Ces dernières semaines, nous avons étés témoins d’une solidarité internationale qui a fait chaud au cœur : des manifestants au Brésil portaient des pancartes avec l’inscription “We are all Taksim Square” tandis que de Turquie retentissait la réponse : “Brésil et Turquie : même combat”. Les deux mouvements de contestation ne manquent pas de points communs : ils s’opposent à une politique néolibérale qui investit dans des projets de prestige au lieu d’offrir des services sociaux essentiels et contestent également le caractère anti-démocratique de cette politique.
Par MATHIAS S (Anvers)
Il n’y a pas qu’au niveau des causes que des parallèles peuvent être trouvés. La réaction de l’Etat fut elle aussi semblable. En Turquie comme au Brésil, les autorités ont tenté de réduire au silence des manifestants pacifiques en recourant à une répression brutale. Des milliers de personnes ont été blessées et arrêtées. En Turquie, la répression du régime a même conduit à la mort de plusieurs personnes.
Cette féroce répression n’est pas restée inaperçue sur le plan international et, dans bien des pays, des manifestations de solidarité ont pris place. Des politiciens européens de premier plan se sont même vus forcés de condamner la violence policière. Sous la pression, Angela Merkel a même dû déclarer: “Ce qui se passe actuellement en Turquie, ne correspond pas à nos idées de la liberté de manifester et de la libre expression ”. Mais, début juin, lorsque la manif de Blockupy s’est déroulée à Frankfort, elle a été dispersée à coup de matraques par les robocops allemands. La sympathie de la chancelière est visiblement à géométrie variable.
L’hypocrisie de ces politiciens ne connait pas de limites. Ces dernières années, plusieurs gouvernements ont forcé leur population à accepter une austérité drastique. Quand des manifestations de masse ont vu le jour, les grenades lacrymogènes et les matraques sont entrées dans la danse. Espagnols, Portugais, Grecs ou Allemands ont pu constater de leurs yeux quelle idée de la liberté d’expression se font les dirigeants européens.
En Belgique aussi, ce droit reste fragile, comme l’a encore illustré l’arrestation de 80 personnes lors d’une action contre Monsanto à Anvers le 25 mai dernier. Récemment, la classe dominante a encore élargi son arsenal d’outils répressifs avec les Sanctions Administratives Communales (SAC). Mieux vaut commencer à mettre des sous de côté avant d’exprimer son opinion ou de faire usage de son droit de manifester : une manifestation spontanée peut, avec les SAC et les ‘combitaxes’, facilement devenir une affaire de l’ordre de quelques centaines d’euros.
Le rôle de l’Etat
Le fait que la contestation soit partout dans le monde confrontée au même cocktail de répression et de persécution n’est absolument pas neuf. Au 19ème siècle, Friedrich Engels avait déjà remarqué ‘‘qu’en dernière instance, l’État est une bande d’hommes armés”. La politique néolibérale est un désastre pour quasiment tout le monde. Quasiment car, pour certains, elle représente tout sauf peine et misère. Dans le monde entier, les riches profitent admirablement de la crise. En Belgique, on compte 6.000 millionnaires de plus en 2012 par rapport à 2011. À l’échelle mondiale, environ 111.000 personnes possèdent 35% de la richesse ! Ce sont les intérêts de cette élite que l’Etat défend avec acharnement.
La confirmation de cet état de fait se retrouve dans la réalité de tous les jours. Cela va des requêtes unilatérales pour casser les piquets de grève à la proclamation d’une loi interdisant la hausse des salaires. Ce sont des mesures qui profitent à la classe dominante, aux patrons.
Il n’est pas étonnant que le gouvernement joue un tel rôle sous le capitalisme. Dans une société de classe où la classe dominante, une petite élite, s’enrichit au détriment de la grande majorité, cette élite a besoin d’un appareil pour imposer sa volonté aux masses exploitées. Marx décrit l’Etat sous le capitalisme comme n’étant ‘‘pas plus qu’un conseil qui gère les affaires communes à toute la classe bourgeoise.’’
