Le 8 mars 2019 en Belgique : actions, débrayages, manifestations, grèves…

La Journée internationale de lutte pour les droits des femmes renoue avec ses traditions combatives !

L’an dernier, la campagne ROSA (Résistance contre l’Oppression, le Sexisme et l’Austérité) était la seule organisation à prendre l’initiative pour de réelles actions et à refuser de se limiter à des conférences, des débats, des actions orientées vers les médias,… en organisant des marches dans plusieurs villes. Cette année, les appels à entrer en action se sont faits plus nombreux. L’appel à la grève lancé par différents syndicats représente un grand pas en avant.

Par Anja Deschoemacker

Deux raisons principales expliquent ce phénomène. Les mobilisations croissantes concernant l’émancipation des femmes ont d’une part constitué une véritable tendance ces dernières années. D’autre part, un agenda social tumultueux s’est développé depuis la chute du gouvernement fin de l’an dernier. Les négociations sur la norme salariale entre syndicats et organisations patronales ont été rompues et une grève générale massive a pris place le 13 février. La jeunesse s’est soulevée pour le climat et c’est dans ce contexte que se préparent les prochaines élections régionales, fédérales et européennes.

Avec cet article, nous voulons examiner de plus près le mouvement féministe actuel. D’où provient-il ? Sur quoi repose-t-il ? Quelles sont ses revendications et quelle est son orientation ? Quelles sont ses similitudes et ses différences avec les vagues féministes antérieures ? Quelles forces y sont présentes ? Qui sont les alliés du féminisme socialiste et quelle est actuellement la force du féminisme bourgeois ?

Un niveau d’activité élevé tel que celui d’aujourd’hui ne tombe pas du ciel. On a pu de plus en plus entendre les jeunes femmes et les travailleuses au travers d’un nombre croissant de campagnes autour du sexisme et du harcèlement, mais aussi par le biais de conflits sociaux croissants dans les ‘‘secteurs de travail féminisés’’, en particulier dans les soins de santé où la ‘‘colère blanche’’ n’a jamais vraiment disparu depuis les premières actions de masse du secteur en 1988.

Le nombre de femmes travaillant à l’extérieur du foyer a explosé depuis les années 1960

Depuis la vague féministe des années 1970, la participation des femmes au marché du travail s’est généralisée. Alors que dans les années 1950 et 1960, il était encore habituel pour les femmes mariées avec enfants de se retirer du marché du travail (le modèle du soutien de famille), le modèle à deux revenus est aujourd’hui complètement dépassé.

Aujourd’hui, un pourcentage élevé de femmes sans-emploi se trouve principalement dans les familles monoparentales. Chez elles, combiner responsabilités familiales et professionnelles est souvent irréalisable en raison d’une part de la combinaison infernale des bas salaires de de la grande flexibilité et, d’autre part, de services comme les crèches trop peu accessible, trop coûteux et peu flexibles. La part la plus forte des femmes sur le marché du travail se retrouve parmi les femmes célibataires sans enfant et les femmes en couple avec enfants.

Une étude réalisée en 1994 par le Centre de politique sociale de l’Université d’Anvers donne les chiffres suivants : ‘‘Depuis les années 1960, et surtout depuis les années 1970, la participation des femmes au marché du travail n’a cessé d’augmenter. En Belgique, le taux d’activité des femmes est passé de 27,7% en 1970 à 33,1% en 1985 et 41% en 1993. Au cours de la même période, le taux d’activité des hommes est passé de 70% en 1970 à 58% en 1993. (…) L’augmentation de la participation au marché du travail a été très importante, en particulier chez les femmes mariées et les femmes vivant en couple. En Flandre, cette participation est passée de 34,5% (1976) à 61% (1992) sur une période relativement courte de 15 ans. La Wallonie suit la même tendance, mais à un rythme un peu plus lent.’’ (1)

