Tunisie: Non à Larayedh, ministre de la chevrotine! A bas Ennahdha! Pour la chute du système!

La colère du peuple tunisien est profonde. Alors que l’élite politique a échoué à ne fut-ce que commencer à résoudre les problèmes quotidiens du plus grand nombre, et cela après plus de 14 mois au pouvoir, l’assassinat de Chokri Belaïd le 6 février a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, exaspérant l’ensemble du pays et poussant de ce fait le gouvernement haï d’Ennahdha dans ses retranchements.

Le pays traverse désormais sa plus grave crise politique depuis la chute de Ben Ali. Les manœuvres par le Premier ministre Hamadi Jebali de former un gouvernement de soi-disant «technocrates» étaient destinées, comme Jebali l’a d’ailleurs dit lui-même explicitement, à «estomper la colère populaire», et à redonner de la marge de manœuvre au parti dominant, en perte de vitesse. Cependant, mardi, Jebali a annoncé l’échec de ces tentatives et sa démission, face à l’opposition de son propre parti à lâcher les postes ministériels-clé qu’il contrôle.

Maintenant, la nouvelle mascarade d’Ennahdha est de resservir, encore, du neuf avec du vieux, en nommant son ministre de l’Intérieur, Ali Larayedh, comme nouveau chef de gouvernement. Il ne s’agit rien de moins que d’une pure provocation. Ali Larayedh a chapeauté le “ministère de la terreur” depuis plus d’un an, responsable d’abus et de violences systématiques par les forces de l’ordre, cette même flicaille aux ordres qui, rodées aux méthodes apprises sous Ben Ali, n’a répondu aux griefs et aux attentes de la population qu’a coups de matraques, de tortures, de gaz lacrymogènes et même de chevrotine, comme cela s’est passé lors du soulèvement dans la région de Siliana en décembre dernier.

Cette nouvelle manœuvre politique montre, s’il le fallait encore, que les pourris d’Ennahdha ne lâcheront pas le pouvoir aussi facilement. Le parti, qui depuis plus d’un an, s’est attelé a placer ses pions un peu partout dans l’appareil d’Etat, dans les médias, dans les administrations, ne va pas s’en aller sans une lutte d’arrache-pied imposée par la rue.

Ceci dit, les événements des dernières semaines ont donné une nouvelle indication, et non des moindres, de ce qui est possible d’accomplir par la mobilisation de masse, pour autant que celle-ci soit soutenue et armée d’une stratégie claire pour en finir avec le pouvoir actuel. En effet, malgré les tentatives désespérées de donner l’image du contraire, les racines de la crise institutionnelle actuelle résident dans la résistance de masse à laquelle le gouvernement dirigé par Ennahdha est confronté depuis des mois et des mois par le mouvement ouvrier organisé, par la jeunesse, les femmes, les pauvres des zones urbaines, les paysans, les chômeurs, les petits commerçants, etc. Cette résistance a atteint son paroxysme avec l’explosion de colère qui a secoué le pays le 8 février dernier, lorsqu’une grève générale d’une ampleur historique a secoué le pays, et que plus d’un million de personnes sont descendues dans les rues de Tunis et d’autres villes afin de commémorer la mort de Chokri Belaïd.

 

Le bilan d’Ennahdha

Le pouvoir d’Ennahdha a reproduit tous les mécanismes qui ont poussé les masses tunisiennes vers la route de la révolution il y a un peu plus de deux ans. Quand les masses se sont soulevées contre Ben Ali, l’un de leur principal slogan était: «Le travail est un droit, bande de voleurs». Depuis lors, plus de 200.000 personnes se sont rajoutées à la liste déjà longue des sans-emploi, malgré les prétentions d’Ennahdha de créer 500.000 emplois durant son mandat.

Contrastant avec toutes les promesses vides du pouvoir en place, les régions du Sud et du Centre-Ouest du pays continuent à s’enfoncer dans une spirale de misère extrême, dans certains cas dépourvus des infrastructures les plus élémentaires.

La hausse continue des prix des produits alimentaires (qui ont enregistré une augmentation globale de 8,4% en l’espace d’un an) poussent la survie quotidienne et le rationnement à la limite du supportable pour de nombreuses familles pauvres. Et c’est dans ces conditions déjà extrêmes que la clique au pouvoir a récemment décidé l’augmentation du prix des carburants, du tabac et de l’électricité, un nouveau hold-up sur les poches déjà vides des Tunisiens, plutôt que de s’attaquer aux intérêts des grosses entreprises et des spéculateurs qui s’enrichissent a partir de la misère généralisée.

