Mise à jour des perspectives – Document du PSL/LSP pour ses Congrès régionaux (2)

Fin novembre / début décembre, le PSL/LSP a organisé des congrès régionaux dans les six districts dans lesquels s’organisent son travail. L’objectif d’un Congrès régional est d’évaluer la situation politique et notre fonctionnement au niveau local. La discussion politique reposait, entre autres, sur une résolution d’actualité approuvée par le Comité national du parti. En raison des circonstances actuelles, la résolution de cette année a été un peu plus longue que d’habitude. Nous publions cette résolution en deux parties : hier la partie internationale, aujourd’hui la partie sur la Belgique. L’édition du texte a été achevée fin octobre, certains éléments sont donc évidemment datés.

Il a fallu un peu moins de 500 jours après les élections (et près de 2 ans après la chute du gouvernement Michel), mais un gouvernement fédéral est arrivé. Cela en fait immédiatement la différence la plus importante dans la situation politique par rapport au Congrès national de 2019. Le plus grand changement global, cependant, est bien entendu l’impact de la pandémie, en particulier en raison de son effet d’énorme accélération et d’approfondissement de la crise économique, mais aussi en raison du discrédit total du néolibéralisme qui a été pendant trois décennies la politique dominante des partis de droite et de gauche – à tel point que la différence entre les deux a pratiquement disparu – et qui avait au minimum été acceptée par les dirigeants syndicaux.

Situation économique et perspectives

Pour une économie ouverte dans un pays petit comme la Belgique, le développement du commerce mondial est un facteur encore plus déterminant qu’ailleurs. Comme indiqué dans la partie précédente concernant les perspectives mondiales, nous sommes entrés dans une nouvelle ère dans laquelle la politique néolibérale atteint ses limites et la dépression ne peut que s’aggraver. Un processus de démondialisation fait partie de cela, avec des guerres commerciales, des conflits régionaux croissants et un protectionnisme croissant dans les principales économies, ce qui signifie qu’il ne faut pas s’attendre à une reprise solide des exportations. Comme le disait Marc De Vos dans sa «chronique business» dans le Trends/Tendance du 28 mai: «La Belgique en particulier est en phase d’alarme. Nous avons vendu notre âme et nos meubles à la mondialisation et à l’Union européenne, qui est son expression régionale. Nous n’avons aucun ancrage économique de secteurs ou d’entreprises stratégiques. Nous dépendons fortement des grands pays voisins, qui sont tous concentrés sur leur relance nationale et leur transformation industrielle. Les institutions de l’Union, nos institutions de mondialisation, ne peuvent pas inverser la tendance, mais sont entraînées par la marée. »

Cependant, les perspectives relativement favorables d’une reprise rapide de l’économie allemande (et l’économie belge suit généralement le développement de l’économie allemande, avec un certain retard toutefois) reposent sur des perspectives de reprise des exportations d’une part et de reprise de la consommation privée d’autre part (Le Soir, 2 septembre). Cependant, cette dernière est fortement liée au développement du virus, qui a une influence décisive sur la confiance des consommateurs. Et le développement du virus, à son tour, repose sur la volonté de prioriser la santé publique afin de rapidement rouvrir complètement l’économie pour remettre la machine à profit sur les rails avant que ce ne soit le cas de la concurrence étrangère.

La consommation privée en Belgique, comme ailleurs, a profondément plongé lors de la première vague du virus et le confinement et elle n’a fait que rebondir avec la fin de celui-ci. Mais début septembre, l’augmentation des chiffres de contagion a fait reculer la confiance des consommateurs aux niveaux d’avril. Donc, si les gouvernements ne parviennent pas à contrôler le risque de contamination, la consommation ne redémarrera pas durablement (Gert Peersman, 1er septembre).

Il ne faut pas non plus attendre la relance des investissements des entreprises. La FEB et l’agence Graydon soulignent que plus de 110.000 entreprises risquent aujourd’hui de faire faillite ou d’avoir un besoin urgent de liquidités (Le Soir, 9 septembre). 25% des entreprises sont actuellement en difficulté financière, sans aide d’État, ce serait 43% (De Standaard, 9 septembre). Pour ces 25% d’entreprises, le déficit financier s’élève à 83 milliards d’euros. Pour les 16% (65.770 entreprises) qui étaient encore en bonne santé avant la pandémie, l’écart s’élève à 68 milliards d’euros.

Cela concerne principalement les petites entreprises de moins de 50 salariés. Les secteurs les plus touchés sont l’Horeca (plus de la moitié), le transport (aviation, compagnies de taxi) avec plus de 43% des entreprises en difficulté, le secteur du tourisme, de la culture et de l’événementiel avec plus de 41%. Le nombre d’entreprises en difficulté reste supérieur au tiers dans le commerce, la construction, l’industrie textile, l’agroalimentaire, la plasturgie. Même dans l’industrie chimique, un peu moins d’un tiers des entreprises ont besoin de liquidités.

Selon une enquête de l’Economic Risk Management Group (ERMG, De Standaard, 29 septembre), coordonnée par la Banque nationale et la FEB, les entreprises prévoient un chiffre d’affaires inférieur de 10% à la normale en 2021 (août -14%, avril -35%). Ils s’attendent donc à ce que leurs investissements diminuent de 19% en 2021. Une entreprise sur cinq aurait moins de trois mois de réserve. Un second confinement déclenché par une seconde vague féroce du virus en raison d’une réouverture rapide, totale et brutale de l’économie donnerait dans ces circonstances lieu à une énorme vague de faillites.

La pandémie a également approfondi et accéléré les problèmes existants dans l’économie belge. Gert Peersman se penche sur l’évolution de l’économie depuis 2000 (De Standaard, 29 septembre) et aux prévisions faites à l’époque par la Commission vieillissement (la Commission d’étude sur le vieillissement a été créée en 2001 au sein du Haut Conseil des finances, dans le cadre de la loi du 5 septembre 2001 pour assurer une réduction continue de la dette publique et établir un fonds de vieillissement), qui supposait qu’à politiques inchangées, les dépenses sociales (20,8% du PIB en 2000) augmenteraient de 0,7% d’ici 2020 et de 2,6% d’ici 2030. Cela a conduit à la mise en place du Fonds de vieillissement, qui aurait dû être alimenté par les excédents budgétaires résultant d’une diminution des dépenses liées aux intérêts de la dette. Cependant, ce fonds est resté une coquille vide et les dépenses sociales avaient déjà augmenté de 4% avant la crise du coronavirus, bien que les dépenses de retraite et de soins de santé aient été inférieures de respectivement 2 et 3 milliards d’euros en 2019 par rapport aux prévisions de la Commission vieillissement.

Le PIB a après tout augmenté beaucoup moins vite que prévu: la Commission vieillissement supposait que le PIB augmenterait de 51% d’ici 2019, contre seulement 32% en termes réels. Le nombre d’emplois a augmenté de 800.000 (le double de ce qui était prévu) et le taux d’emploi a augmenté, mais cela ne s’est pas avéré être une panacée. La surestimation de la croissance peut être pleinement expliquée par la faible croissance de la productivité. Dans le scénario pessimiste de la Commission vieillissement, la productivité devait augmenter de 1,75% par an, mais en pratique, la croissance moyenne de la productivité était d’à peine 0,5% (contre une moyenne de 1,1% dans l’OCDE). Selon Peersman, cela est dû d’une part à d’insuffisants investissements des autorités (dans les infrastructures, mais aussi dans l’innovation, la recherche fondamentale, la numérisation, la mobilité et le climat) et d’autre part à une sur-réglementation ainsi qu’à un manque de concurrence domestique dus aux freins imposés par des groupes de pression. Donc pour lui, les négociateurs de Vivaldi ont commis une erreur en donnant la priorité à davantage de dépenses sociales et en augmentant le pouvoir d’achat, ce qui serait insoutenable en raison du manque de croissance de la productivité. «Semez d’abord, récoltez ensuite», telle est sa devise.

Cependant, peu d’investissements doivent être attendus des entreprises et encore moins d’investissements productifs. Dans la dépression en cours, où la demande s’est effondrée, il est pratiquement impossible d’atteindre une rentabilité à court terme grâce à des investissements productifs, sauf dans quelques secteurs spécifiques. Le capital évolue alors dans une direction spéculative, de sorte que les marchés boursiers se portent encore relativement bien malgré l’effondrement économique. L’immobilier reste également un investissement plus sûr dans cette situation, de sorte que les prix des logements en Belgique continuent d’augmenter. Cela signifie également qu’une grande partie du soutien supplémentaire au pouvoir d’achat des familles ira au logement, de sorte que l’effet sur le niveau de vie et le bien-être sera extrêmement limité, voire nul.

La reprise attendue doit donc dépendre presque entièrement de l’investissement public. Cependant, sur les 3,2 milliards de nouvelles politiques envisagées par le gouvernement Vivaldi, seulement 1 milliard d’euros est consacré aux investissements, principalement dans la justice et la police. En outre, un milliard d’euros sera consacré aux investissements, principalement dans les chemins de fer et la numérisation de l’administration publique (là encore, principalement la justice et la police) et aux mesures fiscales visant à soutenir les investissements des entreprises. Il tombe quelques gouttes sur une plaque brûlante après quatre décennies de sous-financement et de sous-investissement dans tout.

Comparé aux plans de relance de nos pays voisins – en France et en Allemagne à hauteur de 4% du PIB – le plan de relance belge, à peine 1% environ du PIB, est une créature bien maigre. Cela s’ajoute au fait que les mesures fiscales de soutien à l’économie en Belgique étaient également extrêmement limitées par rapport aux autres pays européens (voir les données qui se trouvent dans la partie consacrée aux perspectives internationales). Ceci est bien sûr lié au fait que la Belgique, avec sa dette nationale historiquement élevée, dispose de beaucoup moins de réserves que ses pays voisins.

Le gouvernement flamand prévoit un plan de relance de 4,3 milliards (en supposant que 3 milliards proviendront du Fonds européen de relance (qui accorde 5,1 milliards pour la Belgique) et du fonds Brexit). Les efforts du budget : 286 millions supplémentaires pour de meilleurs salaires et plus de personnel dans le secteur de la santé (ce montant passera à 538 millions dans les 3 prochaines années); 250 millions supplémentaires pour l’enseignement, y compris pour la numérisation, 120 millions pour les investissements dans les Techniques d’information et de communication.

