Débat. Le socialisme, idée d’avenir ou dépassée ?

Dans le livre ‘Postcapitalism’, Paul Mason affirme que les perspectives à long terme pour le capitalisme ne sont pas bonnes et que la fin du capitalisme découlera du développement de la technologie, notamment les technologies de l’information qui ne peuvent pas être restreintes aux limites étroites de l’État-nation et de la propriété privée capitaliste des moyens de production. Mais il relègue le mouvement des travailleurs et le socialisme au passé pour préférer une alternative dans le no man’s land politique du ‘‘post-capitalisme’’.

Par Peter Taaffe, secrétaire général du Socialist Party (CIO-Angleterre et Pays de Galles)

Ce n’est pas à la classe ouvrière de s’occuper du post-capitalisme selon lui, puisqu’elle appartient appartient au passé. Cela se produirait plutôt par le biais de ‘‘la connaissance générale (…) où l’esprit de chacun sur terre est relié à celui des autres par le partage des connaissances et où chaque pas en avant bénéficie à tout le monde.’’ En tant que journaliste de Channel 4 et auparavant de Newsnight, l’ancien marxiste Paul Mason est influencé par le mouvement Occupy.

Ce mouvement a sans nul doute constitué une étape importante dans la prise de conscience politique de la nouvelle génération aux États-Unis et dans le reste du monde, tout comme l’ont été les mouvements des Indignés en Espagne, en Grèce,… Cela, nous l’avons salué. Mais Mason ne se base pas sur les forces et le potentiel du mouvement, il se réfère à ses faiblesses : la soi-disant ‘spontanéité’ et la naïveté qui l’accompagne dans la confrontation avec le capitalisme. L’idée qu’un mouvement généralisé de la jeunesse délibérément ‘non-organisé’ pourra se développer et être capable de renverser le capitalisme ‘moderne’ brutal et de neutraliser la machine d’Etat mène à l’impasse. Une partie du mouvement Occupy – entre autres à Seattle avec l’élection de notre camarade Kshama Sawant – a tiré la conclusion que l’action politique est également nécessaire pour parvenir à un changement.

Une mauvaise compréhension du marxisme

Mason se trompe quand il dit que le marxisme sous-estime la capacité d’adaptation du capitalisme. Marx a expliqué qu’aucun système dans l’histoire ne disparait de la scène sans avoir épuisé toutes ses possibilités. Cela ne doit pas être interprété, comme le fait malheureusement Mason, de façon crûment ‘déterministe’ économique. Au bout du compte, les développements économiques peuvent être décisifs, mais l’État et la politique jouent également un rôle crucial dans l’ensemble du processus.

Mason est également partial dans son analyse de la classe des travailleurs. ‘‘Le marxisme avait tort à propos de la classe ouvrière. Le prolétariat s’est rapproché le plus d’une force historique collective éclairée issue de la société humaine. Mais 200 ans d’expérience montrent également que le prolétariat se préoccupe principalement de ‘la vie malgré le capitalisme’ au lieu de le renverser. La littérature de gauche est remplie d’excuses à l’histoire de 200 ans de défaites: l’Etat était trop fort, la direction trop faible, l’aristocratie ouvrière avait trop d’influence,… La classe ouvrière ne défendait pas inconsciemment le socialisme, elle avait conscience de ce qu’elle voulait et cela s’est reflété dans ses actions. Elle voulait une forme plus viable de capitalisme.’’

Durant le 20e siècle – marqué par des guerres, des catastrophes économiques et sociales, des révolutions et des soulèvements – il n’y aurait donc, selon Mason, eu aucune tentative de mettre sur pied un nouveau monde socialiste. Mason parvient à ne pas tenir compte de la révolution russe, de la révolution allemande de 1918-1923, des occupations d’usines italiennes de 1920 et de celles qui ont eu lieu dans les années 1930 aux États-Unis, de la révolution espagnole de 1931-1937 ou encore de mai 1968 en France. Tout ceci était apparemment un grand malentendu. Selon lui, au lieu de la révolution et la perspective d’une nouvelle société, les masses ont versé leur sang et se sont données tant de peine pour parvenir à une forme durable de capitalisme.

