Depuis la marche historique pour le climat du 2 décembre 2018 et, surtout, depuis le début des grèves scolaires pour le climat le 10 janvier 2019, un mouvement historique et inédit s’est développé dans notre pays. La Belgique s’est retrouvée en toute première ligne des mobilisations internationales pour le climat et l’environnement. Parmi les manifestants et leurs sympathisants, un consensus semble régner : celui de transformer la société pour qu’elle respecte notre planète mais aussi tous ses habitants, dont les plus vulnérables. ‘‘Pas de justice climatique sans justice sociale’’ a-t-on pu régulièrement entendre. La vague pour le climat a le potentiel de devenir un tsunami qui pourrait balayer ces pratiques par lesquelles la planète bleue est sacrifiée au profit du billet vert.
Par Nicolas Croes
L’unité la plus large possible… mais à quel prix ?
Le 5 février, une campagne appelant à une politique climatique forte en Belgique a été lancée en grande pompe. En une semaine à peine, sa pétition ‘‘Sign for my future’’ avait déjà récolté 100.000 signatures. La coalition à la base du projet estimait à juste titre qu’il s’agissait d’un ‘‘signal fort qui démontre que cette thématique fait partie des préoccupations de la population’’. Après les dizaines de manifestations de la jeunesse et les grandes marches pour le climat du 2 décembre et du 27 janvier, c’était déjà évident.
La coalition se targue d’être la plus vaste mise sur pied pour ‘‘faire pression sur les élus’’ en matière climatique. Elle réunit des collectifs (Bruxsel’air, Youth For Climate,…), des ONG (CNCD, WWF, Unicef, Médecins du Monde,…), des universités (UMons, UGent,…), des médias (Roularta, RTL, IPM,…), mais aussi la fédération patronale Agoria, la Chambre de commerce et d’industrie de Bruxelles et enfin des entreprises telles que BNP Paribas, KBC, ING, bpost, Colruyt, Ikea, Proximus ou encore Solvay.
Disons-le clairement : l’opération vise à brouiller les pistes en masquant la responsabilité des grands pollueurs. Il est à déplorer que diverses ONG et collectifs se soient laissés ainsi prendre au piège ou, pire encore, soient convaincues que l’urgence climatique implique de trouver des compromis avec des banques qui investissent dans les énergies fossiles !
Il n’y a pas si longtemps, début 2017, le CNCD 11.11.11 (coupole d’ONG et associations belges francophones et germanophones engagées dans la solidarité internationale) a publié un rapport sur les investissements dans vingt sociétés minières controversées, notamment des mines de charbon. De celui-ci ressortait que BNP Paribas, ING Bank et KBC Bank ont respectivement investi 448 millions, 399,5 millions et 111 millions d’euros dans les sociétés minières Glencore, Vale et BHP Billiton en 2017.(1)
Les géants miniers Vale et BHP Billiton sont directement impliqués dans le ‘‘Fukushima brésilien’’ la pire catastrophe écologique du Brésil survenue en 2015. Une vingtaine de personnes y ont trouvé la mort, des déchets toxiques miniers ont parcouru 600 kilomètres à travers le Rio Doce et la population s’est retrouvée sans moyens de subsistance. Les recherches de la police fédérale ont montré que Samarco, l’entreprise responsable (une coentreprise des multinationales Vale et BHP Billiton) était consciente du risque du barrage et qu’elle en faisait trop peu pour éviter la catastrophe.
Comment le CNCD – organisation qui a participé à la divulgation de ces faits – peut-il aujourd’hui accepter de se retrouver côte-à-côte avec de telles banques ?! Et à côté de Nathalie Guillaume, Corporate Affairs Director de la multinationale agroalimentaire Danone, multinationale qui a fait pression sur plusieurs États membres de l’Union européenne pour rejeter une proposition imposant des normes plus strictes pour les emballages en plastique ? De Solvay, membre du groupe de lobbying PlasticsEurope ? De JCDecaux et ses panneaux publicitaires digitaux énergivores ? D’EDF Luminus ? Sans surprise, ‘‘Sign for my future’’ soutient d’ailleurs le marché du carbone européen, un instrument qui permet aux entreprises les plus polluantes de continuer à émettre des gaz à effet de serre sans trop dépenser d’argent.
En grève pour le climat !
