Dimanche noir en Flandre, percée de la gauche radicale dans tout le pays. Des gouvernements de gauche sont possibles en Wallonie et à Bruxelles.
Quel échec pour les partis qui ont lancé un ambitieux projet thatchérien il y a cinq ans ! Ils perdent ensemble 22 sièges à la Chambre et n’ont donc plus de majorité. Charles Michel n’a pas réussi à profiter de son poste inattendu de premier ministre : il n’a obtenu que 1.000 voix préférentielles supplémentaires en comparaison de son score de 2014. Le deuxième chef du gouvernement, Bart De Wever, qui n’était pourtant pas ministre, s’est défait de 72.000 votes préférentiels : un peu plus d’un cinquième de ses voix en 2014 ! Le CD&V perd quant à lui un tiers de ses sièges à la Chambre, le MR quasiment un tiers. Une fois les élections passées, tout le monde voit partout les ‘‘signaux des électeurs’’, mais le plus remarquable est souvent perdu de vue : le gouvernement suédois a été rejeté.
Cela n’est pas surprenant au regard de la politique suivie depuis 2014. Les chamailleries entre partis de la coalition suédoise n’ont pas manqué, mais le MR, la N-VA, le CD&V et le VLD se sont parfaitement accordé sur une ligne de conduite dure et néolibérale pour s’en prendre aux travailleurs et à leurs familles. L’âge de la retraite a été porté à 67 ans, sans mesures pour les professions lourdes alors même qu’il a beaucoup été question des pensions trop faibles en Belgique. Nos revenus ont été attaqués par un saut d’index et toutes sortes d’impôts. Rien n’a été fait pour relever le défi climatique. Alors qu’il avait commencé son action avec beaucoup d’ambitions, le large mécontentement à l’égard de sa politique a poussé le gouvernement prématurément vers la sortie. La N-VA en a débranché la prise une fois connu le résultat des élections communales, qui prédisait déjà la lourde sanction de ces élections de mai 2019.
La crise gouvernementale autour du Pacte de Marrakech a placé la question de l’asile et de la migration au centre de l’agenda politique en décembre. Elle a ensuite été quelque peu éclipsée par les mobilisations pour le climat et diverses actions (comme la grève nationale du 13 février) mais, elle a réoccupé une place plus importante les dernières semaines de campagne électorale. Cela s’explique par le débat autour du scandaleux manque d’accueil des transmigrants à Bruxelles-Nord et par la campagne de la N-VA. Depuis quelque temps déjà, ce parti n’avait de cesse de souligner l’image intransigeante de Theo Francken contre les migrants. Agir de la sorte était nécessaire à la N-VA car elle ne pouvait pas beaucoup capitaliser sur sa politique socio-économique profondément antisociale. Juste avant les élections, cela a encore été confirmé par une étude de Gert Peersman (de l’UGent) : la croissance et la création d’emplois auraient été meilleures sans les mesures adoptées par le gouvernement Michel ! Sans pouvoir parler de la politique du gouvernement, il fallait dévier l’attention, et c’est pour cela que la N-VA a joué la carte de la migration. L’affaire Kucam – un trafic de visas humanitaires organisé par un fidèle partisan de Francken – a quelque peu sapé la position de Francken. Il a réagi dans son style insolent bien connu, mais tout le monde n’était pas derrière lui.
Si les commentateurs et les nationalistes flamands soulignent les différences entre les résultats flamands, bruxellois et wallons, on ne peut ignorer que les questions sociales telles que les pensions étaient particulièrement sensibles dans toutes les régions du pays.
Le Vlaams Belang a fait tout son possible pour se présenter en tant que parti « social » opposé au relèvement de l’âge de la pension ou aux taxes antisociales telles que la taxe kilométrique mais aussi en faveur d’une pension minimale de 1.500 euros (tout en taisant bien entendu que le parti d’extrême droite est pour un système de pension à points et pour un respect strict du temps de carrière). En l’absence de mobilisations dans la rue qui clarifie de façon évidente qui s’oppose réellement à la politique antisociale, une campagne publicitaire trompeuse du type de celle du VB peut avoir un impact. Dans une situation pareille, les déclarations du VB peuvent même résonner plus fortement que celle des partis ‘‘de gauche’’ qui refusent de s’engager pas la lutte active (SP.a, Groen). Passer de la N-VA au VB est devenu très facile pour des électeurs qui n’avaient pas digéré l’augmentation de l’âge de la pension.