La tâche de l’Etat consiste à défendre les intérêts de la classe dominante à court mais aussi à long terme. Sous le capitalisme, cela signifie de maximaliser les profits du capitaliste mais aussi de maintenir le système lui-même, ce qu’il accomplit en protégeant le pilier de cette société : la propriété privée des moyens de production (entreprises, banques, moyens de transports et de communication,…)
Les intérêts à court et à long terme entrent parfois en conflit. Cela explique par exemple la création de l’Etat-providence. Dans l’après-guerre, des concessions sociales et économiques ont été faites par en haut à la classe ouvrière afin de prévenir toute révolution par en bas. Ceci, couplé à une croissance économique sans précédent, a eu pour résultat une amélioration considérable du niveau de vie de la majorité de la population dans les pays développés. La politique néolibérale souligne aujourd’hui plus clairement que jamais que, sous le capitalisme, toute concession n’est que temporaire.
Dans la société capitaliste, la démocratie parlementaire est en effet la manière la plus efficace dont dispose les capitalistes pour imposer leur volonté avec un minimum de résistance. Mais les valeurs démocratiques ne sont cependant pas sacrées pour la bourgeoisie. Là où la démocratie parlementaire n’arrive plus à défendre leurs intérêts, elle n’hésite pas à l’écarter. Par exemple, l’an passé, en Grèce, on a vu que le pouvoir a été temporairement confié à un gouvernement technocratique qui avait pour tâche d’appliquer coûte que coûte les mesures d’austérité avant les élections.
Dans les années ’30, des méthodes plus radicales ont été nécessaires pour maintenir la situation révolutionnaire sous contrôle. Dans plusieurs pays, la bourgeoisie joua la carte du fascisme, lequel opprima les syndicats et les partis de gauche de manière extrêmement violente et atomisa ainsi la classe ouvrière. Toutefois, avec cette expérience, la bourgeoisie se brula sérieusement les doigts. Les théories conspirationnistes qui représentent la classe dominante comme un groupe de stratèges extrêmement rationnels ayant toujours la situation bien en main font trop honneur à la bourgeoisie.
Big Brother détermine nos droits démocratiques
Ces dernières décennies, les droits démocratiques ont étés systématiquement restreints. Les attaques contre les tours du WTC à New York en 2001 ont été instrumentalisées pour introduire bon nombre de lois qui ont accordé considérablement plus de pouvoir à l’Etat. Des lois soi-disant conçues pour faire face à la menace du terrorisme sont tout aussi aisément appliquées contre des mouvements de contestation comme Occupy aux États-Unis ou le mouvement actuel en Turquie.
Le récent scandale dévoilant que le gouvernement américain contrôle, dans le monde entier, les conversations téléphoniques, les courriels,… à une échelle sans précédent témoigne du fait que cette évolution est déjà bien avancée. Des commentateurs ont même affirmé que la NSA (National Security Agency) dispose d’une quantité d’informations sur la population bien supérieures à ce dont la Stasi, le service secret Est-allemand, aurait jamais pu rêver. L’image de cette NSA observant chacun sans relâche fait immédiatement penser à l’image de Big Brother, du roman ‘1984’ de George Orwell. Il y a tout de même une grande différence avec la dystopie (le contraire d’une utopie) représentée par Orwell. Alors que le Big Brother d’Orwell est un phénomène purement étatique, il existe aujourd’hui bien des entreprises privées qui s’en mêlent. Edward Snowden, celui par qui le scandale est arrivé, travaillait par exemple pour un sous-traitant de la NSA. La folie est ainsi poussée à son comble !
La crise capitaliste, le manque de contrôle démocratique ainsi que la répression et le contrôle croissant sont des symptômes d’un système malade. Au fur et à mesure que la crise s’approfondira, les mesures deviendront plus drastiques. La seule manière de mettre fin à l’oppression est d’en finir avec le capitalisme. Seule une alternative socialiste où les moyens de production ne sont pas aux mains d’une petite élite peut apporter une réponse aux problèmes actuels. Dans la prochaine période, il sera crucial de construire une force qui, avec un programme et une tactique appropriés, pourra parvenir à ce résultat.