Vivaldi. Un virage social plus qu’insuffisant et sans garantie : la lutte reste nécessaire !

Nous nous sommes habitués à l’absence de gouvernement ayant pleine autorité. Alors qu’en 2010-2011, les 541 jours de crise politique avaient suscité leur lot d’agitation, cette fois-ci, les près de 500 jours se sont déroulés dans une certaine résignation. Il semblait préférable de ne pas avoir de véritable gouvernement au lieu d’un autre gouvernement de droite comme celui de Charles Michel, qui s’en est pris à nos pensions, à nos salaires et à nos services publics, et qui avait en raison de cela subi une sanction électorale en 2019.

Le gouvernement De Croo n’annonce pas de nouvelles mesures d’austérité drastiques, c’est un soulagement. Compte tenu de la crise sanitaire et du rapide effondrement économique, persévérer dans la politique du gouvernement Michel n’était pas une option. Même la N-VA s’en est bien rendu compte, comme l’illustre la note de Magnette et de De Wever, qui comprenait à la fois des ressources supplémentaires pour les soins de santé et l’augmentation de la pension minimum.

La promesse d’une pension minimum de 1500 euros constitue un pas en avant : les années de lutte des syndicats et de la gauche politique ont porté leurs fruits. Cette promesse est encore incertaine et comporte de fortes limitations, mais il s’agit tout de même d’autre chose qu’une nouvelle attaque contre les travailleurs et les pensionnés. Ce n’est qu’en nous mobilisant et en entrant en action que nous pourrons assurer que cette promesse d’une pension minimale de 1500 euros soit effective et s’applique à toutes et tous !

Mais, parallèlement, toutes les mesures adoptées par le gouvernement précédent restent de vigueur. Ce gouvernement reporte également beaucoup de choses à plus tard, avec la possibilité d’une reprise de la politique d’austérité. Après des années de mesures d’économies douloureuses, ce qui nous attend est loin de suffire pour répondre aux besoins des travailleurs et de leurs familles.

Les soins de santé et les pensions

Il était évident que quelque chose devait être fait pour les soins de santé, et des moyens supplémentaires avaient déjà été annoncés. 1,2 milliard d’euros supplémentaires sont promis pour les soins de santé de même que l’augmentation de la norme de croissance des dépenses, de 1,5 à 2,5%. Maintenant que cela a été annoncé à deux reprises, il est temps de voir cela dans la pratique ! Le personnel du secteur de la santé a exigé plus de moyens lors de la manifestation du 13 septembre dernier. Les moyens dont on parle aujourd’hui sont insuffisants après les années d’économies successives dans le budget de la santé (selon Solidaris, pas moins de 2,1 milliards d’euros ont été économisés rien qu’avec le gouvernement Michel) et alors que la norme de croissance des soins de santé est passée de 4,5% à 3% sous Di Rupo puis à 1,5% sous Michel.

La suppression des subventions d’équilibre de la sécurité sociale prévue par le gouvernement Michel ne sera pas concrétisée. Il était prévu d’économiser des milliards en matière de sécurité sociale, le lieu, selon De Wever, où des économies substantielles pouvaient encore être réalisées. Mais ça, c’était avant la crise du coronavirus. Après la crise sanitaire de ces derniers mois et la forte augmentation du nombre d’allocations de chômage temporaires, suivie progressivement d’une hausse du chômage à court terme, il est pratiquement impossible de réduire les fonds de la sécurité sociale.

Le fait que les pensions les plus basses ne soient pas viables n’est pas non plus un fait nouveau. La promesse d’augmenter progressivement les pensions jusqu’à 1500 euros, avec une pension minimum de 1500 euros nets seulement en 2030, doit servir de monnaie d’échange pour maintenir d’application toutes les mesures du gouvernement Michel contre les salaires et les pensions. L’augmentation de la pension minimale est bien entendu une bonne chose, mais celle-ci est très lente et, de plus, il faudra pour y parvenir avoir 45 ans de carrière, ce qui signifie que beaucoup n’y parviendront pas. Raoul Hedebouw, du PTB, observe à juste titre que 90% des femmes n’ont pas derrière elles une carrière de 45 ans et qu’elles n’atteindront que 1.500 euros bruts d’ici 2024. “Je ne comprends pas pourquoi nous n’allons pas jusqu’à 1500 euros nets aujourd’hui”, a déclaré Raoul Hedebouw. Alors qu’au début de cette semaine, on parlait encore d’un budget de 2,3 milliards d’euros pour les pensions, celui-ci est finalement tombé à 700 millions d’euros.

