Ils étaient des milliers à affluer vers Miraflores, le palais présidentiel à Caracas, le dimanche 7 octobre au soir afin de célébrer la victoire d’Hugo Chavez à l’élection présidentielle. Certaines scènes rappelaient fortement la défaite du coup d’État de la droite en 2002, avec des soldats de la garde présidentielle brandissant des drapeaux du haut du toit du palais présidentiel tandis que d’autres soldats rejoignaient les travailleurs, les jeunes, les chômeurs et tous ceux qui s’étaient rendus au centre-ville pour célébrer la défaite du candidat de la droite, Henrique Capriles.
La victoire de Chávez, sa cinquième victoire électorale depuis 1998, a infligé une défaite à l’aile droite du Venezuela et est saluée par le Comité pour une Internationale Ouvrière et sa section vénézuélienne, Socialismo Revolucionario, ainsi que par les travailleurs et les véritables socialistes à l’échelle internationale. Une victoire de l’aile droite aurait abouti à une attaque contre la classe ouvrière vénézuélienne, aurait directement signifié de revenir sur le programme de réformes progressistes et aurait initié une politique offensive de la part de la classe dirigeante nationale et internationale destinée à célébrer une nouvelle défaite du »socialisme ». La participation massive à ces élections (plus de 80% contre 75% en 2006, soit la participation plus élevée depuis des décennies) reflète la polarisation politique et de classe qui continue de se développer dans la société vénézuélienne.
Au moment où plus de 98% des votes avaient été dépouillés, Chávez en avait gagné 8.133.952 (55,25%), contre 6.498.527 (44,14%), pour Capriles, le riche homme d’affaires. Chávez l’a emporté dans pas moins de 20 des 24 États du Venezuela. S’il termine ce mandat de six ans, Chavez sera à la fin au pouvoir depuis deux pleines décennies. Il deviendra alors le Président le plus longtemps en exercice au Venezuela depuis Juan Vicente Gomez (au pouvoir de 1908 à 1935!) Mais au contraire de la dictature de Gomez, Chávez a été élu avec le soutien des masses. Les politiciens capitalistes et les dirigeants des anciens partis ouvriers en Europe et ailleurs doivent regarder avec envie ces victoires électorales successives et la capacité de Chavez à mobiliser des millions de partisans. Aucun autre leader politique de ces dernières élections n’a en effet eu la possibilité d’attirer des millions de personnes lors de ses meetings électoraux ou encore d’être accueilli par des foules si importantes venant célébrer sa victoire.
Le caractère populiste de la campagne de la droite
Cette campagne électorale a été présentée au Venezuela comme étant « historique » et devant déterminer l’avenir du pays au travers d’un choix entre »deux modèles distincts ». Toutefois, l’argumentation de Chávez au cours de la campagne électorale n’a pas reflété l’existence d’un tel choix et n’a pas défendu un clair programme socialiste destiné à rompre avec le capitalisme. Il n’a pas non plus préconisé cette solution dans son discours face à la foule qui l’acclamait à Miraflores.
La campagne électorale a reflété des aspects importants et de nouvelles caractéristiques de la lutte qui s’est déroulée au Venezuela au cours de ces quatorze dernières années, suite à la première victoire de Chávez.
L’une des caractéristiques les plus importantes de cette élection était le caractère de la campagne de la droite. Les politiques appliquées et les luttes qui se sont déroulées au cours de ces quatorze dernières années ont laissé derrières elles un puissant soutien en faveur de politiques sociales radicales et, dans une certaine mesure, en faveur de l’idée générale de »socialisme », maintenant profondément ancrée au sein de la conscience politique populaire.
Compte tenu de la radicalisation de la conscience politique de gauche actuellement dominante dans la société vénézuélienne, Capriles a été contraint de présenter son programme de droite de façon populiste, en masquant son agenda de néolibéral. Cela constitue un changement significatif dans la stratégie de l’aile droite.
La propagande et les discours de Capriles ont tenté de répondre à la détresse des pauvres et promis de défendre l’Etat-providence. Il a fait valoir qu’il ne démantèlerai pas toutes les »missions » (le programme de réforme mis en place par Chavez en matière de santé et d’éducation). Il a appelé à la défense des syndicats »indépendants » et a essayé de gagner le soutien des travailleurs du secteur public en promettant de mettre fin à la participation obligatoire à des rassemblements et à des manifestations Pro-Chávez (une source majeure de mécontentement). Capriles a énergiquement sillonné le pays en essayant de se présenter comme une nouvelle figure »radicale » en opposition à l’ancienne figure « fatiguée » de Chavez afin de gagner le vote des jeunes. Il a d’ailleurs réussi à obtenir un certain succès dans ce domaine.