Depuis 1994, cette tendance s’est totalement inversée. Dans ‘‘Tendances du marché du travail belge 1983-2013’’, Statbel, l’office belge de statistique, a réalisé l’analyse suivante sous le titre ‘‘Profil socio-économique de la population active (1983-2013)’’ : ‘‘Le nombre de femmes qui travaillent a augmenté de 75%. Le nombre total de personnes actives a augmenté de plus d’un million entre 1983 et 2013. En 2013, 4.530.000 personnes étaient employées comparativement à 3.457.000 en 1983. Bien qu’il y ait encore toujours moins de femmes que d’hommes sur le marché du travail, le nombre de femmes au travail a augmenté de façon spectaculaire au cours des trois dernières décennies. En 30 ans, 890.000 femmes ont intégré la population active, soit une augmentation de 75 %. Le nombre d’hommes ayant un emploi a augmenté beaucoup moins rapidement (+ 8%). En 2013, les femmes représentaient 46% de la population active, contre 34% en 1983. Nous assistons donc clairement à une féminisation du travail.’’

‘‘Alors qu’en 1983, 36,3 % des femmes âgées de 15 à 64 ans occupaient un emploi, ce pourcentage était de 57,2 % en 2013. Le taux d’emploi masculin, qui était de 66,4% en 2013, est resté relativement stable au long de cette période (entre 66% et 69,5%). Ces dernières années, le taux d’emploi des hommes a connu une légère tendance à la baisse en raison de la crise financière et économique, qui a principalement affecté l’emploi des hommes dans l’industrie. L’important mouvement de rattrapage des femmes sur le marché du travail assure que l’écart entre le taux d’emploi des hommes et celui des femmes diminue, passant de 32,5 points de pourcentage en 1983 à 9,2 points en 2013.’’ (2)

Les femmes surreprésentées dans les secteurs forcés d’entrer en lutte

Aujourd’hui, la majorité des femmes occupent un emploi, mais cela ne signifie pas qu’elles sont devenues financièrement indépendantes. Près de la moitié des femmes qui travaillent occupent un emploi à temps partiel. Elles ne peuvent souvent pas prétendre à l’indépendance économique sans vivre sous le seuil de pauvreté dans cette période où le coût d’un logement et celui de la vie de façon générale est très élevé. Une partie de cette situation provient également du fait que la quasi-totalité des aides, comme les allocations de chômage pour temps partiel, ont été supprimées au cours de ces trois décennies de politiques néolibérales.

Les femmes représentent la majorité des travailleurs dans de nombreux nouveaux secteurs caractérisés par de bas salaires, le temps partiel, les contrats temporaires et précaires et les faibles traditions syndicales, voire leur absence pure et simple. Elles sont même plus de 90% dans des secteurs tels que celui des accueillantes d’enfants ou encore dans les sociétés de Titres-Services. La croissance du secteur des services – tant privés que subventionnés par l’État – a longtemps été le principal facteur de croissance de l’emploi sur le marché du travail, tandis que l’emploi industriel n’a cessé de baisser.

La croissance des statuts précaires sévit également dans les services publics. En de nombreux endroits, le nombre d’employés contractuels a dépassé le nombre d’employés statutaires. C’est le fruit de décennies de politique de coupes budgétaires, notamment par le biais de l’interdiction des nominations. En d’autres termes : le nombre d’emplois publics incapables d’offrir une sécurité suffisante pour vivre de manière indépendante sans connaître la pauvreté a considérablement augmenté.

Depuis des années, on observe une grande volonté d’entrer en action dans ces secteurs. Dans le secteur des soins – un secteur féminin par excellence, même si de plus en plus d’hommes y travaillent – la colère des blouses blanches est bien connue. Depuis la fin des années 1980, le secteur entre régulièrement en lutte et de manière massive pour de meilleurs salaires et conditions de travail. La présence syndicale et les traditions syndicales se sont renforcées et cela continue d’être le cas. Dans le secteur de la grande distribution, le patronat a lancé une attaque généralisée contre les conditions de travail précédemment obtenues. Les travailleuses y sont au cœur de la résistance.

