La riposte à la pandémie entravée par le capitalisme

 

Depuis le début de la crise sanitaire, divers articles ont souligné à quel point les pandémies sont favorisées par les contradictions du système de production.(1) La pandémie de SARS-COV-2 provient elle-même de ces contradictions, mais elle est également un facteur qui aiguise les contradictions du système capitaliste. Pour y faire face, les outils nécessaires à la résolution de la crise sanitaire sont embourbés dans une logique de concurrence qui affecte sérieusement leurs efficacités.

Par Alain (Namur)

La crise d’autorité de la science

Nous avons atteint un niveau de connaissances scientifiques et techniques inégalé dans l’histoire de l’humanité. Cela nous permet de décrire avec plus de précision le monde qui nous entoure mais aussi de faire des prévisions dans un ensemble de domaine des sciences naturelles. Plusieurs scientifiques avaient averti à l’époque de l’émergence du SRAS qu’il y aurait d’autre virus de la famille des coronaviridae qui émergeraient. En dépit de ces avertissements, la logique de l’austérité a entrainé la diminution des budgets de la recherche sur ces questions. En Belgique, cela a même conduit à la décision irrationnelle de destruction de stocks publics de masques qui auraient été bien nécessaires en début de crise.

Dans sa phase ascendante, le capitalisme s’est basé sur le développement des sciences et de la technique lors de sa lutte contre l’ancien régime, le féodalisme. La classe bourgeoise désirait tout soumettre au règne de la raison. Des philosophies comme le positivisme, au XIXe siècle, reposaient sur une confiance totale et idéaliste envers la science et à son développement pour résoudre l’ensemble des problèmes de l’humanité. Nous sommes aujourd’hui bien loin de cette période. La vérité scientifique est considérée par une partie de la bourgeoisie comme une entrave à son accumulation de capital. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre les discours climato-négationniste de populistes de droite comme Trump.

La crise d’autorité qui affecte toutes les institutions bourgeoises : partis, médias, démocratie représentative,… affecte aussi l’institution scientifique et toutes celles et ceux qui la représente. Plusieurs villes de par le monde ont connu des manifs anti-masques. Sur les réseaux sociaux, les groupes antivax opposés aux vaccins qui existaient déjà ont trouvé une nouvelle jeunesse autour de l’idée que le futur vaccin contre le covid-19… ‘‘aurait une puce qui réagirait avec la 5G pour tracer les gens’’ ! Ce genre d’affirmations irrationnelles est évidemment un problème en temps de crise sanitaire, mais il n’est que la résultante du fait que la bourgeoisie manque de crédibilité d’une part et que celle-ci a d’autre part elle-même affaiblit son propre crédit puisque certaines couches en son sein défendent des notions telles que la ‘‘post-vérité’’ ou encore les ‘‘faits alternatifs’’ chers à l’alt-right (droite alternative) aux USA.

La course contre la montre au lieu de la coopération

A la date du 31 juillet 2020, l’OMS recensait 165 projets de recherche sur les candidats vaccins contre le coronavirus. 26 étaient en phase clinique c’est-à-dire en test sur l’humain et 5 étaient en dernière phase de test avant la demande d’autorisation de mise sur le marché (Le Soir du 07/08/20). Cette course est évidemment source de spéculation.

Une des sociétés qui fait la course en tête, la biotech Moderna, est valorisée à 30 milliards de dollars alors que son chiffre d’affaire de 2019 n’était même pas de 60 millions. On le voit, certains capitalistes considèrent la crise comme une opportunité de spéculer. Le vaccin est considéré comme une marchandise cotée en bourse et non pas un outil de santé public. Cela génère la méfiance auprès de nombreux patients et, d’autre part, cela génère du gaspillage de ressources et de temps qui serait mieux utilisés dans la coopération. En effet la science progresse par la discussion transparente, collective et ouverte sur base d’expériences et de résultats.

En parallèle à la concurrence économique entre les entreprises du secteur pharma et dépendant, entre autre, de celle-ci, il y a la concurrence entre blocs économiques. Dès le début de la crise, chaque État a tenté de se mettre en avant comme celui qui gérait le mieux la crise. Les discussions sur les méthodes de comptage et sur les zones de vacances autorisées sont liées à cela.