D’autres revendications syndicales – telles que le retrait de l’augmentation de l’âge de la pension, l’augmentation du salaire minimum ou la fin de la loi sur les salaires qui met ceux-ci au régime – ne sont pas du tout mentionnées dans l’accord de coalition. Les revendications du PS telles qu’une réduction de la TVA sur l’énergie à 6 % ou un impôt sur la fortune ont également disparu.

Les dirigeants syndicaux vont-ils accepter cela avec l’argument (loin d’être neuf) selon lequel toute autre composition du gouvernement serait encore plus à droite ? Si jamais c’est le cas, ils laisseraient du côté flamand l’opposition largement aux mains du Vlaams Belang et de la N-VA. Les revendications syndicales ne sont pas à prendre à la légère : il nous faut un plan d’action pour assurer de toutes les arracher. Ces exigences ne sont pas un luxe, c’est ce qui est désespérément nécessaire pour les conditions de vie et la qualité de vie des travailleurs et de leurs familles.

Certaines questions importantes sont mises de côté. Le projet de loi visant à assouplir l’accès à l’avortement – essentiel pour que les femmes puissent effectivement être les maîtres de leur propre ventre – disparaît de la table. La décision de fermer les centrales nucléaires est reportée à l’année prochaine. Il n’est pas question d’un plan public massif de transformation énergétique durable : tout est laissé au secteur privé. Les partis verts présentent comme un trophée l’écologisation obligatoire des voitures de société. Seront-ils bientôt enthousiasmés par le fait que le gouvernement investit davantage dans les voitures de société que dans les transports publics ? Le report de la libéralisation du transport ferroviaire de passagers est proposé comme une mesure verte, mais il ne s’agit malheureusement que d’un report. Ce report sert du reste principalement à mieux préparer la libéralisation : le gouvernement veut mettre en place un projet pilote dans “un bassin de mobilité”, en Flandre et en Wallonie, sur base d’un appel d’offres.

L’arrivée des partis verts ne signifie pas la régularisation des personnes sans-papiers. La politique d’asile menée sous la direction de Theo Francken reste en place. Seul le style de communication à ce sujet changera de manière significative. La seule avancée en matière d’asile est le respect des droits humains internationaux concernant l’emprisonnement des enfants. Pour les personnes sans-papiers elles-mêmes, l’incertitude et la menace d’une expulsion demeurent.

L’opposition de gauche

Les mesures sociales annoncées sont généralement des choses promises ou accordées auparavant. Parallèlement, d’autres mesures nécessaires sont mises au frigo. Enfin, il est immédiatement annoncé qu’au moins 1 milliard d’euros sera économisé dès l’année prochaine. Cela en fait un gouvernement qui ne décide pas vraiment, comme le mensuel “Lutte Socialiste” l’affirme dans son édito du mois d’octobre (écrit avant la formation finale du gouvernement).

L’opposition de droite de la N-VA et du Vlaams Belang a immédiatement tenté de donner le ton. Ils ont souligné que le gouvernement De Croo n’a pas de majorité flamande. Lorsque la N-VA a formé un gouvernement fédéral encore moins majoritaire du côté francophone, cela ne posait pourtant pas de problème. Le président du VB Van Grieken a affirmé que ce gouvernement s’oppose au choix des électeurs. Il n’a pas fait référence à la punition du gouvernement de droite pour sa politique antisociale, mais aux progrès de son parti. La N-VA et le VB restent tous deux silencieux dans toutes les langues concernant le manque de mesures sociales visant les intérêts de la majorité de la population. Theo Francken a appelé à accrocher un drapeau flamand aux façades, mais il n’a rien trouvé à dire concernant les besoins en soins de santé. L’opposition de droite n’a que faire des intérêts et besoins des travailleurs, seuls comptent leurs propres jeux politiques et les divisions grâce auxquelles ils espèrent plus facilement nous exploiter.

