Pour réaliser les revendications des travailleurs, il leur faut s’auto-organiser avec des objectifs clairs!
Un peu plus d’un mois à peine après la mort de l’ambassadeur américain, les développements en Libye révèlent l’instabilité, et même le chaos, qui règne en de nombreux endroits du pays. En l’absence de véritable gouvernement, les combats continuent autour de Bani Walid (considéré comme une zone pro-Kadhafi) par les forces de Misrata, en colère contre l’emprisonnement et la mort d’Omran Shaban, le combattant rebelle qui a retrouvé Kadhafi après une attaque aérienne de l’OTAN contre son convoi il y a un an.
L’un des plus grands changements au cours de cette année fut la reprise de la production de pétrole. En ce moment, le revenu du pétrole libyen est d’environ 1 milliard de dollars tous les 10 jours, ce qui n’est pas mal dans un pays de 6,5 millions d’habitants. Mais de nouveaux gangs de pillards se mettent déjà en place. En octobre, Le Monde Diplomatique a rapporté que les ministres perçoivent des salaires de 7800$ par mois et habitent dans des hôtels de luxes de Tripoli à 325$ la nuit. Même si les élections se sont déroulées pacifiquement en juillet, en réalité, le Congrès Général National est impuissant face aux milices concurrentes.
Cette situation chaotique n’était pas inévitable. Quand les manifestations de masse ont commencé en février 2011, Kadhafi a lancé une contre-offensive brutale contre Benghazi et les autres centres de l’opposition. Benghazi, cependant, aurait pu être défendue par les masses populaires de la ville qui compte un million d’habitants, avec un appel aux travailleurs, aux jeunes et des pauvres du reste de la Libye. Cela aurait pu conduire plus rapidement à la victoire et ne laisser aucune excuse pour une intervention étrangère.
A Benghazi, au début de la révolution, des affiches en anglais déclaraient : ”Non à l’intervention étrangère – Les Libyens peuvent se débrouiller tous seuls.” Mais la direction autoproclamée du Conseil National de Transition, dominée par des transfuges du régime de Kadhafi et des pro-impérialistes, a ignoré le sentiment populaire initial contre une intervention étrangère. Elle a recherché du soutien auprès des puissances impérialistes occidentales et des Etats Arabes semi-féodaux.
Un grand nombre de Libyens se sont réjouis de la chute de Kadhafi en août 2011, mais pas tous, et ce n’étaient pas seulement l’élite privilégiée autour de Kadhafi et les groupes favorisés par son régime. Il existait également une part de réelle opposition contre le rôle des puissances occidentales et des régimes arabes autocratiques, ainsi que la peur des fondamentalistes religieux.
Chacune des révolutions du printemps arabe avait ses propres caractéristiques. En Tunisie et en Egypte, les organisations ouvrières se développaient ou se transformaient. En Libye, le soulèvement initial spontané n’a pas mené à l’auto-organisation démocratique des travailleurs et des jeunes à une large échelle.
Malgré l’implication d’un grand nombre de Libyens dans les combats et l’armement de la population, il n’y a pas le moindre signe pour l’instant que les travailleurs, les jeunes et les pauvres libyens qui lutteraient pour établir leur propre pouvoir collectif sur la société. Sans organisations démocratiques et indépendantes dans la plupart des communautés et des lieux de travail, les milices prennent les devants pour maintenir la sécurité. Mais la plupart de ces milices sont divisées sur des lignes territoriales, tribales, religieuses ou ethniques, et leurs dirigeants ont leurs objectifs propres.
Les intégristes religieux
A présent, les intégristes religieux s’impliquent de plus en plus et les éléments qui ont lutté au côté de Kadhafi contre ce qu’ils considéraient comme une intervention étrangère perdurent. Ainsi, en plus des rivalités entre les milices, il y a eu la démolition de sanctuaires Soufi par les Salafistes intégristes et quatre attaques de représentants occidentaux avant l’attaque du consulat américain à Benghazi le 11 septembre et d’une base semi-secrète de renseignements américaine.