Au tout début de la pandémie certains Etats ont tenté de faire porter le fardeau à la seule Chine qui, de son côté, a tenté de diminuer le nombre de cas pour ne pas perdre plus d’autorité auprès de sa population. Trump a retiré les subventions des USA à l’Organisation mondiale de la santé (OMS) arguant que le président éthiopien de l’institution était trop proche du régime chinois.

Les tensions commerciales qui pèsent sur l’économie mondiale ont aussi pesé dans la riposte à la crise. Avec la recherche de la mise au point de traitement, chaque économie tente de tirer son épingle du jeu. La Russie a annoncé la sortie d’un vaccin : Sputnik V, pour janvier 2021. A côté de cela, chaque bloc économique tente de stimuler sa propre industrie pharma afin de sortir le traitement au plus vite mais aussi de s’assurer de l’approvisionnement pour sa population.

Dans cette course, les seuls qui vont gagner seront les actionnaires qui ont flairé le bon filon. C’est ironique, parce que ce sont ceux qui n’auront pas à courir un seul mètre. D’un autre côté, la pression du travail est intense dans les équipes de recherche et une fois le traitement mis au point, la charge de travail dans les infrastructures de production sera démultipliée pour produire à moindre coût. Dans ce sens, il faut d’ores et déjà que les travailleurs et les travailleuses du secteur s’organisent pour ne pas faire face à des législations au travail de crise ou alors à une flambée du travail flexible avec l’embauche massive de contrat temporaire pour absorber la production.

La riposte ne sera efficace que planifiée démocratiquement

Nous avons toutes les ressources pour faire face à cette pandémie. Le tout est de les faire fonctionner dans le but de répondre aux besoins sociaux. A longueur de journée on entend à la TV et on lit sur les réseaux sociaux ou dans les journaux, à quel point cette crise affecte notre vie. A l’école, au boulot, dans nos loisirs, dans notre vie familiale et personnelle tout a été chamboulé par la crise. Face à cela il aurait fallu prendre les mesures qui s’imposent. Une telle pandémie aurait nécessité de mobiliser toutes les ressources pour la combattre. On aurait ainsi pu éviter ou limiter les confinements drastiques que nous connaissons. Avec des tests massifs sur les groupes à risques et dans les lieux de collectivité, cela aurait pu être assuré.

On ne sait pas quand on trouvera un traitement, mais on peut dès à présent planifier certaines choses. Comment produire des vaccins en quantité suffisante ? Dispose-t-on des infrastructures nécessaires ? Doit-on en construire ? En sachant qu’une pandémie se combat au niveau mondial, il faut réfléchir à la manière de produire suffisamment de traitement à l’échelle planétaire. Aujourd’hui, seule la nationalisation des multinationales du secteur pharmaceutique peut nous permettre de répondre aux besoins.

Ces sociétés disposent déjà de chaînes d’approvisionnement et de distribution à travers le monde ainsi que de personnel formé. Avec ce surcroît de travail, l’embauche serait certainement nécessaire, mais sur base de contrats stables et dans de bonnes conditions. L’introduction de l’automatisation de la production permettrait d’assurer un rythme de travail humain soutenable.

Ce genre de mesures nécessaires ne peut évidemment advenir que dans le cadre d’un mouvement social qui revendique de reprendre le contrôle sur la production et la distribution de richesse. Ce type de mouvement qui implique la majorité de la population serait la meilleure arme contre celles et ceux qui répandent des théories idéalistes ou irrationnelles pour leur propre gloire personnelle.

C’est dans ce sens que militent les travailleuses et travailleurs du secteur pharma et l’ensemble du PSL dans le monde du travail. Si tu veux te joindre à nous, ou si toi aussi tu penses que ton secteur d’activité peux contribuer à la résolution de la crise, n’hésite pas à nous contacter !

(1) Lire à ce sujet: “La prochaine pandémie est prévisible, rompons avec le déni de la crise écologique”, Libération fr, 8 avril 2020 et “L’humanité et ses contradictions de classes face aux microbes”, socialisme.be, 18 mars 2020.