Le mouvement ouvrier ne doit pas laisser l’opposition à la droite. Comme l’indique l’éditorial de notre mensuel : “Ce n’est qu’en construisant des luttes par en bas que nous pourrons remporter des victoires, comme ce fut le cas lors de la précédente Grande Dépression des années 1930. Que les militants combatifs des syndicats et des mouvements sociaux se préparent aujourd’hui à organiser la résistance et ne se laissent pas distraire par de vagues promesses sociales”.

Le gouvernement De Croo est obligé de rompre avec la politique d’austérité dure du gouvernement Michel. La déclaration de septembre du gouvernement flamand, en début de semaine, a confirmé que la crise économique et sanitaire oblige à agir ainsi. Ce gouvernement de droite qui comprend trois des quatre partis de la suédoise (la N-VA, le CD&V et l’Open Vld) a dû annoncer un plan d’investissements, insuffisant et principalement axé sur les bénéfices des entreprises, mais qui a entre-temps mis provisoirement un terme à la politique d’austérité antérieure.

A l’heure où même les partis de droite doivent abandonner leurs politiques d’austérité, les sociaux-démocrates et les Verts n’ont pas fait grand-chose. Les défis auxquels nous faisons face sont toutefois considérables : le ralentissement économique entraîne une hausse du chômage, la crise sanitaire est loin d’être terminée, et puis il y a la crise climatique. Cela arrive après des années de politiques néo-libérales qui ont créé une inégalité sans précédent. Ces défis ne seront pas relevés par un vernis social. En outre, la question demeure de savoir qui paiera finalement la facture de ce vernis : sera-t-elle répercutée sur les travailleurs et les jeunes, ou les ressources seront-elles recherchées là où elles se trouvent ?

Le mouvement ouvrier n’a pas pesé sur la formation du gouvernement. Il n’y a pas eu de campagne ni de mobilisation autour des revendications syndicales pour lutter contre les énormes inégalités, combattre la montée du chômage avec la réduction collective du temps de travail sans perte de salaire ou pour chercher des moyens chez les grandes fortunes. Pour les sociaux-démocrates et les Verts, l’impôt sur la fortune est destiné aux programmes électoraux, mais pas aux programmes gouvernementaux. Il ne suffira pas d’attendre les élections pour l’obtenir. Des mesures telles qu’un impôt sur la fortune se heurteraient du reste rapidement au sabotage des grandes entreprises, ce qui souligne l’intérêt de la nationalisation de tout le secteur financier. Pour cela, nous devons nous mobiliser et lutter.

Lors de la précédente grande dépression des années 1930, c’est sur base des luttes des travailleurs que des concessions et des conquêtes sociales allant bien au-delà de ce qui est maintenant sur la table ont été arrachées. La montée des luttes ouvrières aux États-Unis a forcé Roosevelt, dans son deuxième New Deal, à introduire des éléments de sécurité sociale. En Belgique, la grève des mineurs de 1932 a imposé une augmentation de salaire de 1%, la grève générale de 1936 a imposé les congés payés pour toutes et tous, la semaine des 40 heures et l’introduction d’un salaire minimum national. Le développement de l’agitation sociale de la base vers le sommet a conduit à des concessions de la part du sommet, dans l’espoir de maintenir sous contrôle une nouvelle escalade de protestations ouvrières.

Une profonde récession peut initialement avoir un effet paralysant sur la classe ouvrière, surtout si la lutte n’est pas, ou à peine, organisée au niveau syndical et politique. La vague de licenciements qui a commencé, avec une augmentation du chômage surtout chez les jeunes, renforce le sentiment d’insécurité. Cependant, le mécontentement s’accumule et s’exprimera inévitablement. Le capitalisme est en faillite sur tous les fronts : il est incapable d’apporter des réponses à la crise sanitaire, à la récession économique ou à la crise écologique. Il est nécessaire de renverser ce système et de construire une société socialiste où les besoins des travailleurs et de leurs familles constitueront l’axe central de la société. Les travailleuses et travailleurs constituent la grande majorité de la population. Ils et elles sont capables de “prendre d’assaut le ciel”. Les tâches qui nous font face sont d’organiser nos forces pour y parvenir et de développer le programme nécessaire à cette fin.

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