La réalité du marché de l’emploi – et ses conséquences sur la vie et la position de larges couches de femmes – entre durement en conflit avec le post-féminisme qui a dominé durant toute une période historique après la dernière vague féministe. Un énorme fossé s’est creusé entre d’une part les organisations féministes officielles et leur propagande et de l’autre la réalité vécue par les femmes, surtout les plus jeunes d’entre elles. Lorsque les luttes des femmes ont refait surface, ce n’était pas autour de figures connues du féminisme bourgeois, ni autour des revendications habituelles de ces milieux. Aux Etats-Unis, la nouvelle lutte des femmes a commencé au moment même où Hillary Clinton – figure centrale du féminisme bourgeois soutenue par toutes les organisations féministes officielles – avait subi une défaite douloureuse contre Trump.

Les femmes représentent une minorité plus conséquente dans les syndicats

La FGTB a illustré sa campagne vers la grève générale du 13 février et sa campagne pour un salaire minimum horaire de 14 euros par toute une série d’emplois ‘‘féminins’’ où le salaire horaire minimum est bien inférieur à 14€ : dans le nettoyage, l’assistante maternelle, la coiffure,…

Au cours des 10 à 15 dernières années, dans les deux grandes fédérations syndicales, la présence d’un grand nombre d’affiliés féminins exigeant que des actions soient adoptées s’est traduite par une plus grande sensibilité à l’égard de quelques revendications essentielles pour les travailleuses. Il n’est plus seulement de quotas dans les structures syndicales (comme dans les années ‘80), mais de prise en charge de revendications et d’organisation ou de soutien pour des luttes qui intègrent les femmes dans les luttes syndicales.

Ces dernières années, les deux grandes fédérations syndicales ont développé des campagnes spécifiques pour les droits des femmes. Et la recherche de revendications, de programmes, de stratégies et de tactiques va bon train. Il y a deux ans, en Flandre, la FGTB a rompu sa coopération avec Zij-kant autour de la Journée pour l’égalité salariale. Zij-kant est l’organisation des femmes de la social-démocratie flamande bourgeoisifiée, une organisation que l’on ne distingue qu’avec grand peine des organisations de femmes libérales. Les commissions femmes des syndicats sont à la recherche d’inspiration et d’un programme, ROSA est régulièrement invitée à ce titre pour y présenter son approche, ce qui s’est tout récemment produit pour la première fois également du côté du syndicat chrétien.

La grève du 8 mars

En Belgique, l’absence de traditions ou le manque d’attention dans le mouvement ouvrier vis-à-vis de l’oppression spécifique des femmes entraine une certaine confusion dans le débat, comme cela a été illustré par la collaboration de la FGTB et de Zij-kant.

Après l’émergence du phénomène MeToo, le syndicat chrétien a non seulement lancé des études sur l’importance du harcèlement sexuel dans un certain nombre de secteurs féminins, mais il a également eu une grande discussion interne sur la question du sexisme et du harcèlement sexuel au sein de ses propres rangs. Il a favorablement réagi à l’appel à la grève d’un collectif d’activistes féministes essentiellement petites-bourgeoises qui s’est formé l’an dernier sous le nom de ‘‘Collecti.e.f 8 maars’’.

En lançant cet appel, le collectif a donné l’impulsion à un appel croissant pour la grève, ce qui est très positif. Leur appel lui-même est cependant très limité. Le collectif appelle à une grève des femmes du travail rémunéré, des soins aux autres, des tâches ménagères, du sexe et de la consommation. L’appel a été repris tel quel par la CNE (syndicat chrétien des employés) mais, une fois en discussion à l’intérieur du syndicat, ce caractère n’a pas pu être maintenu. Le préavis de grève dans les secteurs où il a été déposé – avec dans certains lieux de travail une véritable mobilisation en vue d’une grève en bonne et due forme – mobilisent les femmes comme les hommes et, évidemment, le préavis couvre les grèves sur les lieux de travail.