Dans le magazine économique de la Banque nationale, les économistes Xavier Debrun, Mariusz Jarmuzek et Anna Shabunina ont publié un article sur le plafond de sécurité de la dette publique des pays (De Tijd, 22 septembre). «Ils définissent cette limite supérieure de sécurité comme «le taux d’endettement le plus élevé que le gouvernement est susceptible de pouvoir stabiliser ou réduire uniquement par la politique budgétaire en cas de conditions défavorables persistantes». Pour la Belgique, ils ont calculé que la limite supérieure se situe aujourd’hui à 120% du PIB. Une dette au-dessus du plafond de sécurité signifie qu’il y a plus de 5 ou 10 pour cent de chances que le gouvernement perde le contrôle de la dynamique de la dette en cas de chocs économiques négatifs ou d’événements exceptionnels tels que la crise financière ou la crise du coronavirus. Au cours des dernières décennies, la Belgique n’a jamais été confrontée à une véritable crise de la dette, pas même lorsque le taux d’endettement a culminé à plus de 135% en 1993. » (…) Mais le taux d’endettement passera à 117% du PIB à la fin de cette année, a calculé De Tijd sur la base des dernières prévisions du Bureau fédéral du Plan. (www.tijd.be, ‘Belgische overheidsschuld nadert gevarenzone’, 22 september 2020)

Cette dette nationale élevée est la raison pour laquelle Pierre Wunsch, gouverneur de la Banque nationale, s’est prononcé contre l’appel du président du PS Magnette en faveur d’un plan de relance de 37,5 milliards d’euros. Selon lui, la Belgique ne peut pas provoquer elle-même de reprise, mais doit attendre avec impatience la reprise dans les pays voisins et soutenir cette dynamique. Les investissements particulièrement faibles planifiés par le gouvernement fédéral montrent que le gouvernement De Croo a suivi Wunsch avant Magnette en juin.

Dans l’intervalle, le nouveau baromètre de la pauvreté (De Standaard, 28 septembre) affiche des chiffres clairement négatifs. Dans seulement 15 des 300 communes flamandes, la pauvreté a diminué au cours des 12 dernières années et ce n’est que dans 4 communes seulement que la pauvreté a diminué parmi les familles avec de jeunes enfants. Au cours de ces 12 années, le nombre de salaires décents est passé de 22.000 à 39.000 et le nombre de familles réclamant une aide alimentaire a également presque doublé (195.000 en mai 2020). Michel Debruyne (coordinateur des objectifs de la décennie) s’attend à ce que le pire arrive : «Une énorme vague de nouvelles demandes d’aide se dirige vers le CPAS. (…) Des décennies de minables politiques de pauvreté sont sanctionnées aujourd’hui. L’impact se fera sentir pendant de nombreuses années. » À Bruxelles, le nombre de bénéficiaires du revenu minimum d’insertion entre 2009 et 2019 – avant même la pandémie – a augmenté de 68% (Baromètre social 2019, Le Soir, 7 mars) a doublé chez les jeunes de 18 à 24 ans. 17% des 18-24 ans et 21% des 18-64 ans vivent d’un revenu de remplacement. La diminution de 20.000 demandeurs d’emploi en 10 ans, notamment parmi les bénéficiaires d’allocations, doit être comparée à l’augmentation de 15.000 personnes qui perçoivent des allocations du CPAS. Les allocations sont presque toujours inférieures au seuil de pauvreté (qui est de 1.187 euros pour un isolé et de 2.493 euros pour un ménage) et c’est également le cas pour de nombreux emplois à bas salaires. Un tiers de la population bruxelloise (33%) vit avec un revenu inférieur à ce seuil, contre 10% de la population flamande. En Wallonie, il s’agit de 21,8% de la population mais le chiffre grimpe à 51,6% pour les familles monoparentales («Plan wallon de sortie de la pauvreté 2020-2024», note d’orientation du gouvernement wallon)

L’augmentation de la pension minimum (pour une carrière complète) à 1580 euros bruts / mois d’ici 2024 (coût 1,2 milliard), la prime de retraite réintroduite pour celles et ceux qui travaillent plus longtemps que nécessaire (également pour les indépendants), la mise en œuvre de l’accord social déjà conclu dans le secteur des soins (1,2 milliard), une augmentation minimale des allocations sociales, une garde d’enfants fiscalement moins chère et une allocations plus élevée pour les personnes handicapées cohabitantes, voilà le volet social du programme gouvernemental Vivaldi (au total 2,3 milliards). Il ne faut pas s’attendre à une baisse sensible de la pauvreté, ce qui pèsera sur l’augmentation attendue de la consommation.

Tout cela soulève de sérieuses questions sur les dernières prévisions de croissance économique du Bureau fédéral du Plan (Le Soir, 10 septembre), notamment en ce qui concerne la perspective d’une augmentation de la consommation privée. Pour 2020, il prévoit désormais une croissance négative de -7,4% (-10,6% prévus en juin) – « toujours la plus profonde récession de l’histoire moderne du pays », selon Philippe Donnay, commissaire du Bureau du Plan. Pour 2021, il s’attend à une croissance de 6,5% (contre 8,2% en juin), principalement basée sur les exportations et la consommation privée.

Le revenu réel disponible des particuliers a relativement résisté (-0,3%) – en moyenne bien sûr – en raison du chômage temporaire et des allocations d’attente (différées, 25% étant à la fin septembre). toujours en attente de leur prestation d’été) et des primes pour les indépendants. Malgré cela, la consommation s’est effondrée de -8,7% en raison de la fermeture des commerces, de l’horeca et des activités culturelles, mais aussi en raison d’une baisse de confiance due à une peur croissante du chômage. Le taux d’épargne est passé à 20,1% en 2020, mais devrait retomber à 14,7%. Les dépenses des ménages devraient à nouveau augmenter de 9% en 2021 (alors que le revenu disponible ne devrait augmenter que de 2%).

Il est très difficile de développer des perspectives économiques exactes, compte tenu du développement imprévisible du virus et de la dépendance vis-à-vis de l’économie et du commerce mondiaux, mais il peut être considéré comme certain que les plans du gouvernement fédéral ne visent qu’à empêcher «le pire» et n’offrent pas la possibilité de réaliser une véritable reprise à court ou moyen terme. C’est aussi la raison pour laquelle l’attaque fondamentale contre la sécurité sociale, réclamée depuis longtemps par les patrons, doit être reportée pour le moment: dans le contexte actuel de crise profonde, il s’agit d’un stabilisateur important qui prévient le pire et dont les coûts sont principalement supportés par les travailleurs eux-mêmes et les autorités (puisque reposant sur l’argent des impôts provenant principalement des travailleurs).

Mais s’il n’y a pas de reprise sérieuse, les dépenses sociales augmenteront rapidement. Une fois que les systèmes de chômage temporaire et de soutien aux indépendants prendront fin, le taux de chômage continuera de grimper, tout comme le nombre de personnes ayant besoin du soutien du CPAS, un nombre qui a considérablement augmenté sous l’effet du coronavirus. Dans une ville comme Bruges, par exemple, le nombre de demandes d’allocations de CPAS a augmenté de 65% entre mars et mai de cette année. On ignore ce que les budgets régionaux ont fourni pour absorber cette augmentation et sur quel soutien supplémentaire le CPAS peut compter. Si cela ne suffit pas, les déficits budgétaires des villes et des communes vont rapidement augmenter. En fait, le gouvernement fédéral a simplement reporté des choix difficiles, en attendant une reprise, notamment en Allemagne. Cela était également nécessaire afin de constituer le gouvernement, mais ces choix ne peuvent être reportés indéfiniment.

Perspectives pour la lutte de classe

Les principaux récents développements de la lutte de classe s’inscrivent tous dans le cadre des secteurs essentiels. Dans des circonstances très difficiles (augmentation du nombre d’infections, notamment à Bruxelles, promesse d’investissements supplémentaires dans la santé et intimidation du bourgmestre de Bruxelles) 7000 participants (principalement bruxellois) se sont présentés pour la manifestation de La Santé en Lutte du 13 septembre. Cela montre deux choses: le pouvoir des militants combatifs de faire pression sur leurs dirigeants syndicaux (notamment à la CGSP ALR, dans une moindre mesure la FGTB Bruxelles) sur base d’une conscience de classe accrue, d’un soutien populaire aux secteurs essentiels et du pouvoir de l’organisation – à l’extérieur et à côté des structures syndicales – d’éléments combatifs à l’intérieur et à l’extérieur des syndicats.

Dans le secteur de la distribution, c’est principalement la grève d’Aldi (contre la tentative de la direction de reconsidérer les mesures supplémentaires imposées par le personnel lors de la première vague du virus) qui a montré le potentiel de lutte dans les secteurs essentiels. Tout comme dans le secteur de la santé, cette lutte n’a pas été impulsée par la direction syndicale. La grève a commencé spontanément sur le lieu de travail et s’est propagée à une vitesse remarquable. Dans les secteurs essentiels – dont la quasi-totalité sont mal payés et avec de mauvaises conditions de travail – la confiance des travailleurs dans leur capacité à obtenir des résultats s’est accrue, avec un plus grand soutien de l’ensemble de la population.

Dans les secteurs où les profits ont augmenté sous l’influence de la pandémie, la marge d’augmentation des salaires de 0,0% que la FEB a prévue pour les prochaines négociations de l’AIP (à partir de janvier 2021) rencontrera des résistances. Ce sera également le cas si la restructuration des entreprises rentables se poursuit, malgré le manque de stratégie et de volonté de se battre de la part de la direction syndicale. Certes, dans les secteurs essentiels – dans lesquels sont principalement employés des femmes, des jeunes et des migrants – il y a des opportunités de lutter pour un salaire minimum de 14 euros / h et contre les contrats précaires, même si une hausse du taux de chômage fait craindre de tomber au chômage. La question de la sécurité au travail dans le contexte de l’épidémie sera également une préoccupation permanente, qui peut à tout moment se transformer en lutte, comme l’a montré l’exemple d’AB-Inbev à Jupille. Notre programme coronavirus, qui met en évidence le rôle des comités de prévention et de protection au travail, reste un bon instrument pour cela. Si de nouveaux confinements sont instaurés et que le télétravail reste acquis dans de nombreux secteurs, une bataille spécifique peut se développer autour des conditions du télétravail lorsque les enfants doivent rester à la maison.

