Le mouvement de libération des femmes des années ‘60 et ‘70 a atteint son sommet quand les femmes ont gagné le droit à l’avortement. Les femmes ont fait du droit à l’avortement une revendication centrale de leur mouvement car celles-ci avaient compris qu’elles ne seraient jamais égales aux hommes tant qu’elles ne pourraient avoir le contrôle de leur vie reproductive. Le droit à l’avortement est nécessaire dans une société qui attend de la femme qu’elle soit, financièrement et émotionnellement, responsable de l’éducation des enfants alors que celle-ci occupe un statut social inférieur à l’homme et est en général moins payée pour un même travail. La décision de mener sa grossesse à terme ou de l’interrompre doit être un choix qui ne doit appartenir qu’à la femme et non aux instances religieuses ou au gouvernement.
L’avortement reste à conquérir
La moitié des avortements dans le monde sont illégaux et non sans dangers pour la femme. Il y a quelques mois, en Irlande, une jeune femme est décédée suite à des complications de grossesse. Sa mort aurait pu être évitée si l’avortement avait été légalisé dans ce pays. De plus, les acquis ne sont pas éternels et dans les quelques pays où l’avortement est un droit, comme aux États-Unis, des pressions sont faites sur celui-ci.
Avec un approfondissement de la crise économique et le désarroi qui l’accompagne, nous devons nous attendre à ce que les forces réactionnaires tentent d’instrumentaliser ce thème. Chez nous, il existe le mouvement ‘‘pro-vie’’ dont la principale revendication est l’abrogation de la loi du 4 avril 1990 autorisant l’avortement. Ce mouvement rassemble ses troupes avec une ‘‘marche pour la vie’’ qui se déroule chaque année et tient également des piquets devant les centres d’avortement dans le but d’intimider et de culpabiliser les femmes.
Nous pensons qu’il ne faut pas laisser le champ libre à ces idées réactionnaires et pour ce, nous devons organiser la résistance. Quoi de mieux pour organiser celle-ci que de tirer des leçons des luttes qui nous ont précédées telle que la lutte pour un avortement gratuit aux États-Unis dans les années ‘60 et ‘70 ?
La lutte pour le droit à l’avortement aux USA
A la fin de la deuxième guerre mondiale, un nombre important de femmes avaient remplacé les hommes au sein des usines. Cette présence des femmes dans le monde du travail est un des éléments cruciaux qui va préparer l’émergence du mouvement de libération des femmes.
Le gouvernement américain, dans l’espoir que les hommes puissent reprendre leur place et leur statut supérieur, se lance alors dans une campagne de glorification des joies de la maternité et du travail domestique. Cependant, le fait de travailler ensemble et de gagner leur propre salaire amène les femmes, plus indépendantes économiquement et dont la conscience collective s’est développée, à ne plus vouloir retourner à la maison.
L’idée de maternité et de femmes au foyer reste cependant très prégnante au cours des années ‘50 et ne commencera à reculer qu’au début des années ‘60 avec l’apparition d’une nouvelle génération de jeunes femmes qui ne veulent plus vivre comme leurs mères. La légalisation, dès 1960, de la pilule contraceptive va également jouer un rôle considérable dans la révolution sexuelle des femmes et pour accroître leur autonomie face au devoir de maternité.
Cette prise de conscience des femmes se déroule dans un contexte de luttes intenses et rien ne va plus les inspirer que le mouvement des noirs et le mouvement contre la guerre du Vietnam. La détermination des Afro-Américains pour parvenir à l’égalité va pousser les femmes à se radicaliser et à s’interroger sur la manière d’éradiquer le sexisme.
En 1966, est créée la ‘‘National Organisation for Women’’ (NOW). Cette organisation, qui comptera plus de 40.000 membres en 1974, organise des protestations, engage des procès pour discrimination contre des entreprises et popularise des revendications telles que des crèches gratuites et le droit à l’avortement. A côté de la NOW, des jeunes femmes plus radicales forment des groupes de libération des femmes qui s’étendent dès 1969 sur plus de 40 villes.