La manifestation du 20 septembre qui a expulsé de Benghazi la milice Ansar al-Sharia, initialement accusée de l’attaque du consulat américain, n’était pas une simple réaction populaire contre les milices. La manifestation était dirigée par la police militaire qui a alors procédé à l’attaque de la base de la milice Rafallah al-Sahati (fondée par des Qatari) qui travaille avec le ministère de la défense basé à Tripoli. Rien n’est encore clair concernant le cadre dans lequel cette seconde cible a été choisie en fonction du contexte des rivalités entre les dirigeants de Benghazi et de Tripoli. Ces tensions continuent. Le 21 septembre, le commandant militaire de Benghazi a été kidnappé pendant six heures. Trois jours plus tard, les milices pro-Tripoli à Benghazi ont commencé à arrêter les participants à la manifestation du 20 septembre, dont 30 officiers de l’armée.
Alors que certains Libyens sont encore reconnaissants du soutien des USA dans le renversement de Kadhafi, l’opposition augmente – surtout à caractère religieux, en ce moment – face à l’implication prolongée des USA en Libye. Cela va probablement accroître les tentatives des puissances occidentales de renforcer leur présence. En septembre, l’administration Obama a accordé 8 millions de dollars pour l’entraînement d’une force ”anti-terroriste” d’élite de 500 hommes en Libye.
Le sentiment de libération de beaucoup de Libyens est encore important. Cela pourrait être la base d’une opposition aux milices sectaires et réactionnaires, dont le potentiel a été vu dans les manifestations contre Ansar al-Sharia. Cependant, cette manifestation a aussi montré que sortir dans la rue est insuffisant. Pour que les revendications des travailleurs soient réalisées, il est nécessaire de s’auto-organiser avec des objectifs clairs, sinon d’autres forces peuvent tirer profit de tels mouvements.
Beaucoup de Libyens, en particulier les jeunes, sentent que l’année dernière ils ont eu une chance, et le pouvoir, de décider de leur propre avenir. Maintenant, il est de plus en plus clair que cela demande de l’organisation, un programme et une lutte pour l’unité des travailleurs et des jeunes dans une bataille commune, sinon il y a le risque d’une spirale de dégradation.
Les divisions entre les zones sont de plus en plus fortes, malgré le ciment du revenu du pétrole. Misrata, par exemple, est maintenant pratiquement autonome. Dans la région Cyrénaïque riche en pétrole autour de Benghazi, il y a des revendications répétées pour plus d’autonomie, ce qui fait peur aux autres régions. En l’absence d’organisations indépendantes et démocratiques des travailleurs, les autres forces prendront la tête.
L’opposition à une présence étrangère, la peur du retour de l’ancienne élite ou de la montée d’une nouvelle peuvent constituer la base de différentes formes de populisme – religieux, régional, tribal, ethnique ou nationaliste. Alors que les richesses pétrolières de la Libye peuvent maintenir le pays ensemble, particulièrement du point de vue des zones non-productrices de pétrole, des luttes peuvent éclater entre les élites rivales sur le partage du pillage ou, à un certain stade, sur la question de l’éclatement du pays.
Il est essentiel de créer des organisations indépendantes et démocratiques des travailleurs
La création d’organisations indépendantes et démocratiques de travailleurs, et notamment la question cruciale d’un parti de la classe des travailleurs, est d’une importance vitale. C’est le seul moyen pour que les travailleurs, les opprimés et les jeunes soient capables de surmonter les divisions de plus en plus présentes et d’entamer une lutte pour une véritable transformation révolutionnaire du pays et ainsi contrecarrer les projets des impérialistes, en finir avec la dictature et transformer radicalement la vie des masses.
Pour parvenir à ses fins, un mouvement des travailleurs aura besoin de défendre tous les droits démocratiques, d’impliquer les travailleurs immigrés en abordant la défendre de leurs droits, et de s’opposer à la privatisation des atouts de la Libye. Il faut revendiquer le retrait de toutes les forces armées étrangères, s’opposer à toute intervention militaire étrangère et par-dessus tout, rejeter la participation à tout gouvernement avec des forces capitalistes.
Le mouvement des travailleurs doit lutter pour un gouvernement de représentants des travailleurs et des pauvres, basé sur des structures démocratiques dans les lieux de travail et les collectivités. Un tel gouvernement utiliserait les ressources de la Libye dans l’intérêt de la population. Cela serait la réelle victoire pour les travailleurs et les jeunes Libyens et permettrait de mettre en avant un exemple international de fin d’un régime dictatorial et des misères du capitalisme.
Article par ROBERT BECHERT