La campagne ROSA soutient l’appel à la grève, mais seulement l’appel à une véritable grève, une grève du travail rémunéré – évidemment aussi bien des travailleuses que des travailleurs – pour des salaires plus élevés, contre l’austérité et contre le sexisme. Nous pensons qu’une grève des tâches ménagères et des soins aux autres dans les foyers est impossible pour une couche importante de femmes (en région bruxelloise, un tiers des familles avec enfants sont des familles monoparentales). Mais le plus important est qu’une telle ‘‘grève’’ n’est pas une grève, mais une action individuelle dont on ne sait pas clairement contre qui elle est dirigée. Elle met l’accent sur la lutte individuelle au sein de la famille pour savoir qui fait quoi.

Pour la campagne ROSA, ce n’est pas la voie à suivre. Ce ne sont pas les individus, mais les éléments structurels de la société qui assurent que la division traditionnelle du travail entre femmes et hommes est toujours bien présente. Nous défendons la revendication de la socialisation des tâches et des soins ‘‘ménagers’’. Si le travail supporté par les familles a augmenté ces derniers temps, c’est en raison de l’effondrement des politiques sociales et des services publics.

ROSA a également défendu que les syndicats ne se contentent pas du dépôt d’un préavis de grève mais qu’ils organisent réellement la grève et l’utilisent dans le but de renforcer l’unité et la solidarité du personnel sur les lieux de travail en impliquant l’ensemble du personnel. Dans un certain nombre de lieux de travail où les membres du PSL ont construit une base autour d’eux au cours d’une longue période et où ils sont intervenus avec la campagne ROSA en défense de la grève du 8 mars, des débrayages sont combinés avec une assemblée du personnel visant à discuter de la problématique telle qu’elle se présente sur le lieu de travail et dans la société en général. C’est le cas à l’Université de Gand, à l’Université flamande de Bruxelles et à l’hôpital Brugmann à Bruxelles.

#MeToo et le large mouvement contre le sexisme

L’attitude des syndicats vis-à-vis des questions relatives aux femmes a changé en raison de la présence croissante des femmes dans les syndicats combinée à la nécessité de lutter dans toute une série de secteurs féminins (à cause de l’austérité dans les services publics et le secteur des soins subventionnés et de restructurations dans le secteur privé des services largement syndicalement non-organisé). Mais la pression pour passer à l’action est venue de jeunes femmes en colère contre le sexisme quotidien.

En Flandre, les campagnes #WijOverdrijvenNiet (nous n’exagérons pas, en 2015) #WijSprekenVoorOnszelf (nous parlons pour nous-mêmes, en 2015 également) ont impliqué un nombre massif de jeunes femmes et ont maintenu le thème du sexisme en tête du débat public. Même si c’était surtout de jeunes femmes qui y étaient impliquées, il ne fait aucun doute qu’un grand nombre de militantes syndicales s’y sont de plus en plus intéressées. Cela fait déjà de nombreuses années que les badges féministes proposés par le PSL étaient parmi les plus vendus lors des manifestations syndicales.

Quand le phénomène #MeToo a commencé dans le monde entier, en Flandre, c’était l’acte 2. Dans ces premières campagnes flamandes sur les réseaux sociaux, le harcèlement sexuel au sein des relations de pouvoir (entre élèves ou étudiants et enseignant, entre victimes inconnues et célébrités, entre travailleurs et patrons ou managers) n’était qu’un élément parmi d’autres dans la vaste dénonciation du sexisme dans la société, surtout dans la rue. Avec le développement de #MeToo tel qu’il a émergé en Belgique, l’accent a immédiatement été mis sur les milieux professionnels, des délégués syndicaux prenant leurs responsabilités pour que des plaintes puissent être concrétisées. Depuis lors, plusieurs initiatives ont été prises dans les syndicats, souvent encore confuses quant aux idées et au programme, mais avec une grande ouverture pour les idées que défend la campagne ROSA.