Si le CNCD avait dénoncé cette opération de greenwashing, il y a fort à parier que Youth for Climate ne se serait pas non plus retrouvé embarqué dans cette galère. Bien heureusement, cela n’a pas empêché Youth for Climate d’appeler les syndicats à rejoindre la grève mondiale pour le climat prévue pour le 15 mars. Au moment d’écrire ces lignes, le président de la CSC Marc Leemans avait déclaré : ‘‘Nous soutenons la mobilisation et appelons même à y participer. Mais nous n’introduirons pas de préavis de grève’’. Quant à la FGTB, elle soutient le mouvement mais laisse la décision aux centrales professionnelles. La Centrale Générale (qui compte plus de 430.000 membres) a déjà fait savoir qu’elle déposerait un préavis de grève. Nous espérons qu’une pression suffisante permettra au plus grand nombre de travailleurs de rejoindre la grève pour le climat.
Le 20 février, 300 chercheurs de France et de Belgique ont appelé à participer à la grève climatique mondiale en dénonçant ‘‘les actuels détenteurs du pouvoir économique, ceux pour qui seul compte de vendre plus, quel que soit ce qui est vendu et ses conséquences ; ceux qui maintiennent des procédures biaisées d’évaluation du risque des pesticides et autres substances dangereuses ; ceux qui proposent des investissements juteux dans les produits fossiles’’ et ceux qui ‘‘signent des accords commerciaux multilatéraux assortis d’une justice féodale à la solde de géants industriels ; ceux qui orientent la colère des foules vers des cibles trompeuses ou secondaires.’’(2) Ils disent comprendre la radicalité des activistes ‘‘bien faible face à celle de ceux qui veulent nous faire survivre hors sol, ou nous promettent de nous conduire sur Mars, c’est-à-dire sur une planète morte, après avoir rendu la nôtre impropre à la vie !’’
Comment parvenir au ‘‘grand basculement’’ ?
Selon un sondage réalisé pour Le Soir, RTL-TVi, VTM et Het Laatste Nieuws par Ipsos, plus de huit personnes interrogées sur dix se disent ‘‘très inquiètes’’ ou ‘‘plutôt inquiètes’’ vis-à-vis du climat en Belgique. L’humanité fait face à un tournant crucial, peu nombreux sont ceux qui osent encore contester cela. Pour l’establishment, le capitalisme est le seul système de société qui fonctionne. La noblesse féodale et les esclavagistes avant elle prétendaient de même à leur époque concernant leurs systèmes. Chaque système fonctionne, sinon il n’existerait pas. Il répond toujours à un certain degré de développement de nos capacités productives. Dès qu’un système de société devient un frein au progrès scientifique et technique, il provoque le chaos plutôt que le progrès. C’est alors que le moteur de l’histoire se déclenche; la lutte des classes.
La classe des travailleurs – tous ceux qui créent de la richesse en vendant leur force de travail contre un salaire et qui sont source de valeur ajoutée – représente aujourd’hui la majorité de la population mondiale. Selon l’Organisation internationale du travail (OIT), cela concerne pas moins de 3,4 milliards de personnes. Sans cette main-d’œuvre, les capitalistes ne peuvent pas faire de profits. Leur système ne fonctionne pas sans notre travail. Toute la richesse provient de notre travail et de la nature. Le capitalisme sape les deux sources de richesse, comme le disait déjà Marx en son temps.
C’est cette réalité qui éclate au grand jour dans une grève, par le blocage de l’économie. Il n’existe pas de moyen plus puissant pour affronter le capitalisme et poser la question d’une réelle démocratie, c’est-à-dire un système où ceux qui produisent les richesses décideraient de la manière de les produire et de les utiliser ensuite. Bien entendu, une grève, même générale, d’une seule journée sera insuffisante pour délivrer un changement véritable. Mais l’appel pour le 15 mars constitue un pas audacieux sur la voie à suivre pour construire un puissant mouvement capable de renverser l’économie capitaliste pour instaurer une véritable transition écologique grâce à la planification démocratique de l’économie et à l’appropriation collective des secteurs d’activité stratégiques. C’est ce que nous appelons le socialisme.
(1) https://bankwijzer.be/fr/actualit%C3%A9s/2018/investissements-dans-les-sci%C3%A9t%C3%A9s-mini%C3%A8res-controvers%C3%A9es/
(2) https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/02/20/nous-scientifiques-ferons-aussi-la-greve-scolaire-du-15-mars_5425917_3232.html