Du côté francophone, les questions sociales ont également joué un rôle important. C’est ce qui ressort notamment de la forte progression du PTB, le plus grand vainqueur en Wallonie avec des résultats d’environ 20% ou plus à Liège, Charleroi, La Louvière, et même d’environ 25% dans la région liégeoise (Herstal, Seraing), mais aussi d’environ 20% dans certaines régions de Bruxelles (Saint-Gilles, Anderlecht, Molenbeek,….).
Au Nord comme au Sud du pays, les sondages ont systématiquement démontré que la majorité de la population est favorable à la baisse de l’âge de la pension et à la taxation des grandes fortunes. Ces sujets sont d’ailleurs généralement considérés comme appartenant à la « gauche ». Ensemble, les partis de « gauche » ont réalisé quelques progrès en Flandre, c’est la droite et le centre qui a perdu des plumes tandis que l’extrême droite a connu une percée.
Un dimanche noir
En Flandre, le Vlaams Belang est le grand gagnant de ces élections. Avec 18,5%, il est le deuxième parti du Parlement flamand derrière la N-VA. La différence avec son creux historique de 2014 rend la progression encore plus spectaculaire : à la Chambre, le VB passe de 3 à 18 élus ! Des comparaisons ont immédiatement été faites avec le « dimanche noir » : la première grande percée électorale du Vlaams Blok en 1991. Des différences existent toutefois : la percée est plus grande, les partis traditionnels sont encore plus instables,…. Après cinq ans de gouvernement avec la N-VA, le racisme est devenu plus acceptable dans la société. Les électeurs du VB ne cachent pas leur vote. En divers endroits, certains électeurs n’hésitent pas à en parler à leurs collègues de travail issus de l’immigration. Alors que la percée du VB en 1991 était essentiellement un phénomène urbain, on observe aujourd’hui des sommets principalement dans les zones périurbaines (comme la région de la Dendre) ou rurales (comme dans certaines parties de la Flandre occidentale).
Durant les années où la N-VA était en pleine ascension, certains proclamaient que la droite conservatrice réalisait ce que la gauche antifasciste s’était révélée incapable de faire, à savoir stopper le Vlaams Belang. Ils se sont lourdement trompés. Lorsque le Vlaams Belang a connu ses déboires électoraux, nous avons directement évoqué l’exemple français. Sarkozy lui aussi avait voulu profiter des voiles du Front national avec une rhétorique raciste. Mais ses électeurs sont ensuite retournés vers Le Pen en raison du caractère antisocial de la politique de Sarkozy. L’extrême droite est sortie renforcée puisque son discours avait été rendu plus acceptable par les positions politiques dorénavant partagées avec la droite conservatrice. Avec la crise gouvernementale entourant le Pacte de Marrakech, la N-VA a déroulé le tapis rouge à l’extrême droite. Dries Van Langenhove, associé dans l’opinion aux groupes de discussion néonazis sur internet, et le président du Vlaams Belang Tom Van Grieken en ont fait bon usage pour se remettre en selle.
De Wever a immédiatement profité de la nouvelle croissance du Vlaams Belang pour renforcer sa position dans les négociations gouvernementales. Il essaie d’utiliser à l’avantage de la N-VA le vote en faveur du Vlaams Belang en suivant le raisonnement selon lequel la Flandre aurait voté plus à droite et plus pour le nationalisme flamand. Mais le nationalisme flamand est loin d’avoir joué un rôle aussi important. Un électeur du VB a d’ailleurs motive son vote dans les pages du quotidien De Standaard en disant : « Nous devons défendre notre Belgique. » De Wever reste évidemment muet sur la campagne plus « sociale » du VB.
Mais cette image « sociale » est complètement absurde. Le VB a voté contre l’augmentation du salaire minimum en Europe et le parti est bien connu pour son opposition farouche à tous ceux qui entrent en action contre l’austérité, tout particulièrement les syndicats. Les travailleurs qui protestent contre le relèvement de l’âge de la retraite ou contre une charge de travail insoutenable n’ont jamais été soutenus par l’extrême droite, ils ont été attaqués. Dans le cas de la bande de Dries Van Langenhove, Schild & Vrienden, c’est d’ailleurs arrivé littéralement. Lorsque les éboueurs gantois ont fait grève pour contre la pression insoutenable au travail, le Vlaams Belang a refusé de les soutenir et Dries Van Langenhove a réalisé un film avec quelques partisans où ils ramassaient quelques sacs poubelles pour se moquer de la grève.