Une histoire différente peut être vue dans les secteurs durement touchés par le confinement et la baisse de la consommation. Dans le secteur du tourisme et de l’horeca, cela concerne principalement des petites entreprises à très faible degré de syndicalisation. Le secteur de la distribution non alimentaire connaît déjà une remarquable vague de faillites, de restructurations et d’acquisitions: «Le« secteur de la mode » est l’un des sous-segments sous pression. Dominique Michel, CEO de Comeos, affirme qu’une entreprise sur deux de ce segment est en difficulté financière. «Un certain nombre d’entre eux préparent un plan de restructuration», dit-il sans citer de noms. Au cours de l’année écoulée, dix entreprises ont déjà annoncé des plans de restructuration. Le plus grand détaillant de mode belge, FNG, a vu toute sa société du Benelux faire faillite. Chez FNG (Fred & Ginger, CKS, Brantano,…) plus de 1000 emplois et plus de 100 magasins ont été perdus. Chez Sacha shoes, 140 emplois et 17 magasins sont perdus en raison de la faillite. Camaïeu compte 25 magasins. Sur les 81 magasins en Belgique, Wibra n’en aurait plus que 30 (avec 183 employés, 439 emplois ont été perdus – VRT NWX, 09 octobre) le spécialiste de revêtement de sol Santana avait 10 grands magasins et a fait faillite, Orchestra-Prémaman a fermé 50 magasins, E5-Mode a subi une réorganisation judiciaire, tout comme Maxi Toys. 400 emplois seraient perdus dans cette entreprise de jouets. (De Standaard, 09 septembre) Dans ce contexte, la lutte peut sembler sans espoir pour de nombreux salariés, également en raison de la démission de la direction syndicale. S’il y a un conflit, il tournera principalement autour des indemnités de départ (par exemple chez Wibra). Cependant, l’exemple des luttes du personnel irlandais Debenhams – où les stocks ont été gardés par des piquets de grève pendant plus de 150 jours pour s’assurer qu’ils soient utilisés pour l’indemnité de départ à laquelle les travailleurs ont légalement droit – montre que des conflits peuvent également survenir là où se développe la colère envers les profits passés qui ne sont pas utilisés pour traiter les travailleuses et travailleurs correctement et avec respect.

De nombreuses entreprises touchées par des restructurations ou des rachats peuvent avoir des difficultés pour un plan social. La montée du chômage rendra plus difficile que par le passé dans de nombreuses entreprises le recours aux licenciements volontaires d’une partie de la main-d’œuvre, un outil qui, avec les options de retraite anticipée, a été utilisé dans le passé pour freiner le développement de luttes difficiles. La CNE-commerce fait campagne pour la semaine de 30 heures dans ces secteurs, mais cela ne sera réalisé à court terme qu’au travers d’une lutte acharnée et éventuellement accompagnée d’une perte de salaire. À plus long terme, cependant, lorsque les grandes entreprises qui ne sont pas des filiales commenceront également à se restructurer ou à fermer, la lutte pour réduire les heures de travail sans perte de salaire commencera à gagner en importance car il n’est tout simplement pas possible de vivre avec ces bas salaires, car les salaires commencent à tomber en dessous du salaire minimum.

Nous devons certainement tenir compte du fait que l’augmentation rapide du chômage mettra initialement un frein à la lutte. Il y a un réel danger de chantage dans les négociations de l’AIP pour sacrifier les augmentations de salaire dans les secteurs forts en échange d’une soi-disant «solidarité» pour les revenus les plus bas, principalement payés par la sécurité sociale. La direction syndicale actuelle n’a pas de stratégie pour contrer cela, mais la présence de délégations syndicales militantes pourrait les pousser à aller au-delà des actions symboliques du 28 septembre.

Dans le domaine des services publics, des investissements sont prévus dans les transports publics, notamment pour des bus sans émissions, par exemple, mais les appels d’offres se poursuivent pour les transports publics régionaux en Flandre et une ligne pilote sera également soumise à un appel d’offre pour le transport ferroviaire dans chaque région (bien que la libéralisation complète du chemin de fer soit repoussée de 10 ans). Les investissements vont aux matériaux – l’écologisation, par exemple – et non à l’augmentation du personnel ou à de meilleures conditions de travail. C’est une constatation courante dans les services publics, malgré la pénurie de personnel dans presque tous les services, qui a récemment conduit à des grèves à BPost et à des luttes récurrentes parmi le personnel pénitentiaire ces dernières années. Aucune attaque concrète contre le personnel n’est prévue, mais il ne peut être exclu que le gouvernement essaie à nouveau de grignoter la pension des fonctionnaires, éventuellement dans le cadre de la pension minimum de 1500 euros / mois pour toutes et tous (après une carrière complète). Comme dans le secteur privé, il reste très probable que des conflits éclateront autour de la question de la sécurité au travail.

Les possibilités de parvenir à une lutte généralisée seront initialement limitées. Après tout, les mouvements de lutte généralisés surgissent généralement contre le gouvernement, plutôt que autour d’éléments liés à l’entreprise ou au secteur, bien que des grèves de solidarité plus larges autour, par exemple, des ressources supplémentaires pour les soins ne soient pas exclues, en fonction de l’évolution de l’épidémie, du nombre de décès,… ou de mouvements plus généraux autour de la sécurité au travail. Le gouvernement fédéral, mais aussi les gouvernements régionaux, tenteront d’éviter toute provocation à court terme. Dans ce sens aussi, la période de domination de l’idéologie néolibérale est derrière nous.

Mais un vrai choix n’a pas été fait, au côté de quelques concessions sociales et une fin temporaire de l’attaque contre la sécurité sociale, un certain nombre d’éléments de la politique néolibérale se poursuivent également, comme le fait de compter sur des plans de partenariat public-privé, de libéralisation et de privatisation, l’élimination progressive du statut de la fonction publique (ou au minimum de la pension du fonctionnaire), de faibles impôts sur les bénéfices et les fortunes (ce point spécifique de l’accord de coalition doit encore être défini, mais le fait que seule une recette comprise entre 200 et 300 millions est attendue est significatif), la chasse à la «fraude sociale» (c’est-à-dire la chasse aux chômeurs, aux malades de longue durée, aux chômeurs âgés,…). Après tout, le gouvernement De Croo ne revient pas sur la politique appliquée par le gouvernement Michel.

Mais la privatisation sera très difficile car la volonté d’investir à partir de capitaux privés sera faible dans la plupart des secteurs. Si cette situation perdure pendant longtemps, même les nationalisations pour protéger les entreprises ne sont pas exclues, par exemple dans l’aviation. Cela peut également se produire à un certain moment dans la prise en charge résidentielle pour les personnes âgées et les personnes handicapées. Ils essaieront de reporter cela le plus longtemps possible, de peur de créer un précédent et de donner lieu à des demandes de nationalisations supplémentaires, mais une dépression plus longue pourrait leur imposer de maintenir le tissu économique à flot.

Même si la stratégie de la direction du syndicat reste la même, il y aura des possibilités de lutte. Dans les années 1930 – la seule période de l’histoire qui soit comparable à celle qui s’annonce – les premiers mouvements de lutte ne sont pas partis de la direction des syndicats, ni n’ont été stimulés par le parti de masse des travailleurs existant. L’un de leurs points de départ était les chômeurs, qui étaient obligés de se battre pour une sécurité sociale plus forte en raison de leurs conditions matérielles. La hausse générale du chômage a également entraîné à plus long terme une lutte pour la réduction du temps de travail, avec l’introduction des congés payés, l’extension de la scolarité obligatoire, la retraite à 60 ans et l’introduction progressive de la semaine de 40 heures dans les secteurs dangereux, le secteur minier en tête. «Lorsque la crise économique s’installe, cet argument de redistribution du travail deviendra prépondérant. Jusque-là, une réduction des heures de travail était nécessaire pour avoir plus de temps libre. Au début des années 30, l’exigence d’une journée de travail plus courte pour lutter contre le chômage est apparue: la semaine de 40 heures sans perte de salaire ». («Bref historique de la réduction du temps de travail» Jaak Brepoels, https://www.denktankminerva.be/analysis/2018/4/30/een-kleine-historic-van-de-arbeidsduurvermindering)

Outre les chômeurs, c’étaient les mineurs qui ont déclenché le combat pendant la Grande Dépression. Là aussi, cela ne s’est pas fait à l’instigation des dirigeants syndicaux et même contre l’opposition explicite de la direction du POB, mais par des militants syndicaux et avec un rôle remarquable joué par le très petit groupe de trotskystes autour de Léon Lesoil. L’institutionnalisation à la fois du parti ouvrier et des syndicats dans la gestion du capitalisme en crise a laissé un vide dans lequel une force anticapitaliste avec un programme et des slogans corrects et une orientation correcte sur le lieu de travail a pu jouer un rôle bien au-delà de sa force numérique.

L’histoire ne se répète jamais exactement de la même manière, mais des leçons importantes peuvent être tirées du développement des luttes ouvrières dans les années 1930. L’étude de cette période – en Belgique comme ailleurs – est d’une grande importance pour nos membres pour comprendre quelle attitude est nécessaire non seulement pour développer la lutte mais aussi pour construire le parti révolutionnaire. La hausse du chômage accroît la concurrence entre les travailleurs et, en ce sens, peut conduire à une certaine paralysie temporaire, due également au rôle de la direction officielle. Mais la détérioration des conditions matérielles des travailleurs les oblige également à lutter, d’abord et avant tout parmi ceux qui ont déjà les pires conditions. L’idée que seules des luttes dures et même révolutionnaires peuvent imposer des réalisations peut être acceptée parmi les couches croissantes de la classe ouvrière à mesure que la dépression économique se développe, en particulier lorsqu’un parti révolutionnaire y joue un rôle actif.

En général, dans le contexte de la dépression économique et du désespoir qu’elle crée pour les couches croissantes, des exigences transitoires plus générales telles que la réduction du temps de travail sans perte de salaire et les nationalisations sous le contrôle et la gestion de la classe ouvrière gagneront en importance au détriment des demandes des entreprises à court terme. Il est certainement intéressant pour les camarades d’étudier les attitudes des trotskystes et du mouvement trotskyste dans les années 1930 pour se faire une idée des processus qui peuvent avoir lieu.

Les jeunes et la lutte contre l’oppression

La crise frappera, comme toujours, les couches les plus faibles de la classe ouvrière. Aujourd’hui, il ne s’agit pas seulement de jeunes, mais aussi de femmes et de migrants – les trois groupes qui, au cours de la dernière décennie suivant la crise économique de 2008 dans diverses régions du monde, se sont engagés dans des luttes de masse et même des soulèvements. Même là où cela ne s’est pas (encore) produit, ces dernières années, nous avons assisté à une radicalisation remarquable parmi ces couches avec l’essor du mouvement mondial des femmes (et dans une moindre mesure le mouvement LGBTQI), BLM et les révoltes des jeunes contre l’oppression, l’injustice et les inégalités. Nous rappelons ici l’article du Guardian du 26 octobre de l’année dernière intitulé: «environ 41% de la population mondiale a moins de 24 ans. Et ils sont en colère».

