Le dimanche 24 mars dernier s’est déroulé la ‘‘Marche pour la Vie’’, et il a été question un moment d’une ‘‘Marche européenne pour la Vie et la Famille’’ en avril. A côté de ces manifestations, les activistes du ‘‘Sinterklaasgroep’’ (Groupe Saint Nicolas) tiennent des piquets hebdomadaires devant le centre d’avortement de Gand. Les femmes qui s’y rendent sont culpabilisées et intimidées de manière scandaleuse. Cette poignée de fanatiques a, depuis leur première action, grandi jusqu’à rassembler maintenant une vingtaine de personnes, et le planning familial de Gand n’est plus le seul centre visité régulièrement par ce groupe dont la revendication est l’abolition du droit l’avortement.
Il est grand temps de construire un contre-mouvement. Laisser passer la ‘‘Marche pour la Vie’’ sans contre-action signifie accepter que ces groupes réactionnaires occupent les médias sans aucune riposte. Au sein des plannings familiaux, il faut mener des campagnes qui pourront en finir avec leur présence. Mettre sous pression morale et émotionnelle des femmes à un tel moment n’est, en aucun cas, à considérer dans le cadre du droit à la libre expression : il s’agit clairement ici de harcèlements et de tentatives d’intimidation.
Construire un mouvement de défense du droit des femmes à disposer de leurs corps nécessite de répondre également à l’instrumentalisation populiste des problèmes sociaux par le mouvement ‘‘pro-vie’’. Le constat que la voie libérale n’a pas conduit à l’égalité sociale mène à la recherche d’autres solutions. Les mouvements de type ‘‘pro-vie’’ offrent un retour au passé. En tant que militants marxistes, nous devons montrer le chemin vers un futur débarrassé des discriminations, de l’oppression, de l’exploitation,… un avenir où aucun citoyen de second rang n’existerait.
Le démantèlement graduel de l’Etat-providence conduit à la pauvreté plus fortement encore pour les femmes
La féminisation de la pauvreté est régulièrement illustrée par diverses études. Ainsi, une enquête, de mars 2010, réalisée conjointement par la plate-forme de défense des droits des femmes Comeva et par la Fondation Roi Baudouin, a mis en lumière que 22% des femmes éprouvent des difficultés financières (7% affirment ne pas s’en sortir et 15% éprouvent des difficultés). 40% d’entre-elles affirment pouvoir s’en sortir, mais sans se permettre d’extra. Seules 30% déclarent vivre ‘‘confortablement’’.
Les bas salaires auxquels les femmes sont confrontées, liés au coût croissant de la vie (logement, énergie,…), assurent que les femmes célibataires risquent bien plus de sombrer dans la pauvreté que les femmes dont le revenu familial comprend un salaire masculin (généralement plus élevé). 60% des femmes qui ne s’en sortent pas, ou difficilement, sont célibataires (contre 25% des femmes qui s’en sortent) et 38% vivent seules avec leurs enfants (contre 11% pour celles qui s’en sortent).
36% des parents isolés, dont 80% sont des femmes, courent le risque de devenir pauvre. Travail et diplôme n’offrent pas de garantie pour échapper aux difficultés financières : 38% des femmes qui s’en sortent difficilement ont un diplôme supérieur et 30% travaillent à temps plein. La moitié des femmes déclarent être financièrement dépendantes de leur mari/copain et 11% affirment même rester avec lui faute de ne pouvoir financièrement s’en sortir si elle le quittait (14% des femmes en pauvreté, 7% de celles qui s’en sortent).
Cette étude montre qu’un gagne-pain masculin fait encore et toujours partie de la meilleure stratégie pour échapper à la pauvreté. Un constat pénible dans une société qui a longtemps affirmé que l’égalité entre homme et femme était à portée de main, pour ne pas dire complètement atteinte.
La crise et l’austérité menacent le reste des acquis d’après-guerre
L’austérité du gouvernement Di Rupo s’est déjà chiffrée à 18 milliards d’euros, et cela n’est pas près de finir. Il est à craindre que tout un tas d’attaques structurelles soient prévues après les élections de 2014. Après cela, pour la première fois depuis longtemps, il y aura quatre années sans élections.
