Y’en a assez de cette société ! Réponse socialiste pour un urgent changement de système

On n’oubliera pas de sitôt ces dizaines de milliers de jeunes grévistes pour le climat qui, des mois durant, ont notamment crié ‘‘system change, not climate change!’’ (‘‘changeons le système, pas le climat !’’) avec une colère mêlée d’espoir et d’angoisse. Nous sommes de plus en plus à en être convaincus: il n’y a plus de temps à perdre ! Le changement climatique est déjà là et nous n’avons qu’une petite fenêtre d’opportunité face à nous pour éviter la catastrophe totale. Alors il est urgent de comprendre ce que représente ce système, ce sur quoi il repose et comment il est possible de le renverser au plus vite.

Dossier, par Nicolas Croes

Le système capitaliste nous pousse à l’abîme

Les rapports scientifiques et commentaires d’experts se suivent et se ressemble. S’ils divergent sur l’étendue de la gravité de la situation, ils s’accordent sur un point : les dix années à venir seront cruciales. En juin, l’ancien ministre français de l’environnement (2001-2002) Yves Cochet déclarait ‘‘L’humanité n’existera plus en tant qu’espèce en 2050’’. Au même moment, les scientifiques australiens du Breakthrough National Centre for Climate Restoration publiaient un rapport qui défend que ‘‘La planète et l’humanité auront atteint un point de non-retour à la moitié du siècle (…) sans une action radicale immédiate, nos perspectives sont faibles’’.

En août 2018, une étude de la revue Proceedings of the National Academy of Sciences indiquait encore que la Terre se trouvait proche de son ‘‘point de rupture’’, avec une température pouvant se stabiliser à 4 ou 5 degrés Celsius supplémentaires par rapport à celles de l’ère préindustrielle. À l’ouverture de la COP24, en décembre 2018, David Attenborough (la voix des documentaires Planet Earth de la BBC) déclarait : “Si nous ne faisons rien, il faut s’attendre à l’effondrement de nos civilisations et à la disparition de la nature dans sa quasi-totalité.”

Certains nuancent. Mais même une augmentation de 3 degrés – c’est-à-dire la perspective faisant l’objet du plus large accord si la tendance actuelle se confirme – signifierait une destruction des écosystèmes de l’Arctique et de l’Amazonie. Les sécheresses que cela impliquerait soumettraient la moitié de la population mondiale à vingt jours par an de ‘‘chaleur létale’’, c’est-à-dire à des vagues de chaleur mortelles similaires à celles qui ont causé des dizaines de morts en juin dernier au Nord de l’Inde. Il est impératif de réduire drastiquement les émissions pour garder le réchauffement climatique à 1,5°C par rapport à l’ère préindustrielle et ainsi se prémunir des conséquences les plus dramatiques.

Et s’il n’y avait que les émissions de gaz à effet de serre ! À rythme inchangé, il y aura plus de plastique que de poissons dans les océans en 2050! Aujourd’hui déjà, l’être humain absorbe environ cinq grammes de plastique par semaine, soit l’équivalent du poids d’une carte bancaire, selon le Fonds mondial pour la Nature (WWF). Chaque année, 600.000 tonnes de plastique sont rejetées dans la mer Méditerranée !

L’eau est amenée à devenir un enjeu géopolitique, et nous savons très bien ce que cela signifie dans ce système où règnent les ‘‘guerres pour le pétrole’’ et le pillage néocolonial des ressources. En 2018, les guerres et les persécutions ont poussé 71 millions de personnes à fuir : jamais il n’y a eu autant de réfugiés et de déplacés à travers le monde que l’an dernier. Qu’en sera-t-il avec les profonds changements climatiques qui s’annoncent ? Si nous ne parvenons pas à inverser le cours des choses, la barbarie sera poussée jusqu’à de nouveaux sommets effroyables.