Le véritable programme de la droite était bien caché au fond de son matériel, avec des plaidoyer pour une moindre intervention de l’Etat et un rôle accru de l’investissement privé dans l’économie. Lors du coup d’Etat manqué de la droite en 2002, Capriles joué un rôle dans l’attaque de l’ambassade cubaine par la droite. Si la droite l’avait remporté dans ces élections, un gouvernement Capriles aurait tenté de faire reculer les programmes de réformes de Chávez et d’introduire plus de mesures néo-libérales.
Ces modifications dans la propagande de la droite sont le reflet de l’équilibre réel des forces politiques à ce stade. Capriles a été contraint de freiner l’extrême-droite. Amplifier les forces de l’extrême-droite ou soutenir explicitement les politiques néo-libérales ne se serait traduit que par une plus grande défaite pour Capriles.
Un sérieux avertissement
Malgré la victoire bienvenue de Chávez, ces élections représentent également un avertissement à partir duquel d’importantes leçons doivent être tirées pour éviter une possible future victoire de la droite. Tandis que le pourcentage de votes en faveur de Chavez a diminué de 7,6% par rapport à la dernière élection en 2006, Capriles a augmenté la part de la droite de 7,2%. Sur base d’une plus grande participation aux élections, Chávez a pu augmenter son score de voix en chiffres absolus de 824.872, mais Capriles a augmenté le vote de la droite de 2.206.061! Cela représente un sérieux avertissement. A l’exception du référendum sur la réforme constitutionnelle de 2007, ce fut le plus faible pourcentage obtenu par Chavez lors d’une élection.
La droite n’a d’accroître son soutien électoral à chaque élection, ce qui reflète une lente mais bien réelle contre-révolution rampante. Mais le soutien aux politiques radicales de gauche reste dominante à ce stade et les masses, y compris certaines sections qui cette fois ont voté pour la droite, sont opposées à toute tentative de revenir à l’ordre ancien qui existait avant Chávez au pouvoir.
Cependant, le fait est qu’il n’y a pas de rupture avec le capitalisme ni de véritable programme socialiste basé sur le contrôle et la gestion démocratique des secteurs clés de l’économie par la classe ouvrière et tous ceux qui sont exploités par le capitalisme. Cette situation permet à la droite d’exploiter le mécontentement et la frustration qui découlent de la détérioration des conditions sociales, de la corruption et de l’inefficacité qui accompagne la croissance de la bureaucratie chaviste ainsi que l’approche bureaucratique de bas en haut du gouvernement.
Le plus grand pourcentage de votes jamais obtenu à ce jour par Chávez a été atteint lors des élections de 2006. A l’époque, Chavez avait pu compter sur un soutien électoral de 62%. De manière significative, cette campagne a également été la plus radicale de Chavez, avec la question du »socialisme » dominant le débat et véritablement placée au premier plan de la campagne. Cette époque était marquée par le développement révolutionnaire qui a suivi la tentative de coup d’Etat de la droite et le lock-out patronal de 2002-03. Toutefois, depuis cette victoire, plutôt que d’avoir avancé dans la mise en place d’un programme visant à rompre avec le capitalisme et à mettre en place un véritable système de contrôle et de gestion démocratique des travailleurs, le processus révolutionnaire est au point mort et est sur la défensive.
Le gouvernement a de plus en plus collaboré avec la classe dominante et a cherché à parvenir à un accord avec elle, d’où sa politique de »réconciliation nationale » et les accords passés avec la fédération patronale. Ceci, avec l’émergence de ceux qui se sont enrichis sur le dos du mouvement Chaviste – la »boli-bourgeoisie » – conduit inévitablement à un mécontentement croissant ainsi qu’à des protestations contre le gouvernement.
Réformes et désespoir dans les quartiers les plus pauvres
La réponse du gouvernement face à la crise économique mondiale du capitalisme qui a débuté en 2007 n’a pas été de faire avancer un programme de rupture avec le capitalisme, mais de se déplacer dans la direction opposée et de chercher à l’apaiser en se déplaçant vers la droite. Depuis, des concessions fiscales accrues ont été données aux multinationales. La compagnie pétrolière nationale PDVSA, qui a financé le programme de réforme des »missions », a aussi réduit son budget pour ces dernières de près de 30%.
La répression contre les grévistes de toutes sortes a également été accrue au cours de ces dernières années. Les travailleurs du secteur public sont soumis à la loi de sécurité et de défense de la Nation qui permet l’interdiction des grèves et même de simples protestations dans le secteur public. La police d’Etat dans la ville de Barcelona a ainsi tué deux dirigeants ouvriers à l’usine automobile Mitsubishi. Le gouverneur de cet Etat est un chaviste. Des travailleurs de Toyota ont subi le même sort.