Les manifestations mondiales ont disparu de la scène avec le développement de la pandémie, mais ont été relancées dans diverses parties du monde. Le rôle des jeunes et des femmes est un fait remarquable dans tous ces mouvements. Ne pas accepter ce qui était auparavant considéré comme normal est au cœur de la révolte. La pandémie et ses effets sur la conscience de couches plus larges ont accru le soutien à ces mouvements de la classe ouvrière – la différence entre BLM en 2014 et maintenant en est un exemple remarquable.

Ces tendances sont également de plus en plus évidentes en Belgique. Là où, en 2015, l’humeur radicalisée des jeunes femmes contre le sexisme omniprésent a éclaté pour la première fois en Flandre avec la campagne massive sur les réseaux sociaux «nous n’exagérons pas», nous avons depuis vu des manifestations de rue croissantes, en particulier autour des dates symboliques du 25 novembre et du 8 mars. La Campagne ROSA a joué un rôle important dans cette transition vers la résistance active. La violence à l’égard des femmes, en particulier dans le cadre de relations, restera une priorité dans le contexte d’un risque durable de nouveaux confinements. Le confinement a entraîné une forte augmentation du nombre de signalements de violence, mais le développement de la dépression économique entraînera également une nouvelle augmentation de la violence, car un très petit nombre de femmes seront encore moins capables d’atteindre l’indépendance financière qu’auparavant. Le visage du chômage sera jeune, féminin et issu de l’immigration. La moitié du gouvernement est composée de femmes et le féminicide sera inscrit au code pénal, mais cela doit surtout cacher le fait qu’aucun progrès concret n’est réalisé, y compris dans le dossier de l’avortement ou en ce qui concerne le travail social et les services publics qui s’en prennent à la double tâche des femmes, y compris les soins aux jeunes et aux personnes âgées. La Campagne ROSA devra continuer à enfoncer ce clou: pour résoudre les problèmes des femmes dans la société, un programme social complet et un plan massif d’investissement public dans les besoins de la population sont nécessaires, sous la forme de services publics complets, mais aussi des logements abordables et de qualité. Dans le mouvement LGBTQI, il y a une résistance croissante à la domination de «l’establishment progressiste», ce qui signifie qu’il y a maintenant plus d’opportunités de développement du parti que dans la période précédente. Il faut y prêter suffisamment attention: une femme trans en tant que ministre ne suffit pas! Comme pour les questions des femmes, la politique d’identité, avec la féminisation et la représentation des personnes LGBTQI dans l’élite, n’offre aucune garantie de progrès réels: seul un vaste programme de satisfaction des besoins sociaux et de résolution des déficits peut mettre fin aux discriminations.

Là où, après un large mouvement antiraciste dans les années 1990, le racisme n’a plus conduit à des luttes pendant toute une période, on voit qu’il y a maintenant aussi un revirement, d’abord avec l’horreur de l’extrême droite représentée par Schild and Vriend, maintenant avec les affaires Reuzegom et Chovanek. Un autre aspect important est la crise des réfugiés, qui a conduit auparavant à une solidarité croissante, dans laquelle un vaste réseau, dans lequel sont actifs des syndicalistes, a été mis en place autour du parc Maximilien à Bruxelles. Les récents événements entourant le camp de Moria ont conduit à des manifestations dans plusieurs pays. Un aspect important de ceci est que le nouveau ministre de la migration, Sammy Mahdi (CD&V), poursuivra la ligne de Theo Francken et que les partis verts et le PS ne défendent pas une vision fondamentalement différente à ce sujet: pas de régularisation collective, renforcement de la politique d’expulsion. Ici aussi, la politique d’identité ne se révélera pas être une solution: un ministre issu de l’immigration ne facilitera pas la vie des réfugiés.

Cependant, cette politique répressive n’arrêtera pas les réfugiés. La situation objective globale dans le monde ne peut qu’entraîner une augmentation du nombre de réfugiés fuyant les effets conjugués des crises sanitaire, climatique et économique et de l’augmentation des conflits violents internes et régionaux. Le nombre de femmes, de personnes LGBTQI et de personnes appartenant à des groupes minoritaires nationaux, tribaux ou religieux augmentera également en raison de la répression et de la discrimination croissantes de la part des régimes autoritaires. Les sans-papiers à Bruxelles ont été le premier groupe de la société à briser le confinement avec une série d’actions qui se poursuivent encore aujourd’hui. Encore une fois, une réponse sociale – une réponse de la classe ouvrière – est nécessaire de même que le développement de cadres qui peuvent intervenir dans ce mouvement.

Un autre aspect sera la lutte contre la violence policière, en particulier parmi les jeunes issus de l’immigration dans les villes – la police et la justice sont les services gouvernementaux dans lesquels le plus d’investissements seront réalisés. Pendant le confinement, comme dans d’autres pays, il y a eu une augmentation remarquable de la répression et les différents gouvernements n’y reviendront certainement pas. Nous devons considérer cela comme une préparation de la bourgeoisie à des luttes ouvrières plus turbulentes.

Un autre domaine autour duquel des luttes se sont déroulées ces dernières années et où aucune solution n’est à attendre des différents gouvernements est bien entendu la crise climatique. Ce nouveau gouvernement fédéral démontrera surtout que les partis verts au gouvernement ne font pas de différence fondamentale. C’est précisément parce que les partis verts acceptent le capitalisme que les accents verts seront très limités. Ils essaieront surtout de créer des opportunités pour les «capitalistes verts» sans mettre en danger les intérêts des grandes entreprises. Nous devons nous attendre à une «fiscalité plus verte» avec laquelle la majorité de la population devra payer la facture de mesures vertes limitées. Les différents gouvernements accordent, entre autres, des subventions environnementales pour rendre les logements plus économes en énergie, mais comme c’était le cas auparavant avec les primes pour les panneaux solaires, la majorité de cet argent ira aux couches les plus aisées. Parallèlement, cela fera encore augmenter le prix du logement. Il en va de même pour «l’écologisation» des transports publics, qui conduira probablement à des tarifs plus élevés (par exemple, De Lijn se verra accorder une plus grande liberté pour déterminer les tarifs, ce qui, combiné à un budget trop serré, devrait conduire à une augmentation de la participation des passagers). Les investissements très limités dans les transports publics et l’approche vis-à-vis des voitures de société (où seules les voitures électriques seront progressivement permises) montrent que le passage nécessaire de la conduite individuelle à la mobilité collective et douce n’arrivera pas, mais que les coûts augmenteront pour le travailleur à titre individuel qui a besoin d’une voiture pour se rendre travail, sans qu’elle ne soit fournie par l’entreprise. Les partis verts n’ont pu électoralement progresser que de manière très limitée sur base du mouvement pour le climat car leur attachement au capitalisme et leur volonté de mettre en œuvre le programme de la bourgeoisie n’ose pas répondre à la radicalisation autour des questions environnementales. Maintenant qu’ils sont au gouvernement, ils démontreront qu’il ne faut pas compter sur eux pour les changements nécessaires : même la fermeture des centrales nucléaires n’est pas garantie.

Le développement de la radicalisation à gauche, de l’internationalisme et des idées anticapitalistes parmi la jeunesse seront encore stimulés par le développement de la dépression économique, qui réduira gravement ses perspectives d’avenir sous le capitalisme. La croissance actuelle du chômage est particulièrement évidente chez les jeunes, ce qui soulignera le lien entre la lutte contre l’oppression et contre le système capitaliste et le sentiment qu’ils «n’ont rien à perdre». Des initiatives telles qu’une nouvelle Marche des jeunes pour l’Emploi peuvent répondre à ce processus et nous devons être prêts à prendre une telle initiative au bon moment. Dans une carte blanche publiée dans les pages du quotidien De Standaard (14 novembre 2019) signée par 4 échevins de l’enseignement (de Gand, Ostende, Anvers et Genk), les chiffres suivants sur le décrochage scolaire (qui est fortement lié au retard scolaire : chez les jeunes qui ont au moins 2 ans en retard, environ la moitié abandonne l’école, De Standaard, 2 mai 2020). En moyenne 11% des jeunes en Flandre quittent l’école sans qualification, il s’agit de 8% en moyenne en dehors des villes centrales, mais il s’agit de 15,6% à Gand, 15,8% à Ostende et de 21,5% à Anvers et Genk. Le chômage attend ces jeunes, avec un accès très limité aux revenus de remplacement. Ces jeunes sans perspectives d’avenir peuvent être entraînés par l’extrême droite ou d’autres tendances réactionnaires comme le fondamentalisme islamique, mais une alternative de gauche qui lutte pour de meilleures conditions de vie, cela peut être contrecarré. En plus des revendications et de la lutte pour plus de moyens pour l’enseignement afin de prévenir le décrochage scolaire, nous devons développer des revendications pour les jeunes qui décrochent. Nous devons défendre l’engagement de plus de personnel dans tous les services publics, lié à la revendication de la réduction collective du temps de travail sans perte de salaire, et lié également à l’introduction de stages rémunérés et d’une offre suffisante des possibilité d’enseignement pour des adultes, après quoi un emploi statutaire devrait être proposé.

Surtout, nous devons également répondre à la polarisation idéologique à l’oeuvre parmi la jeunesse, à la fois en construisant les mouvements et en y intervenant avec un profil clairement anticapitaliste ainsi qu’avec un programme socialiste et une stratégie et des tactiques qui peuvent conduire à des victoires. Nos outils de formation marxiste pour les jeunes constitueront un atout majeur avec notre implication dans les luttes. L’ère de «la fin de l’histoire» est derrière nous et avec une clarté idéologique associée à un engagement actif dans la lutte, nous serons en mesure de gagner les meilleurs jeunes radicalisés au pôle de gauche.

