100 après le Titanic, le prestige et le profit toujours avant la sécurité

Le Titanic, sa construction, le naufrage et ses conséquences illustrent les grandes divisions sociales de l’époque, divisions qui concernaient non seulement les modes de vies mais aussi les différentes valeurs que l’on accordait aux vies humaines. Cette catastrophe ne fut pas un hasard mais la conséquence d’une société orientée vers la satisfaction des intérêts des plus riches et les bénéfices de l’industrie du transport, avec bien peu d’intérêt pour la vie des travailleurs.

Article par  Nick Chaffey et Perry McMillan

Le Titanic était le plus gros navire de son époque. Il représentait le summum du luxe à flot. A bord se trouvaient quelques uns des plus riches habitants de la planète. Mais la situation de son équipage et des passagers de troisième classe était loin d’être similaire.

Alors que les 700 passagers de première classe profitaient des bons restaurants, de la piscine et des bains turcs, les 1000 passagers de troisième classe ne partageaient que deux salles de bains, une pour les femmes et l’autre pour les hommes. Même les toilettes révélaient cette division des classes : en métal pour la troisième classe, en porcelaine pour la deuxième classe et en marbre pour les millionnaires.

Il n’est guère étonnant que cet écart ait également existé entre les membres de l’équipage ; le capitaine était payé £1.250 par an, un opérateur radio, £48 par an, un pompier, £5 par mois et un intendant, £3 par mois. Alors que le capitaine et les officiers étaient salariés, l’équipage était licencié après chaque voyage. Si un navire était à terre pour deux ou trois semaines, l’équipage se retrouvait ainsi sans emploi durant tout ce temps.

 

Une société divisée

La vie à bord Titanic révélait le gouffre qui divisait la société, gouffre qui allait perdurer pendant les années à venir et ce, jusqu’à la première guerre mondiale.

Le Titanic fut construit à Belfast, à l’immense chantier Harland and Wolff par une armée de plus de 15.000 travailleurs. A cette époque comme aujourd’hui, de tels projets avaient un prix humain que beaucoup voudraient nous faire oublier. Plus de 245 blessés furent enregistrés et six personnes ont été tuées : pas par accident, mais en raison d’une course aux profits au détriment de la sécurité. Une lutte s’est alors déclarée entre patrons et syndicats.

Pendant la catastrophe elle-même, le désintérêt des super-riches et leur mépris total pour le reste de la société furent révélés aux yeux de tous. A peine moins d’un tiers des membres de l’équipage survécut, 37% des passagers de première classe ont perdu la vie, contre 74% des passagers de troisième classe et 78% de l’équipage.

Un tel départ, avec seulement assez de canots de sauvetage pour un tiers de l’équipage et des passagers reflétait déjà les pressions en faveur du profit et pour répondre aux besoins des plus riches. Les personnes laissées à bord furent jetées dans les eaux glacées et moururent en quelques minutes. Seules 13 d’entre elles furent retirées de l’eau et embarquées dans des canots de sauvetage à peine à moitié remplis. La formation de l’équipage avait été insuffisante et entraina de nombreuses pertes humaines.

Southampton paya un lourd tribut : plus de 50% de l’équipage était originaire de Hampshire, le reste principalement de Liverpool, mais s’était déplacé au sud. Chaque rue de la ville avait perdu quelqu’un, et à une époque où il n’y avait pas de dédommagements, les familles furent jetées dans la pauvreté.

 

Des leçons tirées de la catstrophe?

On a fait beaucoup de bruit autour des “leçons” apprises hors de cette catastrophe, mais en réalité, les enquêtes n’ont souvent été que de fallacieuses justifications. Pas un seul passager de troisième classe ne fut appelé à témoigner. Les lois et les règlements furent finalement modifiés, mais seulement suite aux pressions exercées par des syndicats et leurs grèves. Quelques jours seulement après le naufrage du Titanic, l’équipage d’un autre navire de la White Star, The Olympic, fit grève pour forcer l’entreprise à augmenter le nombre de canots de sauvetage.

Les syndicats maritimes durent lutter pour que leurs membres aient un meilleur salaire, des horaires moins lourds et un sommeil décent à bord, avec de meilleures conditions d’hébergement.

En scrutant la presse consacrée au 100e anniversaire de l’évènement, on constate que l’essentiel est passé sous silence ; pas par accident, mais pour cacher la réalité brutale de la société. Le mercantilisme marque cet anniversaire.