Malgré les populaires politiques de réforme que sont les »missions », qui ont aidé des millions de gens pour leur santé ou encore leur enseignement, les conditions sociales dans les »barrios » (les quartiers) plus pauvres restent catastrophiques et montrent peu de signes d’amélioration. Celles-ci ont été le terreau d’une hausse spectaculaire de la criminalité, de la violence et des enlèvements visant à soutirer de l’argent aux familles des victimes. Le Venezuela possède l’un des taux les plus élevés de meurtre dans le monde : le chiffre officiel du gouvernement fait état de 19.000 décès en 2011. Ce n’est très certainement là qu’une sous-estimation de l’ampleur du phénomène.
Le Venezuela est actuellement l’un des pays les plus violents au monde. Dans un district majoritairement riche près de Caracas, El Hatillo, 70 enlèvements ont eu lieu jusqu’à présent cette année! L’expérience des membres du Comité pour une Internationale Ouvrière est typique. Un membre du CIO vivant dans un »barrio » est arrivé lors d’une réunion le jour précédent l’élection pour parler de l’assassinat de son beau-frère qui s’était déroulé la veille. Un autre a expliqué qu’on avait tiré sur son propriétaire. D’autres parlent de collègues de travail qui ont été enlevés. Un autre encore a parlé d’un incident lors d’un retrait d’argent auprès d’une banque pour le travail, il a été volé cinq minutes plus tard par des jeunes armés sur une moto, un texto avait été envoyé par un employé de la banque pour les avertir du retrait, l’employé ayant touché une partie du butin par la suite. De telles attaques mettent la vie des pauvres et de la classe moyenne dans un état d’anxiété et de peur quasi permanent.
La situation du logement reste désespérée en particulier dans les quartiers les plus pauvres. Le gouvernement, dans la période qui a précédé l’élection, a lancé un programme de logement de manière précipitées, et il prétend avoir construit plus de 200.000 nouveaux logements. Beaucoup de gens mettent en question ces chiffres. Beaucoup de ceux qui ont vu leurs cabanes emportées par de fortes pluies en 2010 restent dans des refuges. Là, les conditions de vie peuvent être si mauvaises que même des massacres des occupants ont eu lieu par d’autres occupants ou par les cartels de la drogue qui opèrent dans les barrios. Pourtant, ce qui est en cours de construction ce sont en réalités de nouveaux ghettos: des appartements minuscules dans des blocs sans facilités, construits sur n’importe quelle parcelle de terre vide ou expropriée. Une de ces nouvelle construction est isolée avec une seule route pour y aller et en sortir, avec au moins une heure de marche pour parvenir au métro le plus proche.
La corruption, le manque de planification et de contrôle démocratique ainsi que les méthodes techniques de construction inadéquates ont souvent conduit à ce que des fissures apparaissent dans les blocs avant même qu’ils ne soient occupés!
Ces conditions sont le terreau potentiel pour le développement de bandes armées de jeunes poussés aux vols avec violence ou aux enlèvements dans le seul but de survivre. Ils sont aussi un terreau de mécontentement sur lequel la droite peut s’appuyer, ce qui pourrait conduire à la démoralisation et l’apathie envers le gouvernement.
Référence minimale au socialisme
La campagne de Chávez au cours de cette élection était plus à droite que la campagne menée en 2006. C’était alors peu de temps après que Chavez ait proposé le lancement du PSUV (Parti Socialiste Unifié du Venezuela) en tant que »parti révolutionnaire ». Chávez faisait à ce moment-là référence à Trotsky, à la révolution permanente et au programme de transition. Il parlait de la construction d’une »cinquième internationale » des »partis de gauche ». Mais cette fois ci, dans cette élection, rien de tout cela n’était évident. La référence au socialisme était minime, et quasiment inaudible jusqu’à la dernière semaine de la campagne. Le principal slogan de Chavez était »Chávez au cœur de la patrie ». Il a pris un caractère très nationaliste avec des promesses de développer la »patrie ». L’élection a été hautement personnalisée dans les deux camps. Alors que les principales avenues de Caracas étaient pleines lors de la manifestation de clôture, il était manifeste que les pancartes mettaient en vedette Chavez et la »patrie » sans autre contenu politique. Les bannières du PSUV ou des syndicats étaient absentes. Beaucoup de travailleurs portaient des chemises des entreprises pour lesquelles ils travaillaient et, souvent, ils expliquaient qu’ils étaient là parce qu’ils y avaient été »obligés » par leurs employeurs.
Alors que nombreux sont ceux qui se sont ralliés avec enthousiasme à Chávez comme étant leur seul espoir et par crainte de la droite, certains ont tout simplement été mobilisés autour de slogans pour »Hugo Chávez et la patrie », sans autre contenu.