De nombreux parents demeurent jusqu’à ce jour dans l’ignorance des personnes responsables de la mort de leurs enfants tués sous les coups des balles de la machine répressive de Ben Ali, tandis que des dizaines de blessés continuent de souffrir en attendant désespérément des traitements médicaux appropriés.

A cela se sont ajoutés l’étouffement systématique des droits démocratiques, les attaques contre la culture et contre la liberté d’expression. Tout au long de l’année dernière, les tribunaux ont appliqué des lois répressives datant de la dictature de Ben Ali afin de persécuter ce que le gouvernement considère comme nocif pour les «valeurs, la moralité ou l’ordre public, ou visant à diffamer l’armée.»

Des gangs salafistes ont également participé de manière répétée à de violentes attaques contre tout ce qu’ils considèrent comme incompatible avec leur version rétrograde de l’Islam, bénéficiant, pour ce sale boulot, de la complaisance, voire de la collaboration directe, de certaines factions d’Ennahdha, utilisant ces milices salafistes ainsi que les “Ligues de Protection de la révolution” comme troupes auxiliaires de leur contre-révolution rampante.

Les affrontements perpétrés par des milices armées d’Ennahda contre le syndicat UGTT à Tunis en décembre dernier ont abouti à la création d’une commission d’enquête. Mais comme celle qui avait été mise en place suite à la répression policière sauvage de la manifestation du 9 avril dernier a Tunis, cette commission n’a rien fait pour traduire les auteurs de ces actes en justice; elle a au contraire été essentiellement utilisée pour couvrir leurs abus.

Les décisions politiques concernant le sort de millions de personnes sont quant à elles canalisées dans les hautes sphères du pouvoir entre Carthage, La Kasbah, Le Bardot et Montplaisir, à l’abri des regards et du contrôle de tous ceux et toutes celles qui ont fait la révolution, autrement dit, de tous ceux et toutes celles qui ont contribué, par leurs sacrifices et leur lutte héroïque, à mettre cette clique assassine et corrompue la ou elle est.

En bref, tous les objectifs essentiels de la révolution restent non seulement sans réponse, mais sont mis en péril par les aspirants à l’imposition, de fait, d’une nouvelle dictature.

Mais celle-ci est aussi d’ordre économique. Ennahdha, tout comme Nida Tounes (un repère de vieux destouriens et de partisans de l’ancien régime), défendent tous deux les impératifs de la classe patronale, des multinationales occidentales implantées en Tunisie, et des institutions créancières internationales, lesquelles poussent a réintroduire les “normes” économiques d’autrefois, celles qui ont permis à une clique de parasites de s’enrichir en saignant à blanc les travailleurs et le peuple tunisiens.

Ces institutions capitalistes ne chôment d’ailleurs pas: pendant que toute l’attention des médias est portée vers les magouilles en cours dans la classe politique, le FMI poursuit ses “négociations” avec les autorités tunisiennes afin d’octroyer un “prêt” d’une valeur de 1,78 milliard de dollars qui, comme tous les prêts du FMI, sera conditionné à de nouvelles mesures drastiques d’appauvrissement de la population: réduction des salaires et licenciements dans la fonction publique, nouvelles privatisations, diminution des subventions sur les produits de base,…

 

La Nahdha a échoué.. Qu’elle dégage!

Il n’y a pas de meilleur exemple du discrédit du parti au pouvoir et de l’érosion de sa base sociale que les deux manifestations que ce parti a organisé récemment dans le but, précisément, de prouver le contraire. La dernière en date, organisée une semaine après la grève générale, était sensée être une de leur plus grande démonstration de force, certains dirigeants d’Ennahda prédisant même “une marche d’un million”. Le parti avait mobilisé pour ce faire tous ses réseaux de soutien, amenant des bus de supporters des quatre coins du pays, pour en faire un succès. Des biscuits au chocolat furent même distribués aux gens présents pour rendre l’événement plus attractif. Pourtant, pas plus de 15.000 personnes se montrèrent pour l’occasion!

Ce genre d’exemples constitue une gifle au visage de tous les commentateurs cyniques qui avait prévu, lors des élections d’octobre 2011, un “triomphe islamiste” clôturant le chapitre des espoirs révolutionnaires, et plongeant le pays dans un hiver long et sombre de réaction fondamentaliste. Si le danger de la réaction islamiste est loin d’être hors du jeu, il est clair que les mobilisations de rue survenues immédiatement après la mort de Chokri Belaïd ont démontré d’une manière limpide de quel côté pèse encore le rapport de forces pour le moment. La révolution n’est pas finie: partout, la tâche du moment doit être de se préparer pour le ‘deuxième round’!