Un menu de première classe du Titanic a été récemment vendu aux enchères pour un montant de £76.000. Le commissaire-priseur a commenté : ‘‘Rappelons-nous que le Titanic était considéré comme le meilleur restaurant à flot : pour un déjeuner, il y avait plus de 40 choix différents. Cela illustre ce point.’’

 

Une histoire aseptisée

Le 10 avril, à l’occasion du 100e anniversaire du lancement du Titanic, le dirigeant conservateur Royston Smith a inauguré le musée du Titanic à Southampton, destiné à ne montrer qu’une histoire aseptisée du Titanic, pour en tirer du profit. Mais de façon très ironique, le conseil communal n’a pas pu trouver d’opérateur privé prêt à assumer l’investissement.

Le conseil communal de Southampton a donc surenchéri dans l’infamie en voulant sauvagement réduire les salaires des travailleurs communaux, qui ont magnifiquement combattu en riposte, avec des mois de grèves et de manifestations. Les 7 millions de livres sterlings coupés dans la masse salariale ont servi à financer ce projet de musée alors qu’avec la crise économique actuelle, plus 7000 personnes sont sans emploi et plus de 6000 enfants vivent dans la pauvreté à Southampton uniquement.

Le meilleur hommage que l’on pourrait rendre à ceux qui ont perdu leur vie ainsi qu’à leurs familles serait de vaincre l’agenda d’austérité des conservateurs de Southampton et de lutter pour construire un mouvement de masse capable d’assurer un avenir décent pour les travailleurs qui continuent à être exploités dans l’industrie maritime ainsi que dans l’ensemble de la ville.

 

Le transport maritime actuel : une croisière vers le désastre?

L’industrie maritime mondiale a été estimée en 2008 à un marché de 20 milliards de dollars, avec des profits colossaux aux opérateurs. Dans l’industrie maritime du Royaume-Uni, les revenus de 2011 étaient de 2,4 milliards de dollars, avec 1,5 million de passagers venant de Southampton. Directement et indirectement, elle emploie des milliers de personnes, mais reste un secteur caractérisé par des emplois précaires et peu rémunérés.

En janvier, le syndicat des transports RMT a rapporté : “A l’heure actuelle, l’équipage de ces vaisseaux est issu d’une multitude de nationalités. Ils sont souvent très peu rémunérés et travaillent dans des conditions précaires. Bien que les entreprises individuelles contestent que les équipages gagnent une part significative de leur argent grâce aux pourboires, le RMT le syndicat des transports, NDLT) dispose de preuves confirmant le mépris généralisé pour le bien être de l’équipage et la sécurité des navires.”

La récente catastrophe du Costa Concordia a révélé le peu de changements depuis la catastrophe du Titanic, avec deux incidents survenus depuis lors dans l’Océan indien et aux Philippines.

Alors que les critiques visant le capitaine du navire ont fait la une des journaux, des rumeurs concernant la politique d’entreprise se sont multipliées. Beniamino Deidda, le procureur en chef de Toscane, a critiqué la compagnie ; une attention particulière a été accordée aux ‘‘canots de sauvetage qui ne sont pas descendus, à l’équipage qui ne savait pas quoi faire [et] au peu de préparation dans la gestion de la crise.’’

Dans une interview menée par la police, le capitaine affirme que les chefs d’entreprise ont fait pression sur les navires de croisière afin qu’ils naviguent à proximité de l’ile Giglio, en vue d’offrir un spectacle aux passagers. Alors que le ralentissement économique menace les profits, les raccourcis et autres incidents sont inévitables.

Toutes les preuves démontrent que, sur 100 ans, les profits continue toujours à dicter sa loi sur les mers et océans. Grâce à une campagne soutenue de syndicalisation, la sécurité peut être soumise au plan de l’agenda dans l’industrie des croisières.

Quelques jours à peine avant le naufrage du Costa Concordia, le premier ministre britannique David Cameron s’en était pris au ‘‘monstre’’ de la réglementation de la sécurité et de la santé, promettant de le rendre plus favorable aux entreprises. Seule une industrie dirigée et contrôlée démocratiquement par les travailleurs, une industrie du transport maritime nationalisée, peut garantir que la santé et la sécurité seront placées avant le profit à court terme et les intérêts de l’industrie privée.

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