Mais la raison principale derrière le préavis de grève déposé par un grand nombre de structures syndicales, c’est la dynamique positive actuelle des conflits sociaux, avec le magnifique et dynamique exemple des grèves des jeunes pour le climat. L’agenda social pour le mois de mars est rempli d’actions menées par les syndicats, le mouvement des femmes, le mouvement des jeunes, le mouvement des sans-papiers,… qui commencent à se chevaucher et à donner naissance à une plus large résistance contre le système actuel, les grandes entreprises et leurs gouvernements. Sans ce contexte plus large, l’idée d’une grève pour le 8 mars (pour la Journée internationale de lutte pour les droits des femmes) et le 15 mars (la grève pour le climat) n’aurait pas vu le jour de cette manière.

L’anti-sexisme est un facteur de radicalisation important chez les jeunes, le féminisme bourgeois n’a rien à offrir

En Belgique, il n’y a pas eu de mouvement de masse des femmes, contrairement à d’autres parties du monde, notamment en Irlande, en Espagne, en Pologne, en Islande, en Inde, en Turquie, aux Etats-Unis et dans plusieurs pays d’Amérique latine. Mais il existe une atmosphère très largement présente, très certainement parmi la jeunesse, et qui se caractérise par un fort sentiment anti-système.

On trouve toutes sortes de forces dans les actions liées à l’émancipation des femmes, dont le nombre de participants ne cesse de croître, et dans le débat en cours sur les médias sociaux et ailleurs. Ces forces exigent leur place dans la discussion. Mais il est clair que l’élément dynamique de cette nouvelle vague de lutte ne provient pas des anciennes organisations féministes bourgeoises, qui ont du mal à s’imposer dans le mouvement. Bien qu’elles soient parfois présentes dans les médias, les jeunes militantes n’en ont souvent jamais entendu parler ou estiment impensable que des figures féminines de l’establishment puissent faire la moindre différence.

C’est ce qui s’est produit dans l’évolution de la question du droit à l’avortement en Belgique. Les partis sociaux-démocrates et libéraux ont fait une proposition de loi en défense d’une véritable dépénalisation de l’avortement et pour des avancées en la matière (portant notamment sur une plus longue période), mais sans organiser la moindre lutte autour de la question. La situation qui en a découlé est que le gouvernement de droite a travaillé sur sa propre proposition, qui ne change rien à la réalité et qui a finalement été signée également par les partis libéraux. Tout le monde s’était profilé et c’était la fin de l’histoire.

La participation d’une importante couche de femmes de la classe ouvrière dans le mouvement féministe n’est pas une chose neuve, cela était également le cas dans les vagues féministes précédentes. En Belgique, les mobilisations de la fin des années ’60 et surtout des années ’70 ont été déclenchées par la grève des femmes de la FN en 1966, une grève qui a duré 12 semaines et qui a conduit à d’importantes concessions. Ce qui est neuf, c’est que les organisations de femmes bourgeoises et les femmes politiques bourgeoises n’ont rien à offrir au mouvement.

Le droit de vote, l’égalité juridique, l’abolition des stipulations misogynes dans le droit de la famille, le droit à l’avortement,… étaient des revendications autour desquelles les femmes de différentes classes sociales pouvaient se rassembler. La rupture du mouvement sur des lignes de classe, entre les organisations de femmes bourgeoises et le mouvement des travailleuses (lié aux partis socialistes ou communistes et/ou aux syndicats), s’est produite dans un autre domaine : la lutte de la classe des travailleurs pour des revendications générales qui étaient importantes pour les femmes de la classe ouvrière et que les organisations des femmes bourgeoises ont refusé de soutenir.