 

Les tâches de la gauche, le rôle du Front Populaire et de l’UGTT

La classe ouvrière et la jeunesse tunisienne disposent encore de réserves de force insoupçonnées, qui ont plus d’une fois surpris même certains des commentateurs les plus avertis. Cet état de fait, cependant, ne doit pas être considéré comme définitivement acquis. L’aptitude de la gauche à saisir les opportunités ouvertes sera soumise à rude épreuve dans les semaines et mois à venir. Si l’énergie des masses n’est pas canalisée dans un programme clair d’action révolutionnaire, celle-ci pourrait se dissiper ou se perdre dans des explosions de colère localisées et désordonnées, le vent pourrait tourner rapidement, et un climat potentiellement favorable pourrait être perdu pour toute une période historique. La tergiversation ou la passivité dans cette situation risque de jouer le jeu de l’ennemi, lui donnant de nouveaux répits pour rassembler ses forces et contre-attaquer.

En particulier, les couches de la population pauvre les plus opprimées et désespérées, si elles ne voient aucun espoir sérieux et radical provenant du mouvement syndical et de la gauche organisée, pourrait devenir la proie de démagogues réactionnaires du type salafiste ou autres. Le meurtre de Chokri Belaïd doit en ce sens servir d’avertissement sur le fait que ces groupes ne reculeront devant aucune méthode pour briser le cou de la révolution. La descente du pays dans une spirale de violence, avec des éléments de guerre civile larvée, pourrait prendre le dessus si la lutte révolutionnaire pour transformer la société n’est pas menée jusqu’à sa fin, et si les tentatives des fondamentalistes pour perpétrer leurs crimes contre la gauche et contre les «mécréants» n’est pas contrecarrée par une lutte de masse et unifiée des travailleurs, de la jeunesse et des pauvres.

L’immense force du mouvement syndical tunisien, qui n’a d’équivalent dans aucun pays de la région, doit être utilisée à plein pour imposer sa marque sur la situation. Pour cela, une trajectoire radicalement différente de celle offerte jusqu’a présent par la direction nationale de l’UGTT est urgemment nécessaire. Une chose doit être absolument claire: chercher à éviter une confrontation pourtant inéluctable avec le pouvoir en place courre seulement le risque de l’avoir quand même, mais dans des conditions bien plus défavorables pour le camp de la révolution.

L’absence de plan d’action offert par l’UGTT pour poursuivre et renforcer les mobilisations a la suite du succès indéniable de la grève générale du 8 février est, dans ce sens, le genre d’épisode à ne pas reproduire. De plus, comme lors de la grève générale avortée de décembre dernier, la limitation des mots d’ordre au “refus de la violence” et à la dissolution des “milices parallèles” est bien en-dessous des enjeux du moment: en effet, c’est bien du futur de la révolution pour l’emploi, la liberté et la dignité dont il est question.

De surcroit, la dissolution effective de ces milices ne proviendra pas de mesures administratives prises par en-haut (le pouvoir ne sciera pas la branche sur laquelle il est assise), mais bien d’une mobilisation de tous les instants, couplée a l’organisation et a la coordination de groupes d’auto-défense composés de syndicalistes, de jeunes révolutionnaires et de tout ce que la révolution compte de forces vives, afin de faire face efficacement a la violence croissante de la réaction.

Beaucoup de travailleurs et de jeunes ont leurs yeux tournés vers la coalition de gauche du Front Populaire. Cependant, depuis la grève du 8 février, la direction du Front n’a fourni aucun véritable mot d’ordre mobilisateur. Ses appels répétés à des formules gouvernementales et institutionnelles peu lisibles aux yeux des travailleurs et des jeunes (“gouvernement de compétences nationales”, “Congrès national de dialogue”, etc.) ne fournissent pas d’outil clair sur la marche à suivre et laissent les masses dans l’expectative. Un encouragement, par exemple, à une nouvelle grève générale aurait permis de rebondir sur celle du 8, et de construire la confiance parmi les larges masses que le Front Populaire est préparé a mener la bataille jusqu’au bout: jusqu’a la confrontation avec ce régime pourri, et avec le système économique tout aussi pourri qui le sous-tend.

Un immense fossé sépare la majorité des Tunisiens de l’establishment politique actuel. Si le Front Populaire ne formule pas urgemment de propositions d’action visant à organiser et construire le mouvement des masses dans cette nouvelle étape cruciale de la révolution, il risque d’en payer les frais, lui aussi.

 

Pour une nouvelle révolution! Pour la construction d’une lutte de masse afin d’imposer un gouvernement révolutionnaire des travailleurs, de la jeunesse et des pauvres!

