’en haut, bien confortablement assis sur leurs privilèges.

 

 

Article par GUSTAVE DACHE

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