Les choses sont aujourd’hui différentes. Depuis les années ‘80, les organisations de femmes bourgeoises se sont limitées à des revendications telles que l’imposition de quotas de femmes pour des fonctions importantes dans la vie économique et politique. C’est le seul point de programme qui leur reste. Pour la grande majorité des femmes, cela ne fait aucune différence. Il en est allé de même avec la loi contre le sexisme – symbolique parce qu’irréalisable – votée après le premier grand débat public sur le sexisme après le documentaire ‘‘Femme de la rue’’ sur le harcèlement de rue. Elle était tout sauf impressionnante.

Les revendications défendues par les organisations de femmes liées au mouvement des travailleurs sont d’un tout autre ordre. Il y a quelques années, Femma (l’organisation des femmes du mouvement ouvrier chrétien en Flandre) a popularisé la vieille revendication d’une semaine de travail plus courte pour permettre de mieux combiner travail et famille et dans le but de l’égalité entre femmes et hommes. Cette revendication d’une semaine de travail de 30 heures a depuis lors été largement reprise par plusieurs structures syndicales selon la formule plus traditionnelle d’une semaine de travail de 30 ou 32 heures sans perte de salaire et avec embauches compensatoires. Cette vieille revendication syndicale était très longtemps restée dans les tiroirs. L’accent est mis sur les salaires et les pensions, un domaine dans lequel les revendications et les actions actuelles du syndicat socialiste en faveur d’un salaire minimum horaire général de 14 euros et une pension minimum de 1500 euros par mois cadrent parfaitement.

Les politiciennes féministes bourgeoises sont très éloignées de ces revendications. Des élues social-démocrates les ont mises en avant par opportunisme, sans grande crédibilité.

Dans la lutte contre le sexisme, il leur manque en outre un certain nombre d’éléments cruciaux pour accroître leur popularité. L’anti-sexisme d’aujourd’hui ne vise pas tous les hommes en général, mais plus que par le passé, il vise les grandes entreprises et les politiques qui se décident dans l’intérêt des grandes entreprises. En ce sens, la conscience a beaucoup en commun avec ce qui est présent dans le mouvement des jeunes pour le climat : on y trouve de la confusion, des éléments de recherche de solutions individuelles, un certain moralisme, mais aussi une large compréhension que tout cela est insuffisant et qu’une intervention plus profonde dans le fonctionnement même de la société est nécessaire.

Féminisme petit-bourgeois contre féminisme socialiste

Les idées des femmes de la classe des travailleurs trouvent leur chemin dans le mouvement, mais elles font face aux forces petites bourgeoises qui se basent aujourd’hui principalement sur des théories autour des politiques d’identité. En Belgique, ces forces ont tenté ces dernières années de mettre en pratique le principe des actions non-mixtes (des manifestations uniquement de femmes, par exemple), sans obtenir de grand succès jusqu’ici. Mais ces idées ont un certain attrait par leur rhétorique radicale.

Ces dernières années, en Belgique, tous les mouvements sociaux se sont orientés vers le mouvement syndical et ont repris ses méthodes d’action. C’est une conséquence naturelle de l’action de masse continue de la classe ouvrière depuis l’énorme plan d’action de l’automne 2014. L’agenda syndical chargé de ce début d’année n’est cependant pas quelque chose qui peut être maintenu éternellement, c’est un nouveau point culminant dans la vague de grèves qui a suivi l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement purement de droite pour la première fois depuis le milieu des années 1980.