Probablement jamais depuis la chute de Ben Ali la crise du pouvoir n’a été aussi clairement exposée aux yeux de tous qu’aujourd’hui. Mais le fait que la seule manifestation d’ampleur qui ait pris place contre le régime en place depuis la démission de Jebali ait été prise a l’initiative d’activistes indépendants sur les réseaux sociaux, atteste a la fois d’un certain vide en termes d’initiatives prises par la gauche, mais aussi de la détermination et de la disposition d’une couche importante du peuple tunisien, de sa jeunesse active en particulier, de ne pas lâcher la rue.

La plupart des organisations de la gauche tunisienne, à l’exception notable de la Ligue de la Gauche Ouvrière, défendent de fait une position ‘gradualiste’ de la révolution, considérant que la Tunisie doit d’abord devenir un pays capitaliste ‘développé’ et ‘démocratique’, libre de toute ingérence impérialiste, avant d’envisager, plus tard, une lutte pour le socialisme et pour le pouvoir des travailleurs. Cependant, une telle perspective gradualiste entre en conflit avec la réalité vivante, dans laquelle les questions démocratiques et économiques sont organiquement liées.

L’expérience des deux dernières années a clairement démontré que le développement social et la démocratie véritable ne viendront pas tant que le capital règne sur l’économie. La perpétuation d’un système axé sur le profit individuel et l’exploitation des travailleurs va main dans la main avec la nécessité de «domestiquer» les travailleurs et la population, et s’accompagne nécessairement d’un mouvement irrésistible vers la restauration d’une dictature économique et politique, sous une forme ou l’autre.

En Tunisie comme partout à travers le monde, le capitalisme est synonyme de pauvreté de masse, de crise économique et d’austérité généralisée. En Tunisie, cela va de pair avec une offensive majeure pour faire reculer la roue de l’histoire sur les questions sociétales et culturelles, utilisées comme un instrument de détournement et de domination. Les droits, les libertés et les loisirs des femmes, des jeunes, des artistes, des journalistes, des intellectuels et du mouvement ouvrier en tant que tel sont dans la ligne de mire des réactionnaires au pouvoir, de leur flicaille et de leurs milices.

Dans une telle situation, la seule voie possible pour arracher des mesures durables et substantielles afin d’alléger la souffrance des masses, ne peut être que de transformer les luttes défensives actuelles en une vaste offensive révolutionnaire vigoureuse afin de retirer le pouvoir économique et politique d’entre les mains de l’élite dirigeante et des forces capitalistes qui la soutiennent. Ceci afin de réorganiser la société en fonction des intérêts de la masse des Tunisiens, sur les bases d’un plan économique géré démocratiquement par les travailleurs et la population. Cette lutte doit être liée avec les luttes montantes du mouvement ouvrier international, dans l’objectif de renverser le capitalisme et d’établir une société libre, démocratique et socialiste, fondée sur la coopération, la solidarité et l’utilisation rationnelle des immenses ressources et techniques de la planète pour le bien de tous.

C’est pourquoi les sympathisants du CIO en Tunisie, actifs dans la Ligue de la Gauche Ouvrière (elle même composante du Front Populaire), militent en vue des revendications suivantes:

 

  • A bas le régime actuel et ses milices!
  • Ennahdha dégage! Pour la désobéissance civile jusqu’a la chute du régime nahdhaoui et de ses alliés! Pour l’organisation rapide d’une nouvelle grève générale de 24H, a renouveler jusqu’au balaiement de la clique au pouvoir!
  • Pour la convocation d’assemblées dans les quartiers, dans les universités, les écoles et les lieux de travail, afin de préparer la résistance collective contre le régime en place!
  • Pour la formation de comités de défense par les travailleurs, les jeunes et les masses pauvres, afin de protéger toutes les mobilisations contre les agressions et les attaques de la contre-révolution!
  • Stop a l’état d’urgence et a la répression! Pour la défense résolue du droit de manifestation et de rassemblement, et de toutes les libertés démocratiques!
  • A bas la vie chère! Pour une augmentation immédiate des salaires! Pour la formation de collectifs populaires de contrôle des prix pour lutter contre la spéculation!
  • Un emploi décent pour tous! Pour le partage collectif du temps de travail. Pour des indemnités permettant de vivre décemment pour tous les chômeurs du pays. Pour un plan ambitieux d’investissement public dans les régions pauvres!
  • Non aux plans antisociaux du FMI! Non au paiement de la dette de Ben Ali! -Non aux privatisations! Pour la réquisition sous contrôle des travailleurs de toutes les entreprises qui licencient!
  • Pour la nationalisation et la gestion, par les travailleurs, des secteurs-clés de l’économie: banques, compagnies d’assurance, entreprises industrielles, mines, transports, grande distribution,…
  • Pour un gouvernement révolutionnaire des travailleurs et de la jeunesse, appuyée par l’UGTT, l’UDC et le Front Populaire, sur la base d’un programme socialiste.

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