Les grands mouvements dans l’enseignement sont derrière nous depuis plusieurs décennies: dans les années 80 dans l’enseignement flamand, dans les années 90 dans l’enseignement francophone. Mais la pandémie a mis à nu tous les problèmes de l’enseignement sous-financée durant des décennies: des infrastructures en ruine (sécurité incendie, infrastructure sanitaire,…), trop peu de places, des salles de classe trop petites trop d’élèves, un phénomène chronique de redoublement et de décrochage scolaire par manque de moyens, la reproduction des différences socio-économiques parmi les étudiants, une énorme pénurie de personnel permanente,… Ce sont les éléments qui empêchent un enseignement sécurisé en temps de coronavirus. Au cours de l’année scolaire précédente, avant l’épidémie de coronavirus, des actions combatives avaient déjà éclaté dans plusieurs écoles de l’enseignement francophone. Combinées à l’insécurité causée par la pandémie, ces actions peuvent se multiplier. C’est certainement le cas étant donné que très peu de ressources supplémentaires sont affectées à l’enseignement dans les budgets des gouvernements des communautés et que les ressources disponibles sont consacrées à la numérisation et aux infrastructures (dans une mesure bien trop limitée, à peine de quoi résoudre les situations les plus pénibles, ce qui est insuffisant pour parvenir à une amélioration fondamentale). L’énorme pénurie de personnel – qui sera exacerbée dans les mois à venir par les infections automnales traditionnelles (rhumes et autres infections respiratoires, grippe) liées au coronavirus (les leçons ne pourront pas être enseignées en toute sécurité dans l’infrastructure actuelle) – ne sera pas résolue, ce qui signifie des conditions de travail encore pire qu’elles ne l’étaient déjà et il en va de même pour les conditions d’apprentissage. Il n’y a pas non plus de ressources supplémentaires pour s’en prendre à l’inégalité sociale croissante dans l’enseignement – qui a énormément augmenté en raison de la crise sanitaire et du télé-apprentissage pendant le confinement – bien que la récente recherche de PISA (De Standaard, 29 septembre et 30 septembre) souligne les énormes problèmes: 3 jeunes de 15 ans sur 10 (30,8%) ont déjà dû doubler une année au moins une fois (la moyenne de l’OCDE est de 11,4%, la Flandre se trouvant au double de cette moyenne avec 23, 2%, en Wallonie il s’agit de pas moins de 41,1%), 43,5% des élèves indiquent que leur directeur souligne régulièrement qu’il y a trop peu d’enseignants disponibles (la moyenne de l’OCDE est de 27,1%). Dans La Libre Belgique (05 décembre 2019), une chronique de Jean Hindriks d’Itinera souligne que le redoublement est socialement très inégal: «En Fédération Wallonie-Bruxelles, 75 % des jeunes des milieux modestes redoublent, contre 9 % au sein du groupe le plus aisé. En Flandre les taux de redoublement sont respectivement de 45% dans les milieux modestes contre 10 % dans les milieux aisés. » (Lalibre.be, Enseignement en état de choc, besoin d’un éléctrochoc, publié le 5 décembre 2019).

La privatisation de longue date de l’espace public est un autre élément de la situation objective exposée par la pandémie, le confinement et les restrictions permanentes telles que les interdictions de rassemblement et les couvre-feux. Les jeunes se voient désormais également refuser les rues, les places et les parcs (et la plage). Cette démolition de l’espace public s’accompagne également d’une violence policière croissante contre les jeunes, en particulier (mais pas seulement) contre les jeunes des communautés issues de la migration dans les grandes villes. Cela sera également un point de discorde dans les années à venir, avec des opportunités de campagnes locales pour des structures de loisirs publiques pour les jeunes (qui ont été progressivement supprimées depuis des décennies en raison des mesures d’austérité en cours dans les villes et les communes) et contre la brutalité policière.

La crise politique sera brièvement couverte par la Vivaldi – pour conduire à une polarisation plus grande et plus profonde.

Le gouvernement De Croo a été formé. Une crise inédite fut nécessaire pour que cela soit possible. L’épidémie n’a pas suffi (six mois plus tard, nous étions encore dans les négociations imposées au PS et à la N-VA au sujet d’un gouvernement rouge-jaune totalement contre nature!). Il a également fallu le développement de la dépression économique, qui a permis d’ouvrir les robinets de trésorerie, permettant au PS de conclure un accord avec les partis libéraux. Comme expliqué dans le document du Congrès pour notre dernier Congrès national, un gouvernement autour du PS et de la N-VA équivaudrait à une mission kamikaze pour ces deux partis. Le cycle de négociations entre Bart De Wever et Magnette l’été dernier visait principalement à donner à la direction du CD&V l’excuse nécessaire pour entamer les négociations pour la Vivaldi. L’accord de coalition – comportant un certain nombre de points majeurs qui restent très vagues – montre principalement que l’élite politique belge ne sait pas trop quoi faire par la suite. Ce gouvernement n’a aucune vision : il s’agit simplement d’un accord où les différentes parties chercheront conjointement des solutions pragmatiques (c’est-à-dire acceptables dans le cadre du capitalisme) aux problèmes qui arriveront. Cela reflète la situation de la bourgeoisie belge elle-même: elle sait qu’une répétition de la dure politique néolibérale suédoise n’est pas possible (parce que cela aggraverait encore la crise économique, mais aussi parce que cela mettrait en péril la paix sociale), mais elle ne sait pas quelle politique doit être appliquée. Plus que dans tout autre pays, la bourgeoisie belge est également engagée dans le projet européen. Lorsque Timmermans mentionne Brexit dans sa liste des « 4 crises à gérer », il faut dire que le coût économique du Brexit paraîtra faible comparé au prix pour l’économie belge de la poursuite de la désintégration de l’UE. Dans la même chronique mentionnée plus haut dans la partie économique, Marc De Vos (Trends/Tendances, 28 mai 2020) exprime les choses comme suit: «La Belgique a utilisé la mondialisation et l’Union (européenne, ndlr) comme support de son système politique dysfonctionnel. Maintenant que la mondialisation est en train d’imploser, nous sommes sans pouvoir et sans compétence. Nous devons apprendre à naviguer dans un monde où l’Europe dérive, la Chine manipule et les États-Unis intimident. Au plus haut niveau de ce pays, les forces et les esprits doivent s’unir autour de la question: comment la Belgique peut-elle tenir sa place dans le monde post-coronavirus. » Le gouvernement ne répond très certainement pas à la question.

Bien que ce gouvernement n’apporte aucune amélioration fondamentale dans aucun domaine social, l’accord de coalition a constitué une rupture avec tous les gouvernements depuis les années 1980. Alors que pendant cette longue période, il y a eu des concessions limitées au mouvement ouvrier – principalement en raison de « demi-victoires » qui signifiaient que les autorités ne mettaient pas pleinement en œuvre leurs projets sous la pression d’une résistance farouche – tandis que des concessions beaucoup plus importantes étaient accordées aux grandes entreprises et au grand capital, tout au long de cette période, chaque gouvernement est parti d’une obsession croissante pour la réduction de la dette publique et des déficits budgétaires importants (depuis les années 1990 sous la pression des normes de Maastricht pour la construction néolibérale qu’est l’Union européenne).

Les syndicats ont mené d’énormes batailles, mais elles ont toutes été défensives. Les revendications offensives avaient disparu de la table et la direction syndicale a généralement accepté le TINA, There is no alternative, il n’y a pas d’alternative au recul social, tout ce que nous pouvons faire, c’est émousser les arêtes les plus vives de la politique d’austérité. Cette acceptation est bien sûr aussi liée au lien encore existant entre les syndicats et le PS / SP.a bourgeoisifiés et le CD&V, qui a toujours été bourgeois mais a complètement perdu le caractère d’un parti populaire.

Ce lien est sous pression depuis un certain temps à la base, où ce lien est aujourd’hui généralement absent. Mais jusqu’à présent, ce lien a subi une pression beaucoup plus forte de la part des partis eux-mêmes, certainement au CD&V et au SP.a, qui ont systématiquement refusé explicitement de soutenir toute revendication syndicale (sauf lorsqu’ils étaient dans l’opposition et, même alors, en faisant la moue). Les chiffres d’adhésion aux partis traditionnels flamands illustrent l’énorme déclin des partis politiques associés aux piliers traditionnels: SP.a, Open VLD et CD&V comptent aujourd’hui à peu près le même nombre d’adhérents que le seul CVP en 1990. Le CD&V est passé 131.719 à 43.000 membres; le SP.a de 94.760 à 37.345 et l’Open VLD de 71.051 à 54.642 (De Standaard 14 septembre). Il ne faut surtout pas s’attendre à une inversion de cette tendance. Après tout, pour le CD&V, la Vivaldi n’est «pas un vrai choix, mais une question de survie politique» (De Standaard, 2 septembre). On y espère que les avantages de la participation au pouvoir l’emporteront sur les inconvénients. En fait, le parti est confronté à un choix entre la peste ou le choléra, ou comme le dit le titre de l’article de De Standaard: «Le choix de Coens: toujours perdant». Le SP.a deviendra Vooruit, mais c’est une nouvelle opération de communication dénuée de sens qui n’empêchera pas le déclin d’un parti sans identité et sans base solide dans la société. Tout comme le CD&V, sa seule chance d’augmenter son potentiel électoral est de se rattacher aux revendications du mouvement ouvrier, mais il est clair que cela n’arrivera pas sous Rousseau et Coens. L’Open VLD sera à son tour contesté par la N-VA en son point central du libéralisme économique. Le PS dispose encore un peu plus de crédit, mais il s’effrite également rapidement, ce qui est évident avec le soutien croissant au PTB, non seulement dans les votes, mais aussi parmi les membres actifs du syndicat. En Flandre aussi, il y aura plus de place pour la croissance électorale du PVDA, d’autant plus si ce parti commence à jouer un rôle plus important que maintenant dans les véritables luttes. Le MR peut relativement tenir en étant la seule force socio-économique de droite dans le paysage politique francophone, le CDH a déjà disparu du terrain en tant qu’acteur politique significatif et ne peut servir que de bouche-trou.

Il y a de nombreuses comparaisons à faire entre la transition des gouvernements de droite démocrates-chrétiens / libéraux du début des années 1980 aux gouvernements démocrates-chrétiens / sociaux-démocrates arrivés au pouvoir après 1987 et la transition actuelle du premier gouvernement thatchérien depuis le début des années 1980 et l’actuel gouvernement De Croo. Le plus important est que la bourgeoisie n’a pas pu continuer avec le gouvernement de droite dure en raison de la perte du soutien électoral aux partis de droite, mais aussi et surtout parce qu’un tel gouvernement rendait pratiquement impossible le contrôle de la base par les dirigeants syndicaux sans nécessairement obtenir les résultats exigés par le patronat.

Une différence majeure, cependant, est non seulement le discrédit de CD&V et du SP.a et (dans une moindre mesure) du PS, mais aussi le fait que la direction du syndicat elle-même jouit d’une confiance moindre après l’expérience du plan d’action en 2014. Les dirigeants syndicaux avanceront sans doute l’argument selon lequel « le pire » a été évité et évoqueront le danger de l’extrême droite en Flandre, mais la tragédie du Plan Global en 1993 – lorsque le soi-disant « gouvernement le plus à gauche possible » a pu remporter la première attaque structurelle dans le démantèlement des acquis de l’après-guerre de la classe ouvrière grâce à cette attitude de la direction syndicale – ne se répétera pas facilement avec la conscience actuelle. L’intention du gouvernement De Croo (et de tous les partis concernés) n’est peut-être pas d’opérer un changement durable et d’enterrer à jamais le néolibéralisme, mais tout retour à celui-ci devra faire face à des luttes acharnées, avec moins de possibilités pour la bourgeoisie de garder les choses sous contrôle. Même avant la crise sanitaire, sur la base des résultats des élections de mai 2019, un gouvernement de droite dure ne pouvait pas être maintenu comme ça. La pandémie lui a donné le coup de grâce.

