1983, la grève générale des services publics

Du lundi 12 au vendredi 23 septembre 1983, la Belgique a connu la plus importante grève des services publics depuis la grève générale 60-61. Le 31 juillet, le gouvernement Martens V (chrétien-libéral) décidait une série de nouvelles mesures d’austérité pour le personnel des services publics(1) : blocage des salaires en 1984 et 1985, personnel engagé à 4/5 temps dans les ministères et parastataux, taxation du pécule de vacances à 12 % (au lieu de 7%), prime de fin d’année supprimée, hausse de la cotisation à la sécurité sociale,…

Par Guy Van Sinoy

Les cheminots, locomotives de la lutte

Vendredi 9 septembre au matin, la grève commence spontanément chez les conducteurs à Charleroi-Sud. Endéans la demi-heure toute une série de non-roulants suivent le mouvement. L’arrêt de travail se répand comme une traînée de poudre : Huy, Liège, Quévy, Bruxelles, Namur, St-Ghislain, Ottignies, Verviers, Welkenraedt, Arlon, Ostende, Courtrai. Il faut dire que le ras-le-bol est généralisé chez les cheminots qui ont déjà perdu 6.000 emplois en 1982 et 1983. De plus, le ministre des Communications Herman De Croo, menace les primes de productivité des cheminots.

La grève fait tache d’huile dans les autres secteurs

Face à la détermination de la base, la direction de la CGSP Cheminots et de la CSC Cheminots décident le lundi 12 de couvrir toute action jusqu’au vendredi 16 à 22 h. Le Bureau national de la CGSP appelle ses affiliés (tous secteurs) à passer à l’action dès le jeudi 15 septembre. Le 13 septembre, alors que la direction de la SNCB communique que le trafic ferroviaire est quasi nul, des postiers débrayent spontanément à Liège, Namur, Gand, Ath, Charleroi, Bruxelles et le front commun syndical Postes appelle à la grève du jeudi 15 au samedi 17. A partir du jeudi 15, la grève se généralise à tous les secteurs à travers le pays.
Comment expliquer cette dynamique de lutte ?

D’abord parce que les cheminots sont révoltés par la violence des attaques qu’ils subissent de la part du gouvernement qui n’a même pas envisagé de négocier. Ensuite parce que les cheminots ont une longue tradition de lutte en front commun. Comme la paralysie du réseau ferroviaire à partir du lundi 12 va perturber le travail de 1.700.000 navetteurs cela permet l’espoir d’une vraie grève générale interprofessionnelle. Enfin parce que même si Jef Houthuys (CSC) et André Vandenbroucke (FGTB), responsables interprofessionnels nationaux, ont déclaré accepter « l’effort de modération »(2), ils n’ont pas la possibilité de s’opposer frontalement à la grève du rail.

La grève se généralise et s’étend timidement au secteur privé

Mercredi 14 septembre deux divisions de Cockerill-Sambre à Liège ainsi que les travailleurs des ACEC à Herstal débrayent en solidarité avec le personnel des services publics. Le jeudi 15, à l’appel du front commun syndical la grève est générale dans les services publics, à l’exception la CCSP(3) et des centrales syndicales chrétiennes dans l’enseignement libre. Le président du Parti socialiste, Guy Spitaels, réclame la convocation d’urgence du parlement et demande le départ du gouvernement Martens-Gol.

Vendredi 16 la grève gagne encore en extension, notamment en Flandre. Toutes les institutions publiques de crédit(4) sont en grève, en front commun syndical. Les cheminots du Centre votent la grève au finish, avec AG tous les 3 jours.

Le gouvernement manœuvre, les directions syndicales temporisent, la grève continue

Les négociations entre gouvernement et syndicats, commencées le 16, durent tout le week-end. Pour le gouvernement, il s’agit de lâcher du lest pour affaiblir et désamorcer la grève. Mais le lundi 19, la CGSP et la CCSP rejettent le texte gouvernemental et appellent à continuer la grève « jusqu’au mardi 20 au moins ». Il est clair que plus on monte dans l’appareil syndical des services publics plus l’attitude est tiède à l’égard de la grève.

Le mardi 20, la CCSP d’Anvers décide de rejoindre la grève, ce qui se fait sentir directement au niveau du port. La grève s’élargit à d’autres services publics : les communaux à Liège, l’aéroport de Zaventem, les pilotes maritimes du port d’Anvers, les douaniers de la frontière belgo-allemande, l’enseignement en Flandre, l’enseignement libre dans quelques localités en Wallonie. Le Bureau de la FGTB décide de convoquer son comité national élargi pour le… vendredi 23 (c’est-à-dire deux semaines après le début de la grève!).

Le début de la fin

Alors que de nouvelles couches rejoignent le mouvement de grève (le personnel communal à Hasselt) et que des actions de solidarité éclatent dans le privé (ACEC et Glaverbel à Charleroi, le pétrole et la pétrochimie à Anvers), la Centrale chrétienne des services publics accepte, par 66 voix contre 14, le pré-accord gouvernemental et décide d’arrêter les actions de grève dès le 22 au soir. Le syndicat libéral fait de même. La CGSP rejette le pré-accord à Liège, Charleroi, Anvers, le Centre, Huy. Le bureau de la CGSP Postes rejette le pré-accord à l’unanimité.

Vendredi 23, alors que le quotidien Het Volk(5) titre « Un compromis raisonnable » et que la gendarmerie casse les piquets, surtout en Flandre, le Comité national élargi de la FGTB ne parvient pas à réunir 2/3 des voix pour décider de 48 heures de grève. Des cheminots envahissent la salle en chantant L’Internationale. Puis c’est au tour du Comité national de la CGSP d’accepter l’accord et de suspendre la grève.

Entre un appareil syndical CSC ouvertement complice du gouvernement et une direction FGTB paralysée et incapable de diriger la lutte, les travailleurs des services publics viennent de subir une défaite qui pèsera quelques années plus tard lors de la privatisation, secteur par secteur, de branches importantes des services publics.

Notes

1) A l’époque, les services publics comportaient de nombreux secteurs depuis lors démantelés : Régie des télégraphes et téléphones, Régie des Postes, Régie des Transports maritimes (malle Ostende-Douvres), Régie des Voies aériennes, Sabena, SNCV, SMAP, Crédit communal, CGER, Société nationale de Crédit à l’Industrie, Crédit agricole.
2) Le Soir, 8 septembre 1983.
3) CCSP : Centrale chrétienne des services publics
4) Banque nationale, CGER, Crédit communal, Société nationale d’Investissement, Commission bancaire.
5) Het Volk, journal quotidien du Mouvement ouvrier chrétien en Flandre

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