Un programme socialiste pour faire face à la crise sanitaire

Une recherche scientifique libérée de la course aux profits

C’est au biologiste américain Jonas Edward Salk que l’on doit l’invention du premier vaccin contre la poliomyélite. Salk n’a jamais breveté son vaccin afin d’en permettre une plus large diffusion. Lorsqu’il lui a été demandé en interview qui détenait le brevet, il a répondu : ‘‘Eh bien, au peuple je dirais. Il n’y a pas de brevet. Pourrait-on breveter le soleil ?’’

Ces considérations sont aux antipodes de l’approche des multinationales pharmaceutiques que se sont lancées dans la course au médicament du coronavirus pour s’approprier la poule aux œufs d’or avant la concurrence. Entre 2000 et 2018, 35 géants pharmaceutiques ont réalisé ensemble un bénéfice net de 1.900 milliards de dollars dans le monde ! Le groupe pharmaceutique américain Gilead Sciences a ainsi vu ses actions augmenter de 22% (l’équivalent de 12 milliards de dollars) dans les premiers temps de la crise mondiale du coronavirus puisqu’il semblerait qu’un de ses produits initialement développé contre l’Ebola, le Remdesivir, pourrait traiter des symptômes du Covid-19. Les motivations du groupe pharmaceutique ne sont pas un mystère : il n’hésite pas à faire payer jusqu’à 2.000 dollars contre le VIH aux États-Unis. Même en temps de pandémie, les entreprises ne renoncent pas à la recherche de profit.

Aujourd’hui, la recherche scientifique dans le domaine pharmaceutique est à la croisée des chemins. Morcelée entre public et privé, elle est prise en étau par la logique d’austérité et de profit. Les conséquences du sous-financement dans le public et l’obligation de résultat exploitable dans le privé entravent fortement le potentiel existant, de même que la logique de concurrence à tous les niveaux. Si l’on veut connaître des bonds dans la connaissance fondamentale et appliquée pharmaceutique, nous n’avons pas d’autre choix que de libérer la recherche scientifique. Le séquençage de l’entièreté du génome humain au début des années 2000 n’a pas tenu les promesses affichées en termes de molécules innovantes. Aujourd’hui, seule la coopération et la mise en commun des différents travaux des équipes de recherches peut faire avancer la science.

En Belgique, il est totalement scandaleux que l’une des plus grandes entreprises pharmaceutiques du pays, GSK, ait annoncé au début de l’année une restructuration qui pourrait coûter plus d’un millier d’emplois! Cela illustre à quel point il est problématique de laisser ce secteur vital être la proie de l’avidité des grands actionnaires. Notre santé compte moins que leurs dividendes.

L’ensemble du secteur doit être aux mains du public afin que les travailleurs et la population dans son ensemble puissent décider démocratiquement de ce qui est produit et de quelle manière. Cela permettra de réduire les prix, d’éliminer les pénuries de médicaments et de rassembler les efforts pour développer de nouveaux vaccins. Il s’agit d’une nécessité car le COVID-19 ne sera pas la dernière pandémie dans ce contexte de destruction des écosystèmes favorable à leur développement.

Nous exigeons :
• Un financement public massif de la recherche scientifique.
• L’abrogation des brevets.
• Un soutien clair aux initiatives de partage d’informations et d’organisation de la coopération scientifique.
• Que la recherche et le développement ne soient pas détachés de la production et de la distribution des outils de santé tels que le matériel médical, les médicaments et les vaccins.
• La nationalisation sous contrôle et gestion des travailleurs et de la collectivité du secteur pharmaceutique et bio-médical.

Aux travailleuses et travailleurs de décider !

Qui mieux que les travailleurs eux-mêmes peuvent savoir de quelle protection ils ont besoin sur leur lieu de travail et quelles mesures peuvent être prises pour assurer la santé de toutes et tous ? Laissons-les décider des mesures nécessaires !

Un comité de crise doit être instauré sur chaque lieu de travail comptant 20 travailleurs. Dans les entreprises où il existe un Comité pour la Prévention et la Protection au Travail (CPPT), celui-ci peut servir de base au comité de crise, dans les entreprises de 20 à 50 salariés sans CPPT, le comité de crise peut être un tremplin vers des élections sociales obligatoires pour un CPPT. Ce comité de crise doit être en mesure de discuter des mesures à prendre et de les imposer. Mais depuis le début de la crise, beaucoup d’entreprises ont tout fait pour élaborer des Task Forces sans la moindre représentation des travailleurs. Les syndicats doivent partir à l’offensive pour faire respecter la voix des travailleurs, y compris en popularisant l’arme de la nationalisation sous contrôle démocratique des entreprises qui refusent de mettre en place un tel comité de crise.