Le Vlaams Belang n’est pas du côté des travailleurs. Pendant que nous combattions le gouvernement Michel dans la rue, Van Langenhove et Van Grieken se sont engagés à répandre la haine sur Internet. L’image « sociale » du VB se limite à dire que tout sera payé en économisant sur les migrants. Par exemple, le VB ne préconise pas la construction de plus de logements sociaux, il défend de favoriser « notre propre peuple ». Au lieu de s’attaquer aux causes des manques et des pénuries, le VB propose simplement une répartition des manques et des pénuries. Le VB tente de trouver l’oreille des larges couches de la population qui ont connu une baisse de leurs conditions de vie, mais sans offrir de solution à la crise capitaliste à l’origine des pénuries et des atteintes à nos conditions de vie. Seuls les ultra-riches ont bénéficié du gouvernement Michel : les bénéfices ont augmenté en moyenne de 3,2%, contre 1,8% dans les pays voisins. Qui donc sont les profiteurs ? Les migrants et les réfugiés ou les banquiers et les spéculateurs ?
Certains commentateurs ont fait remarquer qu’avec Van Grieken et Van Langenhove, le VB a pris ses distances avec le vieux côté « dégouttant » de Dewinter… C’est un mensonge, qui aurait eu beaucoup plus de mal à passer si les mobilisations antifascistes s’étaient poursuivies après le mois de septembre dernier, quand un reportage de la VRT avait dévoilé le vrai visage de Schild & Vrienden. Ces actions étaient pourtant prometteuses.
Le Vlaams Belang lui-même a été un peu surpris par l’ampleur de sa victoire. Elle s’accompagne de quelques problèmes pratiques, notamment en termes de personnel politique en l’absence d’une réelle base de membres active. Il ne fait aucun doute que le parti connaitra un afflux de nouveaux membres mais, ces dernières années, son cadre politique s’est considérablement affaibli. Le VB essaie de se reconstruire depuis un certain temps, avec un accent particulier sur la jeunesse. Cela a eu un certain effet : selon les sondages, le VB est le parti le plus populaire parmi les garçons de 12 à 24 ans. Ce n’est d’ailleurs pas du tout le cas chez les filles : elles n’ont pas échappé à l’attitude hostile de l’extrême droite envers les femmes. Quoi qu’il en soit, il y a une polarisation chez les jeunes. Nous ne devons pas donner au Vlaams Belang la possibilité de s’organiser plus fortement parmi les jeunes ; la résistance antifasciste organisée est urgente.
Il est possible qu’il y ait aujourd’hui une plus grande accoutumance à l’extrême droite par rapport au précédent dimanche noir de 1991, mais la colère et la peur existent face à la croissance de l’extrême droite. Le défi consiste à l’organiser en actions combattives et à discuter également de la lutte à mener contre le terreau fertile sur lequel l’extrême droite peut se développer. Avec le PTB au Parlement, y compris de Flandre dorénavant, nous sommes mieux placés pour ce débat. Le renforcement de la gauche en Wallonie et à Bruxelles a rendu plus difficile l’obtention d’un résultat sérieux pour les différentes forces d’extrême droite. L’expérience de la campagne antifasciste flamande Blokbuster, qui a également été maintenue vivante pendant les années où le danger du VB était ressenti comme moins urgent, sera utile dans la lutte antifasciste à venir.
Une vague rouge dans tout le pays
Une autre différence avec le dimanche noir de 1991 est la présence d’un parti de gauche radicale au parlement. La croissance du PTB est importante et elle a pris place dans tout le pays, avec de premiers élus flamands. Avec 42 parlementaires (12 à la Chambre, 10 au Parlement wallon, 11 au Parlement bruxellois, 4 au Parlement flamand, 4 au Sénat et 1 au Parlement européen), le PTB a réalisé un grand bond en avant. En Wallonie, le PTB est le plus grand vainqueur des élections avec 13,7% (+7,9%), à Bruxelles, Ecolo se renforce légèrement, mais par rapport aux élections communales, la progression du PTB est plus remarquable. A Bruxelles, le PTB égale désormais le résultat wallon et, dans les villes d’Anvers et de Gand, le parti a récolté plus de 10% des voix.