La conscience socialiste

Mason a une vision complètement unilatérale et déterministe de la conscience, alors que celle-ci se forme par le biais d’une combinaison d’événements et de l’expérience collective de la classe ouvrière, en particulier celle des meneurs et du rôle crucial des partis et de leurs dirigeants. La mythologie romaine affirme que Minerve est sortie entièrement formée de la tête de Jupiter. Mason pense apparemment que la conscience de la classe ouvrière s’est formée d’une manière similaire, indépendamment des changements objectifs.

De quelle autre façon peut-il expliquer que le projet de gauche des 25 dernières années s’est effondré: ‘‘le marché a détruit la planification, l’individualisme a remplacé le collectivisme et la solidarité, la plus grande partie des travailleurs dans le monde ressemble au ‘prolétariat’, mais ne pense pas et n’agit pas comme il le faisait autrefois.’’ Ceci indique que Mason n’a pas compris comment l’effondrement du stalinisme, dans le contexte d’une période de croissance capitaliste, a eu – et a toujours – un énorme impact sur la conscience politique de la classe ouvrière.

Le démantèlement de l’économie planifiée – qui était un point de référence pour la classe ouvrière en dépit de la monstrueuse bureaucratie – a permis à la classe dirigeante de mener une campagne massive vantant les avantages du capitalisme sur le ‘socialisme discrédité’. Ce fut une défaite politique majeure qui a frappé la conscience du mouvement ouvrier et de la classe ouvrière dans le monde entier, même si cela s’est produit à une autre échelle que les lourdes défaites qui ont suivi la victoire du fascisme dans les années 1930.

Même après la crise de 2007/08, les capitalistes ont continué de prétendre par tous les moyens en leur possession qu’il n’y a pas d’alternative au marché. Les dirigeants syndicaux et la social-démocratie les ont longtemps suivis sur cette voie en glissant toujours plus loin à droite. C’est la raison pour laquelle la classe ouvrière, dans le sens large du terme, mais aussi les couches les plus instruites, en dépit d’une lutte héroïque contre le raz-de-marée du capital, n’a pas encore assimilé la véritable alternative que constitue le socialisme démocratique face au capitalisme contemporain.

Toutefois, il y a eu des pas en avant. L’élection de Kshama Sawant à Seattle et la campagne pour l’élection présidentielle américaine de Bernie Sanders indiquent que de nouvelles graines ont été semées, qui commence à éclore, et ne demande qu’à croître la conscience socialiste. Ceci est même possible aux États-Unis, le bastion du capitalisme mondial. L’Europe touchée par la crise et le reste du monde ne se feront pas attendre longtemps.

Le socialisme utopique

Les alternatives de Paul Mason sont tout sauf modernes et ne constituent pas une avancée par rapport aux ‘‘vieilles idées du socialisme’’. En substance, cela se résume à un retour à l’idée des coopératives. C’est la même idée qui a été défendue en son temps par Robert Owen et d’autres, avant que le marxisme n’existe et que le mouvement ouvrier ne soit politiquement conscient. Owen était un utopiste et ses projets ont échoué. Ce fut une tentative héroïque pour créer des ilots de socialisme au milieu de l’océan capitaliste. L’objectif était de changer la société sans que la société ne le remarque.

Mason affirme que les socialistes utopiques ont échoué parce qu’ils n’ont pas disposé de suffisamment de temps, mais que maintenant, il est possible d’atteindre l’abondance grâce aux technologies de l’information. Il a tort sur plusieurs points. Comme expliqués par Marx et Engels, à l’époque, les socialistes utopiques ont développé ces idées parce que la classe ouvrière n’était pas encore suffisamment développée pour constituer une force politique indépendante avec une conscience de classe.

L’échec des mouvements radicaux – particulièrement de Syriza en Grèce – a négativement affecté Mason. Mais cela ne constitue qu’une étape dans la lutte de classe dont des leçons doivent être tirées pour la suite et en particulier que non seulement des organisations fortes sont nécessaires, mais aussi une direction déterminée à mener le combat jusqu’au renversement du capitalisme pour commencer une nouvelle ère socialiste. Sur ce point crucial, le livre de Mason n’est malheureusement pas utile.

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