C’est un gouvernement très hétéroclite, une nouvelle version d’un «gouvernement d’unité nationale». Dans le passé, un tel gouvernement était une tripartite classique avec les trois «familles» politiques traditionnelles. Aujourd’hui, une telle tripartite n’a plus de majorité au niveau fédéral – et encore moins en Flandre. De plus, les familles politiques sont profondément divisées par l’effet de la régionalisation de longue date et doivent toutes faire plus ou moins face à des divisions internes qui émergent régulièrement. Il n’y a aucune perspective que ces résultats changent.

Cette fragmentation profonde du paysage politique, qui progresse également de plus en plus en Wallonie, signifie, quel que soit le scénario, que la stabilité politique appartient au passé. Au mieux, les partis bourgeois peuvent espérer que leur processus de disparition sera ralenti pour le moment, mais ce n’est pas le scénario le plus probable. En Flandre, la presse, le monde académique et sans doute le Voka ont pu depuis un certain temps nourrir l’illusion que la N-VA – devenue le parti le plus néolibéral de Flandre sur le plan socio-économique – deviendrait le nouveau parti du peuple flamand, mais c’en est aussi fini de cette idée. Aucune des nouvelles formations politiques ne peut obtenir un soutien stable comparable à celui d’après-guerre des partis traditionnels: leur soutien électoral peut monter et descendre rapidement, leur adhésion ne va pas dans le sens des anciens partis de masse: «La NVA avec environ 40.000 membres, est en dessous du record établi par son prédécesseur, la VU » (mais la VolksUnie n’a jamais atteint plus de 20% des voix). Le VB dispose de 18.763 membres, Groen de 9000 (données issues du même article qu’au point 46).

Le développement de la N-VA est discuté plus en détail dans le texte de perspective du Congrès national fin 2019. Au début de la pandémie, c’est le parti qui a le plus – et ouvertement – évolué dans le sens de la politique britannique et néerlandaise : faire le moins possible et tabler sur «l’immunité de groupe». Les partis établis voulaient en fait cela aussi, mais n’ont jamais osé l’admettre avec autant de clarté, sauf Maggie De Block elle-même, qui est ensuite devenue la politicienne la plus détestée du pays (en concurrence féroce avec Wouter Beke en Flandre). Sa carrière politique est terminée.

Et pas seulement sa carrière à elle. Là où dans le passé une carrière politique pouvait facilement s’étendre sur quelques décennies, au cours des 20 à 30 dernières années, nous assistons à un changement accéléré de générations politiques, très rapidement brûlées les unes après les autres. Le gouvernement De Croo comprend donc tout un tas de nouveaux visages inconnus ou à peine connus. Le fait qu’à un moment donné, même la sexologue et personnalité télévisée Goedele Liekens ait été envisagé pour l’Open VLD en dit long. Le fait que le tout nouveau président du MR, George Louis Bouchez, a failli perdre sa position de président du MR la première semaine après la formation du gouvernement en est un autre exemple. Beaucoup de ces nouveaux visages ne survivront pas politiquement au gouvernement actuel. Ces nouveaux visages sont aussi en partie là parce que dans les circonstances incertaines actuelles les vrais dirigeants n’osent pas prendre de risque (et c’est alors qu’on laisse de l’espace aux femmes !) Ils préfèrent sauvegarder leur potentiel avenir, mais c’est aussi en grande partie parce que toute une série de politiciens provoquent le rejet de la population. Une exception dans ces nouveaux visages est bien sûr Frank Vandenbroucke, mais à 65 ans, il est proche de la retraite (et il a mieux pris soin de sa propre pension que de la nôtre!) Il n’a plus rien à perdre et n’a jamais vraiment été populaire auprès des foules non plus.

Les résultats de la politique de ce gouvernement ne satisferont personne, ni la classe ouvrière, ni la bourgeoisie, et certainement pas la petite bourgeoisie, qui risque d’être ruinée par la dépression économique. Ce n’est pas une perspective à long terme, mais une perspective à court et moyen terme – cela se produit déjà, seuls les prêts relais et les aides d’État maintiennent debout une bonne partie de la petite classe moyenne. À un moment donné, tôt ou tard, le gouvernement devra faire des choix décisifs. Avec une composition aussi colorée, elle menace d’exploser à ce moment-là. Non seulement le néolibéralisme touche à sa fin, mais aussi la période dans laquelle l’idéologie ne joue pas un si grand rôle. Tous les partis qui tentent de se placer au centre du spectre politique seront confrontés à des problèmes existentiels. Comme dans les années 30 et à la fin des années 70 et dans la première moitié des années 80 – grandes périodes de transition entre les époques capitalistes – nous serons probablement confrontés à une instabilité politique importante, avec des gouvernements qui se succèdent à un rythme rapide, avec ou sans élections.

La polarisation visible depuis un certain temps continuera à se répandre et à s’approfondir et ce sont surtout les forces politiques qui s’opposent explicitement à l’establishment qui vont avoir le vent en poupe. En Flandre, il s’agit principalement du Vlaams Belang, qui dispose déjà d’un personnel important et formé et – bien plus que lors de leur ascension précédente dans les années 1990 – a également de jeunes troupes radicales sous la forme de Schild en Vriend et d’autres organisations apparentées. En ce sens, il est également significatif que depuis la crise gouvernementale entourant le Pacte de Marrakech, ses mobilisations aient fait descendre beaucoup plus de monde dans la rue que dans les années 1990. Beaucoup d’entre eux font partie des éléments les plus désespérés de la classe moyenne.

Bien plus que le PVDA – le seul parti de gauche qui n’appartient pas à l’establishment – le Vlaams Belang ose sortir du lot. De manière purement démagogique, il répond directement au désespoir des couches croissantes, en particulier de la classe moyenne appauvrie, mais aussi de certaines parties de la classe ouvrière qui risquent d’être laissées pour compte. L’extrême droite a repris confiance en elle, également dans un contexte international où des personnalités comme Trump, Bolsonaro, Poutine, Orban,… n’ont face à eux aucune opposition crédible. Si aucune réponse n’est fournie par le mouvement ouvrier – ce qui devra être stimulé par la lutte de jeunes radicalisés – en 2024 (si le gouvernement De Croo atteint déjà cette année-là, ce qui est très incertain), le paysage politique en Flandre deviendra totalement ingouvernable. Même l’introduction d’une N-VA gravement affaiblie dans l’administration nationale – avec le prix d’une refonte en profondeur de la structure de l’État – ne sera alors qu’une question de suspension de l’exécution, repoussant l’ingouvernabilité totale d’encore un mandat gouvernemental.

La seule chose qui peut sérieusement contrecarrer cette perspective est une lutte de classe ascendante qui repousse les éléments de division au sein du mouvement ouvrier à l’arrière-plan et embarque également une partie de la classe moyenne, associée au développement d’un mouvement de jeunesse antiraciste et antifasciste qui peut également obtenir activement le soutien de (certaines parties de) la base syndicale, d’une base dans les quartiers populaires,…µ

La croissance de l’extrême droite et la confiance croissante de leurs troupes peuvent conduire dans les années à venir à des affrontements plus violents avec des jeunes radicaux, dans des quartiers de migrants, avec des militants du mouvement féministe et LGBTQI ou dans le mouvement pour le climat,… La direction du Vlaams Belang ne visera pas cela dans un premier temps, mais elle devra permettre une certaine liberté de mouvement à ses jeunes troupes. Son contrôle sur ces troupes est également loin d’être absolu. Cependant, de telles confrontations violentes peuvent également servir de fouet pour la jeunesse de la classe ouvrière et d’autres forces progressistes, en particulier lorsqu’une force révolutionnaire intervient avec une stratégie et un programme efficaces. La classe ouvrière qui déploie sa force – numériquement, mais aussi avec le haut degré d’organisation qui existe en Belgique – contre les troupes fascistes, est sans aucun doute capable de les faire dégager physiquement de la rue.

Le plus grand danger pour le développement du pôle gauche réside, comme toujours, à sa direction. Jusqu’à présent, la direction du PVDA n’a pas montré une réelle compréhension de la tâche à accomplir. Son opportunisme, notamment envers la direction syndicale, mais aussi envers les partis officiels de gauche grâce auxquels elle veut être considérée comme un partenaire acceptable, quoique légèrement plus radical, peut lui faire rater complètement le train de l’histoire, tout comme cela a été le cas pour les partis communistes dans l’or des années 30 (lire, entre autres, «Où va la France» de Trotsky). Le danger du fascisme ne suffit pas à les encourager à prendre les mesures nécessaires. C’est la victoire du fascisme et la brutalité sans précédent de ces régimes, ainsi qu’une guerre mondiale dévastatrice – une série de faits accomplis – qui ont été nécessaires pour permettre l’expansion du régime stalinien.

Le réformisme n’a aucune chance dans une dépression économique, il n’y a tout simplement pas d’espace pour cela. Même si la lutte de classe peut forcer la bourgeoisie à faire des concessions majeures, ce ne sera que très temporaire, jusqu’à ce que la lutte recule. Le réformisme en période de dépression revient à essayer d’extraire les dents d’un lion éveillé. Si la classe ouvrière est seulement capable de créer le chaos sans imposer de progrès pour les larges masses, elle ouvre la voie à des forces réactionnaires plus radicales, qui peuvent trouver un soutien parmi les couches moyennes désespérées.

Ce concept n’est pas utilisé par la direction actuelle du PTB/PVDA. À bien des égards, la compréhension de la situation et de ce qui est nécessaire a été plus développée dans le groupe d’action militant de La Santé en Lutte que dans le PTB/PVDA, qui ne l’a soutenu que du bout des dents afin de ne pas compromettre ses bonnes relations avec une partie de l’appareil syndical. A court terme, son soutien électoral augmentera, notamment en Wallonie et à Bruxelles car le PS perdra encore plus de crédit dans ce gouvernement, mais aussi en Flandre. A court terme, nous devrons sans doute avec peu de succès, nous orienter vers le PVDA et surtout vers le PTB et le pousser plus loin vers la gauche lorsque cela est possible, entre autres avec des fronts unis sur tous les domaines de lutte possibles. Cependant, cette orientation ne doit pas occulter un profil clair et une emphase sur l’action et le développement de notre propre parti. Toutefois, cette orientation ne doit pas occulter un profil clair et un accent sur l’action et le développement de son propre parti. Nous devons tester notre parti dans l’action, construire une résistance à la fois contre l’opportunisme et l’aventurisme. Cela ne peut se faire qu’en établissant un dialogue actif avec les couches les plus larges de la classe ouvrière et en gardant le doigt sur leur pouls à tout moment. Dans les années à venir, un changement rapide sera une nécessité absolue. Le recrutement et la construction de notre périphérie sont cruciaux. Notre action doit donc être constamment accompagnée d’une réflexion approfondie et d’une formation dans les sections.