Les militants du PTB ont travaillé dur pour rendre ce résultat possible. Le parti bénéficie d’un soutien croissant parmi les syndicalistes et de nombreux autres activistes qui voient dans le PTB l’expression la plus cohérente de leur opposition à la politique actuelle et à la logique du profit du capitalisme. Il ne fait aucun doute que l’accent sera désormais mis sur le travail parlementaire, mais il sera aussi important d’impliquer les nouveaux membres sur le plan politique et de lancer des campagnes audacieuses. Les élus flamands du PTB – y compris un élu flamand obtenu sur la liste déposée à Liège – veilleront à ce que, même dans le nord du pays, une voix de gauche se fasse entendre dans les médias et les débats publics. Il s’agit d’un pas en avant important et qui était extrêmement nécessaire : ces dernières années, l’absence d’une opposition constante et cohérente au néolibéralisme a ouvert la voie à la droite.
Il se peut qu’il n’y ait pas de participation au gouvernement pour le PTB. Le PS a prévenu à l’avance après l’échec de la formation de coalitions communales progressistes que le PTB n’est pas prêt à gouverner. En dépit des pressions exercées par les milieux syndicaux en faveur de majorités progressistes, le PTB n’a pas réagi avec audace. Il semble que le parti soit prêt à accepter un rôle d’opposition pour se développer davantage en attendant. Cela peut sembler correct du point de vue de la construction du parti, mais de nombreux électeurs entendent voir survenir des résultats plus rapidement. Il faut non seulement défendre les revendications syndicales au parlement, mais aussi s’appuyer sur elles pour lancer des propositions offensives en faveur de gouvernements progressistes. Cela positionnerait le PTB comme le meilleur relai politique des luttes des travailleurs.
La présence du PTB dans les Parlements permet de rendre les réponses de gauche plus audibles. Cela diminue les possibilités de l’extrême droite, comme on a pu le voir en Wallonie (notamment avec les mauvais résultats de groupes tels que Nation). Le débat est poussé vers la gauche.
Le PSL considère qu’il s’agit d’un pas en avant très positif et c’est pourquoi nous avons appelé à voter en faveur du PTB. Nous partageons la joie des membres du PTB et de ses électeurs. Le PSL continuera à faire des propositions constructives sur ce que peut être notre rôle dans le renforcement de la croissance d’un pôle combattif de gauche, tant en termes de campagnes que de programme. Dans notre appel de vote, nous avons également souligné les limites qui existent selon nous dans le programme du PTB. Parmi elles figure le refus de préparer la population à l’inévitable résistance des patrons à toute réforme progressiste dans l’intérêt des travailleurs et de leurs familles, ou encore l’absence de toute perspective de changement socialiste. Il ne s’agit pas de détails, mais de la préparation qui s’impose à la prochaine étape de la lutte.
Les partis Verts progressent, en particulier à Bruxelles, en Wallonie et dans les villes flamandes
La vague verte a été moins prononcée que prévu, surtout en Flandre, où Groen a progressé dans des villes comme Gand, Anvers et Louvain, mais a à peine pu progresser ailleurs. Le sondage qui avançait le chiffre de 15% n’est pas devenu réalité, c’est à peine si le cap des 10% a été dépassé. Les progrès d’Ecolo ont été plus importants, certainement à Bruxelles, mais aussi dans des provinces plus rurales comme le Luxembourg et le Brabant wallon. Les inquiétudes concernant l’environnement et le mouvement historique des jeunes pour le climat ont évidemment joué un rôle, mais le profil antiraciste d’Ecolo fut aussi important, en plus du fait que le parti n’est pas considéré comme un parti de pouvoir historique à l’instar du PS.
Le vendredi 24 mai, une nouvelle mobilisation pour le climat a eu lieu avec 10.000 participants selon les organisateurs. Mais il ne s’agit plus de la même explosion spontanée de colère de la jeunesse que durant les trois premiers mois de cette année. Il n’était bien sûr pas possible de tout simplement continuer à mener des actions toutes les semaines comme ça. C’est pourquoi, dès le début, nous avons souligné l’importance de développer des comités d’action locaux dans les écoles pour permettre aux jeunes déjà convaincus d’entrer en dialogue avec leurs camarades de classe et de développer une meilleure implication sur base d’actions locales. Parallèlement, nous avons défendu qu’il était crucial de clarifier les revendications du mouvement comme la gratuité et l’extension des transports publics, un secteur de l’énergie intégralement placé dans les mains des pouvoirs publics, des investissements publics massifs pour la recherche scientifique,… dans le cadre d’une lutte pour un véritable « changement de système ».