Ni fatalité, ni résignation

Ce futur apocalyptique n’est toutefois inévitable que si on l’accepte ! Prendre conscience qu’il faut changer les choses est un premier pas mais, sans perspective, il est facile de se laisser envahir par un profond sentiment d’impuissance (on parle aujourd’hui d’éco-anxiété) et les discours catastrophistes. Il n’est pas question d’embellir le constat, mais de l’analyser pour déterminer quelles sont les forces sociales capables de délivrer un changement concret et, sur cette base, de développer une stratégie pour arracher la victoire.

Une chose est sûre : nous ne devons pas nous en remettre à ce qui a échoué jusqu’ici. Cela fait des décennies que les divers gouvernements se réunissent, palabrent, promettent, versent des larmes de crocodiles… et n’agissent pas, où alors pour balancer de la poudre aux yeux. Comment ne pas éclater de rage face au gouvernement canadien de Justin Trudeau qui a fait déclarer ‘‘l’urgence climatique’’ au parlement le 17 juin… et a approuvé une extension massive de l’exploitation du pétrole dans le pays le 18 juin, moins de 24 heures après ?!

L’autorité de ces marionnettes politiques hypocrites soumises aux grandes entreprises disparaît à vue d’œil. Mais les préjugés qu’ils ont répandu des années durant ne s’évanouissent pas si facilement. Ces dernières décennies, le règne quasi sans partage de la pensée néolibérale a conduit à une forte individualisation dans la société. Si tellement de gens se sentent si mal face à l’état de l’environnement, c’est non seulement faute de stratégie globale, mais aussi parce que l’establishment – et certains écologistes aussi hélas – font tout pour les culpabiliser en accentuant que le problème, ce sont avant tout les comportements individuels.

Quel magazine n’a pas publié de questionnaire sur l’empreinte écologique et l’impact sur la planète de nos habitudes alimentaires ou de transport? Systématiquement, cela débouche sur des recommandations personnalisées. Il n’y a aucun mal à réfléchir à sa consommation, mais un mode de vie n’est pas un mode de lutte. Il est impossible de combattre le réchauffement climatique simplement en recyclant nos déchets. Mettre l’accent sur le recyclage, c’est non seulement sous-estimer l’immensité du problème, mais également l’immensité du pouvoir que nous avons pour changer les choses.

Le recyclage individuel tel qu’il est considéré aujourd’hui est d’ailleurs né de la campagne Keep America Beautiful lancée par Coca-Cola, d’autres géants de la boisson et Phillip Morris après le vote d’une loi interdisant la vente de boissons en emballages non réutilisables en 1953 dans le Vermont, aux Etats-Unis. L’objectif visé était de mettre pression sur les législateurs (la loi fut effectivement abrogée) et de convaincre le public que le problème, ce n’était pas la production et la vente, mais bien la consommation et l’utilisation.

Nous sommes bien plus que des consommateurs, et le champ de nos actions dépasse de loin le cadre étroit du caddie d’un magasin. Présenter le capitalisme comme un simple choix de vie revient à culpabiliser l’individu au lieu de condamner le système, ce qui revient à faire un beau cadeau à ce dernier. Au final, tout est fait pour qu’il nous soit plus facile d’envisager l’effondrement de toute civilisation ou la fin de la planète plutôt que la fin du capitalisme.

Un système qui repose sur le gaspillage

En 2015, une série d’enquêtes journalistiques révélaient que les multinationales pétrolières avaient conclu que le réchauffement climatique était un risque réel à partir de 1977 déjà. Elles avaient donc décidé en toute connaissance de cause de dépenser des millions de dollars en relations publiques et lobbying pour convaincre les politiciens et le grand public que le réchauffement climatique n’existait pas ou qu’il s’agissait d’un phénomène naturel. De plus récentes études montrent que ces entreprises étaient au courant depuis 1954 au moins (date du rapport du géochimiste Harrison Brown à l’American Petroleum Institute).