Dans tout cela, cependant, il ne faut pas sous-estimer l’agilité et la flexibilité de Magnette, en combinaison avec un appareil encore grand et expérimenté. Le fait que Magnette lui-même reste à l’extérieur du gouvernement, contrairement à Di Rupo à l’époque, montre qu’il ne met pas tous ses œufs dans le même panier et qu’il préserve des opportunités pour son parti. Il est peut-être dévoué à la bourgeoisie, mais il en est aussi le représentant le plus intelligent de Belgique. Pour sauver le capitalisme de défis plus radicaux, il peut faire un long chemin dans la direction de concessions majeures – temporaires et partielles – au mouvement ouvrier, également en tandem avec des figures de proue de la FGTB comme Thierry Bodson. Il pourrait s’agir en partie d’une coalition avec le PTB, qui s’oppose à la menace d’une coalition du populisme et de l’extrême droite en Flandre, dans laquelle les tendances régionalistes peuvent également atteindre de nouveaux sommets. La bourgeoisie a sa propre boîte à outils, qui contient également des instruments qu’elle n’a plus utilisé (ou n’a plus dû utiliser) dans l’après-guerre et la période du néolibéralisme. Une « crise finale » du capitalisme ne vient qu’avec la prise de pouvoir par la classe ouvrière dans au moins une grande partie des pays capitalistes développés.

L’internationalisme jouera un rôle extrêmement important, certainement dans un pays comme la Belgique, qui, en raison de la domination des multinationales étrangères dans le tissu économique, est un jouet de l’évolution du marché mondial. Ce serait un miracle pour l’Union européenne, dans laquelle la Belgique s’est nichée, de survivre aux prochaines années de dépression et de mouvements turbulents, et nous n’y croyons pas. L’internationalisme est le réflexe instinctif de tous les grands mouvements de la dernière période et joue certainement un rôle énorme chez les jeunes. En ce sens, nous avons pu sauver notre Internationale juste à temps d’une direction conservatrice qui aurait conduit notre organisation à la ruine. Utiliser les expériences des autres sections sera un élément crucial pour former un parti qui non seulement pourra se maintenir pendant cette période, mais aussi se développer avec audace.

Annexe: perspectives pour la question nationale

Ces derniers temps, l’idée de «deux démocraties» est de plus en plus apparue. Au fond, il s’agit d’une vision nationaliste flamande de la réalité, mais aujourd’hui l’idée est de plus en plus reprise par les journalistes, les universitaires et les politiciens à travers le pays. Cette idée sera sérieusement renforcée par le fait que l’opposition contre Vivaldi en Flandre viendra de la droite dure et de l’extrême droite (avec la N-VA et le VB), tandis que l’opposition en Wallonie sera principalement constituée du PTB.

Comme expliqué dans des documents précédents, l’idée de deux démocraties est trompeuse à plus d’un titre : cela cache que le gouvernement suédois a été puni par des électeurs de toutes les régions du pays lors des élections de 2019, qu’une majorité se retrouve partout pour certaines revendications de centre gauche comme un impôt sur la fortune (ce qui a été renforcé par la pandémie), que le plan d’action syndical de 2014 a été très bien suivi partout,… Cela nie également l’existence de la Région bruxelloise, les nationalistes flamands n’imaginant qu’une cogestion avec la Wallonie que dans le cadre d’un modèle confédéral à deux. Cela fait également l’impasse sur la Communauté germanophone.

Mais la différence grande et croissante dans le paysage politique en Flandre et en Wallonie est bien sûr réelle. La différence entre la Flandre et la Wallonie réside en partie dans la force des traditions syndicales et socialistes, plus fortes en Wallonie, mais en partie aussi dans une offre anti-establishment crédible. En Wallonie, le PTB réussit à offrir une alternative électorale de gauche crédible contre l’establishment, mais en Flandre, il est éclipsé par le VB en tant que force anti-establishment. Comme tous les autres partis flamands, le PVDA est aveuglé par la domination de la droite en Flandre et s’y adapte. Il craint trop d’être perçu comme «trop radical», il est trop petite pour vraiment se démarquer et pour faire un saut électoral fondamental dans la nouvelle ère.

Les derniers sondages indiquent que lors des prochaines élections, le VB deviendra le premier parti politique en Flandre, suivi de la N-VA, avec la possibilité qu’ils atteignent 50% ou plus ensemble, tandis qu’en Wallonie, une bataille pour la première place peut avoir lieu entre le PS et le PTB. Il n’est pas du tout impossible que le PTB l’emporte. Ces situations se sont déjà produites dans plusieurs pays, mais jamais les deux à la fois. La situation dans laquelle nous nous retrouvons alors est inédite. Ni dans les années 30, ni à la fin des années 70 ou au début des années 80, il n’y avait de situation où les trois partis traditionnels n’avaient pas de majorité, généralement un accord entre deux d’entre eux était suffisant. L’instabilité existait en raison d’un désaccord au sein de la bourgeoisie elle-même sur la façon de gérer la crise dans une nouvelle situation où la vieille politique ne fonctionnait clairement plus. Ce désaccord s’est traduit au sein des partis bourgeois (y compris le parti ouvrier bourgeois) et entre eux, avec l’émergence d’un certain nombre de nouveaux partis, dont la plupart sont issus de la petite bourgeoisie (extrême droite, partis linguistiques et nationalistes / régionalistes, …), mais aussi les communistes dans les années ’30. Les gouvernements tombaient comme des châteaux de carte, mais il y avait toujours la possibilité de former un nouveau gouvernement autour de l’un d’eux (l’un d’eux était toujours le plus grand parti), généralement en accord avec le deuxième ou le troisième. Jamais dans l’histoire la bourgeoisie n’a eu des instruments politiques aussi faibles qu’aujourd’hui. En Flandre, elle a dû recourir à la N-VA depuis un certain temps maintenant, qui est maintenant en rapide déclin, mais en Wallonie et à Bruxelles, elle dispose encore de deux forces relativement stables jusqu’à présent avec le PS et le MR. Le gouvernement Vivaldi pourrait fondamentalement affaiblir davantage ces deux partis, approfondissant encore la polarisation et la crise politique.

Dans plusieurs pays, les partis bourgeois ont temporairement mis fin à la compétition électorale des forces populistes d’extrême droite ou de droite en les mouillant et en les rendant responsables d’une austérité impopulaire: en Autriche et en Italie dans la coalition au pouvoir, aux Pays-Bas par un soutien extérieur à un gouvernement minoritaire impopulaire. Il s’agit d’une option risquée partout, mais c’est encore bien plus le cas en Belgique. Si la bourgeoisie belge a apprécié utiliser la N-VA comme bélier contre le mouvement ouvrier, la N-VA devait mettre ses revendications communautaires au frigo comme prix de sa participation au gouvernement. Cependant, pour la bourgeoisie, le VB est un danger pour l’État: même s’il ne déclare pas immédiatement l’indépendance flamande, il est inconcevable que vous trouviez ne serait-ce qu’un seul parti francophone qui veuille être dans un gouvernement avec le VB ou avec des partis qui rejoignent le VB dans le gouvernement flamand. Ce n’est qu’alors que le manque total de contrôle deviendra un fait.

De nouvelles formations de gauche ont également été entraînées dans le bain par la bourgeoisie au cours de la dernière période, par exemple en Grèce, en Espagne et au Portugal. Bien qu’ils ne soient pas nécessairement été immédiatement sanctionnés pour cela, ce n’est qu’une question de temps – il ne faut pas s’attendre à la stabilité. Comme les nouvelles formations de droite, elles ne peuvent pas se développer en partis avec la même stabilité que les partis traditionnels. Ils sont rapidement testés et peuvent avoir des hauts et des bas dans leur soutien au sein de la population. En général, il faut dire que leur réformisme et leur électoralisme les rendent incapables de répondre aux besoins, même si les concessions limitées qu’ils peuvent faire pour leur participation au gouvernement ou un soutien extérieur peuvent leur donner un crédit temporaire car cela contraste avec une période de politique néolibérale brutale. Nous devons nous orienter vers eux, là où ils existent, et si possible leur offrir des fronts unis autour de revendications spécifiques, mais en même temps maintenir notre indépendance, garder un œil sur les autres évolutions (ne pas les considérer comme la seule option pour atteindre une représentation des travailleurs), développer notre propre programme et placer notre priorité dans le développement du parti révolutionnaire. Sur base des perspectives actuelles, il semble probable que le PVDA/PTB – du moins dans la partie francophone du pays – soit intégré dans des coalitions locales ou régionales dans les années à venir.

La croissance du Vlaams Belang ne peut être ralentie que par une seule force: le mouvement ouvrier. Si la préparation des élections (en 2024 si le gouvernement Vivaldi dure si longtemps et qu’il n’y a pas d’élections fédérales anticipées) se caractérise par des luttes ouvrières dynamiques et des luttes de jeunes, le racisme, le sexisme et le populisme de droite seront temporairement relégués au second plan et cela ralentira le potentiel du VB (le dernier sondage estime ce potentiel à 40% !). La question nationale et la lutte des classes sont des vases communicants.

Cela augmenterait bien entendu le potentiel du PTB et dans une moindre mesure du PVDA. Dans une période comme aujourd’hui – une période de transition au cours de laquelle les développements peuvent évoluer très rapidement – il est presque impossible de regarder quatre ans en avant, comme l’indique le titre de l’article sur les perspectives mondiales : «Il y a des décennies où rien ne se passe et il y a des semaines où des décennies se produisent.  » (Lénine). Au cours de ces quatre années, de nouveaux partis peuvent émerger et chuter ! La période à venir exigera un suivi attentif de tous les développements, ce qui nous obligera à nous positionner rapidement et à réagir avec souplesse aux nouveaux éléments qui se présentent. Ce qui est presque certain, cependant, c’est que la crise politique en Belgique va encore s’aggraver et peut opérer un revirement qualitatif vers une ingouvernabilité totale et / ou la redéfinition du paysage politique dans lequel des forces nouvelles et moins stables prendront la tête. En Italie, le processus de ces dernières années a conduit à un gouvernement bipartite qui n’est pas contrôlé par la bourgeoisie, bien que maintenant la situation soit revenue à une force fiable (mais pour combien de temps?). En Grèce, il y a eu l’essor rapide de Syriza, suivi de sa chute de popularité. En France, il y a eu l’ascension de Macron et de Mélenchon. Aucun de ces développements n’aurait pu être correctement prévu quelques années plus tôt. En Belgique, avec non pas deux mais quatre paysages politiques différents (Flandre, Wallonie, Bruxelles et son double paysage politique, et la communauté germanophone, où le paysage politique est dominé par les démocrates-chrétiens traditionnels et le ProDG, une ramification régionaliste de Démocrates-Chrétiens), une évolution comme celle de la France – où Macron et La France Insoumise sont immédiatement représentés et répercutés dans tout le pays – peut être pratiquement exclue: un Macron belge serait une bête très étrange. Nous devons nous préparer à une instabilité politique très forte, dans laquelle les partis traditionnels et les nouveaux venus peuvent faire des choses étranges, où les gouvernements ne peuvent pas remplir leurs mandats et où différents gouvernements peuvent se succéder rapidement, soit par de nouvelles élections, soit par de nouvelles coalitions sans élections, complétée par des éléments de technocratie et de longs moments sans gouvernements fédéraux à part entière. Dans cette situation, nous devons être particulièrement vigilants face aux changements rapides.