La puissance du mouvement des travailleurs dans la société, son énorme poids numérique et sa capacité à mobiliser les masses dans les rues se sont ouvertement manifestés ces dernières années. Mais il est également évident pour une large couche de syndicalistes combatifs que la direction n’a pas de stratégie pour gagner. Le plan d’action de 2014 a été une expérience extrêmement positive et enthousiasmante, mais elle s’est terminée par une douloureuse capitulation de la part de la direction. Cette dernière avait abandonné l’idée de poursuivre la construction du mouvement afin de porter le dernier coup au gouvernement de droite. Elle a décidé ‘‘d’attendre les prochaines élections’’. L’actuel programme d’actions sociales se déroule sans plan d’action réel et sans perspective sur ce à quoi il devrait arriver.

Ce manque de perspective et de stratégie aux directions syndicales a tout à voir avec l’absence d’une organisation politique de la classe des travailleurs. Les deux grandes fédérations syndicales sont toujours liées (bien que beaucoup plus faiblement) aux anciens partis sociaux-démocrates et démocrates-chrétiens. Des développements intéressants prennent place : la FGTB wallonne appelle à la formation d’un gouvernement de gauche en Wallonie PS-Ecolo-PTB (ancienne formation maoïste aujourd’hui comparable en termes de programme et d’approche avec le SP des Pays-Bas ou Die Linke en Allemagne) et un débat interne prend place dans les syndicats wallons concernant la représentation politique des revendications syndicales.

Pour l’instant, nous restons dans cette situation où la classe ouvrière est politiquement sans-abri. Les syndicats sont considérés comme des organisations combatives fortes qui défendent des revendications importantes, mais ce ne sont pas des organisations dont la cible principale et centrale est la transformation de la société. Ils n’ont pas de stratégie et ce n’est qu’au cours des dernières années que la lutte défensive a fait place, ici et là, à une rhétorique offensive et à des revendications générales qui peuvent avoir un large effet dans la société.

Dans ce cadre où les forces bourgeoises n’ont pas de solutions à proposer et où la classe ouvrière n’a pas les instruments nécessaires (un parti qui permettrait de discuter et de débattre du programme et de passer à une action unifiée sur cette base) pour diriger cette discussion plus largement dans la société, les idées petites bourgeoises resteront présentes dans tous les mouvements de protestation contre le système actuel et la multitude de problèmes qui en découlent.

Il est évident que les féministes socialistes doivent répondre à toutes les propositions qui surgissent dans le mouvement des femmes avec le potentiel de diviser la classe des travailleurs. C’est en participant à la lutte et en proposant les meilleures revendications et méthodes d’action que nous serons le mieux à même de le faire.

Rosa Luxemburg a défendu la participation du mouvement des travailleurs dans la lutte pour le droit de vote des femmes parce que politiser les femmes de la classe ouvrière et les entraîner dans la lutte n’apporte que des gains à la classe des travailleurs : un renforcement de ses organes avec les masses de femmes de la classe des travailleurs et un renforcement de l’unité et de la solidarité dans ses propres rangs. La campagne ROSA vise à impliquer les femmes dans le mouvement des travailleurs, y compris en veillant à ce que le mouvement ouvrier réponde aux exigences de tous les groupes opprimés. Sans cela, les jeunes femmes et les travailleuses qui en ont assez du sexisme qu’elles subissent quotidiennement seraient laissées à la merci de la propagande féministe bourgeoise stérile et de la propagande radicale mais sectaire et diviseuse du féminisme petit-bourgeois.

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NOTES

(1) Les hommes et les femmes étaient-ils plus égaux ? (Berichten Centrum voor Sociaal Beleid, UFSIA – Universiteit Antwerpen, “Werden mannen en vrouwen gelijker? Beroepsloopbanen en inkomens van mannen en vrouwen in de 80’er jaren”. B.Cantillon, R. Vanherck, M. Andries, I. Marx, december 1994 http://www.centrumvoorsociaalbeleid.be/sites/default/files/D%201994%206104%2003.pdf
(2) Statbel ‘‘Tendances du marché du travail belge 1983-2013’’ https://statbel.fgov.be/sites/default/files/files/documents/Analyse/NL/analyse-b_en_tcm325-261813.pdf

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