Les termes de ‘‘libération’’ et ‘‘conscientisation’’, inspirés du mouvement des noirs et des idées socialistes, se retrouvent dans la bouche de ces jeunes radicales. Elles se réunissent pour parler franchement du sexisme et des stratégies pour l’éradiquer. Celles-ci considèrent les positions et activités de la NOW comme étant trop conservatrices et, à sa place, organisent des manifestations avec pour revendication le changement de la société dans l’intention de développer la conscience des autres femmes.
Rien ne semble pourvoir arrêter le mouvement, ce qui rend amère la hiérarchie catholique et les leaders protestants qui, du coup, font pression sur le gouvernement. Afin de répondre à ces attaques antiféministes intensives, la NOW appelle à une grève des femmes le 26 août 1970. Un débat s’ouvre alors sur ce que pourraient bien être les revendications des femmes. Alors que l’aile libérale se limite à demander une réforme des lois sur l’avortement existantes, les plus radicales réclament le droit à l’avortement gratuit, un salaire égal, la médecine gratuite,… L’appel pour une simple réforme est rejeté et, à sa place, les militantes insistent sur l’abrogation de toutes les lois interdisant l’avortement afin qu’une seule concernant l’avortement gratuit et accessible pour toutes soit créée par le gouvernement.
Entre 1969 et 1973, des centaines de protestations et conférences publiques sont organisées. Celles-ci, en plus d’être un outil intéressant d’organisation, sortent le thème de l’avortement du placard dans lequel on le cachait honteusement afin d’en faire une discussion publique.
La persistance du mouvement des femmes va pousser, début 1970, onze États, dont New-York et la Californie, à faire des concessions et à libéraliser leur loi sur l’avortement, qui est alors permis sous certaines conditions. Il va de soi que les militantes les plus radicales n’abandonnent pas leur revendication de gratuité de l’avortement. En effet, New-York attire de nombreuses femmes pour avorter et le prix de l’avortement grimpe pour devenir, au final, inaccessible aux femmes les plus pauvres.
Finalement, le 22 janvier 1973, la Cour Suprême abrogera les lois existantes sur l’avortement et établira une loi instituant l’avortement gratuit pour toutes! Le vote de cette loi s’est fait dans un contexte de lutte croissante et la classe dirigeante a senti que si elle ne faisait pas quelques concessions afin de pacifier les mouvements, elle courrait le risque de changements sociaux menaçant le sort même du capitalisme.
La lutte paye !
Les femmes ont eu à se battre pour obtenir des avancées en construisant leur propre mouvement de masse. Elles ont décuplé la force de leur mouvement en liant ses luttes à celles d’autres mouvements sociaux. Elles n’auraient jamais gagné le droit à un avortement gratuit s’il n’y en avait pas eu des millions d’autres qui protestaient contre le racisme, la guerre, l’homophobie, les conditions de travail déplorables,…
La victoire de femmes nous a prouvé que malgré la pression des politiciens, des médias et des entreprises, une minorité déterminée a été capable de construire un mouvement de masse qui a gagné à ses côté la majorité de la population. Le mouvement grandissant et apprenant de son expérience, les ailes socialistes et radicales ont rapidement obtenu du soutien et la stratégie libérale pour des changements graduels et temporaires a été écartée pour laisser place à la stratégie socialiste de lutte des masses qui a conduit à la victoire.
Aujourd’hui, toutes les attaques sociales et économiques et les atteintes à nos libertés orchestrées par les gouvernements nous montrent que les réformes sous le capitalisme sont toujours limitées et temporaires. C’est pourquoi nous pensons que la véritable libération de la femme ne pourra se faire que si celle-ci s’insère dans le mouvement révolutionnaire dont le socialisme constitue l’horizon.
Article par MANDY (Liège)