Malheureusement, ces propositions n’ont pas été suffisamment reprises pour développer le mouvement de cette manière. Il en a résulté un déclin inévitable qui a donné l’occasion de caricaturer le mouvement en un synonyme de tsunami fiscal sur le CO2, les vols,… les partis verts n’ont pas répondu de manière convaincante à la question de savoir qui paiera les mesures climatiques. En ces temps de Gilets jaunes et de crise du pouvoir d’achat, cela a sapé le potentiel des partis verts. Toutefois, les préoccupations climatiques restent très vives et la gravité de la menace du changement climatique n’a pas disparu. Nous devons continuer à discuter du changement de système dont nous avons besoin et de la façon d’y parvenir.
Les partis traditionnels au plus bas
Les trois partis classiques francophones PS, MR et CDH ont perdu 368.000 électeurs en 5 ans et ensemble, pour la première fois, ils n’obtiennent plus la majorité. Les trois familles politiques traditionnelles sont à leur plus bas niveau historique et le fond n’est pas encore en vue. Ces formations sont après tout des expressions politiques de la période relativement stable de l’après-guerre au cours de laquelle une certaine marge existait pour des concessions limitées en faveur des travailleurs et de leurs familles.
Pour la première fois, une tripartite classique composée de sociaux-démocrates, de démocrates-chrétiens et de libéraux n’obtient plus la majorité à la Chambre. Malgré l’impopularité de la politique de droite, les sociaux-démocrates ont subi de nouvelles pertes. Le PS disposait d’une plus grande marge de manœuvre et, grâce à la perte subie également par le MR, il reste le plus grand parti à Bruxelles et en Wallonie. Mais il a tout de même à nouveau perdu trois sièges. Si le PS s’est relativement mieux comporté, c’est aussi à cause de la campagne plus à gauche que le parti a menée.
Le SP.a était déjà plus petit et a connu une défaite encore plus cuisante que ses camarades wallons : 4 de ses 13 sièges à la Chambre ont disparu. A Anvers et en Flandre orientale, le parti flirte avec le seuil des 10%. Il a reçu des claques sévères tant à Gand qu’à Anvers. A Anvers, la coalition conclue avec De Wever pour diriger la ville n’a visiblement pas aidé. Aucune perspective d’amélioration ne s’offre au SP.a puisqu’il n’a pas de projet politique fondamentalement différent du néolibéralisme qu’il a appliqué ces dernières décennies.
Les démocrates-chrétiens font face à un problème similaire. Dans la coalition suédoise, le CD&V a essayé de se présenter comme le « visage social » du gouvernement, comme une sorte d’opposition au sein de la majorité sur le modèle du comportement du PS pendant des années. Cela n’a trompé personne et a renforcé l’image du CD&V comme un parti mou sans atténuer les attaques contre notre niveau de vie. L’Open-VLD s’encourage en affirmant qu’il a perdu moins que les autres partenaires de la coalition. Le CDH, qui ne faisait pas partie de la coalition suédoise mais a fait monter le MR au gouvernement de la Région wallonne en 2017 doit également être rassuré par le fait que ses pertes sont moins graves que prévu.
L’érosion des partis traditionnels est très forte dans la ville d’Anvers, où le SP.a, le VLD et le CD&V ensemble ne convainquent même pas un quart des électeurs ! Ils cèdent la place à quatre autres partis : la N-VA, Groen, le Vlaams Belang et le PTB. Généralement, les partis traditionnels font face à cette situation en partant à la recherche d’une nouvelle figure de bon « gestionnaire ».
Mais la crise des partis traditionnels n’est pas une question de personnel politique. Leur problème est d’avoir intégré la logique néolibérale. Dans un contexte d’incertitude économique, de nouvelle crise économique imminente, de guerres commerciales et d’instabilité politique, le capitalisme ne semble pas pouvoir créer les conditions d’un retour des partis traditionnels. Ils essayeront d’y faire face temporairement en intégrant des personnalités médiatiques, mais cela ne mettra pas un terme à leur déclin.
La fin du cordon sanitaire ?