µIl n’est pas hors de question, certainement si la lutte de classe peut être ralentie par la direction syndicale ou si elle aboutit à des défaites en raison du manque de stratégie de la direction, qu’en Flandre lors de futures élections, le VB et la NVA remporteront ensemble la majorité des sièges. La relation entre les deux peut être complètement inversée d’ici là, comme le montre l’évolution des sondages, avec le VB se situant entre 30% et 35% et le NVA rétrécissant au niveau des partis traditionnels dans la dernière période (entre 10 et 15%), ce dernier chutant encore à 10% ou moins. C’est surtout le CD&V et le SPa qui se trouvent dans une crise existentielle, mais le VLD est également sérieusement divisé. La disparition ou l’éclatement et la redistribution de ces partis est une option que nous devons prendre au sérieux, même si la bourgeoisie fera tout ce qui est en son pouvoir pour préserver ses instruments ou en créer un nouveau sur ses fragments.

Si la NVA et le VB atteignent une majorité, différents scénarios sont possibles. Un seul est hors de question: que tout reste pareil. Une réforme de l’Etat de grande envergure apparaît alors comme le minimum sur la table. Au PS, ils s’y préparent déjà. Magnette ne figure pas dans le gouvernement fédéral, ce qui devrait garantir que le parti puisse changer rapidement d’orientation si des développements compromettent sa survie. Un certain nombre de régionalistes ont également été inclus dans le gouvernement Vivaldi et Thierry Bodson dirige actuellement la FGTB, avec une position forte au sein de la FGTB wallonne. Lors des négociations d’été entre le PS et la NVA, les mesures prévues étaient la poursuite de la régionalisation des soins de santé et de la politique du marché de l’Emploi et l’ouverture de la constitution aux prochaines élections. Les bureaux de l’Action Commune (Action Communale Socialiste, qui réunit le syndicat, la mutuelle et le parti) tournent probablement à plein régime pour préparer des propositions de réforme de l’Etat.

Les deux domaines cités – la santé et la politique du marché de l’emploi – sont certainement sur la table des négociations, peut-être même dans le cadre du gouvernement Vivaldi. La pandémie a révélé l’énorme fragmentation de la politique de santé publique dans toute son absurdité – 7 ministres de la santé, avec également des compétences pour les villes et les communes. Il est probable qu’une étude sera menée pour organiser cela plus efficacement, avec un transfert de pouvoirs – même si les moyens n’augmentent pas davantage. Les différents États fédéraux d’Europe ont généralement toujours le financement et les normes générales entre les mains du gouvernement fédéral, bien que certaines parties de la politique puissent être interprétées différemment au niveau régional. Dans les pays fédéraux confrontés à des compétences croissantes pour les entités régionales (un processus de désintégration des anciens États unitaires), cette division des pouvoirs peut être chaotique et extrêmement compliquée, notamment en Grande-Bretagne et en Belgique. Dans cette discussion, nous devons garder un œil sur la question principale: les moyens! – plutôt que de s’en tenir simplement au statu quo chaotique de la division belge des pouvoirs. Partout, dans toutes les sections de l’Etat, y compris dans les régions, les communautés, les villes et les communes, il faut avant tout lutter pour plus de ressources pour de meilleures conditions de travail et des soins de meilleure qualité, plus accessibles et de qualité, prôner une harmonisation à la hausse pour l’ensemble du secteur (et de la société), c’est-à-dire, par exemple, défendre la lutte des administrations locales et régionales bruxelloises pour une opération de rattrapage pour obtenir les mêmes conditions de salaire qu’ailleurs. Que nous soyons pour ou contre un transfert des pouvoirs (fédéralisation ou régionalisation) dépend du fait que cela implique ou non une opération de réduction des moyens. Il est probable que ce sera le cas, en fournissant plus de moyens, mais pas suffisamment pour résoudre les problèmes actuels. Nous devons lutter contre une régionalisation ou une fédéralisation qui conduirait à la fermeture de nombreux hôpitaux, ou qui, par exemple, offriraient aux flamands et aux non-natifs à Bruxelles d’autres services dans des conditions différentes.

Il semble peu probable que la sécurité sociale soit régionalisée ou autrement attaquée à court terme – dans le contexte politico-économique actuel, sa préservation en tant que stabilisateur est également d’une importance énorme pour la bourgeoisie. De plus, c’est un système largement autofinancé par les travailleurs (à la fois par leurs cotisations sociales et par les impôts). A plus long terme, cependant, les coûts pour l’Etat augmenteront énormément, ce gouvernement ne reviendra que sous de très fortes pressions sur les restrictions imposées par les gouvernements précédents: la difficulté d’accès pour les jeunes, la dégressivité des allocations de chômage, les restrictions à la cohabitation, l’augmentation l’âge de la pension,… Dans le même temps, le gouvernement recherchera de nouvelles sources de financement de la sécurité sociale, qui peuvent résider dans des augmentations de TVA, une «contribution sociale généralisée» et même une augmentation (très limitée) des cotisations patronales après des décennies de diminution ainsi qu’une utilisation des fonds fournis par l’UE.

En fonction de nombreux facteurs, une majorité composée du VB et de la NVA peut également aller beaucoup plus loin qu’un cycle classique de réforme de l’État. Cela dépendra de la mesure dans laquelle le VB veut plaire à la bourgeoisie ou voit des opportunités pour faire avancer son programme politique. En Catalogne, la montée en puissance de forces nationalistes plus radicales a conduit au référendum illégal et à toute la situation chaotique qui s’est aggravée depuis. Un référendum – en pleine dépression économique – ou même une déclaration unilatérale d’indépendance n’est pas hors de question, après quoi les discussions seront de facto confédérales. Dans sa conclusion la plus logique, elle peut conduire à une division du pays imposée d’en haut (sans qu’un mouvement populaire le demande), comme cela s’est produit en Tchécoslovaquie, mais beaucoup moins amicale. Dans ce cas, la bourgeoisie ne pourra plus inverser la tendance, seul le mouvement ouvrier pourra le faire – la bourgeoisie essaiera d’instrumentaliser le mouvement ouvrier, éventuellement dans des alliances de type front populaire.

Le PVDA / PTB s’en tiendra à son nationalisme belge, qui devient de plus en plus stérile, même s’il s’agit du nationalisme dominant dans le mouvement ouvrier belge face au nationalisme flamand et au régionalisme wallon ou au développement identitaire bruxellois. Au sein du mouvement ouvrier, cela exprime la défense des acquis historiques comme la sécurité sociale, la négociation salariale nationale,… Mais si au sein du mouvement ouvrier wallon, avec ses racines historiques dans la Résistance, la NVA rencontre déjà l’aversion générale (bien que la popularité de Théo Francken exprime que des idées racistes sur les migrants et une rhétorique brutale sur le maintien de l’ordre trouve également un écho en Wallonie), c’est infiniment plus le cas pour le VB. Un nouveau déplacement vers la droite du paysage politique flamand dans un contexte de crise économique et politique, qui donnera l’impression que la Flandre bloque une politique plus sociale, aura un effet sur la classe ouvrière wallonne et certainement aussi sur Bruxelles, la classe ouvrière la plus multiculturelle du pays. Si le PTB n’apporte pas à cette question une réponse autre que celle qu’il a donnée jusqu’à présent, il peut être dépassé à cet égard par le PS avec le soutien d’au moins une partie des dirigeants wallons et bruxellois de la FGTB. Au cours de son histoire, le PS n’a jamais hésité à utiliser le régionalisme wallon et la carte francophone pour préserver son pouvoir. C’est un plan B depuis le début du siècle dernier qui revient régulièrement dans le mouvement socialiste francophone – la lettre de Destrees au roi, qui préconise une division profonde du pays, remonte à 1912.

Il sera très important dans la période à venir que nous discutions régulièrement de notre approche et de notre programme sur la question nationale avec tous les membres. Nous n’adhérons à aucun nationalisme et nous jugeons chaque proposition selon qu’elle fait avancer le mouvement ouvrier ou qu’elle prend du recul. Ce qui compte pour nous, c’est l’unité de la classe ouvrière belge, pas l’unité de la Belgique. Alors que nous avons défendu un vote pour l’indépendance lors du référendum en Écosse, nous avons également toujours plaidé pour l’unification des syndicats en Grande-Bretagne et pour une fédération socialiste d’États socialistes indépendants dans les îles britanniques.

Nous ne croyons pas aux solutions institutionnelles, ni quand elles introduisent une régionalisation plus poussée, ni non plus quand il s’agit de refédéralisation. Dans le cadre du capitalisme, une solution fondamentale à la question nationale n’est pas possible, seulement des transferts de pouvoir entre les parties constituantes. Le fait que la Belgique existe toujours s’explique par le fait que ni la bourgeoisie ni la classe ouvrière ne veulent sa désintégration. C’est encore le cas aujourd’hui, mais les contradictions se multiplient – à un rythme accéléré par la crise sanitaire – et vont croître de plus en plus rapidement avec l’effet de la dépression économique en développement, et la bourgeoisie n’a plus les ressources, ni les instruments pour contrer fondamentalement cela. Dans les années à venir, l’une des deux classes – la bourgeoisie si elle doit maintenir son pouvoir (par exemple lorsqu’un gouvernement wallon arrive au pouvoir sous la pression de dures luttes de classe menaçant ses intérêts) et la classe ouvrière (lorsque dans le même scénario, la Flandre est considérée comme la force qui rend le progrès impossible) – peut changer de position à cet égard, au moins en ce qui concerne l’avant-garde de la classe, au moins dans une région. Nous devons être vigilants à ce sujet et discuter de chaque changement afin d’être prêts pour la prochaine phase. Nous avons également besoin de nouveau matériel à ce sujet.

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