Les pertes d’emplois les plus spectaculaires ont beau se produire dans les secteurs industriels, essentiellement masculins, les femmes sont très durement touchées par la crise. Elles ont été frappées par des décennies de sous-financement des soins sous toutes leurs formes : enfants, malades, personnes âgées, personnes handicapées,… ont, de plus en plus, besoin d’être pris en charge par la famille, faute de places suffisantes dans les diverses institutions. Comme les femmes gagnent généralement moins que les hommes, si quelqu’un doit moins travailler voire quitter son emploi pour prendre le relais des structures déficientes, la plupart du temps, il s’agit de la femme.
La poursuite de la destruction de nos services publics oblige de plus en plus de femmes à travailler à temps partiel et, donc, à perdre leur indépendance financière. Maintenant déjà, nombreuses sont celles qui doivent quitter, temporairement au moins, le marché de l’emploi à cause du manque de places abordables dans les crèches. La pénurie de places dans l’enseignement (ce qui implique qu’un nombre important d’enfants se rendent dans une école qui n’est pas dans leur voisinage) assure également que beaucoup de femmes éprouvent des difficultés à trouver un emploi à temps plein et à le conserver.
Les femmes sont aussi plus durement touchées par une série de mesures générales telles que le démantèlement de la pension légale ou la dégressivité des allocations de chômage. Selon Femma (Vie Féminine en Flandre, communiqué de presse du 31/10/2012), les chômeuses isolées vont être durement touchées par la dégressivité : ‘‘Elles finiront bientôt à 1090 euros/mois. Loin en-dessous du seuil de pauvreté européen.’’ Les femmes sont aussi surreprésentées dans la catégorie des ‘‘cohabitants’’, qui finissent au plus bas à 485 euros/mois. Cette mesure instaure aussi une nouvelle pression à la baisse sur les pensions alors que 60% des femmes ont déjà une pension en dessous des 1000 euros/mois (contre 30% des hommes).
“Les hommes doivent travailler moins d’heures, les femmes plus” (Monica De Coninck)
Si la double tâche (travail et tâches ménagères) empêche les femmes de devenir socialement égales aux hommes, faudrait-il alors que les hommes s’impliquent plus dans le ménage ? Cela fait partie de la rhétorique des féministes bourgeoises. Il est vrai que la division traditionnelle des tâches ménagères limite la progression des femmes sur le marché de l’emploi. Mais se contenter de dire qu’il ne s’agit que du ‘‘choix’’ de la facilité par les hommes est une erreur. Et si la solution réside uniquement dans une meilleure répartition : que faire des mères célibataires ?
Si l’homme âgé de 25 à 40 ans est le roi du marché de l’emploi, cela n’est pas suite à une décision des ‘‘hommes’’. En effet, les patrons les embauchent d’une part, parce qu’ils ne peuvent pas tomber enceints et d’autre part, parce que les patrons partent de l’idée que ces hommes ne vont pas être distraits de leur travail si leurs enfants tombent malades.
Les patrons embauchent des hommes parce qu’ils peuvent faire des heures supplémentaires, ce qui est d’ailleurs encouragé par le gouvernement (notamment par la Ministre de l’Emploi Monica De Coninck, SP.a) avec les baisses de charges sur les heures supplémentaires. Nous nous dirigeons graduellement vers l’annualisation du temps de travail. Cela signifie de dépasser le temps plein par moment, situation évidemment impossible à combiner avec la semaine de 32 heures de l’enseignement. Si nous voulons que les hommes s’impliquent plus dans le ménage et l’éducation des enfants, il leur faut travailler moins d’heures et non plus.
Si nous voulons que les femmes travaillent à temps plein, seule chance pour les femmes d’obtenir une réelle indépendance, le nombre d’heures pour un emploi à temps plein doit diminuer. Une diminution du temps de travail vers 32 heures par semaine sans perte de salaires avec des embauches compensatoires, ne serait pas seulement un pas important dans la résolution du chômage, mais permettrait aussi aux parents – hommes et femmes – de trouver un meilleur équilibre et une meilleure division d’une partie des tâches ménagères et des soins.
Il faut surtout socialiser une partie des tâches domestiques. De bons repas frais et de qualité sur les lieux de travail et à l’école libéreraient les familles – et surtout les femmes – de nombreuses heures de travail non-payées (courses, cuisine, vaisselle,…). Des lavoirs et des ateliers de repassage publics, avec un personnel au statut de fonctionnaire, créeraient de nombreux emplois tout en libérant du temps dans chaque foyer. Les emplois actuellement compris dans le système des titres-services devraient tomber dans ce statut public afin que tout le monde puisse en disposer et afin que le personnel, en grande majorité des femmes, reçoive de bonnes conditions de travail et de salaire.