La formation des coalitions s’annonce difficile. Continuer la coalition suédoise au niveau flamand est possible avec ce résultat, mais il s’agit d’une coalition de perdants. Le président de la N-VA, De Wever, laisse la porte ouverte à une discussion avec le Vlaams Belang, mais il semble peu probable qu’il en résulte quelque chose. Après les élections communales d’octobre, le cordon sanitaire autour de l’extrême-droite a déjà été miné davantage, notamment par la N-VA, qui a bloqué un temps une coalition sans l’extrême-droite à Ninove, par exemple. Mais il n’y a finalement pas eu de coalition locale avec l’extrême droite. Une nouvelle étape est maintenant franchie pour saper le cordon sanitaire, même si aucune coalition n’est formée avec le VB. De Wever ne peut pas se permettre de balayer le VB trop rapidement, et il peut aussi utiliser le résultat du VB pour renforcer sa propre position dans les négociations. En même temps, le Vlaams Belang augmente la pression sur la N-VA. Le Président du VB Tom Van Grieken a annoncé qu’il n’apporterait aucun point de rupture à une discussion avec De Wever pour la formation d’un gouvernement flamand. De Wever ne peut pas immédiatement rejeter le VB et aura besoin de plus de temps que prévu pour former sa coalition flamande.
Tant au VLD qu’au CD&V, certains membres de second rang ont suggéré de briser le cordon, mais la direction du parti elle-même s’y est opposée. Même si De Wever était d’accord avec le VB, il aurait besoin du CD&V ou du VLD pour obtenir une majorité. Cela semble peu probable, mais si le résultat de ces élections législatives persiste lors des prochaines élections communales, les chances de coalitions locales avec le Vlaams Belang seront très élevées. A moins, bien sûr, qu’il n’y ait suffisamment de contestation de la part de la rue contre l’extrême droite, ce qui, avec la question nationale, a été la raison principale pour laquelle les partis établis n’ont pas osé se joindre au Vlaams Blok au début des années 1990 (contrairement à leurs homologues en Autriche, au Pays-Bas, au Danemark, en Norvège, …).
Des gouvernements de gauche sont possibles en Wallonie et à Bruxelles
Du côté francophone, le PS prendra l’initiative. Une coopération avec Ecolo est évidente, mais un troisième partenaire est nécessaire. Des coalitions de gauche avec le PTB sont mathématiquement possibles en Wallonie et à Bruxelles. Cela permettrait de porter le salaire minimum dans les services publics régionaux à 14 euros de l’heure, de réduire le temps de travail sans perte de salaire et avec embauche compensatoire,… Bref, cela permettrait de réaliser les promesses faites tant par le PS, que par Ecolo et le PTB au cours de cette campagne. Un tel projet susciterait l’enthousiasme, y compris en Flandre. Ce serait conforme à la demande de la FGTB pour des coalitions progressistes et ce serait un puissant argument en Flandre dans les discussions sur la manière dont nous pouvons mettre fin à la politique d’austérité. Le PS ira-t-il dans ce sens ou choisira-t-il de ne pas mettre en œuvre son propre programme en entrant en coalition avec le MR ou le CDH (peut-être plutôt avec Défi à Bruxelles) ?
Les cartes fédérales sont difficiles à trouver. Le gouvernement sortant, complété par le CDH, n’obtient pas la majorité. Même une coalition arc-en-ciel (libéraux, sociaux-démocrates et verts) n’obtient pas une majorité suffisante (76 des 150 sièges et seulement 29 sièges en Flandre). Cela peut conduire à une longue crise politique.
La N-VA et le SP se préparent déjà à former des gouvernements régionaux et à se positionner en conséquence. Ils soulignent tous les deux que ce ne sera pas facile et indiquent qu’une crise politique est probable. Un retour des tensions communautaires est à l’ordre du jour, même si la population ne le veut pas. Les deux partis gardent les options ouvertes aux gouvernements régionaux dans le cadre de la formation du gouvernement fédéral.
La lutte de la rue sera décisive
Dans un contexte de déficit budgétaire de 8 milliards d’euros, de ralentissement de la croissance économique et de nuages sombres sur l’économie et les relations mondiales, la politique du prochain gouvernement semble déjà fixée : des économies sur le dos de la majorité de la population. En d’autres termes, la même politique que celle qui a déjà suscité tant de méfiance et de colère.