Pour une approche planifiée de la crise !

L’Université de Liège a récemment mis au point un test salivaire afin de dépister sa communauté chaque semaine : étudiants, professeurs et autres membres du personnel, soit 30.000 personnes. ‘‘Il s’agit d’une expérience qui n’a jamais été réalisée ailleurs’’, explique le recteur, ‘‘puisqu’on teste majoritairement les personnes malades. Nous pourrons donc récolter des informations sur la façon dont se propage le virus et sur le nombre de personnes négatives dans une entreprise comme l’université, qui regroupe 30.000 membres.’’

Remarquons d’abord que ce n’est pas un hasard si cette approche a été développée dans une structure publique et non pas dans une des nombreuses entreprises privées du secteur chimique ou pharma en Belgique. Pourquoi cette manière de faire n’est-elle pas appliquée à l’échelle de la société ?

Nous avons besoin d’une approche systémique, qui affronte la pandémie de manière concertée en réunissant les moyens disponibles pour les déployer ensuite là où ils peuvent être le plus efficacement utilisés, sans que la soif de profit des actionnaires ne fasse barrage.

Tout le matériel qui peut servir les efforts du personnel soignant et de la population doit être réquisitionné sans délai. De la même manière, les usines dont la production peut être réorientée pour sécuriser l’approvisionnement de matériel de dépistage,… doivent être réquisitionnées dans un plan de confection public massif de matériel. Nous ne pouvons pas laisser les décisions à ce sujet à la discrétion des patrons qui nous ont largement démontré depuis le début de la crise qu’ils se moquent de notre santé.

Un système national de soins de santé

L’importance des soins de santé n’a jamais été aussi évidente aux yeux de larges couches de la population. Ce soutien doit être saisi pour exiger des investissements massifs pour un service de santé efficace qui ne peut pas être géré comme une entreprise dans un but de profit.

Depuis plus de trente ans, les gouvernements ont limité les budgets des soins de santé, empêché des étudiants en médecine ayant réussi leurs études d’exercer via le numerus clausus, limité le nombre de lits des services hospitaliers, sous-payé l’ensemble du personnel tant médical que para-médical ou technique,… Avec l’argument d’équilibrer les budgets.

Les conditions de travail ont été rendues telles qu’une grande partie des infirmières et infirmiers ne pratiquent réellement ce métier que durant une période de 5 à 10 ans. Tout juste avant le début de la crise du coronavirus, le Centre fédéral d’Expertise des Soins de santé (KCE) et la KU Leuven ont rendu publique une étude qui constatait qu’une infirmière ou infirmier sur quatre n’est pas satisfait de son travail, que 36% sont menacés d’épuisement professionnel et que 10% envisagent de quitter la profession. Selon cette même étude, la pénurie de personnel qui en découle assure qu’une infirmière ou un infirmier d’un hôpital belge s’occupe en moyenne de 9,4 patients, alors que l’on admet généralement, à l’échelon international, que la sécurité du patient n’est plus assurée au-delà de 8 patients par infirmier.

Ensuite, la marchandisation du secteur a poussé les directions hospitalières à externaliser et précariser des services essentiels au bon fonctionnement de la structure hospitalière alors qu’aujourd’hui, plus que jamais, un personnel logistique, administratif et hôtelier en nombre, formé, motivé est nécessaire.

Nous avons besoin d’un refinancement public d’urgence de soins de santé, mais il faut aller plus loin. Répondre aux enjeux de la crise sanitaire actuelle et des probables futures nécessite de construire un système public de soins de santé capable de coordonner les différents niveaux des soins de santé, jusqu’aux maisons médicales de quartier, et qui intègre également les soins à domicile. Ce système doit également intégrer les soins de santé mentaux pour faire face non seulement à l’explosion récente des burn-out et épuisements professionnels, mais également aux multiples problèmes psychologiques qui découlent de la crise.

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