Pour beaucoup de femmes, le temps partiel est une nécessité suite à la flexibilité du marché de l’emploi et de l’absence de services publics pour les tâches domestiques. Avec cette réalité, les paroles de De Coninck signifient de faire porter la responsabilité des bas salaires et des pensions sur les ‘‘choix’’ individuels des femmes et des hommes. Pourquoi? Parce qu’une telle ‘‘solution’’, en plus de ne rien coûter à l’État, rend les hommes responsables des bas salaires des femmes. Bref, la stratégie classique du diviser pour mieux régner.
Le mouvement “pro-vie” présente le passé comme la solution aux problèmes actuels
Que le mouvement ‘‘pro-vie’’ ne montre vraiment sa tête en Belgique qu’aujourd’hui n’est pas du tout étonnant au vu de l’insécurité sociale actuelle touchant une large couche de la population. Nous avons déjà vu que l’attrait de la famille traditionnelle est soutenu par le fait que les femmes s’en sortent généralement mieux avec un partenaire masculin. Nous avons également vu que la dégradation du marché de l’emploi amène de plus en plus de femmes (et surtout des mères) à ne plus gagner de revenus à part entière. Monica De Coninck affirme qu’il faut que plus de femmes travaillent à temps plein, mais elle refuse de créer les conditions matérielles pour y parvenir. De leur côté, les ‘‘pro-vies’’ disent qu’il faut en revenir à cette veille famille traditionnelle où la maman a du temps pour s’occuper des gosses. Ceux-ci passent, évidemment, sous silence que les femmes seront alors totalement dépendantes de leur mari et auront un horizon limité à leur famille.
Beaucoup de jeunes femmes parviennent à la conclusion qu’au vu des bas salaires des femmes et des frais élevés de l’éducation d’un enfant, le jeu n’en vaut vraiment pas la chandelle. Elles revendiquent le droit de rester à la maison plus longtemps avec leurs enfants et de pouvoir travailler à temps partiel au moins provisoirement pour ne pas avoir une vie extrêmement épuisante pour un revenu ridicule. Nous partageons ces revendications, qui ne devraient d’ailleurs poser aucun problème au vu de la productivité d’aujourd’hui. Ces revendications reflètent le fait que ‘‘la famille’’ est également un ‘‘lieu de travail’’, même s’il n’est pas rémunéré. Les ‘‘pro-vies’’ instrumentalisent cette situation et revendiquent un salaire de femme au foyer.
Notre alternative est fondamentalement différente : plus de flexibilité en faveur des parents qui travaillent, la reconnaissance de six mois minimum de congé parental obligé et le paiement du salaire complet (pour les mères et les pères), le droit de travailler au moins temporairement à temps partiel sans subir une grande perte de salaire au moment où les tâches familiale exigent plus de temps (enfants malades, soins aux personnes âgées,…), etc. Ces mesures faciliteraient grandement la vie de nombreuses femmes et permettraient aux hommes de s’impliquer plus fortement dans les tâches ménagères et des soins sans que cela implique une forte perte de revenus.
L’élargissement de ce genre de possibilités dans le cadre de la sécurité sociale (il faudrait donc augmenter – et fortement! – les contributions patronales) protégerait beaucoup de femmes de la perspective de devenir femme au foyer permanente, avec tous les désavantages que cela comporte (dépendance et isolement, possibilités limitées de développement de soi, répétition infinie des même tâches simples,…).
Dans la société capitaliste, ces solutions sont censées être ‘‘impossible à payer’’. Non pas que cela soit effectivement impossible à payer, mais bien parce que cela nécessite d’aller chercher l’argent là où il est : parmi l’élite de riches. Sur ce point au moins, la Ministre de l’Emploi rejoint le mouvement ‘‘pro-vie’’: leurs ‘‘solutions’’ ne touchent pas à cette élite.
Pro-avortement ou pro-choix ?