Ces caractéristiques reflètent l’absence d’une force politique indépendante organisée des travailleurs et des pauvres, comme le CIO l’a déjà commenté dans des articles précédents. Ceci, et l’ approche bureaucratique de ha ut en bas du gouvernement, a sérieusement affaibli le mouvement dès sa première période, ce contre quoi le CIO a constamment mis en garde. Cette approche du haut en bas a de nouveau été remarquée durant la campagne électorale. À deux reprises, lorsque Chavez a parlé à des réunions de masse dans le pays, certains scandant « Chávez oui, mais pas… », se référant aux candidats chavistes imposés pour les prochaines élections régionales, en décembre. Chávez a répondu en disant que si les candidats imposés sont rejetés alors ils doivent aussi rejeter Chávez!
L’absence d’un mouvement ouvrier démocratique et indépendant est l’une des plus grandes faiblesses et un des plus grands dangers de la situation présente. Il a déjà permis à l’aile droite de réaliser des gains et des avancées. Si la classe ouvrière, les jeunes et les pauvres ne construisent pas une force indépendante démocratique organisée, la menace de la droite et l’avance de la contre-révolution se développera. Il n’est pas exclu que l’aile droite obtiennent des gains lors des élections régionales du mois de décembre compte tenu des pourritures que sont certains des candidats chavistes.
Malheureusement, suite à sa victoire, le président Chávez, en parlant à ses partisans, n’a donné aucune indication afin de prendre des mesures pour renverser le capitalisme. Il a offert le dialogue à l’opposition. « Nous sommes tous des frères de la patrie », a-t-il tonné après avoir prié l’opposition d’accepter le résultat. Il a parlé de construire un Venezuela uni. Des deux côtés on a insisté sur ce même point vers la fin de la campagne. Comme à la clôture du scrutin, il y avait un barrage de propagande télévisée des deux côtés appelant à la paix, l’unité et la réconciliation. Chávez, comme Capriles ont appelé au »calme » et à la »tranquillité », évidemment par crainte que la polarisation ne puisse entraîner des affrontements et une sorte d’explosion sociale.
Une »économie mixte » ou une rupture anticapitaliste ?
Quand Chavez a salué la foule après sa victoire, il a fait deux références au socialisme. Cependant, elles ont été noyées dans les déclarations que sont les « Viva Bolivar! Viva La Patria! Viva Venezuela! » Pendant la campagne, il a fait valoir que le »socialisme » de l’Union soviétique a échoué et qu’un nouveau type de système est nécessaire au 21ème siècle. Mais ce n’était pas là un rejet de la mascarade de socialisme qu’a constitué l’ancien régime stalinien totalitaire, ce n’était pas une déclaration destinée à favoriser l’instauration d’un programme favorable à la démocratie ouvrière. Les politiques de Chávez illustrent le fait que ce qu’il entend par ce »nouveau type de système » est une »économie mixte » combinant le capitalisme avec des interventions de l’État et des réformes. Les réformes que le Comité pour une Internationale Ouvrière ont soutenues sont maintenant repoussées vers l’arrière et démantelées. Elles ne pouvaient être maintenues et renforcées que sur base d’une rupture avec le capitalisme et de l’introduction d’une planification socialiste et démocratique de l’économie.
Capriles est clairement en train d’attendre son heure et a maintenant l’intention de consolider sa base dans l’après campagne électorale. Chávez est préparé à poursuivre ses politiques de conciliation et de travail avec les sections de la classe dominante qui sont prêtes à collaborer avec lui. Une telle politique va de plus en plus pousser son gouvernement a entrer en confrontation avec les travailleurs et les pauvres. Le mécontentement social va augmenter. Il est urgent qu’un mouvement ouvrier socialiste, démocratique et indépendant se construise avec un programme de rupture anticapitaliste. Si cela n’est pas fait, alors, face à la désintégration sociale et à l’aliénation, la menace de la droite ne peut que se développer.
L’approfondissement de la crise économique capitaliste mondiale aura un lourd impact sur le Venezuela. Une baisse significative du prix du pétrole, principal produit d’exportation du Venezuela, d’une valeur de 60 milliards de dollars l’an dernier, peut menacer de saper les politiques de Chávez. On ne peux pas exclure que Chávez pourrait être repoussé vers la gauche et introduire des mesures plus radicales qui empiètent sur le capitalisme. Toutefois, cela est loin d’être certain et elles ne représenteraient pas en elles-même une transformation socialiste. Pour rompre avec le capitalisme et construire une véritable alternative socialiste démocratique, il est encore nécessaire et urgent de construire un mouvement ouvrier socialiste indépendant, démocratique et politiquement conscient.
Article par TONY SAUNOIS