Récemment, ExxonMobil, Shell, Chevron, BP et Total ont reconnu leurs erreurs et annoncé leur soutien affiché à la maîtrise du réchauffement climatique. Mais, dans les faits, l’ONG InfluenceMap a révélé que ces géants du pétrole ont dépensé un milliard de dollars en lobbying visant à ‘‘étendre leurs opérations en matière d’énergies fossiles’’ depuis les Accords de Paris sur le Climat, en 2015 ! Ces entreprises sont capables de tout sacrifier – environnement, santé, droits des peuples indigènes,…- pour satisfaire l’avidité de leurs actionnaires.

Ce ne serait que justice d’exproprier ces multinationales criminelles, il faut les empêcher de nuire. C’est là que se situe le problème fondamental : le capitalisme repose sur la propriété privée des moyens de production et d’échange ainsi que sur la concurrence dans le but d’accumuler du profit. C’est l’exploitation de la majorité au profit de la minorité possédante.

Ce système entrave la technologie et ce qu’il est possible de faire pour le bien de la planète ou de l’humanité. C’est de toute évidence le cas au niveau des énergies renouvelables. Mais les moyens techniques actuels permettraient aussi, par exemple, de libérer l’être humain d’énormément de temps de travail. Au lieu d’augmenter le bien-être de chaque être humain, des masses de gens sont jetées dans la précarité. La seule manière d’assurer que le remplacement du travail manuel par la technologie puisse libérer les travailleurs sans atteindre leurs conditions de vie est la diminution du temps de travail sans perte de salaire et avec embauches compensatoires. Pour cela, il faudra posséder nous-mêmes les lieux de travail, les capitalistes n’accepteront jamais pareille atteinte à leurs bénéfices.

Plutôt que d’être réinvesties dans la protection de l’environnement et le développement social, culturel ou technologique, les richesses sont stockées dans des paradis fiscaux et servent, par exemple, à spéculer sur le prix des denrées alimentaires ou bien dorment sur des comptes en banque pour générer des intérêts. Les investissements dans la technologie de guerre étant plus rentables que pour sauvegarder notre environnement, nous nous retrouvons avec des machines à tuer sophistiquées à la durée de vie certainement plus longue que les téléphones et autres outils du quotidien volontairement programmés pour ne fonctionner correctement qu’un court laps de temps.

Ce fonctionnement est une pure aberration. Le fait que le résultat des recherches scientifiques faites par des entreprises privées ne soit pas collectivisé amène les entreprises concurrentes à refaire ces recherches avec le risque évident de refaire les erreurs de la première. C’est un gaspillage complet de temps, d’énergie et d’argent. Ce non-sens n’est justifiable que par la logique de profit et la concurrence du secteur privé. Cette logique agit comme un frein au progrès: retient des nouveaux brevets, refus de produire de nouveaux médicaments tant que les anciens stocks ne sont pas écoulés, production polluante car moins coûteuse, etc.

Concentrer la colère vers les fondements du système

Nous ne sommes pas que des consommateurs : nous sommes surtout des producteurs de richesses, c’est notre travail qui fait tourner l’économie. Cette force sociale, c’est la faiblesse du système capitaliste. La classe sociale dominante possède les moyens de production et les utilise comme bon lui semble, mais cette puissance peut être vaincue lorsque la classe des travailleurs se croise les bras et que plus rien ne tourne. Grâce à la grève, il nous est possible de bloquer l’économie toute entière. C’est une étape déterminante non seulement pour se rendre compte de notre force collective, mais aussi pour remettre en question la propriété de ces moyens de production. Les patrons ont besoin des travailleurs, mais les travailleurs n’ont pas besoin de patrons !

Imaginons ce qu’il serait possible de faire si les secteurs stratégiques de l’économie tels que l’énergie et la finance étaient expropriés et placés dans les mains de la collectivité ! Que ne serait-il pas possible de réaliser en possédant ces moyens et en décidant démocratiquement de la manière de les gérer dans le cadre d’une planification rationnelle de la production !