Pour le mouvement ouvrier, il s’agit de transformer cette méfiance et cette colère en une bataille organisée autour de revendications telles qu’un salaire minimum de 14 euros de l’heure ou de 2.300 euros par mois, une pension minimale de 1.500 euros, la diminution de l’âge de départ en pension, la restauration de la retraite anticipée, des mesures conséquentes pour le climat (transports publics gratuits, énergie aux mains du public,…). Ces revendications ne deviendront réalité que si nous organisons la lutte pour les faire respecter. Une partie de la population est prête à agir : elle a besoin de campagnes pour convaincre et impliquer les collègues, les amis, les connaissances, etc. Nous avons également besoin de victoires, ce que peuvent offrir des campagnes pour les 14 euros de l’heure en entreprises et dans les secteurs professionnels.
Entrer en action a un effet, nous avons déjà pu le constater. C’est l’action collective qui a mis le climat à l’ordre du jour, mais aussi le pouvoir d’achat et les pensions. En ce qui concerne les pensions, la quasi-totalité des hommes politiques établis étaient d’accord : l’âge devrait être relevé, l’argent manque pour des pensions décentes. C’est sous la pression des mobilisations de la rue que la plupart des politiciens cachent ce programme devant l’opinion publique. Le mouvement grandissant des femmes, avec une manifestation historique à l’occasion de la Journée internationale des femmes de ce 8 mars, a rendu plus difficile pour les extrémistes de droite d’instrumentaliser leur colère après le meurtre de Julie Van Espen.
Les dirigeants syndicaux de la FGTB et de la CSC ont un problème avec ce résultat. Après les actions réussies du plan d’action de l’automne 2014, les directions syndicales ont freiné le mouvement. Il nous a été dit à l’époque que nous étions dans un marathon, et non dans un sprint, jusqu’aux élections, où le gouvernement serait éliminé. Il est vrai que la lutte contre les politiques d’austérité est une tâche à long terme, mais pour un marathon aussi, il doit y avoir un plan avec des objectifs intermédiaires… et il faut surtout continuer de courir ! La stratégie des dirigeants syndicaux a échoué. Y aura-t-il une évaluation collective ? Ou bien les directions appliqueront-elles la tactique de ces derniers mois : s’enfouir la tête dans le sable dans l’espoir que tout va changer ?
L’évaluation à tirer ne doit pas nécessairement être uniquement négative : des campagnes à haut potentiel existent, comme celle en faveur d’un meilleur salaire minimum. Cette campagne suscite également l’enthousiasme dans les rangs des militants de la CSC. Elle peut permettre aux militants d’aller de l’avant dans les discussions sur le terrain et de remporter des victoires. Les militants combattifs doivent utiliser le potentiel présent en construisant la campagne sur le terrain, ce qui permettrait d’entrainer dans la dynamique les militants de la CSC dont la direction est réticente.
Les questions sociales auraient dû jouer un rôle plus actif dans ces élections. La journée d’action de la FGTB sur le salaire minimum du 14 mai était une bonne chose, mais elle aurait pu être plus ambitieuse. Il y a eu aussi des protestations dans divers secteurs et entreprises : le secteur des soins a manifesté, il y a eu des grèves dans l’enseignement, le mécontentement est large parmi le personnel des transports publics, les contrôleurs aériens ont fait grève,… De nombreux travailleurs veulent mettre fin à la politique d’austérité. Nous n’y parviendrons pas avec une attitude attentiste, mais en partant au combat de manière offensive et avec confiance en soi.
Quelle que soit la manière dont les gouvernements sont formés, nous devons mettre nous-mêmes nos revendications et nos préoccupations à l’ordre du jour en les défendant en masse. Une contestation de masse contre la politique antisociale sera essentielle pour construire un rapport de force et démontrer en même temps que le Vlaams Belang n’est pas du tout aussi social qu’il l’était dans cette campagne. La présence accrue du PTB au parlement jouera un rôle positif, certainement s’il utilise cette position pour prendre des initiatives en faveur de campagnes audacieuses avec la plus large implication possible. En bref, le PTB doit non seulement être le porte-voix des luttes, mais aussi aider à les organiser lui-même.
L’appel au changement peut être entendu de différentes manières. C’est à nous d’expliquer notre vision du « changement de système » et de populariser une autre forme de société. Le capitalisme conduit à de plus en plus d’inégalités et de divisions. Nous avons besoin d’une société socialiste centrée sur les besoins de la majorité de la population. Dans la période à venir, le PSL continuera à prendre des initiatives pour soutenir et développer les luttes, tout en défendant et en renforçant notre projet de changement socialiste. Rejoignez-nous !