Nous ne pouvons pas laisser le moindre doute : le droit à l’avortement est un droit fondamental qui doit être défendu bec et ongles. Personne ne peut décider à la place de la femme de garder un enfant ou pas. Dans ce sens, la loi belge est toujours limitée : la période durant laquelle l’avortement est légalement possible est restreinte, sauf en cas de danger pour la mère ou l’enfant. Ceux qui en ont les moyens peuvent encore se rendre à l’étranger, les autres n’ont qu’à se débrouiller. Dans une société où les salaires des femmes baissent au fur et à mesure que les femmes ont plus d’enfants, où les mères isolées courent un énorme risque de pauvreté, où la violence conjugale est largement répandue,… le contrôle de ses propres capacités reproductrices est très important et nécessaire.
Penser que l’abolition du droit à l’avortement conduit à une baisse de l’avortement est d’ailleurs une dangereuse illusion. L’interdiction légale ne conduit qu’à une augmentation des pratiques dangereuses, pouvant conduire à l’infertilité ou à la mort. Une étude de l’Organisation Mondiale de la Santé a démontré qu’en 2008, 49% des avortements à travers le monde étaient des avortements à risque où 1 femme sur 8 a perdu la vie.
L’an dernier, la mort de la jeune Savita Halappanavar en Irlande nous a montré l’importance de rendre légal l’avortement. Sa vie était en danger suite à des complications lors de sa grossesse, son fœtus n’était plus viable. Un avortement aurait pu lui sauver la vie, mais cela est toujours illégal en Irlande. L’idéologie soi-disant ‘‘pro-vie’’ a du sang sur les mains ! La défense du droit à l’avortement doit être menée sur différents terrains. Dans beaucoup de pays et de régions, ce droit est mis sous pression à l’initiative des conservateurs. Mais des politiciens soi-disant ‘‘progressistes’’ mettent également ce droit en danger avec des coupes budgétaires dans les moyens des soins de santé, en limitant le financement de l’aide aux personnes, en rendant l’opération plus chère,…
Mais la seule défense du droit à l’avortement n’offre pas de réponse au discours utilisé par les “pro-vies” dans le but de séduire des couches plus larges. Ce mouvement dénonce que la société ne soutient pas assez les familles nombreuses et impose ainsi aux femmes pauvres de pratiquer l’avortement. Ses membres affirment encore que du fait de l’absence de moyens mis en place pour les personnes handicapées, les femmes enceintes d’un enfant handicapé sont du coup mises sous pression pour avorter.
Ce discours peut être considéré comme un peu plus social, mais leurs ‘‘solutions’’ sont loin de l’être. Leur alternative à l’avortement est de donner l’enfant en adoption, y compris pour des cas de viol ou de mère mineure. Et quelle est leur solution pour le manque de services de soins de santé ? La femme au foyer ! Et la contraception libre et gratuite ? Non, abstinence !
Nous défendons le droit à un véritable choix, ce qui comprend le droit à l’avortement, mais ne s’arrête pas à ça. Il ne devrait pas y avoir de femmes qui, désireuses d’avoir des enfants, soient forcées à avorter pour des raisons financières ou parce que leur double tâche dépasse déjà leur force.
Pour cela, il faut construire une société où avoir des enfants ne conduit pas à l’appauvrissement ou à la double tâche pour les femmes, une société où les allocations familiales couvrent les coûts réels d’un enfant, où chaque enfant a une place dans des structures accessibles et de qualité, où il existe des services de qualité qui allègent les tâches domestiques et qui offrent des soins à ceux qui en ont besoin,… et où personne n’est pas menacé de pauvreté à cause de bas salaires et de basses allocations.
Avec la société actuelle régie par le capitalisme, les progrès des femmes sur tous ces terrains reculent depuis déjà un bon bout de temps, non pas faute de moyens, mais parce que ces moyens sont de plus en plus accaparés par une infime élite toujours plus riche.
Cette élite maintient un système à son avantage, qui crée la pauvreté et qui refuse à toujours plus de monde de pouvoir décider réellement de l’orientation de sa vie. Ce système crée systématiquement de nouvelles crises et en fait payer la facture à la majorité de la population. Leur contrôle sur les richesses assure que celles-ci ne soient disponibles que pour ceux qui engrangent du profit, et tant pis pour le reste.
La lutte pour une véritable liberté de choix ne peut parvenir à sa conclusion logique qu’avec la victoire de la lutte pour le socialisme démocratique, un système où la production sera démocratiquement planifiée pour satisfaire les besoins de la majorité de la population.
Article par ANJA DESCHOEMACKER