Ce système est à bout de souffle. Dix ans après la grande récession, une certaine reprise économique a eu lieu, essentiellement basée sur les ressources injectées dans l’économie par les autorités. Cela a contribué à creuser davantage le fossé entre riches et pauvres. L’élite au sommet de la société en a profité alors que la vaste majorité de la population a souffert de l’austérité. Mais aujourd’hui, l’économie mondiale est à nouveau au bord de la crise.

Cependant, tout comme les aristocrates se sont accrochés au pouvoir alors que le féodalisme était obsolète face au nouveau système naissant, la bourgeoise – qui possède les moyens de production autant que les aristocrates possédaient les terres à l’époque – s’accroche au pouvoir malgré la preuve évidente que son système est dépassé. Des mouvements de masses menant directement à des révolutions ont été nécessaires pour arracher le pouvoir à la vieille aristocratie, il en ira de même pour arracher le pouvoir des mains des capitalistes.

L’ère des mouvement de masse

A la suite de la crise économique de 2007-8, des mouvements de masse exceptionnellement dynamiques ont eu lieu de par le monde, y compris de dimension révolutionnaire ou prérévolutionnaire comme ce fut le cas avec les révolutions de 2011 en Afrique du Nord et au Moyen-Orient ou avec les luttes des travailleurs grecs dans la période de 2010 à 2013. Ces luttes n’ont hélas pas réussi à conduire à un changement de système.

En Egypte, en Syrie et en Libye, les révolutions se sont transformées en contre-révolutions ouvertes en raison de l’absence d’un parti révolutionnaire de masse capable d’orienter la colère à l’aide d’une stratégie claire et d’un programme visant à renverser tout le système et non pas seulement les dictateurs. En Grèce, le parti de gauche SYRIZA a capitulé une fois arrivé au pouvoir en 2015 faute de disposer d’un programme de rupture anticapitaliste et socialiste. C’est l’absence de partis révolutionnaires de masse qui a permis à la classe dirigeante de mener une contre-offensive à l’échelle mondiale et de faire payer aux masses populaires de la planète la crise que le système capitaliste avait lui-même créée.

Mais en dépit de ces défaites, des dizaines de millions de travailleurs et de jeunes se sont radicalisés et sont à la recherche d’idées et de méthodes de lutte. La méthode de la grève a fait son retour sur le devant de la scène. En Belgique, le plan d’action syndical de 2014 a remis au goût du jour la grève générale politique, contre un gouvernement, et a popularisé l’idée d’un plan d’action. L’outil de la grève a également été saisi par le mouvement pour le climat à travers le monde sous l’impulsion de la jeunesse ou encore par le mouvement pour l’émancipation des femmes.

Lors de ce mois de juin uniquement, alors que les mobilisations de masse se poursuivaient en dépit de la répression en Algérie ou au Soudan, le régime de droite du président brésilien Bolsonaro a fait face à une grève générale qui a mobilisé 45 millions de travailleurs. A Hong Kong, plus de deux millions de personnes (plus d’un quart des habitants !) se sont mobilisées contre une loi répressive et contre la soumission au régime de Pékin. En Suisse, 500.000 personnes ont participé aux mobilisations dans le cadre d’une grève féministe organisée par les syndicats.

La colère est vaste et profonde. L’ingrédient crucial qui manque est une alternative politique de masse pour organiser la classe des travailleurs, les opprimés et les pauvres à l’échelle internationale autour d’un programme cohérent de transformation socialiste de la société. Nous sommes confrontés à un choix. Soit l’infime minorité parasitaire continue à piller la planète tout en continuant à s’enrichir en ruinant la vie de la grande majorité de la population. Soit nous parvenons à une société socialiste démocratique, qui ferait en sorte que toutes les ressources, les connaissances scientifiques et les capacités productives modernes soient mises au service de la société tout entière, et dans le respect de l’environnement.

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